Bouneau UE7 8ème cours 30/11/06

De Univ-Bordeaux

IV. La construction commerciale du désir touristique : du luxe aristocratique à la mise en scène du Front Populaire

Phase intermédiaire durant l'entre-deux-guerres : diversification et démocratisation.
Application d'un enchaînement de la réclame isolée à la propagande et de la publicité au marketing (stade suprême de l'innovation touristique).
Cette construction commerciale du désir touristique doit jouer sur l'éveil du désir des différentes catégories : le voyageur, le curiste, le villégiateur.
Donc stratégie de construction de la demande dans le cadre plus large de la consommation. Les leviers de cette construction commerciale du désir touristique sont : la création artistique, et la moyennisation du tourisme (ce qui amorce la massification).

A/ Innovation touristique et innovation artistique : le pouvoir des affiches

  • L'affiche ferroviaire est un levier important du dialogue entre industrie, art et culture. C'est l'archétype de l'affiche.
  • Innovation globale, dans les années 1880, mise en oeuvre de nouveaux procédés industriels avec à la fois de nouvelles méthodes typographiques et la reconnaissance des arts graphiques pour la première fois.
    • C'est l'illustration technique et poétique des politiques de promotion commerciale des compagnies ferroviaires.
    • C'est aussi pendant longtemps, pour le monde rural, la seule expérience de l'art (avec le calendrier des Postes).
  • Le premier âge d'or des affiches ferroviaires s'étend de 1895 à 1905. Quelques grands noms : Alphonse Mucha (typique de l'Art Nouveau) et Henry Gray.
  • L'affiche ferroviaire est une invitation au voyage qui met en avant les facilités de la desserte et des "structures fonctionnelles des villégiatures" (Chadefaud), c'est à dire les hôtels, les casinos, les bains, etc.
    • On vante l'attrait naturel et climatique des sites.
    • Pour les stations thermales, on met en avant les indications thérapeutiques des sources.
  • C'est une construction sociale avec des maitres mots : nature, luxe et mondanité. On reconstruit un microcosme urbain paradisiaque.
  • Innovation spatiale fantasmée, l'affiche transfigure le site. Par l'affiche rejaillit la distinction sociale sur le touriste qui se rend sur ce site.
  • Cette affiche touristique doit être réintégrée dans l'innovation artistique globale et dans les révolutions artistiques du début du XXème siècle.
    • Art Nouveau au tout début du XXième siècle,
    • dans les années 20, avec l'affichiste Cappiello, les Arts déco. Les Art Décoratifs développent de nouvelles normes : la recherche de la synthèse, de l'épure approfondie (cf le thème des sports d'hiver : on vante le skieur, le mouvement).
  • L'affiche touristique devient un art fonctionnel au service de la promotion commerciale du tourisme.
  • L'affiche a un rôle polyvalent : elle contribue à la reconnaissance définitive du site et de son patrimoine. C'est une fonction de muséefication.
  • A la fin du XIXème et au début du XXème siècle, on assiste à une diffusion des guides touristiques. L'âge industriel du guide touristique commence à partir des années 1890. En France, on trouve le système Michelin : publication du premier Guide Rouge en 1900. En 1889, Michelin impose le pneu pour bicyclette et adopte le personnage Bibendum. C'est une des premières entreprises en Europe à comprendre toutes les opportunités économiques du tourisme. Michelin a mis en place une politique multiforme avec ses pneus, son logo, ses cartes, ses bornes, les partenariats sportifs et les renseignements aux voyageurs.

B/ La diffusion de l'offre touristique : la marche à la « moyennisation »

