Cours complet 09-10 UE1 Fernandez
Sommaire
UE1: Tronc Commun: cours d'Alexandre FERNANDEZ
Ce cours est une réflexion sur la possibilité d'une théorie de l'histoire, à la fois sur sa nature, son objet, la façon dont la connaissance historique se construit, sa méthodologie.
Introduction bibliographique:
manuels:
- DOSSE François, L' Histoire, A. Colin, 2000
- DOSSE.F, DELACROIX.C, GARCIA.P, Les courants historiques en France, 2005 (inconvénient: ce livre est exclusivement centré sur la France et est plus historiographique qu'épistémologique)
quelques textes qui traitent de la question « qu'est-ce que l' Histoire? »:
- KOSSELECK Reinhard, Le futur passé: contribution à la sémantique des temps historique, 1990
- KOSSELECK Reinhard, L'expérience de l' Histoire, 1997
- LEPETIT.B (dir), Les formes de l'expérience, une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995
On retrouve une mise en œuvre de type philosophique dès le XVIIe siècle, avec Bossuet (1627-1704) pour qui l'Histoire est une expérience du destin de la Providence. On voit naître les premières tentatives de construction d'une histoire érudite avec les bénédictins de Saint Maur qui théorisent une méthode historique. Puis vient l'époque des belles lettres où se développe une histoire très littéraire dont un des représentants est Chateaubriand (1768-1848).
En effet, l'étude des « faits passés » débute sous l'égide de Jean Mabillon (1632-1707), l'un des bénédictins de Saint Maur, qui prône une histoire érudite et définit la première critique des documents. Cet effort est redoublé et définitivement assis au XIXe siècle. Cette deuxième impulsion est donnée par un historien allemand, Leopold Von Ranke (1795-1886), qui s'attèle à la rédaction d'une monumentale Histoire des peuples germains et romans, dans les années 1830. Il collecte un nombre considérable de données afin d'élaborer son œuvre. Il entame ensuite une Histoire de la Papauté, qu'il n'achève pas, mais la démarche reste la même. Il est le premier à définir l'histoire comme une étude des « faits passés », éloignant ainsi la discipline de toute philosophie ou politique à la différence de Bossuet ou de Chateaubriand. Il s'agit pour lui de savoir ce qui s'est réellement passé et d'en rendre compte. Cette mission est reprise par d'autres historiens allemands, notamment dans les années 1850 par Johann Gustav Droysen (1808-1884), historien de l'Antiquité qui, avec d'autres entretient la méthode initiée par Von Ranke, qui donne toute sa force à l'historicisme, caractéristique de l'histoire allemande.
Cette réflexion n'est pas uniquement menée en Allemagne. On la retrouve au moins autant dans le courant français qui aboutira sur l'histoire positiviste (ou histoire méthodique). Gabriel Monod fonde en 1876 la Revue historique, suite à un combat politique conjoncturel, la revue étant très liée au parti républicain et faisant face à la Revue des questions historiques, d'orientation nettement plus conservatrice. La conjoncture politique à court terme est à l'époque l'établissement de la République. D'un point de vue épistémologique, la RQH est une revue dans laquelle écrivent des académiciens qui est une institution très conservatrice, peuplée au XIXe siècle par nombre de prélats et de généraux. L' histoire y est ainsi très littéraire. Dans la Revue historique le propos est différent. On y trouve l'exigence de véracité et de scientificité, l'histoire ne se limite plus à une belle écriture. Tout propos doit être appuyé par des preuves documentaires. De plus, à partir de 1876 sont mis en place des protocoles qui permettent de définir ce qu'est l'histoire. L' Histoire y est définie comme un objet d'enquête et un discours établit par les historiens. Ils ne doivent rien avancer sans preuves d'où l'importance des notes de bas de page qui sont un instrument de son établissement. Ces protocoles historiques font parti de ce que l'on nomme histoire méthodique dont les principes sont synthétisés dans l'ouvrage de LANGLOIS et SEIGNOBOSS, Introduction aux études historiques, publié en 1903. Ceux-ci veulent doter l'histoire d'une méthode à l'image de ce qu' Émile Durkheim a établi pour la sociologie dans son ouvrage Les règles de la méthode sociologique, dont la publication date de 1895.
Une contestation de l'héritage méthodique survient en France en 1929 avec la parution du premier numéro des Annales d'histoire économique et sociale. Une nouvelle génération d'historiens se dresse contre la précédente avec pour têtes de proue Lucien FEVRE et Marc BLOCH. Ils font parti de l'université de Strasbourg qui, au sortir de la Première Guerre Mondiale, vient juste d'être récupérée par la France et fait donc l'objet de beaucoup d'attentions. Ils reprochent à l'histoire méthodique d'être exclusivement politique, une « histoire bataille ». Or, selon eux, tout est objet d'histoire, ainsi la nature des sources devient aussi un objet de débats. L'école des Annales a pour volonté d'arriver à une histoire totale. Cela-dit, Marc Bloch et Lucien Fevre ne remettent pas en cause la nature de la discipline historique. Cette idée d'histoire totale n'est pas nouvelle puisqu'elle s'esquisse dès le XVIIIe siècle, avec des ouvrages historiques sur les techniques ou l'amour à travers les ages par exemple, dont un aperçu nous est donné par Voltaire et son Essais sur les mœurs. Au XIXe siècle, cette notion est reprise par un Anglais George-Macaulay Trevelyan, lorsqu'il écrit son ouvrage Clio a Muse, puis par Benedetto Croce, lors de la publication en 1917 de sa Théorie et histoire de l'historiographie, pour qui « toute histoire est toujours contemporaine », idée qu'il poursuit dans L' Histoire comme pensée et comme action. Un philosophe libéral espagnol, José Ortega y Gasset, à travers son ouvrage Interprétation de l' Histoire universelle, publié en 1948, essaie de poser l'histoire comme une philosophie universelle, et lui dénie ainsi cette volonté des historiens d'en faire une science. Cette idée d'histoire totale demeure importante et est utilisée par ceux qui écrivent l'Histoire au XX e siècle, particulièrement dans les études historiques.
