Larcade UE7 3ème cours 12/10/06

De Univ-Bordeaux

Histoire de la consommation à l'époque moderne

Ouvrage de référence:

  • Roche (D.), Histoire des choses banales : naissance de la consommation dans les societés traditionnelles (XVIIe-XIXe siècle), Paris, Fayard, 1997, 329p.

On a affaire a quelque chose qui implique de réflechir sur l'historicité de ce qui fait la trame de la vie ordinaire. Le but est alors de rematérialiser les principes du processus de connaissance. Il s'agit de mieux comprendre la relation des individus avec les choses; de revoir la médiation aux objets et au monde.

Document ; Eventail de 1670

  • Par son support comme par son contenu, il montre comment faire de l'histoire de la consommation. Notre document date des années 1670, c'est une peinture à la gouache avec des surpeintures en or (rehaut). Le support est du papier collé sur du carton ; c'est un prototype d'éventail qui appartient donc à la catégorie des arts décoratifs. C'est un objet de mode, de petite dimension (220 par 430mm) qui se trouve au musée Cardavalet à Paris. Ce musée se préoccupe de conserver des objets de la ville.
  • L'éventail représente le quai des Augustins (rive droite) à Paris: marché aux pains et à la volaille. Depuis le règne de Louis XIII, les éventails peints connaissaient une très grande vogue qui ne se dément pas jusqu'au XVIIIe siècle. La création en 1678 de la corporation des éventaillistes traduit de l'importance de la diffusion, et de la production de masse.
  • A la droite, on peut voir une femme s'éventer avec un éventail. C'est une représentation d'une espèce d'image-souvenir de Paris. Cet éventail présente l'un des endroits de Paris les plus animés: montre aux provinciaux que Paris est une ville de foule.
  • Au second plan, on note des effets de raccourcissement pas très fidèles à la réalité topographique. On y voit le Pont Neuf (construit sous Henri IV) et la façade sur la Seine de la place Dauphine. C'est un exemple de l'urbanisme henricien.

Le commerce du pain

  • Ce marché est l'un des 16 marchés aux pains de Paris au XVIe siècle.
  • Le pain dans l'Ancienne France est l'élément clef, c'est la nourrriture du plus grand nombre, d'où une valorisation spirituelle du pain dans la liturgie catholique; on peut parler de quotidienneté ordinaire au plus haut point.
  • Les 16 marchés correspondent aux 16 quartiers de la ville, leur nombre est ramené à 12 à la fin du XVIIe siècle.
  • Viennent y vendre leur pain, les boulangers des faubourgs et les "boulangers forains": boulangers venus des bourgs et des villages situés autour de Paris, au delà de la banlieue.
    • Ex: le village de Gonesse (XVIIe-XVIIIe siècles) a grand rôle dans l'approvisionnement de Paris.
  • Les maîtres boulangers parisiens qui ont une boutique peuvent aussi vendre sur les marchés.
  • Ce marché attire les acheteurs populaires alors que les boutiques fournissent surtout une clientèle aisée. On vend de gros pains: 3,6 ou 12 livres (1 livre= 489g). Les boulangers apportent en moyenne 2 ou 3 fournées, c'est à dire 900 ou 1000 livres de pain.

Contrôle et police

  • Le marché est le lieu privilégié d'une police (une règlementation): le commerce du pain est très strictement surveillé par tout un monde d'inspecteurs, de jurés... Parmi eux certains ont un habit rouge avec une fleur de lys, c'est l'uniforme des jurés crieurs de la corporation des boulangers. Il y a aussi des uniformes noirs et bleus-rouges.
  • Il y a trois types d'inspecteurs (jurés de la corporation, officiers de la halle et du marché) qui exercent une triple surveillance:
    • Ils verifient que les boulangers venus sont bien autorisés à commercer. Les places sont concédées par les commissaires des marchés comme des biens patrimoniaux (places vénales)
    • Ils notent les quantités et surveillent les prix pratiqués. Ils vérifient aussi les qualités.
    • Ils veillent à ce que tout le pain apporté soir vendu: les boulangers forains ne doivent rien rapporter, ils doivent écouler le pain qui leur reste à plus bas prix.
  • Cette règlementation stricte atteste la place centrale occupée par le pain et l'approvisionnement citadin. Pour la masse des citadins il constitue l'élément essentiel de l'alimentation.
  • La hantise de l'émeute dans la perspective de l'enrichissement du pain (journées de mai 1588; Ligue)
  • On craint que la qualité du pain se détériore, en particulier en cas de mauvaise récolte. La population parisienne est attachée au pain de froment: la couleur du pain ne doit pas être trop sombre. Les surveillances multiples montrent bien ce souci permanant du pain en abondance. Il s'agit de procurer du pain au "juste prix" et au "juste goût".

