Cours UE4 Fernandez

De Univ-Bordeaux


L’Etat et l’industrialisation 1875/1880’-1970’/1975

A la fin de la période considérée, la place de l’Etat varie et peut avoir une importance singulière par rapport à d’autres Etats, comme les états à économie planifiée de l’URSS., tel qu’en Amérique du Sud, même si parfois il y a des tarifs communs avec l’Europe. Les différences sont à la fois d’ordre géographiques et chronologiques.


Alors que le système global d’organisation économique et social est le même en Europe occidentale qu’en Amérique (Nord et Sud), reposant sur la production d’objets manufacturés, de ressources agricoles, de production de services à partir de l’initiative privée pour une grande part, ce mode garantit l’appropriation privé de la production et des fruits de la production). Ce mode organisé par des échanges régulés sur des marchés, système qui a comme principal moteur la formation du profit, rémunération des capitaux : système pleinement capitaliste.

On voit partout en Europe la constitution d’une façon d’organiser ce capitalisme, de la faire fonctionner, relativement originale par rapport à la façon dont le capital fonctionne aux Etats-Unis, Canada, originale aussi par rapport à la façon dont fonctionnait le capitalisme naissant (première et deuxième période durant lesquelles on peut distinguer le capitalisme commercial, du capitalisme industriel, du capitalisme financier.) Plus par rapport à la manière dont fonctionnait le capitalisme naissant selon que l’on considère qu’il commence au XII°, XVI° siècle ou fin XVIII° début XIX°.

Le capitalisme est beaucoup plus présent aujourd’hui, on parle même de rapports humains du capitalisme par le biais de l’économie domestique ; du système de don et de contre-don. Au départ les relations ne sont as à proprement parler capitalistes mais elles le deviennent. Ecole de Virginie : siège des ultras-libéraux (encore plus libéraux que l’Ecole de Chicago) ; pour eux, les actes humains peuvent très bien se mesurer par des calculs. Cette théorie prend tout son sens lorsqu’il est question de critiquer la trop grande présence de l’Etat dans l’économie.

Dans les années 1970, des voix s’élèvent selon lesquelles, l’Etat serait porteur de contraintes et qu’il faudrait le réduire, ce discours est encore dominant de nos jours. En effet, l’Etat n’est jamais vraiment absent, son degré de présence varie mais surtout la nature de son rôle. Après la Seconde Guerre Mondiale, son rôle est accru, la nature de son intervention, ses objectifs ont changé. L’intervention de l’Etat n’émane pas toujours du désir des hauts fonctionnaires, l’intervention vient de la volonté des acteurs de l’économie.

Analyse à partir de grandes étapes chronologiques :

-1) 1880’-1913 (août 1914)

-2) 1914-1947

-3) 1947-1975 ou 1982/3.


I- L’Etat Libéral : 1880-1914

A- Qu’est-ce que l’Etat libéral ?

2 types de libéralisme : politique et économique

Dans l’idéal ces deux termes sont associés, presque chez certains en symbiose. Le plus solide point de départ est John Locke, Traité sur le gouvernement 1689-1690, qui traite de la « Glorious Revolution » de 1688 en Angleterre. Ce texte n’est pas une simple justification de cette révolution, il est question de la mutation de la classe dirigeante anglaise fin 17°, qui pose la limitation du pouvoir de l’Etat tel qu’il était en construction avec Louis XIV, tant dans le domaine économique que politique. L’enjeu de cette révolution de 1688 se sont les impôts, et la limitation du droit du souverain à lever les impôts. Il se pose la question de la représentation qui est habilité à discuter sur la répartition d’impôts. En GB, une sorte de partage du pouvoir se met en place au XVIII° entre la Couronne, les Communes et les lords du Parlement. La Couronne est représentée par le « cabinet », constitué par Communes et Lords. Théorie de la philosophie politique de Locke : l’homme est un individu travaillant et possédant et par conséquent, toute tentative pour lui ôter les revenus de son travail seraient arbitraire, contraire au droit national et positif.

Fin XVIII°, début XIX°, le réel a tendance a favorisé certains groupes installés par rapport à d’autres qui veulent s’insérer. Ce qui en profitent sont ces groupes qui s’installent ; ils sont des acteurs et bénéficiaires de ce qui se passe en Angleterre au XVIII°, la première révolution industrielle.

