J.P Asselain le budget de la justice
Compte-rendu du Séminaire Aquitain Doctoral d’Histoire Economique du 29 novembre 2006.
Intervention de Jean-Charles ASSELAIN, professeur émérite à l’université Montesquieu Bordeaux-IV, sur l’histoire du budget de la justice.
Le texte de l’intervention, ainsi que les graphiques qui y sont commentés, ont déjà été publiés sur le site de l’Académie des Sciences Morales et Politiques en mai 2006 : http://www.asmp.fr/travaux/communications/2006/asselain.htm. Ce compte-rendu mettra donc l’accent sur les discussions et les réflexions auxquelles ont donné lieu l’exposé de M. Asselain.
Présentation
Bertrand Blancheton, Hubert Bonin et Alexandre Fernandez insistent, dans la présentation de la séance, sur l’intérêt méthodologique de l’intervention de Jean-Charles Asselain : les graphiques ne doivent pas être considérés par l’historien comme de simples « illustrations » à placer dans les annexes, mais comme des documents constituant le cœur de la réflexion et la base des commentaires.
Exposé
Après avoir souligné le fait que le ministère de la Justice était un « petit ministère » sur le plan des crédits qui lui sont alloués, Jean-Charles Asselain pose la question de la « séculaire diminution » des moyens dont dispose ce ministère des années 1820 jusqu’au milieu du XXe siècle. Entre 1820 et 2000, les courbes représentant la part du budget de la Justice dans le budget de l’Etat, les dépenses de la Justice en proportion du PIB et l’évolution des effectifs de ce ministère par rapport à l’effectif total des ministères civils, se caractérisent toutes par une forte chute jusqu’au milieu du XXe siècle, suivie d’une remontée relativement modeste.
Comment expliquer ce « mouvement en trois temps » ? Est-il la conséquence d’un recul de la « litigiosité », de la délinquance ou de la répression ? Les juges sont-ils de moins en moins bien payés ou les prisons ont-elles été sacrifiées ? Pourquoi la Justice reste malgré tout démunie malgré la remontée des courbes qui caractérise les trente dernières années ? Est-ce la conséquence du poids du passé ou d’une « sous productivité » chronique ?
Concernant les dépenses strictement judiciaires, Jean-Charles Asselain s’interroge sur la relative faiblesse du traitement des juges au XIXe siècle. Il rappelle que Thiers, entre autres, justifiait cette faible rémunération par la nécessité d’attirer des personnes déjà fortunées, prêtes à défendre la propriété.
A ce stade de l’exposé, Hubert Bonin fait remarquer que l’exemple du budget de la Justice montre que l’histoire économique est très liée à l’histoire sociale : la rémunération des juges, par exemple, est directement dépendante de la conception du rôle du juge qui prévaut alors dans la société. L’histoire politique, également, permet d’approfondir la réflexion : la diminution de l’importance de la Justice ne peut-elle pas s’expliquer par la « domestication des masses » par la République ?
Le problème de l’histoire sociale, selon Jean-Charles Asselain, est que la marge de subjectivité et d’appréciation est énorme, et que les observations sont parfois condamnées à être floues. L’histoire économique peut ainsi apporter des éléments de référence, des chiffres, mais ne peut pas trancher à la place de l’histoire sociale. Quant à la diminution de la part de la Justice dans le budget de l’Etat, elle est avant tout liée à la décrue de la population carcérale suite notamment aux deux lois complémentaires adoptées en 1845 : l’une instaurant la « relégation » des récidivistes en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, l’autre prévoyant la liberté conditionnelle.
Alexandre Fernandez conclut cette discussion en mettant l’accent sur le fait qu’une recherche précise est une recherche « ample », qui prend en compte un grand nombre de données.
Jean-Charles Asselain aborde alors la question des dépenses pénitentiaires (qui n’entrent dans le budget de la Justice qu’à partir de 1911) entre 1820 et 2000. La longue diminution de ces dépenses entre 1882 et 1938, souligne Alexandre Fernandez, est à mettre en relation avec le processus de « civilisation » que l’on constate à la fin du XIXe siècle, même si, comme le souligne Jean-Charles Asselain, la divergence des sources ne nous permet pas d’affirmer qu’il y a eu une diminution de la délinquance. Ce même processus de « civilisation », ou d’ « humanisation », est à l’origine de l’amélioration du niveau de vie relatif du détenu dans la deuxième moitié du XIXe siècle, amélioration qui ne se poursuit pas au XXe siècle.
La pauvreté séculaire de la Justice en France, conclut Jean-Charles Asselain, n’est pas un mythe, et est due à l’absence d’une volonté politique assez forte pour dégager les moyens nécessaires. Mais, depuis une trentaine d’années, l’élargissement des missions de la Justice est à l’origine d’une diversification sans précédent des dépenses.
Discussion
Suite à cet exposé, Hubert Bonin souligne le caractère novateur et pionnier du travail de Jean-Charles Asselain, qui fournit des chiffres dans un domaine où l’histoire économique avait été un peu oubliée jusqu’à présent. L’intérêt de cette intervention est également méthodologique : l’historien doit toujours relativiser ses statistiques (en tenant compte des échelles, de l’inflation, etc.), et penser en termes de « court terme » et « long terme ». L’histoire économique et l’histoire de la justice sont très liées, notamment en ce qui concerne le droit des faillites, les dépôts de bilan, la « démographie des entreprises », ou encore les rapports entre capitalisme et morale (cf notion de « scandale »).
Alexandre Fernandez insiste sur le fait que la question de la faiblesse des dépenses pénitentiaires est liée à celle de l’impôt et de l’argent que les citoyens sont prêts à mettre à la disposition de la Justice. Les acteurs concernés ne se limitent donc pas aux ministres, aux magistrats et aux gardiens de prisons ; il s’agit d’une problématique qui doit être traitée dans une perspective globale.
Suite à question concernant le degré de précision des chiffres, Jean-Charles Asselain rappelle que la multiplication des chiffres après la virgule n’a aucun sens et qu’un arrondissement à une précision de l’ordre de 1% est acceptable. C’est également un moyen d’ « alléger » l’histoire quantitative et de la rendre moins répulsive.
Jean-Charles Asselain conclut en soulignant qu’un budget ministériel est un « personnage historique » à part entière qui mérite d’être étudié pour lui-même et qu’aucun ne l’a été jusqu’à présent (seules existent des histoires de la direction du Budget et de la direction du Trésor, dans une perspective administrative).