Coste UE4 7ème cours 21/03/08
Sommaire
Ecrire l’histoire au XVIIe siècle
D’une manière générale, on considère qu’après le renouveau de la Renaissance, l’essor de la critique historique, le retour aux sources, le 17e siècle est marqué, du moins jusque dans les années 1680 par une certaine forme d’immobilisme. Paul Hazard, dans La crise de la conscience européenne, 1680-1715(1935) a pu écrire « au profond des conscience, l’histoire fit faillite ». Ce jugement peut correspondre à peu près à l’évolution de l’histoire narrative mais l’histoire ne se résume pas aux ouvrages destinés au grand public curieux et éclairé. Dans le même temps, les techniques de la recherche progressent.
I Une histoire décevante ?
A L’histoire au service du souverain
L’évolution de l’écriture de l’histoire est étroitement liée en France à l’essor de la monarchie absolue. L’histoire est en quelque sorte au service de la monarchie, sert à glorifier le souverain. On ne peut contester le monarque comme l’écrit Scipion Dupleix, même si ont peut le guider par l’exemple de ses ancêtres :
Louis XIV, lorsqu’il réunit les membres de la Petite Académie, c’est-à-dire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres autour de Jean Chapelain (1595-1674) et Charles Perrault (1628-1703), ne leur dit-il pas : « Je tâcherai pour ma part de vous fournir de la matière qui mérite d’être mise en œuvre ». Ainsi, l’abbé René Aubert de Vertot (1655-1735), membre de l’Académie des inscriptions et Belles Lettres dans un «mémoire sur la Sainte-Ampoule» (entre 1711 et 1717) dont la progression est curieuse; Vertot accumule les raisons de douter du miracle dont aurait bénéficié Clovis à son baptême, et d'abord les preuves négatives (nul n'a parlé de ce miracle avant Hincmar, qui écrit 360 ans après) - mais il convient que les preuves négatives ne tiennent pas quand il s'agit de faits aussi connus. Il invoque surtout les doutes suscités par la «méthode» d'Hincmar, qui mêle constamment le réel et le fabuleux, et n'est donc un historien très crédible. Mais il conclut ainsi: « Je ne me suis attaché à rapporter ces différents traits de l'histoire de Hincmar que pour faire sentir combien ce prélat a eu de tort de mêler tant de prodiges, de faits supposés et de petits contes avec un miracle aussi éclatant que celui de la Sainte-Ampoule, dont la notoriété publique, avant ce prélat et indépendamment de son histoire, était consacrée par une suite de plusieurs siècles, et par une espèce de consentement général de toutes les nations. »
Vertot fournit les éléments d'une critique sans oser en tirer les conclusions. Prudence? Incapacité à penser la mise en doute des origines mythiques de la monarchie, à remettre en cause l'union sacrée de la monarchie, de l'Eglise. Il est clair que comme lui beaucoup d’historiens répugnent à approfondir des recherches qui n’auraient pu qu’accentuer les polémiques sur la naissance du pays, sur les bâtards royaux, sur les usurpations qui jalonnent l’histoire du pays.
On est loin des controverses et les débats de la Renaissance et le conformisme l’emporte. On abandonne le recours systématique aux documents originaux pour compiler des chroniques. Ainsi lorsque l’on apporte à Vertot, par ailleurs historiographe de l’Ordre de Malte des documents inédits sur le siège de Rhodes de 1522, il répond « j’en suis fâché mais mon siège est fait ». Cette phrase n’est d’ailleurs pas vraiment attesté mais cingle comme un désaveu de l’histoire classique. Les historiens et ceux notamment qui sont titrés Historiographes du roi, multiplient les histoires générales du royaume. La fonction des historiographes n’est donc pas de présenter une histoire pluraliste, ce qui n’aurait pas été compris des contemporains, mais de stabiliser le récit de l’histoire des trois races de rois de France. Il suffit d’arrondir les angles et de présenter dans un style noble des faits bien avérés. En 1609, André Duchesne (1584-1640), ami de Richelieu, compose Antiquités et recherches de la grandeur et majesté des Rois de France, en 1621, Scipion Dupleix (1569-1661) publie Histoire générale de France, en 1635, le jésuite Jean-Etienne Tarant écrit Annales de France, en 1643-51, François Eudes de Mezeray (1610-1683), frère du fondateur des Eudistes écrit une Histoire de France. Enfin, le jésuite Gabriel Daniel (1649-1728) écrit une Histoire de France. L’un des rares à vouloir sortir de ce carcan n’a pas connu le succès. Il s’agit de Charles Bernard (1571-1640). Historiographe de Louis XIII, il voulut l’accompagner des ses campagnes méridionales contre les protestants. En 1633, il fit imprimer un gros in-folio à ses frais en 12 exemplaires Histoire des guerres de Louis XIII contre les religionnaires rebelles. Louis XIII n’aima pas l’ouvrage. Bernard fut vite délaissé et mourut oublié. Varillas de son côté abordant des problèmes délicats demanda le soutien à Madame de Maintenon :
Finalement il publia en 1686-89 une Histoire des révolutions arrivées dans l’Europe en matière de religion depuis 1374 jusqu’en 1569.