Définition : c’est une conjonction de la Révolution énergétique, (avec l’utilisation du charbon, de la machine à vapeur) avec l’apparition de nouvelles organisations de la production (manufacture). Ces éléments supposent une mobilisation de capitaux plus grande, mais aussi une accumulation préalable de ces capitaux qui passe par la révolution agricole (en GB c’est le phénomène des « enclosures » qui contribue à augmenter la rentabilité des terres). Parallèlement ces évolutions entraînent le mouvement de la population rurale qui va vers la ville, c’est le « factory system ». On passe donc du putting out system, qui correspond au système marchand-fabricant en France, au factory system qui ne peut se faire qu’après une accumulation préalable, possible par le travail, le commerce, l’agriculture, le prélèvement direct ou même le vol (cf : l’Angleterre s’empare des Indes).


Les théoriciens du libéralisme comme A. Smith pensent qu’il faut que l’Etat cesse de prêter une oreille trop complaisante à ceux qui ne sont qu’un segment de l’économie ce qui empêche l’accumulation sur le travail (actionnaire). Il faut attendre 1846 pour que les corn laws soient abolies en GB. Ricardo a combattu en faveur de l’abolition de ces corn laws, qui garantissent la rente des propriétaires mais minimisent les profits, dont une partie de ces profits servent aux investissements pour créer à nouveau du profit.

  • Dans une politique économique libérale il faut : une conjonction du libéralisme politique, décision collective sont prises à partir de l’expression d’un certain mode de représentation. Dans les années 1840, on fait le choix du libéralisme économique : Nassau Junior –élève de Ricardo- adopte un libéralisme politique qui débouche sur un libéralisme économique.
  • En France, 1789 est fondamental pour l’histoire du libéralisme, défini plutôt comme non entrave à la liberté du travail, avec l’œuvre de la Constituante et deux textes :

-mars 1791 : décret d’Allarde -juin 1791 : loi Le Chapelier

Ces deux textes fondateurs signifient la fin de l’Ancien régime, car ils établissent la liberté du travail, la fin du système des corporations, loi qui indiquent quels sont les fondements idéologiques du libéralisme français, un libéralisme absolu, plus que le libéralisme anglais, mélange en somme pendant la Révolution entre le Rousseauisme et le Lockisme.

L’Etat du XIX° siècle est un Etat conçu comme défenseur de la propriété, un Etat gendarme.

B- L’Etat gendarme

Pas de groupe intermédiaire, il n’y a pas que des individus libres qui ont entre eux des relations libres. Les rapports de travail sont des relations libres.

La Loi Le Chapelier n’est pas abrogée, modifiée par la loi Waldeck-Rousseau en 1884, sur les syndicats. Il faut attendre 1936 et les conventions collectives : on ne peut pas proposer n’importe quoi comme travail à n’importe quel prix mais ne remettent pas en question le loi Le Chapelier, les rapports de travail sont encore libre.

Quid lorsqu’il s’agit d’une relation entre deux entrepreneurs ?

L’Etat intervient pour garantir la propriété, le libéralisme suppose que les relations vont s’ajuster au mieux des intérêts des parties, chacun a intérêt à ce que l’Etat se mêle des relations économiques. Opinion contestée en France par F. BASTIAT, Les harmonies économiques, économiste pamphlétaire, fait paraître une pétition des marchands de chandelles contre le soleil. Il s’insurge contre les « lois sociales » :

  • 1841 : loi interdisant le travail des enfants de moins de huit ans dans les mines, mais les 1ers contrôles n’ont lieu qu’en 1874 et l’inspection du travail n’a été créée qu’en 1892.

En Angleterre, le Factory Act limite le travail des enfants de moins de 9 ans à 48 heures/ semaine ; cela va ruiner les entreprises=> émergence insupportable de l’Etat dans la vie des entreprises. Ces lois sociales sont tardives en France, en Angleterre, mais encore plus en Belgique, c’est en 1896, la loi limitant le travail des fils de moins de 16 ans. En Allemagne dès 1853, loi limitant le travail des enfants. En plus Bismarck instaure un régime de protection sociale en 1880 (GB 1910, France 1930), pour lutter contre le socialisme et crée, en outre, des assurances sociales par cotisation des salariés et des employeurs sous la tutelle de l’Etat.


C- L’Etat législateur

Avec le Code Civil , au XIXème siècle, l’homme (=mâle) est propriétaire, et le Code du Commerce. La loi sur les concessions des mines en 1870, délègue l’exploitation de certaines ressources à des personnes physiques ou morales privées (ex : exploitation du sous-sol). Fin XIXème, début XXème, exploitation était faite par les services publics.