  • La question de fond qui se pose : la moyennisation, c'est seulement la première phase de la massification ? C'est une logique à la fois intermédiaire et spécifique dont les vecteurs combinent les mécanismes du mimétisme (imitation du comportement des classes supérieures) et la segmentation de la classe moyenne.
  • Le mode de consommation touristique entre dans la grille d'identification de chaque segment socio-culturel et socio-économique. Cette logique est soutenue sur la longue durée par la hausse du pouvoir d'achat et par les congés payés (qui existaient avant 1936, la France n'est pas pionnière, c'est plutôt l'Autriche).
  • Le Front Populaire participe d'une légende dorée et représente une période chargée de symboles : les deux semaines de congès payés, les tickets ferroviaires, le tandem, etc. Sous le Front Populaire, on assiste à une série de mesures en faveur du tourisme, de la jeunesse et des sports et de la politique sociale (de 1836 à 1838).
    • C'est un ensemble cohérent de nouvelles dispositions qui utilisent l'innovation touristique.
  • La loi du 20 juin 36 sur les congés payés donne une assise sociale au déploiement des politiques touristiques. Nouveau droit fondamental aux vacances pour tous. Cela fait maintenant partie de la démocratie.
  • Création de billets de train spéciaux : les billets populaires ou billets de congés payés. Cela offre jusqu'à 40% de réduction sur la troisième classe. Le trafic durant les périodes de congés payés augmente de 60%.
  • Il faut souligner l'action charismatique du sous-secrétaire d'Etat aux loisirs et aux sports, Léo Lagrange. Ce mythe est renforcé par sa mort au combat en juin 1940. Il s'est appuyé sur le mouvement déjà important des auberges de jeunesse créees en 1929 par Marc Sangnier. On en compte 40 en 1934 et 300 en 1939. En janvier 1937, Léo Lagrange met en place une commission du tourisme populaire assez efficace pour la première démocratisation des sports d'hiver en particulier grâce à l'organisation de trains de neige populaires et au soutien des petites stations familiales. Les saisons 37-39 ont vu une expansion des hivernants et des licenciés à la F.F.S. (Fédération Française du Ski).
    • Ce n'est qu'une première avance de politique de tourisme social. Le budget de Léo Lagrange est égal à moins d'un million de francs. On peut cependant souligner l'action poursuivie par le ministre de l'éducation nationale Jean Zay après le Front Populaire dans une circulaire du 8 mars 1939 sur le développement du tourisme social. L'action est reprise dans les années 50.
  • Il s'agit là d'une étape avec un budget limité. Il faut de plus bien garder à l'esprit qu'il n'y pas de départs massifs en vacances de l'ensemble des salariés français avant les années 60.

Conclusion

  • Le tourisme est par excellence un champ de croisement des théories de l'innovation.
  • Il faut d'abord souligner la construction de territoires touristiques différents, le rôle de la concentration des entreprises qui comprennent que le tourisme est un enjeu majeur (action de Cook en GB), l'imbrication du tourisme avec les réseaux techniques et d'acteurs et le poids considérable des facteurs culturels.
  • En un siècle, du milieu du XIXème jusqu'au Front Populaire, le tourisme devient bien un secteur socio-économique à part entière, identifié par son poids économique, son intérêt social, signe du passage de la société industrielle à la société post-industrielle.


De la démocratisation à la massification du tourisme depuis le second conflit mondial

Les logiques de démocratisation ont été portées par les régimes démocratiques et totalitaires mais ont été limitées par la conjoncture, par l'absence de politique globale et par le caractère nationaliste des premières politiques mises en place.
Nouveau levier : l'internationalisation progressive du tourisme. Celle-ci est fondée sur l'augmentation du pouvoir d'achat durant la période de la haute croissance, sur la convergence des sociétés occidentales sur de nouvelles logiques d'innovations y compris d'innovations techniques.

I. Les nouvelles dynamiques du tourisme populaire

  • Le tourisme populaire s'affirme rapidement comme une aspiration des populations dès la Libération. Par exemple, dès 1944 est crée en France un organisme, "Tourisme et travail", et le Centre Laïc de Tourisme Culturel (CLTC). Ce tourisme populaire et social est une revendication de fond depuis la fin du XIXème siècle. Par exemple, les centres de vacances crées par des syndicats de travailleurs en Grande-Bretagne et en Belgique. Pendant l'entre-deux-guerres, formation des "Countryside Mansions House Centers". Ces organismes rachètent des châteaux et des parcs (revanche contre la société aristocratique).
  • L'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas sont en avance dans le domaine du mouvement coopératif, cela se traduit par la création de centres de vacances. Par exemple, en Belgique, depuis les années 20, on trouve de nombreux centres de vacances sur le littoral ou dans les Ardennes. En 1956 s'installe à Bruxelles le Bureau International du Tourisme Social (BITS).
  • L'inspiration idéologique de ce tourisme social est très diverse : militantisme laïc ou de gauche (syndicats), coopératives de consommateurs de tous bords, influence chrétienne-sociale qui se retrouve en France dans deux grands mouvements :
    • 1954 : création des Maisons Familiales de Vacances
    • 1958 : création des Villages Vacances Famille (VVF) qui sont impulsés par la Caisse des dépôts et consignation qui aménage dans les années 1960 jusqu'à dix villages par an.
  • En 1956 se tient le premier congrès international du tourisme social à Bern.
  • Ce tourisme social bénéficie largement de l'augmentation des congès payés :
    • 1956 : troisième semaine de vacances par Guy Mollet,
    • 1969 : quatrième semaine,
    • 1982 : cinquième semaine.
  • La dynamique du tourisme social a été réenclenchée par le gouvernement de Pierre Mauroy. En 1982 sont crées les chèques vacances par exemple.