Enfin, les rois sont destinataires d’une histoire particulière, conçue comme une initiation au pouvoir. Elle n’est pas destinée à être divulguée, au moins immédiatement. L’histoire de France écrite vers 1670 par Bossuet pour le grand Dauphin ne fut publiée qu’en 1747, celle de Leury pour Louis XV dut attendre la fin du 20e siècle.
B L’histoire un genre littéraire
Si elle était déjà un genre littéraire, l’histoire le devient encore plus. Le style l’emporte sur le fond. Le lecteur ordinaire du Grand Dauphin, Géraud de Cordemoy (1626-1684), historien et académicien, n’écrit-il pas « Il vaut mieux employer son temps à la composition et arranger les faits de l’histoire, qu’à les rechercher ». L’objectif de César Vichard de Saint-Réal (1639-1693) auteur en 1671 de De l’usage de l’histoire, du père Louis Maimbourg (1610-1686), professeur au collège jésuite de Rouen, de Mézeray, de Vertot et d’autres est de divertir le lecteur. Dans cette époque classique, où les écrivains français veulent faire de leur langue natale une langue aussi pure et parfaite que le latin, la forme importe plus que tout. On a donc affaire plus à des écrivains de l’histoire qu’à des historiens. C’est son style épicé, un peu contestataire que vaut à Mezeray tant de succès. Il sait séduire le lecteur par une critique feutrée de la fiscalité royal, dénonce la cupidité des partisans, mt en scène le tempérament guerrier des Français, cherche à donner l’illusion de l’authenticité en mettant un portrait de chaque roi en début de chapitre, tout en laissant certains cadres vides pour frapper le lecteur. Il est mort disgracié par Colbert, oublié par ses collègues de l’Académie française mais toujours estimé et apprécié de ses lecteurs. L’histoire se doit d’instruire, d’être une leçon de morale mais pour instruire, il faut plaire. C’est d’ailleurs en partie pour cela que certains historiographes du roi ne sont pas des historiens mais des écrivains, des romanciers à la plume appréciée comme Pellisson, Racine ou Boileau. L’époque aime ainsi beaucoup les discours et les harangues, plus ou moins reconstituées, même l’archevêque de Cambrai Fénelon (1651-1715) qui s’y montrait hostile en 1714 dans son Projet d’un traité sur l’histoire. La production que l’on a pu ainsi appeler « para-historique », où le style l’emporte souvent sur le fond, vit se succéder approximativement trois périodes qui se chevauchent : l’ère tragique de 1600 à 1640, l’époque romanesque de 1620 à 1660, et enfin l’âge anecdotique de 1640 à 1680. Quelques personnalités et quelques œuvres méritent d’être connues. La vogue de l’histoire tragique tient, sous les règnes de Henri IV et de Louis XIII à la fois à un héritage italien et à l’essor de la presse périodique, friande d’histoires tragiques. Le grand succès du genre est dû à François de Rosset (1570-1630) dont les Histoires tragiques de nostre temps, publiées en 1614, connaissent une quarantaine de réédition. L’évêque de Belley, Jean-Pierre Camus (1582-1652), publie dans la même veine en 1628 Les spectacles d’horreur puis en 1644 Les rencontres funestes ou fortunes infortunées de nostre temps. L’historiographe du roi Claude Malingre de Saint-Lazare ( 1580-1653) s’essaye au genre avec Histoires tragiques de nostre temps en 1641. On y lit l’ascension et l’assassinat en 1614 du grand vizir Nassuf sur ordre du sultan Ahmed 1er, l’exécution en 1619 du Grand Pensionnaire Johann Van Oldenbarnevelt sur ordre du stathouder Maurice de Nassau, l’assassinat en 1628 de Georges Villers, favori de Jacques Ier, duc de Buckingham par Felton. L’histoire romanesque recouvre un grand nombre d’ouvrages très divers. On peut y inclure les célèbres turqueries de Michel Baudier (1589-1645), gentilhomme de la chambre du roi et historiographe. Son Histoire généralle du serail en 