La puissance souveraine de l’Etat. Il est garant de la richesse des nations et de celle des particuliers, un Etat qui protège dans la mesure où les lois du marché sont impuissantes à garantir le respect et les déséquilibres trop grands, d’où l’idée de demander toujours beaucoup plus d’ouvertures dans un certain sens et de protection dans un autre. Demande toujours plus d’ouverture mais aussi de protection (étude réalisée par J.P. Ricsh, Les deux rêves du commerce/ Ph. Minard…). Au milieu du XIX° siècle, les Etats européens sur le modèle de la GB de 1846, utilisaient le jeu du libre échange, échangisme c'est-à-dire d’intervenir le moins possible en matière commerciale : 1860 : traité de commerce franco-anglais mais également d’autres états vont suivre, « désarmement douanier », la France signe avec la Belgique et l’Espagne. Pays où la révolution de 1868 achève le processus de libéralisme. Ces traités permettent un renforcement des investissements étrangers.

La loi des sociétés anonymes témoigne de cette volonté de l’Etat de favoriser la mobilité des capitaux. Cette phase libérale de l’Europe (1850-1860) prend fin au bout d’une vingtaine d’année sous l’impulsion de l’Allemagne où l’industrie naissante comprend que ses intérêts ne sont pas garantis dans un régime de libre échange (cf théorie de F. List, L’économie Politique (en 1848) qui affirme que contrairement à ce qui avait été défendu par Ricardo et Smith : ce qui est bon pour l’Angleterre, ne l’est pas forcément pour l’Allemagne). Ainsi, dès 1846, les Allemands abolissent les barrières douanières à l’intérieur du Zollverein, mais les garde à l’extérieur et même relèvent leurs tarifs douaniers, en 1879, puis l’Italie en 1887, l’Espagne en 1891, la France en 1892 « tarif Méline » renforcement protection douanière dans les années qui suivent France en 1902. A l’époque, les Etats-Unis ont encore plus de protection que les pays européens, quand le siècle commence, il ne reste que les Pays-Bas et la Grande-Bretagne qui sont encore libre échangistes. La Grande-Bretagne reste fidèle au libre-échangisme jusqu’en 1932, une hégémonie britannique absolue en 1860, sa production est deux fois celle du reste du monde. Situation comparable aux Etats-Unis dans les années 1950, celle d’une domination économique absolue. Progressivement la situation de la Grande-Bretagne se détériore, perte de la 1re place industrielle au profit des Etats-Unis. L’industrialisation de l’Allemagne est relativement tardive, deuxième moitié des années 1870’s, les cinq millions de francs versés par la France à l’issue de la défaite contre l’Allemagne a été utilisée à ces fins. L’industrialisation allemande est certes tardive mais elle est rapide et puissante. Dans les années1890’s, l’industrialisation allemande menace même celle de l’Angleterre, Joseph Chamberlain réclame l’abandon du libre-échange, il prétend pouvoir assurer sur les revenus des tarifs douaniers, la croissance et relancer la conquête impériale britannique. L’Etat qui intervient dans le sens des intérêts des entreprises en faveur du maintien de l’agriculture.

D- L’Etat client

De 1872 à 1912, les dépenses ont augmenté à un rythme moyen de 6% par an, ce qui représente 15% du PIB en 1912 (après 2E GM les dépenses représentent 40%).

En dehors de la dette publique, les dépenses constituées par les administrations gouvernementales, justice, police ; relevant de la puissance régalienne de l’Etat, ainsi que les dépenses militaires. Dépense d’éducation : 6,2% du budget en 1890 (loi J. FERRY) passe à 8,6% en 1912. On voit une croissance supérieure à la croissance moyenne, ce qui représente un effort important.

En revanche, les dépenses économiques sont faibles, pour l’essentiel elles concernent le transport : effet du plan FREYSSINET sur les réseaux de chemins de fer secondaires. Sans écoles, mairies ou chemins de fer, le sentiment d’appartenir à une communauté est beaucoup moins évident, ce sont des coûts mais également des instruments politiques. L’Etat fait tourner la machine économique : construire des chemins de fer c’est s’assurer du travail aux sidérurgistes. Lorsque l’on est dans le domaine de la Défense, l’Etat est à la fois client et contrôleur, il indique ce qu’il veut (ce qui suppose d’avoir des ingénieurs).

L’Etat peut intervenir dans les entreprises liées à la Défense Nationale ou même dans les entreprises liées à un service public. En 1905, en Italie est créée l’entreprise ferroviaire. Il faut attendre 1908 pour voir la création de la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest en France, qui devient plus tard la Cie des chemins de fer de l’Etat. L’étatisation, la nationalisation procède clairement d’une « socialisation des pertes » afin de pallier les carences du privé de tel ou tel secteur.

