Lachaise UE1 6eme cours 24/10/08
Deux références bibliographiques pour compléter le cours précédent sur le conflit entre mémoire et histoire :
- Yves Léonard : « La mémoire entre histoire et politique », Cahiers français n°303, 2001
- René Rémond: Quand l’Etat se mêle de l’histoire, 2006
Sommaire
Les sources orales
L’histoire orale
Daniel Cordier a écrit une biographie consacrée à Jean Moulin, parue de 1989 à 1993. Pas historien de formation, mais secrétaire particulier de J. Moulin jusqu’à la mort de celui-ci, il est à la fois un acteur et un témoin d’une part essentielle de son histoire. Bordelais, fils d’un des signataires de la presse royaliste, lui-même camelot du roi distribuant L’Action française durant les années 1930, rien ne le porte a priori à s’associer à J. Moulin, républicain de gauche. Dans l’introduction du livre, il explique que c’est le décalage qu’il a constaté entre son vécu et la mémoire restituée publiquement par les témoins de la résistance qui l’a poussé à passer à l’écrit, après avoir suscité en lui des réflexions sur l’histoire orale. Ainsi, trente ans après les évènements, il sort sa plume, et prend le parti de ne travailler qu’à partir des sources écrites.
L’Institut d’histoire du Temps présent a publié des sources orales à partir d’entretiens avec des anciens de la 2nde Guerre mondiale, puis de la guerre d’Algérie. Des articles touchant à l’histoire orale sont écrits : - en 1981 : Problème de méthode en histoire orale - en 1987 : Questions à l’histoire orale - en 1992 : La bouche de la vérité
Florence Descamps a publié quant à elle L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, 2001
Histoire des sources orales
Au départ, on confond sources orales et histoire orale, en raison de la formule anglo-saxonne « oral history ». Depuis les années 1980, on distingue les deux : les sources orales ne sont considérées que comme un moyen d’enrichir les sources à disposition, et donc d’enrichir son étude par leur croisement. On parle également d’ « archive orale » pour en marquer la création ou la récupération dans un fonds d’archives.
Commencée dans les années 1970, ce n’est qu’à partir des années 1980 que l’utilisation des sources orales s’est faite systématique. C’est tardif, pour des raisons techniques (magnétophone) certes, mais surtout par une prudente réticence à leur utilisation, liée à un attachement quasi-mythique à l’écrit. On ne les considérait pas comme sérieuses, assimilant leur exploitation à du journalisme. C’était méconnaître les pratiques des Anciens Hérodote et Thucydide, et des chroniqueurs médiévaux. Certains encore font le choix de ne pas les utiliser, mais ce n’est pas la tendance générale. Une nouveauté reste l’enregistrement puis l’archivage de ces nouvelles sources.
Plusieurs exemples :
- La thèse de Sylvie Guillaume sur Antoine Pinay est l’une des premières écrites en France sur un personnage toujours en vie. Celui-ci est né en 1891 et mort en 1994, tandis que la thèse a duré de 1975 à 1981. A. Pinay, bien que retiré, était encore quelqu’un de très consulté par les politiques. S. Guillaume a abondamment utilisé les sources orales. Provenant de A. Pinay bien sûr, mais également de son entourage, de ses collaborateurs, des personnalités politiques de l’époque (M. Debré, E. Faure, P. Mendès-France…). Le but de la thèse n’était pas de faire une biographie linéaire mais de montrer comment est né le mythe Pinay. Petit député obscur, il est devenu Président du Conseil en 1952 alors qu’il avait voté les plein-pouvoirs à Pétain en 1940. Devenu très populaire, on le considérait comme le « sage de Saint-Chamond ». Le but de l’auteur était donc de voir comment il s’est forgé cette image.
- Olivier Wieviorka, historien spécialiste de la 2nde Guerre mondiale, a sorti un livre en 1989 fondé sur les témoignages oraux : Nous entrerons dans la carrière. De la résistance à l’exercice du pouvoir : il réalise 14 interviews avec des politiques (Debré, Chaban, Mayer, Mitterrand, M. Schumann, Teitgen) et des syndicalistes (Séguy…). L’auteur fait deux pages courtes de présentation des personnages, l’entretien est présentée de façon brut (source orale). Ce livre a suscité des reproches : il y a un délai très long entre leur entrée dans la carrière et la réalisation du témoignage, la relation avec celui qui réalise l’entretien peut engendrer des réponses adaptées, les témoignages sont parasités par tout ce que les interviewés ont lu et appris après-guerre. C’est dans ce livre que Mitterrand a pour la première fois parlé de ses liens avec Vichy : et c’est de là que quelques années plus tard la polémique est née.
- Depuis 40 ans, les colloques universitaires connaissent une croissance exponentielle. Cette multiplication est due à la volonté d’échange entre les historiens et les acteurs de l’histoire. Les historiens livrent leurs analyses, puis ils sont suivis par un témoin confirmant ou infirmant leurs données et conclusions. On peut citer les colloques de Sciences-Po Paris « Les années Giscard » visant à faire ouvrir ses archives personnelles à l’ancien président. Les interventions sont divisées selon des thèmes, la structure de chaque thème se fonde comme suit : historien – ministre/collaborateur – V.G.-E.
Les sources orales sont indispensables quand d’autres sources sont inaccessibles, comme il arrive en histoire immédiate. Leurs intérêts :
- elles renseignent sur la question des motivations (le pourquoi)
- sur les sociabilités/réseaux d’un individu (le avec qui)
- et sur les prises de décisions (le comment)
Elles ont également un intérêt pour l’histoire de la mémoire, révélant les variations du récit des protagonistes selon les époques où on les interroge.
Méthodologie de la source orale
Il faut bien préparer la collecte de la source pour ne pas rater son entretien. La trame doit être réfléchie et l’entretien bien animé : en respectant la parole et les silences de celui qui parle. Ainsi que le dit Marguerite Yourcenar : « Savoir se taire, apprendre à écouter, sans a priori, celui qui donne audience à ses souvenirs ». En ce qui concerne les témoins, il faut en choisir un nombre suffisant pour croiser les informations et ne pas survaloriser un témoignage. Le corpus doit aussi présenter une certaine homogénéité. Le témoin doit être identifié (biographie) très clairement afin de mener l’entretien dans les meilleures conditions. Le contact s’opère via courrier papier. L’entretien a généralement lieu chez le témoin, ce qui est préférable. Pour l’élaboration du questionnaire, il faut être à la fois directif et souple, le mieux est de rester général, peu chronologique et d’éviter de poser des questions si précises que le témoin ne pourra pas répondre. L’enregistrement est la règle, avec l’accord du témoin toutefois. L’exploitation de cette source peut être double : transcription intégrale ou compte rendu analytique. Il est préférable de restituer une transcription, au moins partielle. Un préambule de présentation du témoin, la date, le lieu, l’auteur et la durée de l’entretien doivent être inscrits dans le mémoire. La transcription doit être remise au témoin qui effectue les modifications qu’il juge nécessaire et valide son utilisation. La conservation peut être personnelle ou le document faire l’objet d’un don à une institution, avec l’accord du témoin.