Larcade UE2 10ème cours 14/12/06
Sommaire
Etude de cas seconde partie
Jérôme Cardan
Né le 24 septembre 1520 à Pavie, fils illégitime de Fasio Cardano, un juriste, il a une culture encyclopédiste et c’est un bon mathématicien, il meurt en 1576 laissant une partie importante de son œuvre manuscrite.
Sa formation
Son père s’occupe au départ de son apprentissage. Cardan a été formé en mathématiques, en grec, en latin et en astrologie, il participe aux voyages d’affaires de son père. C’est le parcours classique d’un humaniste, il étudie à Padoue et à l'université de Pavie. Il est doué dans tous les domaines mais se décide à étudier la médecine davantage, il devient docteur en 1526. Il cherche à devenir enseignant et acquiert sa licence pour enseigner à Milan en 1529. Sa renommée grandit, il obtient sollicitation et richesse. Il reçoit même des offres du pape Paul III, de François Ier, du roi du Danemark mais il préfère rester professeur.
L’œuvre de Cardan
Il appartient aux grandes figures des savants et humanistes de la Renaissance. Son succès est rapide et ses travaux sont réactualisés juste après sa mort. Les opinions sont partagés à son sujet, elles expriment bien la dualité du personnage : brillant mais influençable. Il est apprécié comme mathématicien mais déprécié comme philosophe.
Une série d’inventions :
- La sustentation dite de cardan basée sur 3 anneaux concentriques, capables de se déplacer sur 3 plans perpendiculaires et de coupler deux arbres tournants. Cette invention existait déjà sur les bateaux de l’époque et servait à garantir l’horizontalité de la boussole.
- La résolution des équations du 3eme degré et il a aidé à résoudre les équations du 4eme degré dont on attribue la résolution à son disciple Ferrari mais peut-être serait ce lui même qui aurait trouvé la solution.
- Il introduit la multiplicité des valeurs de l’inconnu (c’est à dire la représentation des quantité réelles par nombres : les nombres complexes). De plus il a utilisé tout au long de sa vie une méthode de mathématiques uniforme.
- Il a théorisé le jeu de dés, et a conduit à introduire les données statistiques dans les mathématiques, c’est le premier à proposer la représentation de la probabilité sous forme de fraction. En 1525 il écrit Liber de Luedoala où il y fait l’inventaire d’une série de fréquences dans les jeux de hasards et reconnaît l’importance des combinaisons.
Sa personnalité
Il aime à se faire appeler le médecin milanais. Il travaille sur les mathématiques, sur les applications techniques, il est très attiré par les phénomènes d’aimantation, il a l’intuition de l’électromagnétisme, il s’intéresse au poids de l’air et a ici aussi l’intuition de l’existence de l’oxygène. Il réduit à trois les éléments de base présents sur terre: l’eau, la terre et l’air, le feu n’est selon lui qu’un état de la matière. Il n’hésite pas à remettre en cause certaines convictions de ses contemporains. Enfin il est habité par des préoccupations d’ordre ésotériques.
En 1550, il publie De Subtilitate. C’est une encyclopédie universelle. Cette œuvre plaide pour l’utilité des sciences mais aussi de l’ésotérisme. Les propos sont de nature positiviste et il donne pour sur l’existence des démons. Il veut intégrer les monstres et autres prodiges dans une organisation intelligible. Il a aussi la volonté de remettre en cause le cadre chrétien traditionnel. Il trouve matière à cela dans Aristote et Cicéron. Ses travaux ne sont pas toujours reconnus.
Devenu docteur en 1526 il a pratiqué à Padoue pendant 6 ans. Lorsqu’il a voulu devenir professeur à Milan les choses n’ont pas été faciles. Le corps des médecins a refusé de l’intégrer car c’est un fils illégitime. Ce prétexte cachait en réalité le fait que l’on était inquiet de sa notoriété grandissante. Mais malgré tout son acharnement lui sourit et il est admis en tant que médecin. Son travail fut celui d’un solitaire marqué par un certain isolement.
Il a eu une controverse avec Tartaglia le mathématicien sicilien. Cardan souhaite lui soutirer les éléments de résolution d’équations. Tartaglia avait en effet trouvé la solution a la résolution des équations du 3eme degré. Cardan le fait venir à Milan et lui demande de révéler sa technique lui promettant de ne jamais la révéler. Tartaglia les lui livre en 1539 mais pour cultiver un certain mystère, il les lui remet sous forme de vers. Cardan se rend compte peut de temps après que Tartaglia a en réalité copié un autre auteur Scipione del Ferro. Cardan recopie tout et va même plus loin, il trouve une solution générale à la résolution de ce type d'équations. Tartaglia est dépassé et ce dernier l’accuse de plagiat et de trahison. Cardan publie cela dans son ouvrage Ars Magna. Cet épisode illustre bien le climat de rivalité et de compétition entre les scientifiques de l’époque. Loin de partager le savoir, ceux ci cultivent le secret et l’isolement.