C’est au XIX° siècle que se crée la technostructure d’Etat, les fonctionnaires d’Etat vont intervenir pour organiser et réaliser des cahiers des charges : installation de réseaux, d’électricité. 10% des dépenses de l’Etat à la veille de 1914, sont des dépenses économiques. L’Etat intervient dans les infrastructures.

  • Le service de la poste au XIX° est une administration distincte dès 1878.
  • Intervention dans les infrastructures tels que les canaux.
  • Les télécommunications en France : loi de 1889, un service d’intérêt national à partir de considérations d’ordres militaires
  • Les PTT perdurent jusqu’en 1980’s

En Angleterre est crée le Post Office qui reçoit également l’administration du téléphone. En matière industrielle, l’Etat répugne à l’intervention sauf pour quelques héritages de l’Ancien Régime : manufacture de Sèrnes. Les Etats se sont gardés le monopole de la fabrication des allumettes et du tabac, l’Etat est à la fois fabricant, vendeur. Cette intervention est liée à la défense nationale, considéré comme un service public. Les Cie de chemin de fer de l’Ouest devient la Cie de chemin de fer de l’Etat. Ce transfert de propriété procède d’une socialisation des pertes. L’Etat reprend des entreprises à son compte pour ne pas perdre les services qu’elle rend, pour palier les carences, plus que d’entraîner une politique de rénovation. L’Etat est un agent important de la vie économique, il a un rôle de gestionnaire, de gestion comptable, mais l’action de l’Etat ne doit avoir pour objectif de modifier les grands équilibres économiques. Pour être un véritable Etat entrepreneur, encore eut-il fallut qu’il disposât des instruments à cette fin. A cet égard, la Première Guerre Mondiale marque un tournant.

II- L’Etat, les guerres et les crises : 1914-1945

La 1re Guerre Mondiale et la mobilisation du temps de guerre

La mobilisation des hommes, de l’armement, du ravitaillement. La fonction de l’Etat client prend ici tout son sens. Commande de l’Etat au secteur privé qui doit s’organiser, il s’agit d’éviter les pénuries. Aussi l’intervention directe de l’Etat dans l’économie, restriction du libre-échange. Réquisition de matières naturelles des Cie de chemin de fer pour acheminement des hommes et du matériel.

En Angleterre

Dès 1915, en Angleterre, l’Etat intervient directement. Il restreint sensiblement le libre-échange et le « laisser faire » par toute une série de textes pour la Défense du Royaume.: usine pour fabriquer des sacs de jute et des compagnies de commercialisation. Plus un ministère des munitions qui prévoit le contrôle direct des fabriques d’armement. Effort de l’Etat dans cinq domaines : denrées alimentaires, apports énergétiques, main d’œuvre, apport des capitaux, transport. En matière énergétique, l’exploitation et la vente du charbon est soumise à des contrôles dès 1916, même chose pour le coton en 1917. Dans le domaine des denrées alimentaires, le Corn Product Act prévoit l’organisation des productions de semences, d’engrais… L’Etat prend en charge 85% des importations, il contrôle le prix des denrées dès 1916. En 1918, 250 fabriques d’armement sont sous le contrôle de l’Etat en même temps que sont prises des mesures de rationnement. En mars 1916, le Military Service Bill organise une sorte de service militaires en GB. Un interventionnisme de l’Etat réel, important, mesuré, où l’on a pris soin de discuter avec les entrepreneurs privés et les représentants ouvriers.

En Allemagne

L’Allemagne est en position beaucoup plus difficile que la France ou l’Angleterre ; Le libéralisme y était moins ancré, et l’armée n’était pas seulement considérée comme une force combattante mais aussi comme une force sociale puissante en 1914. Cette position est renforcée en 1914 par l’état de guerre car le pays a deux fronts à gérer, avec plusieurs accès à la mer. Son intervention est beaucoup plus massive. Mise en place d’une économie dirigée dans l’agriculture, avec un rationnement et la création d’une société pour la fourniture de céréales et un office impérial des pommes de terres ( février 1915).

  • 22 mai 1916 : office de guerre pour les vivres avec un directeur qui a les pleins pouvoirs.

Dans l’industrie, dès août 1914, est créée la division des matières 1re de guerre et une société centrale d’achat

  • juillet 1917 : un nouveau ministère est créé qui a vocation à intervenir dans l’économie.