1624 a une forte connotation paillarde avec des digressions grivoises sur la vie dans le gynécée et des gravures subtilement osées de Jean Picart. Le sérail c’est l’exotisme, l’intrigue, le mystère. Quant au maître de l’histoire anecdotique, c’est sans nul doute Antoine Varillas (1620-1696) très renommé à son époque. Protégé de Monsieur, frère de Louis XIII, historiographe du roi en 1660, il écrivit de nombreux ouvrages, plus de 20000 pages, des histoires des rois de France, François 1er, II, Henri II, III, Charles VIII, IX, Louis XI mais aussi Les anecdotes de Florence en 1685. Il était en froid avec un autre historiographe, François Eudes de Mézeray, académicien français, Bibliothèque du roi, «car ». Son prestige ‘effondra un 1686 avec son Histoire des révolutions… (religieuses ). On le dénonce comme charlatan, privilégiant l’imagination. Bayle écrivit à son propos : « Les fautes de l’auteur sont si énormes à l’égard de ce livre qu’il est capable de faire renoncer à l’étude de l’histoire ».
Parallèlement, il ne faut pas oublier que l’histoire joue un rôle considérable dans la fiction. Le roman et le théâtre classique qui font la gloire du siècle puisent dans l’histoire, antique mais pas seulement. C’est dans l’histoire ancienne que tels des moralistes les auteurs puisent leur inspiration, histoire romaine et grecque surtout, mais aussi histoire sainte. Jean Racine (1639-1699) écrit Alexandre le Grand en 1665, Britannicus en 1669, Mithridate en 1673, Athalie en 1691. Pierre Corneille (1606-1684) écrit Cinna ou la Clémence d’Auguste en 1641, La mort de Pompée en 1644, Attila en 1667. Les deux rivaux s’affrontent en 1670, Raine faisant jouer Bérénice, Corneille Tite et Bérénice. Ce dernier s’aventure d’ailleurs dans une histoire plus récente avec Le Cid en 1636. C’est à travers ces œuvres théâtrales que le public cultivé s’imprègne d’histoire.
C La dévalorisation de l’histoire
Pour des raisons parfois opposées, l’histoire n’est guère appréciée des philosophes, des jansénistes et des libertins. Ces derniers l’accusent d’être instrumentalisée par les autorités laïques et religieuses. La Bruyère, Molière se moquent de l’érudition pédante. Mais surtout, l’histoire pâtit indirectement de l’intérêt croissant porté aux sciences et aux mathématiques. On s’intéresse aux travaux astronomiques de Newton, on débat à propos de la circulation sanguine de Harvey, la mise au point du microscope ravise les divisions au sujet de la sexualité et de la reproduction. L’histoire ne présente guère d’intérêt pour Descartes, est critiquée par Malebranche (1638-1715) dans Recherches de la vérité (1674). Or cet ouvrage connut un très grand succès éditorial avec plus d’une vingtaine de rééditions. Le père Bernard Lamy (1640-1715), professeur au collège de Juilly et théoricien des études chez les oratoriens la considère comme un ramassis de bêtises dans ses Entretiens sur les sciences (1684). De même le philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626) la met en relation avec la mémoire et non avec la raison. Dans son Dictionnaire historique et critique de 1695, Pierre Bayle (1647-1706) doute de l’impartialité de l’historien et de l’histoire.
II Les acquits du Grand Siècle
Les antiquaires de la Renaissance ont des disciples, passionnés d’antiquité, de monnaies, d’archéologie. Ce sont des savants de Port-Royal, des bénédictins de Saint-Maur, des juristes, des libertins érudits, des membres de sociétés savantes. Ils vont être à l’origine des sciences auxiliaires de l’histoire, numismatique, paléographie, épigraphie, diplomatique. Le véritable savoir historique va donc se constituer en dehors de l’histoire narrative. Mais il ne faut pas exagérer les coupures car bien des érudits restent sensibles aux considérations rhétoriques de leur époque.