Dans les années 1960-1970, une nouvelle génération met en cause l'école des Annales, considérant que cette révolution n'est pas allée assez loin, en particulier qu'elle ne s'est pas assez ouvert à des sciences comme l'ethnologie et l'anthropologie. C'est l'opinion de Jean-Pierre Vernant, qu'il développe dans son ouvrage Mythes et pensée chez les Grecs (1971), ou de Pierre Vidal Naquet dans Le chasseur noir (1981), Marcel Détienne, Comparer l'incomparable (2000), Maurice Agulhon, l'inventeur du concept de « sociabilité », dans son ouvrage L' Histoire vagabonde (1988). Les années 1970 sont également marquées par l'apparition d'une nouvelle méthodologie venue d'Italie, la micro histoire dont le livre fondateur est Le fromage et les vers, l'univers d'un meunier au XVIe siècle, (1976) de Carlo Ginzburg, puis il persiste dans son ouvrage Mythes, emblèmes,traces; morphologie et histoire,(1989). Un autre représentant de ce courant est Giovanni Levi, avec son livre, Le Pouvoir au village. Histoire d'un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle. À partir d'enquêtes il a pu dire ce qu'était un village, ce qu'était croire, se comporter face à une autorité etc. Ils démontrent ainsi qu'il est primordial de savoir à quelle échelle on travaille. D'autres auteurs s'attaquent à la théorie, notamment Jean Revel avec Jeux d'échelles, la microanalyse à l'expérience, 1996. Il est celui qui introduit en France le courant de la micro-storia. Les enjeux ne s'arrêtent pas simplement à l'histoire, ils pénètrent aussi la sociologie et les sciences politiques. Certains ont voulu voir la micro-histoire comme se dressant face aux Annales devenues trop marxistes. En France, la grande nouveauté est le retour de l'histoire politique dans les années 1980, en association avec une problématique cruciale, à la fois pour la discipline mais qui présente aussi des enjeux politiques, celle des lieux de mémoire, dont l'ouvrage fondateur est celui de Pierre Nora, Les lieux de mémoire (t1, t2, t3), 1984, 1987, 1992. Une mise au point récente a été faite par Christian Amalvy en 2005, Les lieux de mémoire.
Le rapport que l'histoire entretient avec les autres disciplines de sciences humaines connait un tournant quand en 1989, les Annales sortent un numéro intitulé « Le tournant critique » et changent de sous-titre: Annales. Histoire, Sciences sociales. Une inquiétude nait alors chez nombre d'historiens, la fragmentation de la discipline face justement aux autres sciences sociales, une menace d'éclatement semblable à ce qui s'est produit pour la géographie. Au Bord de la falaise. L'histoire entre certitudes et inquiétude, ouvrage de Roger Chartier, paru en 1998 traduit cette appréhension. François Dosse dans L' Histoire en miettes, Des Annales à la « nouvelle histoire » publié en 1987 mettait déjà le doigt sur ce trouble. Paul Veyne dans Comment on écrit l'Histoire, 1971, se dresse à la fois contre les positivistes (XIXe siècle) et contre les annalistes à qui il reproche la religion du document, le fétichisme du fait auquel il substitue le récit, l'histoire est selon lui un discours. Un autre ouvrage sur ces interrogations et déchirements qui traversent l'histoire est celui de Gérard Noiriel, Sur la crise de l'histoire, 1996.
Les historiens et leurs méthodes
I.La nature de la science historique
Une distinction est à faire entre l'histoire en tant que science et l'histoire en tant que discours:
- L' Histoire discours est le savoir subjectif ou empirique, qui essaie de définir quelle réalité l'historien aborde et dans quelle mesure cela découle de l'Histoire au sens premier du terme.
- L'histoire science est la façon dont on connait l'Histoire, c'est à dire le savoir disciplinaire.
Il existe deux formes de théories auxquelles l'historien doit prêter attention et ne pas confondre:
- la théorie de l'Histoire
- la théorie de l'histoire discours, de la science historique, de l'historiographie.
Il faut tenter de voir comment l'une contient l'autre. Attention! Il ne s'agit pas ici de faire de la philosophie de l'Histoire pas plus qu'une réflexion historiographique.
