Blancheton Bx IV M2 3ème cours 16/11/06

De Univ-Bordeaux
Ce cours n'a pas été relu. Il peut être incomplet et/ou contenir des erreurs. Si vous souhaitez l'améliorer, il vous suffit de cliquer sur le lien modifier en haut de la page.

Leçon 3 : La restauration Meiji* au Japon

(*)Meiji signifie en japonais « gouvernement éclairé ». Article sur Wikipedia.

Introduction

En quarante ans, à compter de 1868, le Japon connaît un développement foudroyant et devient l’une des grandes puissances mondiales. La « restauration Meiji » est un épisode riche d’enseignements, notamment en ce qui concerne l’interaction entre ouverture et croissance, entre religion et économie. Le modèle de développement japonais, qui constitue un cas d’école, est-il transposable à d’autres pays ?

A méditer, le fait qu’en matière de développement, il n’y a pas de déterminisme. Le Japon semble à lui seul cumuler tous les handicaps : peu de ressources naturelles, relief très montagneux, éparpillement en de multiples îles, forte activité sismique. Pourtant, un demi-siècle plus tard, il écrase militairement la Russie.

Repli autarcique, stagnation et affaiblissement

Depuis 1639, le Japon vit en quasi-autarcie. Seule l’île de Déjima accueille quelques commerçants hollandais et chinois. Pourquoi cette décision de se fermer à l’influence extérieure ? La motivation est essentiellement religieuse : peur d’être colonisé, crainte du prosélytisme chrétien (d’ailleurs en 1630 les Japonais ont exterminé plusieurs dizaines de milliers de chrétiens présents sur l’archipel).
200 ans plus tard, quels sont les résultats de cette politique d’autarcie ?

Selon Maddison, le Japon a connu entre 1820 et 1870 une croissance annuelle moyenne du PIB de 0.41% (à comparer avec les 4% des USA et les 2% de la Grande-Bretagne). Malgré un embryon de développement, l’impression générale est celle d’une stagnation du Japon sur une longue période ; le bilan est donc nettement négatif. La Japon est en 1868 un pays sous-développé.

Ce fait tend à prouver que l’ouverture est bien une condition nécessaire à la croissance économique. Tous les pays « fermés » (Albanie, Corée du Nord) ont payé leur isolement par une stagnation. Plus globalement, les stratégies de substitution des importations ont échoué.

1854 : des navires de guerre US pénètrent dans la baie de Edo (baie de Tokyo). Les Américains imposent par la force l’ouverture aux échanges internationaux. Avec pour conséquence la signature de traités inégaux (d’une part les Américains veulent que le Japon importe des produits US, d’autre part l’archipel japonais constitue une base stratégique pour les Américains). Plusieurs ports japonais sont ouverts au commerce international. En 1858, les Européens signent eux aussi, des traités inégaux avec le Japon.

La mondialisation c’est aussi la diffusion du référentiel occidental de type capitaliste.

Dans la société japonaise s’ouvre un débat. Deux possibilités :

  • Soit on reste attaché à la fermeture, mais on court alors le risque d’être colonisé
  • Soit on se modernise (comme on l’a fait aux VIe et VIIe siècles lors de la réforme Taika)

Il est décidé de moderniser le pays. « Quittons l’Asie, rejoignons l’Occident » sera un des slogans de l’époque. En effet, les clans de samouraïs du sud de l’archipel, favorables à la modernisation, ont fini par imposer leur point de vue. Suite à un coup d’état (1868), ils ont rétabli l’autorité de l’empereur, un jeune homme de 16 ans, Mutsuhito, logiquement très influencé par les Shoguns* du Sud.

(*)Les Shoguns Tokugawa représentent localement le pouvoir militaire et civil. De longue date, le pouvoir impérial a été confisqué par les Shoguns.

En 1868, le développement économique japonais ne semble pas gagné d’avance.

Le rôle central de l’Etat dans le décollage du Japon

Il existe deux théories de la convergence économique.

  • L’approche par le marché, selon laquelle l’échange entraîne intrinsèquement un rattrapage (Heckscher-Ohlin-Samuelson)
  • L’approche par l’Etat qui insiste sur son rôle clé dans les processus de rattrapage par la mise en œuvre de bonnes institutions et le soutien aux transferts de technologies. Cette approche a été développée par Alexandre Gerscherkron dans Economic Backwardness in historical perspective (1962)

Le cas du Japon relève de l’approche par l‘Etat. Dans une moindre mesure, la Russie de la fin du XIXe siècle relève d’une approche identique. On peut ainsi trouver en économie des « recettes pour le développement ».