Tous ces contrôles se font en liaison avec l’oligarchie entrepreneurial comme Walter Rathenau, un des plus grands patrons allemands président d’AEG. Les usines jugées inutiles sont fermées, leurs machines peuvent être transférées. La bureaucratie d’Etat est normalement dirigée par des civils mais également de militaires. L’Etat Major , à partir de 1917, impose à la tête des organismes des militaires. On voit des tensions entre pouvoir militaire et pouvoir civil.

A travers les exemples anglais et allemands, on voit à quel point la guerre entraîne une redistribution des cartes.

III. Le rôle de l’Etat après la Seconde Guerre Mondiale

Cette intervention est plus importante, plus revendiquée, légitimée et marquée par des différences avec les interventions antérieures, des différences de circonstance, liées à la guerre ou à des défaillances de tel ou tel secteur ou entreprise. Après la Seconde Guerre Mondiale, on entre dans une nouvelle période du point de vue technique. Des réformes de structure touchent les pays de l’Europe occidentale (en dehors de l’Allemagne sous contrôle militaire) à savoir la Belgique, la France, les Pays Bas, la GB.

Nationalisations en France

En France, on est en plein contexte de la Libération, de « retour à la Nation » des grands moyens de production. Ce « retour à la Nation » est une des choses les mieux partagées, l’idée puise à plusieurs traditions de longue durée :


  • le « Colbertisme », vieille pratique de l’Etat français soucieux de promouvoir des activités nationales. Le colbertisme n’a jamais disparu, il est même remis au goût du jour chez certains fonctionnaires, ou des grands patrons dans les milieux planistes de l’entre-deux-guerres, souvent des polytechniciens devenus hauts fonctionnaires ou PDG de grosses entreprises où le capitalisme est le plus socialisé, sous une direction familiale. Ces polytechniciens, en fondant le groupe X-Crise dans les années 1930, veulent se donner les moyens de résoudre les problèmes du capitalisme libéral avec interventionnisme et/ ou corporatisme.

Certaines idées ont été appliquées pendant Vichy avec la création des Comités d’Organisation, à la fois réponse à la situation de guerre mais aussi pour élaborer des recettes pour organiser la production industrielle à long terme. Le colbertisme fut aussi appliqué dans les rangs de la Résistance autour du Général de Gaulle qui déclare au nom du GPRF : « Désormais, c’est le rôle de l’Etat d’assurer la production des grandes sources d’énergie… ».


  • tradition venant d’aspirations réformistes exprimées autrement en 1945 qu’au XIX° siècle. La gauche socialiste, les radicaux puis les communistes, ont toujours été très méfiants à l’égard de l’Etat. Chez eux, la tradition étatique a suscité son contraire avec l’influence anarchiste (cf : la Charte d’Amiens signée en 1906). De même dans les années 1960, la Nouvelle Gauche, anti-étatique, a vu sa méfiance à l’égard de l’Etat intervenant renforcée par le mouvement de Mai 1968 et elle a même conquis des positions idéologiques au sein de la Gauche traditionnelle. Pour ces mouvements réformistes, l’Etat intervenant est, au pire, au service du patronat, sinon, il risque de retarder le « révolution », c’est le discours que tiennent les communistes dans les années 1930.

On constate un certain changement avec la Première Guerre Mondiale, les socialistes participent au gouvernement d’Union Sacrée : Albert Thomas est ministre de l’Armement. Dans les années 1920, une partie de la SFIO et surtout la CGT (liée au PS à partir de 1922 qui a vu la scission entre la CGT et la CGTU, liée au PC), parmi les plus réformistes (notamment Léon Jouhaux), l’idée de nationalisation se développe autour de la nécessaire nationalisation de la houille blanche dans les années 1920. L’idée est relayée au niveau international avec le socialisme belge et autrichien. Le socialisme français combine réformisme et s’articule au socialisme allemand, le plus étatiste de tous. La veine se développe dans l’entre-deux-guerres sans pour autant parvenir à imposer son point de vue lors du Congrès du PS qui reste fidèle, dans sa rhétorique du moins, à l’idée de remplacement du capitalisme et à l’idée que les moyens d’action de l’Etat sont limités.

Ex : pendant le Front Populaire, le gouvernement Blum n’entreprend aucune nationalisation de grande envergure. Les nationalisations concernent les secteurs ou les entreprises qui répondent à une nécessité particulière : la société Air France, la SNCF en 1937, car difficultés financières des Cies de chemins de fer.

