Larcade UE7 6ème cours 09/11/06
Sommaire
Le luxe dopant et stimulant
- Pour ce domaine il faut réfléchir sur l’utilisation de sources originales, en particulier les tableaux de genre (scène d’intérieur, évocation de la vie quotidienne) peints par et pour des catégories privilégiées. Ils sont les témoins probants de la vogue et de la mode.
- Les tableaux peuvent nous donner des informations sur la consommation de luxe notamment par les tapis qu’ils contiennent tels ceux de la première Renaissance. Exemples :
- Fra Angelico : La Vierge et l’enfant sur un trône entourés de saint Pierre, Paul, Jean-Baptiste, Dominique et un donateur (1325-1335) (tapis disposé de façon décorative)
- Crivelli : L’Annonciation (1486)
- Antonello de Messine
- Holbein, Les Ambassadeurs (1533) Erreur lors de la création de la miniature : Impossible d'enregistrer la vignette sur la destination= le seul a vraiment retenir ; il montre un tapis à motifs géométriques. Ce type de tapis est presque dans tous ces tableaux on parle de « tapis Holbein »
- Analyse d’un tapis : type turco-cocasien, milieu du XVIe siècle, représente des marchandises précieuses, chères. Ils intéressent également des spécialistes de la médecine car les tapis sont pleins de puce, ils ont souvent été vecteurs de maladies comme la peste.
Les inventaires après décès complètent les sources sur la consommation de luxe.
- La consommation de luxe fait le lien avec la séance précédente : l’alimentation qui est un moyen de distinction. La forme la plus caractéristique est la consommation de produits dopants aux XVIIe et XVIIIe siècles.
- Ces dopants sont des denrées tels que le café, le thé et le chocolat que l’on retrouve dans les peintures. Après 1738 ces tableaux font massivement référence à ces produits. Exemples :
- Illustration dans Figeac (M.), La douceur des Lumières : noblesse et art de vivre en Guyenne au XVIIIe siècle, Bordeaux, Mollat, 2001, 311 p.
- Hogarth, peintre anglais spécialisé dans la peinture à visée morale.
- 1738 : tableau de la famille Strode autour de la table de thé
- 1743 : tableau d’une jeune mariée après sa nuit de noce qui prend son petit déjeuner avec une théière.
- Boucher, peintre français : Le Déjeuner (1739) où il y a une cafetière.
- Chardin, peintre français : Femme prenant le thé (1735) où il y a une dame assise à une table rouge.
- Ollivier, (celui qui avait peint Le jeune Mozart au piano) : Le Thé anglais de la princesse de Contis (1776)
- Autres sources :
- La musique. Exemples :
- Cantate de JS Bach, n° BWB 211, Schweiget still, plaudert nicht dédiée à la gloire du café.
- Mozart dans Don Giovanni met en scène un noce paysanne dans laquelle sont présents le lait, le café, du jambon.
- La littérature. Exemples :
- Goldoni, dramaturge spécialisé dans les comédies telle que Bottega del caffè qu’il fait jouer en 1750.
- Dans ses Mémoires, Casanova décrit sa jeunesse à Venise où la consommation de café est répandue.
- La première œuvre de Voltaire lorsqu’il était collégien chez les jésuites. Après la confiscation de sa tabatière il écrit un poème de contestation.
- Molière dans Don Juan fait dire à Sganarelle : « Je ne connais rien de mieux au monde que le tabac »
- La musique. Exemples :
I/ Phénomène de « masse »
Les excitants et les dopants font partie de la vie quotidienne. Dès le XVIIe siècle le tabac est répandu. Les nouvelles boissons, thé et café, apparaissent surtout au XVIIIe siècle. Ils représentent un engouement certain : la révolution vendéenne a en partie été causée par l’arrêt de l’approvisionnement en sucre. Tous ces produits provoquent un important mouvement commercial : à la veille de 1789 à Paris.