Approvisionnement urbain

  • Si l'approvisionnement urbain est valorisé historiquement pour la fin de la période moderne, il y a encore beaucoup à faire pour la fin du XVIe et le XVIIe siècles.
  • L'approvisionnement des villes est un pari difficile à tenir. Vers 1560, Paris compte près de 300 000 habitants et dispute à Naples la première place des villes européennes au niveau démographique. Lyon compte 50 à 60 000 personnes : elle se situe juste après Venise, Londres, Séville et Lisbonne. Le réseau des villes moyennes transforme totalement les données du ravitaillement urbain. On ne peut plus se contenter d'une aire limitée d'approvisionnement et de techniques empiriques. Il y a des problèmes de plus en plus ardus dans un pays densément peuplé comme la France où les prix ne cessent d’augmenter. .
  • Ce défi appelle forcément l'extension des aires de collecte et la mise en place de marchés. Le marché des grains entre mal dans les structures du grand commerce. Le commerce des céréales c'est d'abord un marché intérieur dont l'importance est à la mesure de l'énormité de la consommation urbaine. D'immenses surfaces sont nécessaires pour alimenter une ville et il ne faut pas ignorer les besoins des villages et petites villes autour. L'irrégularité de la production est liée au caractère très sommaire des techniques.
  • Dès 1520, en réponse à l'accroissement démographique de la ville, Lyon donne l'exemple de coexistence de deux marchés de grain.
    • Un marché de proximité alimenté par les paysans (ramasseurs), des grossistes et des particuliers possesseurs de rentes en grain.
    • Un marché élargi à toute la France du sud-est approvisionné en grande quantité par les grands marchands de blé.
  • Lyon ne peut nourrir sa capitale que trois à quatre mois dans l'année; les emblavures ont reculé au profit des vignes.
  • La Bourgogne devient le grenier à blé de Lyon, tandis que la libre circulation sur la Saône devient la condition première de survie de la ville. Les autres provinces participent aussi au ravitaillement.
  • Paris doit également aller chercher sa subsistance très loin et ce dès le début de l'époque moderne: Picardie, Vexin, Brie… Si la récolte est médiocre, ce sont toutes les régions périphériques au royaume qui sont sollicitées. On note une extension non négligeable de la partie nord.
  • Au début du XVIIe siècle, les bêtes viennent de la Brie, du Vexin, du Nivernais… Les aires d'approvisionnement en lait sont forcément limitées (chaîne du froid).
  • Les légumes, le vin, l’herbe, le bois n’échappent pas à cette règle.

Conclusion

  • Face à la répétition des crises frumentaires (liées à l'apprivisionnement de céréales), la hantise de la disette gouverne les esprits. Ex : Tric à Lyon (1529-1531), famines de 1573…
  • En période de pénurie et de cherté la spéculation sévit, les troubles sociaux menacent.
  • Pour agir sur un marché complexe et instable, les gouvernements urbains se font inventifs: on parle de laboratoire politique. En garantissant les prix en cas de chute des cours, en délivrant des primes, en prévoyant des exemptions d'octrois... les municipalités cherchent à encourager les marchands en période de crise. On en vient à constituer des réserves municipales pour amortir de brusques variations des cours.
  • L'ordonnance générale de la police de 1567 introduit l'idée d'un véritable maximum général des prix et des salaires.

Bibliographie/Historiographie

  • Duby (G.), Chartier (R.), Le Roy Ladurie (E.), Histoire de la France urbaine. La ville classique : de la Renaissance aux révolutions, Tome 3, Paris, Seuil, 1985, 651p.
  • Kaplan (S.), Le complot de famine : histoire d'une rumeur au XVIIIe siècle, Paris, Colin, 1982, 77 p.
  • Reynald (A), Le grand marché : l'approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1999, 1030p.
  • Zola (E.), Le ventre de Paris, Paris, Gallimard, 2002, 470p.
Bibliographie complétée par Mme Larcade
  • Roche (Daniel), Histoire des choses banales, naissance de la consommation dans les sociétés traditionnnelles (XVIIe-XIXe siècles), Fayard, 1997.
  • Kaplan (Steven), Boulongne (Sabine), Les ventres de Paris : pouvoir et approvisionnement dans la France d’Ancien Régime, Fayard, 1988.
  • Kaplan (Steven), Le pain, le peuple et le roi : la bataille du libéralisme sous Louis XV, Paris, Perrin, 1986.
  • Kaplan (Steven), Le meilleur pain du monde : les boulangers de Paris au XVIIIe siècle, Fayard, 1996.
  • Abad (Reynald), Le grand marché : l’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2003..