Cardan est presque un exclu, un marginal, en plus des soucis avec ses collègues il doit faire face à l’Eglise qui traque les déviances dans l’interprétation de la Bible. Or Cardan publie un horoscope du Christ et fait l’éloge de Néron. En octobre 1570, il doit démissionner et est traduit devant l’Inquisition qui le condamne a verser 1800 écus d’or puis le met en prison, il est aussi interdit de publication. Son œuvre fut longtemps marquée par le discrédit mais il fut réhabilité après sa mort. Ses travaux ont montré l’ampleur de ses connaissances. Liber de propriavita, De rerumvarietate. Cette réputation fut largement acquise après le décès de Cardan.
Cardan fut mis en vedette car il a laissé des écrits autobiographiques, on l’a comparé pour cela à Montaigne. Il y a au XIXe siècle une captation du personnage par les romantiques . Balzac a fait de Cardan un de ses héros Louis Lambert en 1833, il est dépeint comme un humaniste qui explore la science malgré les obstacles religieux. Nerval en est aussi un admirateur, pour lui c’est un grand maître cabalistique, de la même trempe que Paracelse ou encore Cornelius Agrippa. Après les romantiques c’est au tour des psychiatres de s’intéresser à Cardan dans la 2eme moitié du XIXe siècle. Césare Lambroso, un criminologue dresse un portrait de Cardan, selon lui c’est un cas clinique, il aurait été atteint de troubles psychiatriques sévères. Sa personnalité est révélatrice : c’est un psychopathe.
Mais Cardan c’est avant tout quelqu’un qui a fait rebondir la recherche dans plusieurs domaines. Sir Thomas Brown, un grand médecin anglais du XVIIe siècle, il utilise Cardan comme référence, comme point d’appui même si c’est pour le critiquer. L’œuvre médicale de Cardan permet de reformuler certaines affirmations. Guy Patin 1601-1672 a un correspondant C.Spon, ce dernier veut publier les œuvres de Cardan, il lui explique que Cardan est quelqu’un de génial mais dont l’œuvre est aussi plein de bêtises, qu’il lui faut trier, cela aboutit à la publication de 10 volumes in folio ! La réflexion philosophique de Cardan a été un tremplin, on a fait de lui un héros à cause des récits qu’en ont fait les protestants tel Beroalde de Verville et P.Bayle(1647-1706), ce dernier à contribuer à faire de Cardan un grand opposant à l’Eglise, il le considère comme le père de la lutte contre l’obscurantisme religieux dans son dictionnaire critique. J.Bodin 1530-1596, il reproche à Cardan d’être un sorcier.
Cardan a été une indéniable référence en mathématiques et en technique mais son œuvre a toujours été en danger.
Mercator G.C
Vie et oeuvres
Mathématicien et géographe, originaire de Flandres, né le 5 mars 1512, il a commencé sa formation au Pays-Bas puis à l’université de Louvain en 1530 où il y suivit une formation dans les humanités et en philosophie.
Après l’obtention de son diplôme, il a des doutes religieux qui le pousse au voyage. Il va développer au cours de ses périples un profond intérêt pour la géographie.
De retour à Louvain il travaille sous la direction d’un astronome Gemma Frisus et s’initie à la représentation du globe terrestre. A partir de 1535 il se lance dans la fabrication d’instruments pour fabriquer précisément des globes terrestres et célestes ainsi que des cartes. Il réalise une carte de la terre sainte puis une autre du monde en 1538. Cette première réalisation permet à Mercator d’être présenté à Charles Quint qui devient à partir de là son commanditaire. En 1540 il réalise pour celui-ci une carte des Flandres qui est alors la zone la plus économique dynamique d’Europe. En 1541, Mercator créait pour C.Quint un globe terrestre et céleste.
Différents éléments vont ralentir ses publications.
En 1544 il est condamné pour hérésie et passe 7 mois en prison pour avoir adhéré à la fois protestante. Il s’installe ensuite Duisbourg où sa foi est mieux tolérée, il y ouvre un atelier de cartographie. La publication de ses cartes est un succès. Il créait en 1554 un planisphère de l’Europe ce qui fonde sa réputation de meilleur cartographe. Il publie ensuite une carte de la Lorraine et des cartes de navigation.