A.Histoire et histoire
Henri Berr (1863-1954), historien du début du XX e siècle, a fondé et dirigé la Revue de synthèse historique, qui, avant les Annales, se situait face aux méthodistes et s'ouvrait aux autres disciplines. Son objectif était, en créant cette revue, de répondre aux excès de l'érudition et du cloisonnement des disciplines. Ainsi, il s'interrogeait déjà sur la crise de l'histoire: « L'état inorganisé des études historiques provient sur ce que trop d'historiens ne réfléchissent jamais sur la nature de leur science. »
Le refus de cette réflexion est la cause du refus de la part des historiens de faire de la philosophie de l'Histoire. De ce fait nombre d'entre eux ne s'interrogeaient pas sur ce qu'ils manipulaient et se contentaient de narrer les choses telles qu'elles s'étaient passées. Ce refus de réflexion a servi d'argumentaire aux critiques radicales sur le fait que l'histoire n'est qu'un discours.
Réflexion sur l'Histoire et sur l'historien.
Histoire est un mot polysémique. C'est d'ailleurs un trait spécifique à la discipline (cet aspect existe pour d'autres disciplines comme la psychologie ou la sociologie, mais avec moins de force). L'histoire est la distinction entre la réalité dans laquelle l'homme est inséré et la connaissance de cette réalité. Hérodote l'entendait comme une recherche. Effectivement, l'histoire se base sur l'enquête.
Il faut faire la distinction entre les res gestae, les choses qui sont arrivées, et l'historia rerum gestarum, le récit des choses qui sont arrivées. Certains penseurs ont mis l'accent sur ce qu'implique cette ambiguïté, Hegel par exemple, pour qui le terme histoire s'applique aux évènements du passé, à leur registre, à leur chaîne causale constituant un processus temporel, au récit systématiquement ordonné de ces évènements, à leur recherche. Le terme histoire désigne également le processus temporel cumulatif de l'humanité. Même l'histoire (avec un petit h) revêt deux aspects: le processus de recherche et le résultat de cette recherche. En allemand le problème ne se pose pas puisqu'il existe des termes différents pour désigner les acceptions du terme histoire.
[Hayden White, Contenu de la forme narrative, du discours et représentation historique, White refuse la validité de la réflexion menée sur la discipline historique; J.Topolsky, Méthodologie de la recherche historique]
Certains ont proposé des termes pour désigner l'histoire en tant qu'activité cognitive:
- Ortega y Gasset dans les années 1930 parle d' historiologie, qui, au sens étymologique, désigne le discours sur les enquêtes
- Arnold Joseph Toynbee, historien britannique de la première moitié du XX e siècle voit l'Histoire comme une succession de challenges, c'est sous la contrainte que les collectifs humains ont montré leurs capacités. [Son analyse en douze volumes de l'essor et de la chute des civilisations, Étude de l'histoire (A Study of History), parue entre 1934 et 1961, est une synthèse de l'histoire mondiale, une « méta-histoire » basée sur les rythmes universels de la croissance, de l'épanouissement et du déclin.].
- Alfred Wahl a tenté de proposer le terme d'historiographie structurale, il distingue l'histoire en tant qu'entité ontologique et l'historiographie qui serait l'écriture de l'Histoire (1996). Mais en France il est trop tard puisque historiographie désigne déjà l'histoire de la science histoire. Ainsi, Jacques Le Goff met l'accent dessus dans une préface (?) [l'historiographie devrait désigner l'activité et le produit de cette activité des historiens, il faut prendre en compte la dimension de discipline intellectuelle de l'histoire.]. D'autres historiens s'accordent avec Le Goff tels Josep Fontana (La Historia despues del fin de la historia, Barcelone, 1992), Georges Lefebvre (transcription de son cours d'historiographie de 1945-1946, enseignant à la Sorbonne, La naissance de l'historiographie moderne publié en 1971), Pierre Vilar (Une histoire totale, une histoire en construction, 2006).
L'histoire en tant que science a un langage différent de celui des autres sciences sociales, tel que peut le montrer Jean-Claude Passeron dans son ouvrage Le raisonnement sociologique. L’espace non-poppérien du raisonnement naturel. En histoire il n'existe pas de langage spécialisé à la différence de celui que l'on trouve en sociologie. On rencontre tout au plus quelques expressions qui désignent des catégories (féodalité, capitalisme...), des concepts (longue durée, sociabilité; conjoncture...), termes (prosopographie...). Michel Certeau, dans son ouvrage L'écriture de l'Histoire, pose la question de l'importance d'avoir une langue commune, et fait remarquer que la langue de l'historien reste très littéraire, utilisant beaucoup de métaphores (évolution, rayonnement, développement...). Paul Veyne, White ou Rorty Richard. ( The Linguistic Turn. Recent Essays in Philosophical Method, (1967) ), sont allés plus loin. Selon eux l'histoire est un discours seulement, pas une science. Ces attaques sont menées en raison des insuffisances méthodologiques de la discipline historique et font, pour cela, la comparaison entre les livres fondateurs de la sociologie de Durkheim et celui de Langlois et Seignoboss. Ces difficultés méthodologiques viennent du fait que l'Histoire objet n'est pas une matière de la même nature que les matériaux qui constituent les autres sciences sociales: l'Histoire est une qualité inscrite dans les choses, une qualité du social mais n'est pas une chose en elle-même. Il n'existe pas de faits historiques pas nature et dans le même temps il n'existe pas de faits non-historiques pas nature non plus, d'où de grandes difficultés à appréhender ce qui est historique (ce qui était à la base le travail des chroniqueurs). Donc quand les historiens ont réfléchit sur leur discipline ils se sont attachés à décrire la méthode et non pas la nature (cf Lucien Fevre).
