Lachaise UE1 2eme cours 03/10/08
Sommaire
Les sources de l’historien
Quelles sont les sources de l’historien ? Comment les exploiter ?
Alain Corbin : Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu (1798-1876), 1998
Alain Corbin est l’un des premiers historiens à développer l’histoire des sensibilités et des mentalités, il brille par son originalité, écrivant sur des sujets très variés, tels que :
- Le Miasme et la Jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, XVIIIe-XIXe siècles, 1986
- Le Territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage, 1750-1840, 1988
- Les Cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle, 1994
- Les Filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (XIXe siècle), 1978
- L’Avènement des loisirs (1850-1960), 1995
- Le Village des « cannibales », 1986
Il mène des études mêlées de sociologie et d’anthropologie. Dans Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot, Alain Corbin fait le choix d’écrire la biographie d’un inconnu, d’un marginal, qui ne peut susciter aucune empathie à l’historien. Mettre en œuvre un tel travail suppose une excellente connaissance du XIXe siècle, et des archives, sources à partir desquelles il s’est agi de reconstituer la vie de l’homme en question.
La démarche historique d’Alain Corbin est la suivante : « Mon but est d’opérer un rassemblement, puis d’effectuer un assemblage de traces ». Il n’hésite pas à parler d’un « travail d’enquête », c’est-à-dire de recherche de données vérifiables, de « puzzle » à reconstituer.
Se pose un problème méthodologique : quelles sources ?
- l’état civil : naissance, mariage, décès
- actes notariés : contrat de mariage, testament, ventes/achats
- archives de l’enregistrement : fiscalité (déclaration de succession)
- registres de conscription
Parmi les éléments introuvables pour un inconnu : un portrait physique ou psychologique. Il aurait fallu, dans ce dernier cas, un journal intime ou, plus courant, une correspondance.
La notion de « sources » et la place des sources dans la recherche historique.
Définition du Larousse :
- sources : « documents, textes originaux auxquels on a recours »
- bibliographie : « Liste de titres, références, ouvrages, livres, périodiques, relatifs à un domaine général ou spécialisé ».
[Proposition de définition : une source est une lucarne ouverte sur le passé]
Henri-Irénée Marrou : De la connaissance historique, 1954 Pour lui, « est un document [historique] toute source d’information dont l’esprit de l’historien sait tirer quelque chose pour la connaissance du passé humain, envisagé sous l’angle de la question qui lui a été posée. » Trois éléments sont à retirer de cette proposition : « toute source d’information » : c’est une grande ouverture sur tous les types de sources « dont l’esprit de l’historien sait tirer quelque chose » : l’exploitation des sources « sous l’angle de la question posée » : le questionnement de l’historien Les trois sont à mener de front, parallèlement, pour aboutir à un travail complet et équilibré.
Au sujet de la quête et de l’exploitation des sources, il faut être rigoureux. Tout ce qui est consulté doit être référencé très précisément, car cela figurera ensuite dans le mémoire, où les sources devront être commentées. Même les sources vides d’intérêt doivent être référencées et commentées, pour démontrer que toutes les pistes ont été étudiées. Les notes infrapaginales constituent autant de preuves pour assurer la validité des affirmations. Il convient également de prendre garde à ne pas transformer les propos tenus par les acteurs de l’histoire, en résumant ou en les extrayant hors de leur contexte, par exemple. Les entretiens oraux doivent être enregistrés, et validés par la personne interrogée pour publication.
Olivier Dard : Bertrand de Jouvenel, 2008
Plusieurs problèmes de l’histoire sont débattus :
- responsabilité de l’historien
- qualité des sources orales
- conflit histoire/mémoire
- problèmes inhérents à l’histoire du Temps présent (= depuis 1945 ; Temps immédiat : depuis 10 ans)
Le travail de l’historien est daté, l’accès aux sources évoluant sans cesse. Bertrand de Jouvenel, acteur de l’histoire, devenu l’objet d’études historiques, estime que toute étude où il est cité doit se reposer au moins sur des entretiens avec lui. Zeev Sternhell, l’historien incriminé, considère au contraire que les sources orales n’ont aucune validité, l’acteur de l’histoire opérant nécessairement une reconstruction mentale des faits, postérieure à ce qu’il a vécu. Cependant un tel intégrisme en défaveur des sources orales est excessif : l’acteur peut, jeter un éclairage sur certains faits, restituer les raisons qui sous-tendaient ses actes et le contexte mental historique. Beaucoup critiquent en effet Sternhell, comme Serge Berstein et Pierre Milza, parce qu’il n’utilise pas d’archives ou de sources orales. Il leur préfère les sources imprimées, sans cependant les prendre intégralement ni les remettre dans leur contexte. Cette question du contexte est primordiale, sans quoi l’étude est a-historique, et le risque est grand de verser dans la téléologie.