L’idée de nationalisation prend sa vigueur dans la Résistance. Elle dépend à la fois des sources réformistes et de la source conjoncturelle de 1944. Le CNR, organisme où se retrouvent toutes les sensibilités de la Résistance (Communistes, Socialistes, Démocrates-chrétiens, Gaullistes), déclare que la « France nouvelle » à venir doit assurer l’instauration de la démocratie économique et sociale par « l’éviction des grandes féodalités économiques et financières ». La volonté des gaullistes et des Communistes est de punir les « traître » et les collaborateurs en nationalisant les usines sont les patrons avaient preuve d’intelligence avec l’ennemi (Renault, Berlier). Il faut souligner aussi que ces nationalisations se sont faites dans un contexte d’insurrection populaire pendant l’été 1944. Ainsi les nationalisations de l’été 1944 ont aussi une vocation politique, le but étant de faire barrage à l’instauration des Conseils d’ouvriers dans les usines (notamment dans les Bouches du Rhône ou encore à l’usine Dunlop de Montluçon), cela a concerné au total une dizaine d’usines.

Les nationalisations officielles procèdent d’une histoire longue et d’une histoire courte (été/ automne 1944). Les principales nationalisations ont été effectuées entre décembre 1944 et avril 1946.

  • les mines de charbon dès 1944 ; les mineurs étaient très remontés surtout dans le Nord Pas de Calais où ils avaient subi de très fortes répressions à l’issue des grèves pendant l’Occupation, les aspirations révolutionnaires y étaient fortes mais pas majoritaires. Création de la Société des Charbonnages de France qui rassemble les bassins lorrains, du Nord Pas de Calais, du Centre.
  • dans le secteur de l’énergie, le 8 avril 1946 est créé EDF puis GDF. La production d’électricité supérieure à 200 kW est nationalisée. Le transport et la distribution sont assurés par des entreprises publiques en majorité ; ex : à Bordeaux, ce sont des entreprises publiques qui gèrent le gaz et l’électricité, la Régie du Gaz et de l’Electricité est maintenue de 1946 à 1956 pour l’électricité, jusqu’à 1991 pour le gaz.

Le secteur du pétrole n’est pas nationalisé, il existe certes une Compagnie Française des Pétroles, compagnie à participation publique (38% des capitaux viennent de l’Etat).

  • le transport aérien : Air France et Air Inter : sociétés à capital public ; la SNCF, en revanche est une société nationale pas totalement publique, elle le sera seulement en 1982. Nationalisation des voies navigables de France par les canaux. Création d’une régie urbaine des transports, la RATP est versée dans le secteur public. A l’inverse à Bordeaux, les transports urbains sont assurés par une compagnie privée, filiale de la Générale des Eaux.
  • les secteur du crédit : selon De Gaulle pendant le GPRF « c’est le rôle de l’Etat (…) de disposer du crédit ». La Banque de France est nationalisée en 1944. Quatre banques de dépôts sont aussi nationalisées : le Crédit Lyonnais, la Société Générale, le Comptoir National d’Escompte et (formant plus tard la BNP). Ce sont des compagnies bancaires à capital public avec des représentants de l’Etat à la direction.

D’autres banques restent dans le secteur privé : les banques d’affaires comme Suez et Paris-Bas ; la Haute Banque comme les Rothschild, les Dreyfus, les Lazare, c'est-à-dire de vieilles compagnies bancaires fonctionnant plus sur des réseaux que sur l’appel au public ; des banques locales comme dans le Pays basque. Les caisses de dépôts et de consignations ont participé au développement économique de la France. La croissance française est financée par l’instrumentalisation du crédit à cet effet avec le rôle actif de la Direction Nationale du Trésor du Ministère de l’Economie et des Finances –la dénomination Economie apparaît après la Seconde Guerre Mondiale-. La Direction n’a pas pour seule mission de vérifier que les comptes sont en balance, l’ordre des priorités a changé. Le directeur F. Bloch-Laîné conçoit sa mission : mettre de l’huile dans les rouages plutôt que d’être simple observateur.

La nébuleuse publique mi-étatique, mi-mutualiste œuvre dans ce sens.

  • le secteur des assurances : tout en 1946, le secteur reste mixte, beaucoup de petites assurances sont privées. Les grandes compagnies à capital public sont majoritaires.

Nationalisations en Angleterre

Le gouvernement travailliste –contre toute attente, Churchill perd les élections au sortir de la guerre- réunit une commission pour la socialisation des industries en vue de préparer la prise de pouvoir par l’Etat des postes de commandement de l’économie.

-la Banque d’Angleterre créée au XVII° siècle est nationalisée

-les télécommunications sont rattachées au Post Office

-l’aviation civile

-les charbonnages.