B.Histoire et sciences sociales
L'histoire est une science moderne née entre la Renaissance et le XIXe siècle. Elle s'appuie sur un mécanisme cognitif basé sur l'observation. Mais cela ne suffit pas à en faire une science. Pour cela un cheminement, une méthode existent. Une science est une forme de connaissance systématique et explicative sans contradiction logique, et vérifiable [cette définition est applicable à toute connaissance qui se veut scientifique].
Vers la fin du XIXe siècle, on s'attache à distinguer les sciences entre elles-mêmes pour aboutir à une partition que l'épistémologue Carl Hempel (Éléments d’épistémologie) a établit entre sciences empiriques (exemple la chimie) et non-empiriques (exemple les mathématiques). À la fin du XIXe siècle on fait une distinction entre deux domaines du savoir: la nature et l'homme. C'est une distinction simple, objectale, sur laquelle on se base pour faire des distinctions plus profondes. Celle-ci est particulièrement importante tant du point de vue épistémologique que politique puisqu'elle perdure actuellement (cf piètre état des sciences humaines...). Il existait plusieurs autres types de distinctions qui ont été évincées. La taxinomie (science des lois de la classification) est héritée des XVIe et XVIIe siècles. Michel Foucault explique dans son ouvrage Des mots et des choses, que les Chinois distinguaient les animaux selon une classification qui, pour un esprit occidental du XX e siècle semblait totalement irrationnelle (animaux qui plaisent à l'empereur, qui savent faire la roue etc.). La taxinomie est un savoir construit dont le langage et les catégories sont toujours fondamentaux. Dès le XVIIIe siècle, Vicco (un napolitain), a élaboré le projet d'une science des sciences. Il distingue les sciences selon des critères qui sont repris au XX e siècle par Jean Piaget (1896-1980), un psychologue, biologiste, logicien et épistémologue suisse:
- sciences nomothétiques (c'est à dire les sciences qui étudient selon quelles règles les hommes entrent en relation)
- sciences historiques
- sciences juridiques
- sciences philosophiques
Cependant, il n'arrive pas vraiment à remettre en cause la grande partition du XIXe siècle. Par ailleurs, certains vont se servir de ce classement et y inférer des distinctions de contenu et de nature et établir à travers cela une hiérarchie de valeur entre les sciences. Wilhelm Windelband (1848-1915), philosophe et historien allemand, distingue l'histoire de la science de la nature, il oppose science idiographique (relative à l’étude descriptive de cas singuliers, isolés sans chercher à en tirer des lois universelles) et science nomothétique (relative à une compréhension globale, au fait de pouvoir tirer des lois générales). À la même époque, Wilhelm Dilthey (1833-1911), historien, sociologue, psychologue et philosophe allemand, différencie les sciences de la nature de Windelband, des sciences de l'esprit, distinction donnant lieu à deux types de démarches cognitives. La première suscite la compréhension des phénomènes étudiés, la seconde implique l'explication (expliquer revient à dégager des mécanismes, comprendre revient à voir le sens et la signification). D'après ce schéma, les sciences de l'esprit ne peuvent donner d'explication théoriques mais simplement comprendre les actions des hommes. Cette réflexion a une influence sensible sur le philosophe Paul Ricœur (1913-2005), qui a exhorté les historiens à réfléchir sur la théorie de leur métier. Celui-ci est un tenant de la philosophie herméneutique (science de la compréhension et de l'interprétation) de la connaissance humaine. La science aspire à être la source de connaissances la plus fiable, ainsi, il faut se demander comment elle rend compte de le réalité des mondes naturels et sociaux. Cette séparation entre sciences de la nature et sciences de l'esprit, qui reste très rigide, a été intériorisée à la fois par l'opinion publique et par les scientifiques: « sciences dures » et « sciences molles ». Une autre différenciation est celle faite par l'américain John Ester qui fait entrer dans les sciences sociales la biologie et la physique et distingue simplement les méthodes qu'elles nécessitent (déductives, herméneutiques et dialectiques), ainsi que trois formes d'explications (causales, intentionnelle et fonctionnelles).
Cela-dit, des difficultés théoriques importantes persistent pour établir le statut épistémologique des sciences sociales, en premier lieu sur les modes d'observation des phénomènes humains et sur l'établissement correct du phénomène observé. Les physiciens, les chimistes peuvent reproduire les phénomènes qu'ils souhaitent observer, c'est le principe de l'expérience. Pour les sciences sociales cela paraît quelque peu compliqué... Les spécificités substantives que posent les sciences sociales, c'est à dire intrinsèques à la matière sociales sont spécifiques à la conscience qu'elle a d'elle-même et de son comportement.