A Le rôle des hommes d’Eglise
Ce sont les controverses religieuses de l’époque qui vont en quelque sorte favoriser les études historiques dans le milieu ecclésiastique. Le combat intellectuel entre catholiques et protestants doit en effet reposer sur des documents irréfutables. Le conflit est particulièrement dur au sujet des vies de saints, de la littérature hagiographique. Les jésuites et les bénédictins vont jouer un rôle majeur dans cette évolution. Dès 1607, commence, à l’initiative du jésuite hollandais Héribert Rosweyde (1569-1629), la publication des Acta sanctorum. En 1643, son disciple, le père Bolland publie les deux premiers volumes lançant l’entreprise bollandiste qui se perpétue jusqu’à nos jours. Les bollandistes ont publié au début du 20e siècle plusieurs volumes de bibliographies de manuscrits latins, grecs et orientaux et publient depuis 1882 une revue réputée les Annalecta bollandiana. Dans l’équipe des bollandistes du 17e siècle, il faut laisser une place particulière à Daniel van Papenbroeck (1628-1714) qui publia en 1675 un ouvrage très critique sur les documents anciens, en ayant poussé la suspicion à l’extrême : Sur le discernement du faux et du vrai dans le vieux parchemins. Il se heurta alors à l’autre grande congrégation qui rénovait alors l’étude critique des textes, les bénédictins de Saint-Maur. Depuis 1610, le roi avait autorisé les bénédictins de Saint-Vanne à réformer les couvents français mais comme l’on ne pouvait admettre l’affiliation des couvents français à des supérieurs étrangers car lorrains, le roi obtint en 1621 du pape Grégoire XV l’organisation en congrégation autonome sous le nom de Saint-Maur, disciple de Saint-Benoît. L’ordre réformé comptait 30 monastères affiliés dès 1630, 178 sous le règne de Louis XIV et 193 au XVIIIe siècle dans sa plus grande extension. Le siège de l’ordre fut établi à l’abbaye de Saint-Germain des Prés. C’est le premier supérieur, Dom Grégoire Tarisse (1575-1648) qui avait lancé le projet de publications historiques. Dom Luc d’Achéry (1609-1685), bibliothécaire de l’abbaye parisienne avait commencé en 1668 l’édition des Acta Sanctorum Ordinis Sancti Benedicti. Les propos de Papenbroeck pouvaient mettre en cause leurs travaux, ils ripostèrent en la personne de Dom Mabillon (1632-1707). Celui-ci, hostile à l’hyper critique du hollandais élabora les fondements de la diplomatique, méthode d’analyse des actes officiels médiévaux de l’Eglise et des princes, dans son ouvrage De re diplomatica libri de 1681. Il y établit la distinction entre critique externe et critique interne. La critique externe s’intéresse aux supports, aux parchemins, au papier à la composition de l’encre, jetant les bases de l’expertise scientifique contemporaine. La critique interne repose sur l’étude de l’écriture, de la langue, du style, de la philologie donc, des formules juridiques, de la cohérence entre les informations fournies par le texte et les données connues par ailleurs. Il théorise donc les méthodes d’analyse et Papenbroek doit s’incliner. L’école de Saint-Maur va être à l’origine de nombreuses parutions scientifiques : citons la Galla Christiana de Louis et Denis de Sainte-Marthe, Les monuments de la monarchie française à partir de 1729, l’Histoire littéraire de la France à partir de 1733, le Recueil des Historiens des Gaules et de la France à partir de 1738 et enfin L’art de vérifier les dates entre 1750 et 1840. Nous en reparlerons ultérieurement. Les mauristes savent s’adapter aux goûts du public. Devant le désintérêt porté à l’histoire sacrée, ils vont se tourner vers l’histoire locale, surtout si elle est subventionnée par les Etats provinciaux. Citons l’Histoire de Bretagne commencée en 1685 par dom Audren, l’Histoire générale et particulière de la Bourgogne lancée en 1713 par dom Aubrée et surtout la célèbre Histoire générale du Languedoc de dom Devic et dom Vaissete commencée en 1730. Leur programme et leur méthode font des émules à l’étranger, dans l’Empire comme en Italie. Ludovico Antonio Muratori (1672-1750), préfet de la bibliothèque de Modène publie dès 1723 les Rerum Italicarum Scriptores puis à partir de 1738 les Antiquitates Italicae medii aevi. Ses Dissertazioni sopra le antichita italiani furent publiées après sa mort (voir sur www.classicitaliani.it ).