En 1947, l’électricité et les moyens de transport (chemins de fer, le transport aérien, les canaux) ; en 1948, le gaz ; en 1951, la sidérurgie sont nationalisés. Peut-on penser que les nationalisations anglaises ont laissé plus de marge de manœuvre pour les dirigeants face à l’Etat ? ce n’est pas si sûr.

L’extension de l’intervention étatique : le temps de la planification

Dans les autres pays d’Europe occidentale, notamment en Italie, le pays disposait d’une holding d’Etat créée sous Mussolini (en 1933, il s’agit de l’IRI). L’intervention de l’Etat n’était pas trop visible par rapport à la GB et à la France. Il faut attendre 1962 pour que soit créée l’Entreprise Nationale d’Electricité par un gouvernement Démocrate chrétien.

On constate une extension importante de l’Etat. On pouvait envisager la coordination de cette économie, on alla jusqu’à employer le terme de « planification », en France du moins.

En GB, avec le gouvernement travailliste, il n’y a pas d’administration du Plan, il s’agit plutôt de commission de coordination, une sorte d’Agence appelée Central Economic Planing Staff composée de grands patrons, de dirigeants syndicaux, il s’agit plus d’un club de réflexion, elle n’a pas de pouvoir décisionnel, ni de missions. Lors de l’hiver 46-47, la livre sterling subit une « crise de convertibilité » terme pudique pour désigner la guerre monétaire menée par les EU contre la GB.

Aux Pays Bas, on a tenté de lancer une politique plus vigoureuse de subventions budgétaires. En 1946, est mis en place un plan de quatre ans dans le secteur des subventions, des approvisionnements.

En Belgique, le gouvernement, après avoir tenté de maîtriser le contrôles des entreprises en temps de guerre (prix, salaires) y renonça dès 1947 et s’abstint jusqu’à la fin des années 1950-1960 à procéder à des interventions massives.

En Allemagne, en 1949, dans le cadre de la bi-zone, le ministre de l’économie, Erhard (CDU), l’inventeur de la formule « économie sociale de marché », refuse l’idée de dirigisme ou de plan (notion qui renvoyait au plan Guring de 1936). Il souhaite se démarquer des positions françaises et anglaises, l’intervention de l’Etat est moins forte, son plan passe pour être conservateur.

C’est en France que le dirigisme est le plus nettement assuré que partout ailleurs. En 1946, création du Conseil du Plan, le Commissariat au Plan fonctionne dès 1947. Le premier commissaire au Plan, Jean Monnet,gère les relations avec les EU au sujet des subventions envoyées en Europe et notamment en France, dès 45-46, avant le Plan Marshall. La volonté politique à plus long terme est de doter le pays d’une direction économique pour ne pas s’en remettre uniquement, selon la formule de l’époque, à « l’anarchie du marché ».

  • Le premier plan : 1947-1952, appelé Plan de Reconstruction, concerne le secteur des transports, les infrastructures, l’énergie, l’agriculture, le ciment, le charbon. Il s’agit de secteurs de l’économie de survie plus que d’économie sociale avec le logement, l’éducation, la santé.
  • Dans le deuxième plan, appelé plan de Développement, le logement est la priorité. En 1953, c’est le plan courant, la question du logement est longue à régler, et elle a suscité beaucoup de critiques a posteriori.

Les grandes réformes sociales

La fin de la Seconde Guerre Mondiale voit l’apparition de ce qu’on a appelé en Angleterre le Welfare State, traduit en français par Etat Providence mais la formule est pernicieuse suivant que l’on considère que l’Etat fait l’aumône, la population paraît assistée, en revanche, si l’on considère la formule comme synonyme de système mutualiste où le bien être est partagé, le terme a un sens positif.

Les grandes réformes sociales au sortir de la guerre concernent les systèmes d’assurance sociale, deux grands systèmes se distinguent dès leurs origines:

  • le premier est le plus ancien, c’est le système bismarckien (1880’) ; il s’applique aux salariés allemands et il est basé sur les cotisations obligatoires des employeurs et des employés sous la houlette de l’Etat (prend en charge les décès, les accidents du travail, la maladie, les retraites).