En second lieu se place la question de l'objectivité (pour l'histoire en particulier). Norbert Elias, écrivain et sociologue allemand (1897-1990), a travaillé sur le processus de civilisation à partir du XVIe siècle et du polissage que connaissent les sociétés à partir ce cette époque[Sur le processus de civilisation, 1939]. À travers ce travail on peut le qualifier de sociologue immergé dans l'histoire. Il réfléchit, en effet, sur la question d'utilité et propose plutôt la notion d'intersubjectivité, valable aussi bien pour les sciences naturelles et pour les sciences de l'esprit. Les sciences naturelles peuvent avoir une distanciation par rapport à l'objet étudié ce qui est impossible pour les sciences de l'esprit qui sont en situation d'immersion. L'histoire a, en plus, des problèmes spécifiques relatifs à la relation entre la connaissance scientifique du social et de l'histoire (en tant que discours). Globalement, il y a ceux qui considèrent que la scientificité de l'histoire ne fait aucun doute (par exemple pour le XIXe siècle Droysen) et incluent l'histoire dans le champ des sciences sociales. Cette thèse est réfutée par défaut par ceux qui pratiquent l'histoire plutôt comme un genre littéraire (qui reste une part importante de la production d'ouvrages historiques, même après la révolution des Annales). Parmi ceux qui refusent à l'histoire ce caractère de science sociale, on trouve Karl Popper (1902-1994), l'un des plus influents philosophe des sciences du XX e siècle, dans son ouvrage Misère de l'historicisme, dans lequel il explique que l'histoire ne peut être une science car elle ne peut être ni réfutée, ni réversible. Cette réflexion épistémologique de Karl Popper s'inscrit et se comprend dans un projet plus global qui est de combattre le marxisme et l'idée de progrès issus du XVIIIe siècle, en soulignant la part des philosophes de l'histoire (Condorcet, Marx, Voltaire...) et de dénier tout droit à leur réflexion d'être qualifiée d'historique et de la taxer justement de philosophie. La thèse de Karl Popper a été très largement popularisée dans toute une série d'ouvrages savants et de revues plus grand public.
Dans un troisième temps se pose la question de la scientificité de l'histoire. Celle-ci est liée à la soumission à des pratiques organisées et systématisées, qui correspondent à un cheminement de l'observation, à une méthodologie explicite qui fait le chemin vers la science, acceptées et contrôlées par l'ensemble des praticiens. Cela passe par une formalisation du langage, même si l'intensité reste basse. S'est posée la question de savoir si une connaissance scientifique de l'Histoire est possible:
- NON: est la réponse de Paul Veyne dans les années 1970, ou de manière moins radicale celle de Georges Duby. Il considère que la connaissance scientifique de l'Histoire n'est pas atteignable. Croce (intellectuel libéral) a un avis semblable, de même que Robin.G. Collingwood (1889-1943), philosophe et historien britannique. Pour ce dernier la connaissance historique est sui generis donc, de ce fait ne peut être scientifique. Mais il existe une connaissance historique des choses.
- OUI: est la réponse des cliomètres, c'est à dire ceux qui reconstituent l'Histoire à partir de méthodes quantitatives, des séries de faits historiques, tels Pierre Chaunu (1923-2009) (Histoire, Science Sociale). Implicitement les « positivistes », Monod, Langlois, Seignoboss, se placent dans cette veine. Ils sont, en effet, persuadés qu'une connaissance scientifique de l'Histoire est possible. C'est également ce que défend Henri Irénée Marrou (1904-1977), historien antiquisant français, dans son ouvrage De la connaissance historique, E. Carr, ou Max Weber ainsi que les historiens des Annales, mais également les historiens nord-américains tels Charles Tilly (1929-2008) ou David Landes (1924-...), historiens de l' École de la socio-économie historique. Jürgen Kocka (1941-...), historien allemand, fait une proposition un peu différente et parle de pratique scientifique. Tout dépend de l'élaboration de méthodes qui adoptent et participent des caractéristiques de la science. Sans que cela soit une science et sans se défaire de l'empirisme de l'histoire science tout ceci ne dispense pas d'élaborer une théorie de l'histoire et n'induit pas l'impossibilité d'élaboration de toute théorie de l'Histoire. L'historien est confronté à la singularité et, de fait, à l'impossibilité à généraliser ses observations. En même temps la pratique de l'histoire peut conduire à ce qui est commun dans les sciences et à ce moment là des généralisations sont utiles et même nécessaires si on a l'ambition d'expliquer des objets singuliers. Cela-dit, ces généralisations ne doivent pas se convertir en lois et rester des outils de l'explication (c'est l'idéal type de Max Weber (Un idéal-type est un concept sociologique défini par MW. Il vise, pour Weber, à bâtir un modèle d'un phénomène social qu'on cherche à étudier pour ses qualités intrinsèques). Il s'agit de repérer un certain nombre de phénomènes communs pour réaliser un idéal type et d'en écarter les variables à la marge. Les généralisations doivent encore moins être des prédictions. Il n'y a pas forcément une répétition des mêmes effets par des causes similaires (à la différence de la physique de Newton par exemple), sinon l'Histoire n'est qu'une répétition, une prédiction et ainsi une négation d'elle-même. C'est la position moyenne entre science et pratique scientifique: « l'histoire est l'étude scientifiquement élaborée des diverses activités et créations de hommes, saisies à leurs dates dont le cadre est extraordinairement divers. », Lucien Fevre. C'est une définition vague qui écarte en ses termes mêmes, pseudo-problèmes: l'histoire est décrite comme une étude scientifiquement élaborée et non pas comme une science.