Produits par individu | Consommation totale par an | Consommation par an |
---|---|---|
Chocolat | 122 t. = 500000 livres | 170 g. |
Café | 1225 t. = + 3 millions de livres | 1800 g. |
Après une progression lente au XVIIe siècle les dopants liquides font une percée au XVIIIe siècle grâce au phénomène de mode par des faits pré-publicitaires surtout à la cour. Le tabac est un prototype de ce type de consommation qui devient presque universel, socialement égalitaire ce qui est différent des breuvages exotiques. Les XVIIe et XVIIIe siècles sont des périodes de mutation des goûts, des saveurs.
A/ Le thé
L’analyse de cette consommation est la plus complexe. Le thé est appelé « la petite herbe » par Voltaire notamment.
1) Les aires de diffusion
A partir de la Chine du Sud diffusion en Europe par 2 voix différentes :
- la voix continentale à travers la Sibérie, les steps russes et au XVIIe siècle au Pacifique. En 1689 le traité de Nertchinsk entre la Chine et la Russie met en place des caravanes régulières à partir de 1698.
- la « route du thé » (celle des clippers du XIXe siècle). Elle est maritime : océan Indien puis Atlantique. Elle est la principale voie et est à l’origine de l’empire anglo-saxon du thé.
Le thé est à l’origine de la guerre américaine : la Boston tea party (1773).
2) La consommation de thé
A l’origine la consommation du thé en Europe est hollandaise. Associé au café, il est consommé dans le cadre de clubs : « les sociétés de buveurs de thé et de café » (sociétés différentes des tavernes car le personnel y est exclusivement féminin). Il se diffuse ensuite par la vallée du Rhin jusqu’en Suisse. Le thé reste une boisson réservée à l’élite, quasi aristocratique. La compagnie française des Indes est obligée de revendre la majeure partie du thé importée d’Orient en Angleterre. Ils n’y arrivent qu’au prix d’une double concession :
- par « coupage » avec des herbes locales pour abaisser le coût de la boisson donc elle se démocratise dans les sociétés anglaises.
- la contrebande à Roscoff, Gersey, l’île de Man.
B/ L’Europe du café
- Il s’agit de la France, des pays germaniques et méditerranéens. Le café est considéré comme une « boisson révolutionnaire ». Il est une partie intégrante de la sociabilité. Il est consommé avec des sorbets (« gelati » en Italie) et est devenu une institution sociale largement répandu au XVIIIe siècle au point de contaminer les tavernes (« bistrots ») qu’au XIXe siècle on nomme des « cafés ».
- Le café porte également des titres, des revendications avant-gardistes comme par exemple « le Café de l’avenir ». De plus les Lumières en font un de leurs symboles. Dès 1785 à Quimper un « Café de la comédie » copiant le « Procope » est créé par un des notables de la ville.
C/ Le cacao
Il a un rôle plus modeste (sauf en Espagne).
1) Les conditions de diffusion
La première diffusion extra ibérique a lieu lors des mariages princiers espagnols en Europe. Au milieu du XVIIe siècle, il est en Angleterre et en Hollande. Cependant, il est rare est réservé aux milieux huppés. En France, en 1705 est créée à la cours une charge de chocolatière de la reine.
2) La géographie de la production
- Une des raisons principales du succès réside dans le fait de l’adoption pose moins de problème qu’il y a usage ancien dans le pays d’origine. Par exemple le chocolat était de consommation courante au Mexique avant l’arrivée des espagnols. De même que le thé qui est une philosophie Taoïste depuis IVe siècle avant J.C. en Chine. Au Japon aussi, le thé est connu avec le mouvement zen : cérémonie du thé depuis le VIIIe siècle après J.-C. Donc ces produits sont bien connus.
- Pour le café la culture vient du Yémen (« l’Arabie heureuse »), patrie du Mokka. Le café s’est diffusé de l’Arabie à l’Egypte puis en Turquie au XVe siècle. Il a été apporté en France par l’ambassadeur turc Soliman Pacha en 1669 mais il est connu à Marseille avant l’introduction dans le centre de l’Europe.
Le café provient de l’ancien monde tandis que le thé et le cacao viennent du nouveau monde.
D/ Le tabac
1) Origine
C’est un produit indien = Arawaks. La plante a conquis l’Europe en moins de 2 siècles à partir de 1492. Les colonies anglaise d’Amérique (Chesapeake) était presque en faillite mais grâce à l’arrivée du tabac, la croissance reprend. Les principales étapes sont l’adoption par l’Europe de rituels de consommation.