  • le deuxième est le système français qui voit le jour dans les années 1930 : la loi établit des assurances sociales obligatoires pour tous ceux qui ont un revenu minimum, ceux qui n’y sont pas assujettis entrent dans la catégorie socio-professionnelle des cadres (apparition du terme à cette époque). Au-dessous d’un certain salaire, les employeurs et les employés doivent cotiser. Avant, le système se basait sur le volontariat avec des sociétés de secours mutuels (fédérées en 1898), fondées sur l’entraide mutuelle en faisant appel à la solidarité. Le système d’assurance sociale a mis du temps à être appliqué en France, le système modèle étant allemand, beaucoup pensait qu’il ne pouvait que s’appliquer aux « Boches ». L’innovation française répond à une politique familiale, pour des raisons natalistes dans les années 1930. Une partie des salariés qui gagnent plus et les non salariés ne sont pas compris dans les assurances. Ils peuvent créer des caisses syndicales ou des caisses au sein des entreprises contrôlées pas le patronat ou des caisses départementales contrôlées pas l’Etat.

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le système français doit se réformer. Le CNR voulait un « plan complet de sécurité sociale visant à assurer les moyens d’existence à tous les citoyens… ». Le système est à la fois proche du système allemand et du système britannique. Le système d’assurance sociale est réservée aux salariés pendant longtemps, les non salariés n’en n’ont voulu qu’à partie des années 1970 et repose sur les cotisations salariales et patronales. Dans ce système, les caisses de retraites, les assurances maladies ne sont pas financées par l’Etat et ne font l’objet d’aucune budgétisation, jusqu’en 1995, avec la réforme Juppé. Le budget est géré par les représentants des salariés et du patronat avec une administration de contrôle, l’Etat définissant seulement quelques grandes orientations (rôle politique et non gestionnaire). Le système s’adresse donc aux salariés et aux ayant droit. Le système de sécurité sociale de base et de retraite de base dit « obligatoire » repose sur le principe du volontariat avec des mutuelles qui couvrent les risques non pris en compte par le systèmes basique et prévoit des remboursements supplémentaires (montures de lunettes…). En 1945, le système de base prévalait sur le système mutualiste, alors que c’est plutôt l’inverse aujourd’hui. Pendant la période du Tripartisme, les rapports de force étaient complexes ; les professionnels de la santé ont su tirer leur épingle du jeu : un système libéral est donc mis en place : les médecins sont payés par honoraires mais ont quand même la garantie de percevoir des revenus grâce à la Sécurité Sociale. Ils ont même la possibilité de voir leurs revenus augmenter sans fin et sont sûrs d’avoir une clientèle qui ne débourse pas le service qu’elle demande.


  • le système anglais a un système d’assistance hérité des Poor Laws (associant assistance et enferment des pauvres). Avec l’insistances des Trade Unions, des mesures ont pu être appliquées dès les années 1910 sous forme d’aides de compensation. La Seconde Guerre Mondiale fut la période où la société a été la plus unie face à un ennemie commun, les sujets ont tous fait preuve de solidarité. Après la guerre, on réfléchit à la solidarité comme acte et sur les moyens de la mettre en place. A partir de la théorie générale de Keynes, le plan Beveridge est mis en place dès 1943 et met à jour la notion de Full Employement dans un Welfare State. Les travaillistes sont élus pour perpétuer la solidarité de temps de guerre alors que Churchill voulait le retour à la situation d’avant-guerre.

Six actes sont votés dont, en 1945, Familly Assurance Act ; en 1946, le National Health Service Act ; en 1948, le Children Act, qui organisent les idées du Plan Beveridge. On juxtapose les systèmes d’assurance sociale et un service de santé publique.

Le système d’assurance sociale est géré par l’Etat ; les cotisations des assurés sont perçues par timbres et les allocations et les pensions sont payées dans les bureaux de poste. Le système est universel pour tous les adultes –donc n’est pas proportionnel aux salaires- ; sont pris en compte les accidents du travail, le décès, la vieillesse, le chômage (en France, l’allocation n’apparaît qu’en 1958), la maternité. Les contributions ouvrières et patronales s’élèvent à 20%, le reste est à la charge de l’Etat.

Le Service National de Santé (N.H.S.) entre en vigueur en 1948 et repose sur la fonctionnarisation quasi totale du système. Pour s’installer, un médecin doit obtenir l’autorisation du NHS et doit s’engager à soigner un nombre précis de personnes contre un salaire. Les patients ne peuvent pas changer de médecin sauf s’il ne fait pas partie du NHS et à qui le patient verse des honoraires (donc sans remboursement). Le système est dit comprehensive : toute personne, y compris étrangère, peut en bénéficier. Il est gratuit, aucune cotisation n’est demandée. C’est l’extension de l’ancien service qui existe depuis le XIX° siècle, le Social Service State réservé aux pauvres, donc assistance discriminante. La réforme qui a mis en place de NHS a été loué pour son côté indiscriminant, son égalitarisme.