B Les grands instruments de travail
Ils sont en partie l’œuvre des antiquaires, ces collectionneurs de médailles et de manuscrits insérés au cœur d’un véritable réseau érudit européen. Citons, entre autres, le magistrat provençal Nicolas Fabri de Peiresc (1582-1637) ou le gouverneur de Joinville, François Roger de Gaignères (1642-1715), Etienne Baluze (1630-1718). Michel Baudier, déjà cité, était un numismate et un bibliophile envié pour ses collections, il correspondait avec de nombreux érudits, échangeait des documents. Ses biographies d’homme d’Eglise ont beaucoup servi les historiens ultérieurs. Charles du Fresne, sieur du Cange (1610-1688) latiniste et helléniste distingué, s’attelle à publier des dictionnaires de latin et de grec tardif : 1678 : Glossarium ad scriptores mediae et infimae latinitatis 1688 : Glossarium ad scriptores mediae et infimae graecitatis Moreri publie en 1674 la première édition du Grand Dictionnaire historique En 1706 Montfaucon (mauriste) publie sa Paleographia graeca.
Ainsi, après un 17e siècle assez terne, les années 1680-1715, celles de la crise de la conscience européenne décrite par Paul Hazard voient s’esquisser des innovations prometteuses. Il restait à joindre l’érudition et la philosophie. C’est ce que fera le siècle des lumières, en conservant le goût de la clarté et de l’élégance que lui légua le Grand Siècle.
L’Histoire au siècle des Lumières (1715-1815)
I Le goût de l’histoire :
A Pour le grand public cultivé :
Décideurs, administrateurs, notables ont une culture historique. On voit au 18e siècle un regain d’intérêt pour l’histoire dans le grand public éclairé. La connaissance se fait par la lecture des livres et l’histoire tient une place non négligeable dans les bibliothèques de la noblesse de robes et autres hommes de loi. On s’intéresse aux généalogies, à l’histoire régionale, soit par pure curiosité soit avec des arrières-pensées politiques comme en Bretagne. C’est ainsi que Louis XV refusa toujours d’accorder des lettres patentes à l’académie trop bretonnante que voulait fonder un président à mortier du parlement de Rennes, Christophe Paul, marquis de Robien, baron de Kaër, qui avait rédigé une monumentale Description historique et topographique de la Bretagne (inédit-confiqué à la Révolution-. Les histoires régionales des mauristes connaissent un grand succès (voir cours précédent): Celle du Languedoc par Dom Devic et Vaissette Celle de Normandie par Dom Le Noir
B Pour les élèves :
L’histoire fait timidement son entrée dans les programmes enseignés au collège. A Louis le Grand, il y a 30 minutes d’histoire les dimanches et jours de congé. Cette introduction de cours d’histoire entraîne la multiplication des abrégés chronologiques, simples récits événementiels sans aucune réflexion. On peut citer l’Histoire de France du président Hénault et l’Abrégé chronologique de l’histoire de France d’Henri de Limiers, parus sous Louis XV, le Nouvel abrégé chronologique de l’histoire de France publié par Dumesnil sous Louis XVI. A l’étranger, l’université de Göttingen fondée vers 1734-37 innove dans ses méthodes. C’est en décembre 1736 que Georges Auguste Electeur de Hanovre, et Georges II en Angleterre, accorde les privilèges à l’Université Georgia Augusta. C’est à la fois un lieu d’enseignement et de recherches et, à côté des cours magistraux, apparaît en 1764 un séminaire d’histoire réunissant professeurs et étudiants. Sa bibliothèque devient le centre d’un vaste réseau européen de correspondance. Cf Anne Saada, « Les universités dans l’Empire au siècle des Lumières. L’exemple de Göttingen : une réussite inédite », dans Jean-Pierre Vittu, Jacques Verger & alii (dir.), Les universités en Europe. Espaces, modèles et fonctions du XIIe siècle à nos jours.
Mais toutes ces institutions, collèges, universités, collèges, monastères, couvents sont fermés sous la Révolution. Le vandalisme (Grégoire) détruit une grande partie des archives. Cette rupture fera qu’une grande partie des acteurs du renouveau historique du 19e siècle sera formée d’autodidactes. Les réformes d’enseignements de la période n’ont pas donné une grande place à l’histoire. Certes, les projets de Condorcet introduisaient l’histoire comme l’une des sciences morales et politiques mais les réformes stables de Bonaparte n’accordent qu’une place réduite à l’histoire, annexe de l’étude du latin.