C.Le contenu de la théorie et les fondements de la méthode
Il n'existait pas de véritable traité fondateur de la discipline historique comme pour la sociologie, le droit administratif ou la psychologie. En revanche, il existe beaucoup d'ouvrages sur la méthode. L'histoire est une discipline qui s'est constituée assez précocement et de ce fait s'est bâtie une méthode propre dont trois traits majeurs sont à mettre en exergue:
- La nature des sources d'informations est très particulière. Effectivement, les archives ont été construites par ceux qui les ont déposées (question du producteur et de la transmission) ainsi que par celui qui les utilise. C'est là toute la différence avec le sociologue pour qui à source d'informations est à constituer.
- La temporalité: d'avantage que le passé, la temporalité est le propre de l'historique. Le travail de l'historien n'est pas tant de ressusciter le passé mais de comprendre l'évolution de la société.
- Le processus historique est une réalité globale: l'Histoire d'une société revêt en elle-même toutes les activités que l'homme réalise et qui sont inextricablement mêlées, de la même façon que l'Histoire de toutes les sociétés entre elles. Le problème est alors de rendre compte de toute cette réalité. Il y a eu des temps dans l'historiographie où l'on a aspiré à l'édification d'une histoire globale (Pierre Vilar). La pratique historienne actuelle est plutôt d'aller dans l'autre direction, vers l'étude du détail signifiant (exemple l'école italienne de la micro-storia)
II.Une histoire du développement de l'histoire-science: les grands paradigmes
Thomas Kuhn, auteur de l'ouvrage Structures des Révolutions Scientifiques, au début des années 1970 a proposé un schéma explicatif de l'histoire des sciences. L'histoire des sciences ne suit pas des progressions linéaires mais une évolution par paliers, puis des ruptures de grande envergure, non nécessairement cumulatives mais qui appellent des changements de paradigmes. Ces ruptures disqualifient le paradigme antérieur et en établissent un nouveau. Pour prendre l'exemple de la physique, Galilée et Newton établissent un nouveau paradigme puis un deuxième naît avec l'arrivée de la physique quantique et l'élaboration de la théorie de la relativité (Einstein), en biologie on en a un exemple avec la théorie de l'évolution de Darwin. En histoire ce schéma est nettement moins évident à appliquer, on a plus des inflexions que des révolutions. Même l'école des Annales ne s'est pas imposée au point de faire le vide autour d'elle. Dans les années 1960, à l'apogée de l'influence du courant, l'essentiel de la production historique reste peu influencée.
Une histoire de l'histoire-science débute dès le XVIIIe siècle avec Jean Mabillon qui publie en 1781, De re diplomatica. Ces travaux marquent le début de l'histoire comme pratique scientifique. L'histoire devient autre chose qu'un simple recueil de chroniques, les documents ne sont plus seulement recopiés, ils sont aussi interrogés (sont-ils vrais ou faux, qui les a produit etc.). Une première marche est ainsi franchie.
Une deuxième étape est passée, source d'histoire de l'histoire-science, longtemps écartée, celle de Voltaire (entre autres) du siècle de Charles XII. Son Essais sur les mœurs, se place dans une mouvance, observable déjà sous Louis XIV, qui voit fleurir nombre de textes à caractère historique mettant en œuvre une philosophie de l'histoire. C'est une pratique qui, bien qu'elle soit aux antipodes de celle de Mabillon, constitue une deuxième rupture avec les chroniques. Voltaire écrit avec l'intuition que l'histoire est totale, qu'elle n'est pas seulement celle des gens importants. En effet, les mœurs sont plutôt un sujet d'histoire globale. De ces prémices héritent les historiens français du début du XIXe siècle, notamment les libéraux comme François Guizot (Histoire du Tiers d' État) ou Adolphe Thiers (Histoire du Consulat et de l'Empire). C'est une histoire romantique, qui présente avec ce courant littéraire beaucoup d'analogies stylistiques (par exemple Michelet). Guizot, avant Marx, invente les concepts de classes sociales et de lutte des classes et montre que l'Histoire depuis le XI e siècle est le développement du TE (qui signifie pour lui bourgeois). Michelet élargit le TE au peuple (Le peuple). Cette histoire, très critiquée à la fin du XIXe est réhabilitée plus tard au XX e siècle. Von Ranke, dans le prologue de son Histoire des peuples romans et germains, établit ce que pourrait être une histoire critique des documents, méthode qu'il va mettre en œuvre dans son Histoire de la papauté restée inachevée. Dans le contexte des années 1870-1871, celui de la défaite contre la Prusse, de lutte contre les monarchistes, encore puissants en France (domination culturelle notamment), le « syndrome allemand » est très présent: les Français sont persuadés que la science allemande est supérieure à la science française. C'est pourquoi la IIIe République met autant d'ardeur à promouvoir les enseignements primaire et supérieur. Ces années voient également la première parution de la Revue historique de Guizot (1876) et voient s'établir le socle sur lequel est bâti la discipline. En 1929, se dessine la révolution de l'école de Annales, dont le rayonnement perdure jusqu'à la fin des années 1970 (cela ne signifiant en rien qu'elle est exclusive). À partir de la fin des années 1970, débute une époque complexe que François Dosse a qualifiée « d'histoire en miettes », qui voit l'éclatement des objets d'histoire, déplacement qui avait déjà été opéré par l'école des Annales. On passe à l'histoire des mentalités et des civilisations, à un éclatement des types de sources. Dans le même temps, le socle méthodique demeure avec toute une série de contre-allées méthodiques qui s'ouvrent de plus en plus.