Le développement du Japon présente les aspects suivants :

  • La consolidation du système fiscal. Il s’agit pour l’Etat de disposer de moyens financiers suffisants pour mener à bien sa politique. En 1873, mise en place d’un impôt foncier de 3% sur la valeur de la terre. Ce sont les paysans qui vont financer l’effort de développement. Cet impôt représentera 90% des revenus gouvernementaux. Plus tard, en 1887, création d’un impôt sur le revenu. En 1900, l’impôt foncier représente encore 30% des recettes fiscales.

Pour rester indépendant, le Japon n’a pas voulu s’endetter en recourant aux ressources financières internationales. Il a donc puisé en lui-même les moyens nécessaires à son essor économique.

  • L’Etat va devenir fournisseur de biens collectifs : télégraphe, ponts, routes… La première ligne de chemin de fer est construite de 1869 à 1872 entre Tokyo et Yokohama (à cette occasion, on fait venir des ingénieurs anglais).
  • Un effort important en matière d’éducation. Auparavant, seuls les samouraïs et les marchands recevaient une instruction. En 1879, l’école devient obligatoire sans distinction sociale ni de sexe. Création d’universités. L’Etat exerce un contrôle étroit sur les programmes scolaires pour y intégrer les savoirs occidentaux les plus récents. Les jeunes sont envoyés à l’étranger pour y découvrir ce qui fonctionne bien (principales destinations : Allemagne, USA).
  • Un effort colossal en matière militaire : service militaire obligatoire, développement du sentiment nationaliste. Rappelons qu’en 1905, à la surprise générale, les Japonais battront les Russes à Port Arthur.
  • Les transferts de technologie : importation de biens d’équipement perfectionnés, arrivée de techniciens occidentaux. En 1874, 500 spécialistes étrangers sont présents au Japon (leur séjour est financé par le Ministère de l’Industrie). L’Etat fait construire lui-même les usines des secteurs jugés stratégiques : chantiers navals, aciéries… Elles seront privatisées dans les années 1880.
  • La modernisation est financée par de l’épargne nationale : valorisation des comportements d’épargne autour d’une ambition nationale. Construction d’un système financier efficace : épargne postale (1875), Banque du Japon (1882), création du Yen.

L’insertion dans les échanges internationaux

Le développement japonais n’est pas seulement une ouverture aux idées nouvelles. C’est aussi une insertion dans les échanges internationaux. Rappelons le slogan : « Quittons l’Asie, rejoignons l’Occident ».

1868 : ouverture de tous les ports au commerce international.
1871 : accord commercial d’égal à égal avec la Chine.
Très vite, le Japon atteint un coefficient d’ouverture (exportations / PIB) égal à celui des pays développés (peut-être même plus important si l’on tient compte de l’insularité) : 1868 env. 0% - 1890 5.1% - 1913 12.5%. Il exporte des produits manufacturés, essentiellement des tissus en soie et coton.

L’ouverture commerciale est réelle, mais contrôlée : les droits de douane sont à un niveau relativement élevé. En 1913, droits sur les produits manufacturés : 30%.

Le Japon utilise (comme la Chine aujourd’hui !) une tactique de sous-évaluation monétaire.

1911 : abolition par le Japon des traités inégaux.


Le succès d’une stratégie de développement non transposable.

Le cas du Japon, s’il constitue indubitablement un cas d’école, n’est cependant pas transposable, car trop lié aux caractéristiques culturelles japonaises.

Les manifestations du succès

De 1870 à 1913 :

  • croissance annuelle moyenne du PIB de 2.44% (soit plus que la France et le Royaume-Uni, mais moins que les USA). Il y a donc eu une rupture par rapport à la stagnation antérieure
  • augmentation du revenu par tête de 1.48% par an en moyenne
  • part du secteur primaire (agriculture) de 64 à 35%, secteur manufacturier de 10 à 26.5%
  • augmentation de l’alphabétisation et de l’espérance de vie

1902 : alliance militaire avec la Grande-Bretagne
1905 : victoire militaire sur la Russie
Constitution d’un petit empire colonial dans le Sud-est asiatique

Le Japon a rejoint le « club » des grandes puissances.

Un succès non transposable car…

Voir de Morishima Michio Capitalisme et confucianisme, 1987

Les caractéristiques du confucianisme japonais ont joué un rôle très important dans le décollage économique du Japon. Le confucianisme japonais a sa propre interprétation de la notion de loyauté.

  • Confucianisme chinois. Loyauté = fidélité à l’éthique, à ses principes personnels
  • Confucianisme japonais. Loyauté = loyauté vis-à-vis d’institutions, de la hiérarchie c’est-à-dire la famille, l’entreprise, l’Etat /la nation.

Les individus sont capables de s’effacer devant ces institutions, voire de se sacrifier sur l’autel de la collectivité (on le verra plus tard avec les kamikazes) La place de l‘individu est moindre qu’ailleurs