L’année 1554 enclenche une nouvelle phase dans sa carrière. Il travaille pour le duc de Clèves en cosmographie. Il utilise le principe de projection. En 1569, il réalise une carte complète du monde à l’usage des marins. Il s’agit de cartes en 18 feuillets qui sont à l’origine de sa très grande renommée. Cette reconnaissance scientifique s'accompagne d'une réussite matérielle. L’éditeur humaniste Plantin lui achète 18 paires de globes ce qui permet à Mercator de terminer sa vie de manière satisfaisante. A partir de 1578 il met à jour les cartes de Ptolémée. Il commence à travailler à la réalisation d’un atlas à partir de 1585 avec des cartes détaillées de la France de la Hollande et de l’Allemagne. Cet atlas est complété à partir de 1589 par des cartes des Balkans et de Grèce. Il laisse à son fils Romuald la tâche de compléter son travail ce qui est fait un an après sa mort.
Conclusion
Mercator est un personnage représentatif du savant imprégné d’humanisme comme Copernic ou Cardan. Il était animé de soucis pratiques et concrets : son but ultime était de permettre aux marins de se repérer. Son autre objectif majeur était de mettre au point une carte plane qu’on pouvait plier et utiliser facilement, ce fut aussi ici un succès puisque Mercator maîtrisa parfaitement la technique consistant à représenter un globe sous forme de planisphère.
- Jean le Fort, L’aventure cartographique, Belin 2004 où il y est décrit l’évolution cartographique du IVe siècle a.C à nos jours
- M.Waslet, Gérard Mercator Cosmographe, Anvers, 1994
- Max Prade, Mercator, le père de la géographie moderne, 2005
Giordano Bruno
Les grandes étapes de la vie de Bruno
De son vrai nom Philippe, il est né en janvier 1546 à Nola dans une famille à revenus modestes. Il entre à l’université de Naples où il découvre l’art de la mémoire : la mnémotechnie qui devient l’un de ses domaines de prédilection. En juin 1585 il entre chez les dominicains, change de prénom en hommage à son professeur de métaphysique. Etudiant en théologie, il est ordonné prêtre en 1573, il entame alors une carrière d’universitaire en devenant lecteur en théologie en 1575.
L’année 1576 marque une rupture dans la vie e Giordano puisqu’il rompt avec l’Eglise romaine à cause différends profonds avec sa hiérarchie ecclésiastique. Il a un goût prononcé pour la magie ce qui déplait à ses supérieurs. De plus ses lectures humanistes et ses convictions le place en conflit avec le dogme catholique du XVIe siècle.
Commence alors pour Bruno une période d’errance à travers l’Europe. Il est resté deux ans en Italie même s’il est en apostat, ce qui précipite son départ c'est la peste qui touche la péninsule. De 1576 à 1578 il n’arrête pas de bouger, on a des traces de lui à Montpellier, Toulouse, Paris, Londres, Oxford, Wiesbaden, Prague, Francfort...
A Genève il est chez les calvinistes, on le pousse à se convertir, il accepte mais il est excommunié en août 1578, car il a remis en cause le professeur titulaire de la chaire de philosophie.
Il trouve refuge en France, il se rend à Lyon, à Toulouse, va à la cour d’Henri III qui est très accueillant envers les écrivains italiens. Il écrit durant cette période son ouvrage de référence en mnémotechnie Clavis Magna. C’est à Toulouse qu’il se concentre sur ses travaux en philosophie et en théologie. Avec la protection d’Henri III, Bruno est introduit à la cour, à « l’académie du Palais » où il y poursuit en toute tranquillité ses réflexions. G.Bruno dédie à Henri III le résultat de ses travaux. De rembris iolearum. Henri III lui donne la charge de lecteur extraordinaire au collège des lecteurs royaux (ancêtre du Collège de France). C’est la période heureuse de la vie de Bruno. Il écrit même une pièce satirique en 1582, Le chandelier.
En 1583 il va en Angleterre, il est invité par des professeurs d’Oxford pour débattre du système copernicien. Le problème est qu’on n'est pas ravi d’accueillir en Angleterre une personne si sulfureuse. De plus à Oxford son intransigeance intellectuelle lui vaut d’être rapidement haï de tous. Il est obligé de se réfugier à l’ambassade de France. Il reste néanmoins à Londres et publie 6 ouvrages entre 1584 et 1585 dans lesquels il reprend les thèmes qui lui sont cher, théologie, philosophie et science. Il prend un malin plaisir à bousculer les idées reçues. Il défend l’existence de mondes infinis.
En octobre 1585, il rentre en France en pleine guerre de religion, Henri III est en mauvaise posture politique et Bruno déplait aux ligueurs, ils arrivent à soutirer au roi le départ de Bruno. Il est exilé, il va alors chez les luthériens à Wittenberg où il y a un grand centre universitaire allemand et une fois encore il entre en conflit avec la hiérarchie luthérienne, il est excommunié mais reste en Allemagne.