Dans le même esprit, les lois mémorielles gravent dans le marbre l’histoire, elles la rendent juridique. Les hommes politiques cèdent à une pression sociale, pour des raisons plus politiques qu’historiques, créant par là, incidemment ( ?) une histoire officielle.
Les types de sources
Il en existe de différents types :
- 1)sources écrites : Pierre Milza a pu dire à leur sujet : « Le XXe siècle sera peut-être le dernier siècle de l’écrit ».
- 2)sources imprimées : documents législatifs (lois, décrets, arrêtés, débats parlementaires) ; bibliothèques ; corpus éditorial (presse, tracts, brochures, allocutions des hommes politiques, mémoires)
- 3)sources orales : sonores (à distinguer des archives orales : émissions de radio)
- 4)sources audiovisuelles : INA
- 5)sources informatiques/électroniques
- 6)sources-objet
Un archiviste a pu dire que quatre types de sources existent : écrites, orales, objet, images. Quant à Lucien Febvre, en 1933 dans Combats pour l’histoire, il a écrit : « L’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se faire, elle doit se faire, sans documents écrits s’il n’en existe point. Avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser pour fabriquer son miel, à défaut des fleurs usuelles. Donc, avec des mots, des signes, des paysages et des tuiles [...]. D’un mot, avec tout ce qui, étant à l’homme, dépend de l’homme, signifie la présence, l’activité, les goûts et les façons d’être de l’homme. » L’Ecole des Annales se caractérise par sa curiosité intellectuelle, à condition de garder une démarche scientifique. Elle est illimitée dans ses idées et son audace, mais limitée dans ses méthodes.
Les archives
En 1991, dans L’histoire continue, George Duby fait part de ses impressions sur le travail en archives :
« J'étais seul. J'avais enfin obtenu qu'on apportât sur une table un carton. Je l'ouvrais. Qu'allait-il sortir de cette boîte ? J'en tirais une première liasse. Je la délaçais, je glissais ma main parmi les pièces de parchemin. Prenant l'une d'elles, je la dépliais, et tout ceci n'allait pas sans quelque jouissance: ces peaux souvent sont au toucher d'une tendresse exquise. S'ajoute l'impression de s'introduire dans un lieu réservé, secret. De ces feuillets, défroissés, répandus, il semble que s'exhale dans le silence le parfum de vies depuis longtemps éteintes. C'est vrai que la présence demeure forte de l'homme qui, huit cents ans plus tôt, s'est saisi d'une plume d'oie, l'a trempée dans l'encre, a commencé d'aligner les lettres, posément, comme on grave une inscription pour l'éternité, et le texte est là, devant soi, dans sa pleine fraîcheur. Qui donc, depuis lors, a jeté les yeux sur ces mots ? Quatre, cinq personnes tout au plus. Happy few. Autre plaisir, excitant celui-ci, le plaisir du déchiffrement, qui n'est, en fait, qu'un jeu de patience. Au bout de l'après-midi, une poignée de données, légère. Mais elles appartiennent à vous seul, qui avez su les débusquer, et la chasse a compté beaucoup plus que le gibier. L'historien se trouve-t-il jamais plus près de la réalité concrète, de cette vérité qu'il brûle d'atteindre et qui toujours lui échappe, que tenant devant lui, scrutant de ses yeux, ces débris d'écriture venus du fond des âges, comme les épaves surnageant d'un complet naufrage, ces objets, couverts de signes, que l'on peut toucher, flairer, regarder à la loupe, qu'il nomme, dans son jargon, des sources. »
Il y a plusieurs enjeux concernant les archives :
- enjeu financier : le stockage des archives suppose des locaux, donc un coût, notamment dans le cadre des diverses extensions nécessaires ; les personnels de l’Etat sont financés par le ministère de la culture, ceux des territoires sont eux à la charge à la fois du ministère de la culture et du territoire concerné
- enjeu juridique : quelle obligation de conservation et de communication des archives ? Les historiens se mobilisent sur ce sujet qui concerne aussi le droit à la mémoire des citoyens
- enjeu politique : archives personnelles/publiques : quelle distinction ? Les hommes politiques ont tendance à privatiser ce qui appartient au public, c’est-à-dire à les détruire ou à les soustraire du patrimoine.