Jourdan UE4 3ème cours 03/02/06
Sommaire
Qu'est ce que l'Histoire sociale ?
- Faire de l’histoire sociale c’est se poser 2 questions :
- question de la définition
- question des méthodes
- Aborder ces 2 questions c’est faire de l’historiographie.
3 moments :
-l’âge primitif = sorte de « préhistoire » de l’hist sociale.
-le moment de l’histoire structurale et quantitative.
-tendances actuelles de l’hist sociale.
I/ L'âge primitif (du XVIIème siècle à 1914)
- Depuis la naissance des Annales (1929), les historiens ont tendance à séparer l’histoire évènementielle, « historisante », qui était méprisée à ce moment, vue comme anecdotique et chronologique (=simple accumulation de dates et d’événements), de l’histoire structurale, la vraie Histoire, l’histoire « noble ». Cette histoire structurale a des racines anciennes, avant les annales.
- Certains intellectuels l’ont pratiqué sans avoir conscience d’en faire, par ex Bossuet, ou la relation climat/société dans la théorie du climat de Montesquieu (un peu comme Braudel, 2 siècles avant). Il y a aussi Jules Michelet. Pour lui l’hist des faits sociaux est la plus importante : il est auteur, entre autres de la sorcière (1862), qui est une histoire de la sorcellerie, et un important jalon dans l’histoire des mentalités (qualifiée ainsi il y a 30 ans, aj’h on dit histoire culturelle).
- Ensuite 2 historiens consacrés, membres de l’Institut : Monteil et Babeau.
- Monteil est mort dans les 1850’s, il est notamment l’auteur d’un ouvrage en plusieurs volumes, publiés entre 1828 et 1844, l’histoire des Français des divers états aux cinq derniers siècles. Dans les années 1870 parurent de lui une histoire de l’industrie en France, une histoire financière en France et une histoire de la magistrature en France. Néanmoins ces livres sont décevants car Monteil n’a pas une méthode sûre, il revient souvent à l’évènementiel.
- Babeau est plus jeune, il meurt en 1914. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages comme la vie rurale dans l’ancienne France, le village sous l’Ancien Régime, la ville sous l’Ancien Régime, les bourgeois d’autrefois, Artisans et domestiques d’autrefois…Comme Monteil ce qui lui manque c’est une approche systémique (=par le système) et une véritable méthode. Il leur manque le sens du quantitatif.
- En effet, l’avènement du quantitatif est dû indirectement à la théorie marxiste, en attirant l’attention sur l’étude des faits économiques, qui exige que l’on mesure précisément, quantitativement. Mais cette influence marxiste est tardive. Ainsi l’école « positiviste » (héritière du système de Frustel de Goulanger de la moitié du 19ème) avec Charles Langlois et Charles Seignobos, est demeurée orientée vers l’hist des institutions et des faits politiques. L’histoire de France d’Ernest Lavisse (début 20ème) est surtout une histoire politique et un récit évènementiel : il y a quelques chapitres sur la société dans les différents volumes, mais ils sont consacrés presque uniquement aux classes dirigeantes : la place accordée aux « masses » est très réduite.
- Mais à cette époque, au début du siècle, ce sont les vrais débuts de l’histoire sociale, avec Levasseur et d’Avesnel. Emile Levasseur à la fin du 2nd Empire publie Histoire des classes ouvrières et de l’industrie en France (du XVIIème à la moitié du XIXème). Les premières publications sur les salaires et l’histoire des prix sont apportées par d’Avesnel. Il est l’auteur de sept volumes de 1894 à 1926 intitulés histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix en général de 1200 à 1800. Il a mis 30 ans pour le faire, c’est le travail de toute une vie, qu’il a fait avec bcp de rigueur. Ainsi Pierre Chaunu dans les années 1970 a souligné l’intérêt que ce genre de travail « bénédictin » possédait, et les services qu’il a rendus aux historiens.
II/ Histoire structurale et histoire quantitative
- Au lendemain de la 1ère guerre mondiale sont publiées les recherches de François Simiand sur les cycles économiques et celles d’Ernest Labrousse sur l’économie à la fin de la Révolution française. Les travaux de Labrousse sont nourris par la réflexion marxiste, ce qui élargit les champs de l’Histoire. Cette influence explique le basculement, jusqu’aux années 1970-80, de l’hist sociale vers l’histoire économique et sociale. C’est dans ce contexte d’élargissement de l’histoire que Marc Bloch et Lucien Febvre crée les Annales, et la Revue historique (1876), qui participe à l’histoire positiviste (comme Lavisse), se place aussi dans cette approche. Dans le même temps l’histoire sociale s’ouvre à l’histoire quantitative, en 1924 Marc Bloch publie les rois thaumaturges, L. Febvre quant à lui travaille sur l’incroyance au XVIème siècle.
- Après la 2nde guerre mondiale et la disparition de Bloch en 1944, l’école des Annales avec Febvre devient le foyer de l’histoire structurale. Elle eu un succès considérable dans les 1950’s, grâce à Braudel surtout avec la Méditerranée à l’époque de Philippe II. Ce qui devient central c’est la structure sur laquelle se déroule « l’écume » des évènements. Durant 1950-1960’s les contacts entre l’histoire et les autres sciences humaines se multiplient : anthropologie notamment, sociologie, psychologie, ou même médecine. Faire de l’histoire ce n’est plus parler des événements, c’est devenu étudier la structure.