La construction de la connaissance historique
La construction de la connaissance historique est d'arriver à saisir le moment temporel des états sociaux. Au delà d'un contenu simplement descriptif des changements et des permanences, la construction de la connaissance historique n'épouse pas totalement le contenu de l'Histoire. En effet, la connaissance est exposée par un discours, une argumentation dont l'exercice final est l'écriture.
I)Société et temps.
A) Société.
De quelle idée de société part-on pour en arriver à l'idée d'Histoire?
On trouve trois connotations pour analyser la dynamique historique du social. En effet, la dimension historique de perçoit à travers les acceptions suivantes:
- Nature et société, loin d'être opposées, forment en réalité une sorte de continuum cognitif sans rupture dans leur connaissance. Le caractère naturel des sociétés humaines n'infirme pas l'hypothèse que l'homme construit sa propre réalité sociale, il ne se sépare pas de sa nature par cette démarche. Il existe une distinction entre nature et société et non une opposition.
- L'existence d'un mouvement est un trait, un constat, qui doit toujours être mis en jeu dans l'explication du monde tant de la nature que de la société. Le mouvement est le prémisse qui fonde le changement social, consubstantiel de la nature physique et sociale de l'homme.
- L'idée de société acquiert une forme précise lorsque l'on part de l'idée de système social. Reconnaître l'existence d'un système social est faire sienne l'idée que le concept abstrait de société et le concept historique de société (concret) fonctionnent comme un système, comme une totalité où la modification d'une partie modifie l'ensemble.
À partir de ces trois connotations, on peut déduire que l'histoire est une incarnation du social et que, dans le même temps, toute société contient de l'histoire, qu'il existe donc une relation dialectique et indissoluble entre histoire et société, que la société est l'Histoire. Ceci peut faire dire que l'histoire est une dimension des choses et non une chose en elle-même. En ce qui concerne la première acception, il peut en découler que la nature humaine est d'être sociale et historique. Cette articulation ne signifie pas qu'on puisse les confondre. Elles sont deux réalités, deux façons d'être dans le réel. Alors que l'idée de société a des aspects matériels, organisationnels et institutionnels que l'on peut comprendre comme des choses, dans le cas de la définition de l'historique on ne peut se référer à une matérialité. L'historique est une qualité, une dimension, une extension des choses dont le social est nécessairement doté. L'historique est quelque chose qui «réside» dans l'Homme même s'il ne s'agit pas d'une nature. L'histoire est une sorte d'attribution au sens spinozien du terme. L'analyse de la société comme sujet historique implique de tenir compte de la dimension temporelle. Un certain nombre de théories sociales (provenant des sociologues) prennent en compte le dimension du mouvement et tentent d'analyser le monde et la société en intégrant cette variable en usant beaucoup de catégories de processus de construction, de structuration. Auguste Comte, Marx, Weber jusqu'à Bourdieu et Giddens (sociologue britannique de l'action, théoricien du blairisme) posent des théories qui se distinguent de la sociologie des années 1960 représentée par Talcott Parsons (américain), le fondateur et l'inspirateur de la sociologie fonctionnaliste. Il s'agit de regarder comment les choses s'agencent, comment les éléments entrent en interaction et où la dimension historique est maintenue hors de l'analyse. C'est la même démarche que celle des théories néoclassiques qui nient tout mouvement et de fait la dimension historique. La théorie du mouvement, notamment celle de Giddens (la plus récente), fait intervenir la dimension de «human agency», il s'agit de la sociologie interactionniste. Ses penseurs mettent l'accent sur les relations entre l'agent et les structures, entre les sujets et les situations, entre les actions transformatrices des individus ou des collectifs et la résistance au changement des relations sociales préexistantes. Les historiens peuvent tirer profit de ces réflexions dans leur travail car il s'agit de situations auxquelles ils sont toujours confrontés. Avec ces prémices sur le jeu de structuration, on peut avoir des socialisations différentes: théorie de l'habitus de Bourdieu et théorie de la structuration de Giddens. Plusieurs questions sont posées:
- qui fait l'action?
- Qui est l'agent? Un individu, un groupe, ni l'un ni l'autre?
Cette dernière question, de la prééminence de l'individu ou du collectif, n'a pas été ignorée par les historiens, notamment Pierre Goubert, dans son ouvrage Louis XIV et vingt millions de Français, 1960.