2) Les rituels
- Les aztèques le consommaient à la fin du repas avec une grosse pipe cylindrique en roseau et un mélange embrasé. C’est un rituel social autant qu’une consommation d’agrément. Il relève également d’offrande religieuse et de distinction sociale. Il est enfin considéré comme un médicament.
- Dès la fin du XVIe siècle, l’Europe s’y met comme l’attestent les peintures de genre. Un des premiers tableaux est celui de Willem Claes Heda. C’est une nature morte de 1594, Le vin, le tabac et la montre. Autre exemple : Chardin, Les instruments du fumeur
- Il faut associer cette pratique à Nicot (d’où le terme de nicotine). C’est un ambassadeur de France à Lisbonne. Le tabac sert d’instrument de troc et d’échanges en Asie. Vers 1650 la pipe fait partie du mobilier des campagnes chinoises. Le tabac donne lieu au développement d’art décoratif comme par exemple les pipes en porcelaine en Allemagne.
- Saint-Simon atteste dans ses Mémoires de l’engouement du tabac en France : les filles de Louis XIV allaient fumer la pipe avec les corps de garde.
3) Une bonne affaire fiscale
Très tôt les Etats flairent les bénéfices fiscaux. Entre 1629 et 1700, la monarchie française promulgue 207 textes sur le tabac. La législation fiscale sur le tabac permet de tracer sa progression. Exemples :
- le 17 novembre 1629 par une déclaration royale, il y a une mise en place de taxes douanières sauf pour les Barbade et Saint Christophe.
- 1674 : nouveau texte qui témoigne des progrès du tabac : le monopole de la vente du tabac par l’Etat touche durement la colonie de Saint Domingue.
- 1676 : le royaume de France est l’empereur de tabac : la déclaration du 14 mars établit des dépôts de tabac à Bordeaux, Montauban, Saint Mexan, Metz et Lery. Une « ferme des tabacs » veillera aux limitations des ventes et des cultures.
- 14 août 1680 : acte qui donne un droit de visite aux fermiers dans les châteaux, les maisons royales pour limiter la contrebande.
E/ Relation entre les dopants, les excitants et la société
1) Phénomène de mode
- Exemples :
- texte rédigé par le roi Jacques Ier d’Angleterre un traité pour dénoncer la consommation de tabac : Miso Capnos (= celui qui n’aime pas le tabac)
- Urbain VIII (1623-1644) a excommunié le tabac car le tabac est un péché.
- Ces produits sont considérés comme des drogues au pouvoir potentiellement dangereux même s’ils ont des effets pharmaceutiques. L’acceptation par la société de ces denrées alimentaires est associée à la consommation du luxe. Thé, café, chocolat et tabac sont les premiers phénomènes de surconsommation. Parmi ses lettres, la Marquise de Sévigné en a écrit une douzaine sur les breuvages exotiques. Ses propos sont le reflet de la poussée triomphale du café à partir de 1670.
- Les facultés de médecine entre 1676 et 1679 dénoncent le café comme dangereux. Son sort semble compromis. Mais vers 1686-1687 la cour de France relance la consommation du café qui connaît cependant en 1688 un nouveau recul. Ce qui le sauve en 1690 c’est que l’on trouve le moyen d’atténuer les effets toxiques médicaux. Le médecin grenoblois Monin découvre le café au lait sucré. Les pays germaniques le consomment sucré ou avec des viennoiseries pendant l’après-midi ou après le repas ; les français le consomment plutôt le matin.
- De la même façon le chocolat subit des effets de mode. Exemple :
- la Marquise de Sévigné en 1671 recommande à sa fille d’en consommer mais quelques mois après elle le lui déconseille.
2) Une importance thérapeutique authentique
- C’est l’époque de la vogue de l’infusion. Le thé, le café et le chocolat nécessitent de l’eau bouillie. C’est une vertu préventive car l’eau est un vecteur de nombreux maux. La faire bouillir contribue à l’amélioration de la santé des populations urbaines : destruction des bactéries. Exemple : au XVIIIe siècle, en Angleterre, le typhus baisse alors que la consommation de thé augmente.