II L’attrait pour la civilisation et l’émergence d’une histoire philosophique
A L’histoire des civilisations
Les voyages, le goût de l’exotisme se développent et l’on se pique de curiosité pour les sociétés extra-européennes. La Chine et l’Extrême-Orient sont particulièrement à la mode. L’histoire universelle, chère aux théologiens du Moyen Age et la renaissance, a vécu et si l’on s’intéresse à l’histoire des civilisations exotiques ou anciennes, c’est pour mieux comprendre son époque. L‘histoire, autrefois au service de la théologie sert désormais les intérêts de la philosophie. Cet intérêt pour les civilisations relance par ailleurs le débat ancien sur progrès et décadence. Pour Giambattista Vico (1668-1744), les civilisations, modelées par les trois âges, celui des Dieux, des Héros et des Hommes, connaissent développement, apogée et déclin. Le grand historien anglais Edward Gibbons (1737-1794) cherche l’explication du déclin de Rome et l’explique par le triomphe du christianisme : History of the Decline and Fall of the Roman Empire (1776). Voltaire en revanche croit par optimisme aux progrès de l’humanité.
B Les philosophes des Lumières et l’histoire :
Montesquieu se fait historien mais en philosophe soucieux d’établir des lois, en utilisant l’histoire comme élément de réflexion pour comprendre le présent. Il hiérarchise les faits, s’intéresse aux causes et élabore une forme de déterminisme. On le voit en 1734 dans Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et leur décadence, en 1748 dans De l’esprit des Lois. Lord Bolingbroke (1678-1751) considère également que l’histoire doit être étudiée dans un but philosophique. Le meilleur représentant de cette histoire philosophique est Voltaire. Historiographe de Louis XV, conseiller historique de Frédéric II, l’on ne compte pas ses livres d’histoire : 1731 Histoire de Charles XII 1744 Nouvelles considérations sur l’histoire 1751 Le siècle de Louis XIV 1756 Essai sur les mœurs et l’esprit de nation Sans oublier l’article Histoire de l’Encyclopédie. Il renouvelle le genre, s’intéresse à l’histoire de son temps et réclame une histoire totale, pas seulement celle des rois :
Il est suivi par Condorcet qui dans Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1794) écrit : « Jusqu’ici l’histoire politique… n’a été que l’histoire de quelques hommes ; ce qui forme véritablement l’espèce humaine, la masse des familles qui subsistent presque entier de leur travail, a été oublié ».
III L’intérêt croissant pour les archives
A Sous l’Ancien Régime :
Le pouvoir royal a toujours eu besoin d’archives. Il y a bien une tentative d’organisation sous Fouquet mais sans résultat. A la fin du 17e siècle, les intendants s’étaient faits historiens et géographes lors de la grande enquête menée pour le Duc de Bourgogne. Les Académies provinciales s’intéressaient aussi à l’histoire locale. Il faut attendre la deuxième moitié du siècle pour voir se constituer un cadre propice à la formation de dépôts d’archives. Jacob Nicolas Moreau (1717-1803) est nommé en 1763 garde de archives et bibliothèque des Finances qu’il avait contribué à faire créer. Il met en place un dépôt légal pour les imprimés et fait créer un cabinet des chartes. L’action des mauristes et de l’académicien Louis Georges de Bréquigny (1714-1795) permet la fusion de la Bibliothèque des finances et du dépôt des chartes. Cf thèse ENC 2007 de Yann Potin, La mise en archives du trésor des chartes XIIIe –XIXe siècles.
B Le bouleversement révolutionnaire :
C’est la Révolution qui en détruisant l’ancienne administration structure les archives. Le 12 septembre 1790 les archives nationales sont créées. Une loi de messidor an II (25 juin 1794) distingue les actes officiels de la République à conserver intégralement et les documents historiques qui doivent être triés et classés. La loi de brumaire an V (25 octobre 1796) regroupe toutes les archives des départements au siège de leur chef-lieu. Elle permet ainsi de conserver une grande partie des documents des anciennes institutions.
90.16.239.91 6 avril 2008 à 18:36 (CEST)amandine, 06/04/0890.16.239.91 6 avril 2008 à 18:36 (CEST)