- Cela provoqua une grave crise de l’hist. à la fin des 1970’s-début 1980’s, car il n’y avait plus de chronologie. Ça a suscité des réactions. Par exemple Pierre Renouvin, normalien, historien des relations internationales, montre que l’évènement est créateur de phénomènes nouveaux et de tendances nouvelles. Ancien combattant de 1914, il montre l’exemple de la déclaration de guerre de 1914, un évènement qui bouleversa toutes les structures. Ainsi les historiens des institutions furent un des principaux pôles de résistance à l’école des Annales. Roland Mousnier explique que les sources de l’histoire des sociétés et des mentalités, cad les matériaux sur lesquels se base l’hist sociale et culturelle, sont des documents fournis par une administration, donc par le politique. Il est donc nécessaire de commencer par connaître les conditions de production de la source pour bien l’interpréter, en étudiant la législation et les institutions. Ainsi il y a un retour à l’évènement, mais en l’interprétant. L’aboutissement de ce processus c’est l’essor de la pluridisciplinarité (terme à la mode dans les années 1980). Exemple de renouveau : l’étude de l’action individuelle dans l’histoire primitive, comme au XVIIème siècle l’histoire de Louis XIV. C’est une vision politique et morale où les masses subissent l’histoire, passives.
- Néanmoins l’histoire structurale, avec l’hist. quantitative, est une histoire beaucoup plus sûre de la collectivité, des masses. Par exemple avec l’essor de la psychologie des foules, l’histoire sociale a rencontré la littérature. Des approches nouvelles sont nées de cette rencontre, par ex. l’emprunt de l’analyse des discours. Ce n’est pas sans risques car l’interdisciplinarité peut conduire à une sorte de magma dans lequel l’hist. perd son objet, se dilue. Ce risque menace plus particulièrement l’hist. sociale et des mentalités.
Dans ces conditions il est difficile de saisir ce qu’est vraiment l’histoire sociale. Les historiens du social sont des empiristes, à trop conceptualiser l’histoire risque de se confondre dans un magma de sc. humaines. L’hist sociale s’est pendant longtemps intéressée au collectif, à l’étude des groupes (=les grandes classes sociales), ex. A. Daumard a fait sa thèse sur la bourgeoisie. Ainsi ce n’est plus la même perspective, même dans la biographie. Parallèlement, progression de la méthode prosopographique (=étude d’un groupe restreint), par ex. sur les notaires, les avocats, les préfets, le milieu médical…
III/ Les tendances actuelles
- Le marxisme a développé un certain nombre d’idées qui rendent possible la généralisation fondée sur les mécanismes économiques & sociaux, que l’on concevait comme bien huilés : dans le temps on voyait tjrs le schéma bourgeoisie/ prolétaires/ paysans. Ainsi la notion de « groupes sociaux » que l’on pensait la plus appropriée pour appréhender l’hist sociale, a engendré beaucoup de thèses remarquables sur le thème de la lutte des classes, une grille d’approche courante en hist sociale.
- Les présupposés marxistes sont mis en doute depuis une dizaine d’années, pour voir une société beaucoup plus complexe, avec des groupes plus nombreux. Depuis les 1950’s l’évolution des sociétés post-industrielles montre que ce schéma social peut ne pas forcément être valable, entre les possédants/ non-possédants. Les salariés aj’h sont très nombreux et leur situation s’est beaucoup améliorée, leur statut a monté. En France par ex. près de 90% de la population active est salariée, donc on ne peut limiter l’histoire sociale à l’hist des conflits entre groupes sociaux. La tendance actuelle en histoire sociale est d’étudier les hommes dans leur globalité, pas juste en fonction de leur appartenance à une catégorie sociale. A côté existent des solidarités que l’histoire sociale a oublié avant et qu’elle étudie aj’h.
- L’évolution majeure est la réhabilitation de l’individu, en tant qu’acteur de sa propre existence. Il est doté d’une autonomie de plus en plus large, il ne se résume plus à une partie d’un groupe social. Cela s’apparente plus à des « histoires de vie » connues par les sociologues, il y a une réhabilitation du « qualitatif », du particulier et du singulier. On approche ainsi la micro-histoire.
Le risque de cette micro-histoire est celui de la généralisation abusive, mais grâce à cette approche, avec le renouveau de la biographie et la prosopographie, l’histoire sociale a progressé, car se développent une méthode et une étude plus détaillée de la société, donc l’analyse est bcp plus précise et plus nuancée. Différents exemples illustrent ce propos :
- l’histoire de la consommation, un champ nouveau qui identifie des modes de vie, aristocrate par ex, caractérisé par une propension à la consommation débridée, ostentatoire, dont le but est de se montrer. Sinon il y a une consommation « bourgeoise », dont un des ressors est le souci de l’épargne, ou une consommation populaire dont l’austérité est liée à l’insuffisance (schéma d’analyse ancien).
- l’histoire de la médecine : montre les risques communs à tous les groupes sociaux.
Cette conception de l’histoire sociale est englobante, elle s’ouvre à tous les champs, politique, économique… Tous ont une partie sociale. Néanmoins il y a des bornes que l’on peut mettre à l’histoire sociale par rapports à d’autres champs historiques :
- l’histoire culturelle, exemple l’histoire sociale des acteurs culturels.
- l’hist politique : la participation politique, l’engagement militant ou le personnel politique peuvent être des champs de l’hist sociale, mais pas les décisions politiques.
Cf André Corvisier, Sources et méthodes de l’histoire sociale, 1980.