Il accepte en 1591 l’invitation de Giovanni Hacenigo. C’est un personnage de la haute noblesse vénitienne, passionné par la philosophie et la mnémotechnie, il explique à Bruno sa position et sa puissance ce qui rassure ce dernier et l’incite à se rendre en Italie. Bruno voulait devenir professeur à l’université de Padoue or il y a une chaire de mathématiques de disponible, il compte sur l’appui de Giovanni pour l’obtenir. Le problème est qu’il se brouille avec son hôte, celui-ci menace de le dénoncer à l’Inquisition s’il ne se calme pas. Bruno ne veut rien entendre et le 26 mai 1592 son long procès commence. Tout au long de ces sept années de procédures Bruno ne se reniera jamais, même après avoir été questionné, torturé à maintes reprises. L’Eglise le fait transférer à Rome pour le juger ce qui montre sa dangerosité. Bruno ne demande jamais le pardon et ne reconnaît pas sa faute. Finalement c’est la peine de mort qui est prononcée. Il meurt sur le bûcher le 17 février 1600 sur la place du Campo del Fiori à Rome.
L’œuvre de Bruno
Son œuvre pose problème, en effet comment un homme ayant reçu une formation catholique, dans une famille et une ville catholique a pu devenir si dérangeant pour l’Eglise au point d'être excommunié par toutes les Eglises d’Europe ? De plus son œuvre est extrêmement vaste et très hétérogène aussi bien dans le fond que dans la forme. Certains écrits sont en latin d’autres en italien. Il a aussi plusieurs registres d’écriture, il fait des exposés scientifiques conventionnels : De la lampe combinatoire de Lulle. Mais il écrit aussi des dialogues, Le souper des cendres. Il s’exprime sur des sujets extrêmement variés, la mnémotechnie, la physique, la cosmologie : De l’infini, de l’univers et des mondes. En mathématiques, De nomade numera. La variété de ses ouvrages provient autant de ses maîtres à penser que de ses propres réflexions. Il est inspiré par St Augustin, ce qui l’amène à être très critique envers l’aristotélisme. Il se réclame de Platon, il est aussi un lecteur de St Thomas d’Aquin ce qui lui donne une culture et une exigence encyclopédique.
Bruno est un penseur engagé, la philosophie doit être soucieuse de construire le monde physique et religieux, la réflexion philosophique induit la réflexion scientifique.
Sa postérité
Pourquoi est ce un homme dangereux ?
La Terre n’est plus le centre du monde, l’Eglise n’est plus le centre de la société. Mais ce refus, ni Dieu, ni maître le condamne comme quelqu’un d’intolérable.
Bruno en son temps est caractérisé par une évidente solitude intellectuelle. A la Renaissance, c’est un problème d’être original. Les sciences de la nature renvoient à des principes difficiles à remettre en cause. Bruno appartient à une génération marquée par le souci de destruction, de remise en cause où se mêle anarchiquement nouveauté et tradition. Le problème pour Bruno c’est qu’il a été moins prudent que Galilée et Copernic mais en même temps il a été très loin dans l’audace intellectuelle. En physique il est très proche de Galilée, en philosophie de Campanella, en astronomie il est au niveau de Kepler.
On a affaire à un personnage qui a eu une postérité très importante. Sa pensée hardie a été stigmatisée au XVIIe siècle par les théologiens comme une forme d’athéisme. Le père Mersenne illustre bien ces critiques. Les libertins ont fait eux de Bruno une figure de référence, il a eu droit à l’admiration de Cyrano de Bergerac (un scientifique libertin du début du XVIIe siècle qui refuse toute forme de religion). Bruno a été une source d’inspiration pour Spinoza, dans sont ouvrage de 1670, L’éthique.
Au XVIIIe siècle il y a un regain d’intérêt pour la pensée et l’œuvre de Bruno, il devient un thème à la mode on en discute dans les salons, il trouve un défenseur John Tolmd, c’est un philosophe anglais créateur du panthéisme. C’est un théoricien de l’athéisme et il est très lu dans les salons, il voyage beaucoup et est protégé par Eugène de Savoie.
C’est surtout au XIXe siècle que Bruno reçoit sa consécration philosophique grâce à Hegel, ce dernier analyse son œuvre et en fait un précurseur du matérialisme et insiste sur sa vision naturaliste. Entre 1834 et 1836 on réédite les œuvres latines de Bruno. A la même époque il connaît sa réhabilitation en Italie. Il est le symbole de l’état d’esprit italien du XIXe siècle, lors de la période de la naissance de la nation italienne car cette construction se fait contre l’Eglise romaine. L’Italie moderne décide même de construire une statue à Rome pour célébrer le martyr de Bruno.