- De nouvelles habitudes alimentaires dans les couches moyennes : à côté de l’alcool sont consommés ces nouveaux produits : changement de sociabilité européenne. Parallèlement il y a une remise en cause des tavernes.
II/ Un lieu de consommation : la taverne
A/ Un phénomène de société
- Dans le moindre village ce genre de lieu existe.
La taverne est une auberge plus ou moins vaste où l’on loge. Elle se différencie en plusieurs types : auberge, cabaret (pas de logement), cabaret « à assiette », taverne à « pots » où les vignerons proposent les vins à emporter ou à consommer sur place.
- Quelque soit son type, la taverne est un élément du paysage. A Paris, on dénombre entre 1500 et 2000 débits de boissons. Toute bonne ville de province en aligne entre 100 et 200. Dans la plupart des grosses paroisses rurales, il y a 2 ou 3 tavernes. Dans la France de Louis XIV on compte environ 80 000 taverniers soit 1 pour 250 habitants. Vauban estime la consommation de vin à plus de 2 millions d’hectolitres par an.
La taverne est une institution de regroupement avec connotation sociale, de mentalité.
- A leur égard, les autorités doivent les contrôler : les tavernes sont des lieux d’agitation. Mais il faut respecter les traditions car c’est un élément de stabilité. La taverne est également une source de revenus fiscaux. Le budget des villes surtout les hôpitaux et les frais de voiries dépendent des octrois. Exemple : à Alençon, les droits sur le vin et le cidre servent de rente pour le collège des jésuites.
- Les tavernes ont également un rôle utilitaire. On y recrute des ouvriers (comme à Paris sur la place de grève), on y signe des actes notariés, elle peut servir de tribunal. C’est également le lieu de prolongement des grandes fêtes comme par exemple en Flandre, en Savoie pour les fiançailles, les noces, les enterrements.
B/ Subversion
- La taverne renvoie une connotation subversive. Les taverniers sont à la limite du marginal, ils incarnent l’argent, le risque. C’est un univers mercantile. A côté des habitués se trouvent d’étranges présences comme par exemple des déserteurs, des coquillards de Saint Jacques, des montreurs de lanternes magiques, des colporteurs … .
- La prolifération des débits de boissons affecte à plusieurs niveaux l’équilibre de la ville car les tavernes sont des « anti-églises ». C’est un foyer de contact purement profane surtout dans la logique de la contre réforme catholique à partir du milieu du XVIIIe siècle.
- La taverne est un lieu où la vie est déréglée : à toute heure on peut y entrer pour boire ou manger. On peut même y apporter son repas.
- L’Eglise catholique n’est pas la seule à s’en méfier. Exemple :
- à Genève, la réglementation est stricte. En 1530, la taverne réputée de « La Croix d’Or », où s’est installé Antoine Froment, se transforme en une annexe du temple où on apprend à lire et écrire en Français en 1 mois.
- L’auberge de « La Tour Perse », Guillaume Farel le transforme en lieu protestant.
Les auberges sont un objet de réhabilitation par les protestants.
- Les auberges sont durablement marquées par les pratiques en rupture avec l’ordre établi. Sous Louis XIV, dans la province du Brie, les auberges sont investies par les bergers sorciers. Ils complotent, composent des charges (= sortilèges pour faire mourir les troupeaux de leurs maîtres).
- Les archives des forces de l’ordre, prévotées et judiciaires montrent que les auberges sont liées aux manifestations de désordres. Exemple :
- à Paris, le dimanche 16 avril 1677, au moment de la messe 49 buveurs sont trouvés dans 12 cabarets. Ils sont mis à l’amende.
- Paris, un autre dimanche 50 buveurs et 8 taverniers sont épinglés au « Jardin du roi », « La Rose Blanche », « La Galère » et « L’Image de Saint Pierre »
Même s’ils trouvent le chemin de la messe, les curés ont une peur constante de les voir entrer saouls. Le curé de Montmort dénonce ces buveurs car le tabac et le vin du dimanche échauffent les esprits.