Il y a un penchant naturel de certains à donner la première place aux individus. C'est le cas en sociologie de Pierre Boudon, principale figure française de l'individualisme méthodologique, qui s'était épanoui en premier lieu en économie. En effet, dès les années 1870 la «querelle des méthodes» anime les mondes économiques allemands et autrichiens. L'école allemande, dite institutionnaliste, laisse une large part à la géographie et à l'histoire. Ils se donnent pour tâche de recueillir des matériaux documentaires, de les interpréter et de voir comment les collectifs s'en tirent (cela rejoint un peu la réflexion d'Adam Smith qui dans son ouvrage, La richesse des nations, raisonne au niveau d'un groupe (la nation)). Les autrichiens raisonnent de manière totalement différente. K.Menger est l'un des fondateurs de LA science économique. Celui-ci raisonne sur le calcul de l'utilité marginale (la valeur des choses est donnée en fonction de l'utilité qu'on va leur trouver). Il fait des hommes des homos economicus, c'est à dire que tout homme calcule à chaque instant pour maximiser ses gains et minimiser ses pertes, dans toutes les situations de sa vie. Cette théorie est devenue dominante dans la pensée économique standard (celle qui est enseignée partout). Elle porte à la fois une pensée anthropologique et méthodologique. Par mimétisme, la sociologie a été influencée. Des gens comme Buchanan ou Becker (école de Chicago) transplantent dans tous les gestes de la vie sociale l'individualisme économique et méthodologique (notamment dans la vie amoureuse). Boudon, dans La place du désordre, publié en 1991, part de l'idée des effets pervers et analyse comment dans une situation d'aide (celle des États providence par exemple) peuvent se retourner contre ceux qui sont aidés. Il conclue ainsi qu'il est inutile d'agir sur les groupes. Pour lui la société n'existe pas, ni le collectif, il n'y a que les individus qui entrent en compte. L'individualisme méthodologique s'oppose au holisme méthodologique dont font partie tous ceux qui considèrent le social, le collectif dans leur approche du monde. La plupart du temps, c'est un terme employé pour s'en détacher. Certains historiens ont tendance à se laisser aller vers l'individualisme méthodologique [Le Goff qui est médiéviste a écrit une biographie de Saint Louis, qui tout en étant un tenant de l'école des Annales, un marxiste de surcroît, laisse la place au Rôle des individus. Cette démarche n'est donc par nécessairement exclusive aux néolibéraux, tenants d'un capitalisme libéral poussé à son extrême.]
Penser le changement social n'est pas seulement une question importante de l'historien et rejoint d'autres démarches de pensées. En effet, lorsqu'on envisage cette dimension, on est en situation de frottement. L'histoire étudie le changement des sociétés dans le temps et analyse son état temporel dont les deux extrêmes sont la permanence et le changement. Le reflet du changement constitue l'Histoire, même si le changement en soi n'est pas l'Histoire. L'histoire science va mesurer la quantité de changement observable. Le changement social est donc un changement historique qui a une dimension cumulative et irréversible. Cette idée n'est pensée que tardivement par les sciences dures, c'est seulement dans les années 1970-1980 que l'irréversibilité du temps est analysée, notamment par le prix Nobel de chime de 1977, un belge d'origine russe, Ilya Prigogine. Le changement historique obéit à un rythme qui a une forme systémique. Ce sont toujours des facteurs complexes qui induisent un changement et l'encadrent. Ceci permet d'aller à une conception globale de ce qu'est le socio-historique. Il est impossible de comprendre ce qu'est l'historique si l'on ne se situe pas à l'intérieur même de la nature sociale, ce qui ne signifie pas que les individus particuliers n'ont pas une histoire qui leur soit propre. L'individu constitue le social. De manière réciproque aucun phénomène social ne peut se comprendre sans la dimension temporelle. Il est impossible de concevoir l'idée même d'une société sans Histoire. Ainsi, société et histoire sont inséparables, ne voulant pas dire qu'elles sont confondues du point de vue de la connaissance. La sociologie et la discipline historique ont des objets d'étude distincts. Braudel explique que « c'est une seule et même aventure de l'esprit humain, non pas l'envers et l'endroit du pagne mais plutôt des fils distincts inextricablement liés ».
B) le temps
Être historique, c'est être dans le temps. Ainsi se pose la question de savoir ce qu'est le temps. Commençons par un bref survol des réponses philosophiques des anciens à cette interrogation.
- Aristote, dans la Physique, donne quelques conceptions sur la nature et la mesure du temps. Celles-ci ont traversé les siècles. Pour Aristote, la relation du temps et du mouvement est posée comme un absolu mais il nie catégoriquement que les deux soient équivalents. C'est la pensée dominante jusqu'à Einstein.
- Saint Augustin pose une réflexion sur l'irréversibilité, qui est, selon lui, un grand problème théologique: comment concilier omnipotence divine et irréversibilité du temps? On ne peut pas revenir sur ce qui a été. En ce sens cela limite la toute puissance de Dieu.
- Le temps moderne voit sa conception s'élaborer à partir des pensées d'Aristote au XVIIe siècle par Gassendi, un Italien, et Newton. Pour eux le temps est un des axes de l'entendement du monde physique. Pour Newton, le temps est à la fois une sorte de magnitude uniforme et homogène, réversible, mesurable, et d'autre part une entité, voire même une réalité au sein de laquelle d'autres réalités physiques s'inscrivent, bref une conception du « temps absolu ». Sa vision domine jusqu'aux travaux d'Einstein au XX e siècle. Newton écrit ainsi, dans un commentaire à son œuvre: « le temps absolu, vrai et mathématique en soi est, par nature, sans relation à rien qui fut externe, est un flux homogène et qu'on appelle autrement durée. Le temps relatif, le temps apparent, du sens commun est une mesure sensible et externe de la durée (=temps absolu) par le mouvement. C'est cette notion du temps relatif qui est confondue par le vulgaire avec le temps absolu ». De cette notion du temps relatif découlent les mesures que l'on en fait: jours, heures, secondes... Cette conception du temps et notamment absolu est issue des réflexions d'Aristote et de Ptolémée, en lien donc avec l'astronomie. Ceux-ci sont tellement limpides dans leur explication, liée à une intuition (rien n'est prouvé) que celle-ci s'impose jusqu'à Einstein et même après. On pourrait parler de notion de « temps réceptacle », une sorte de contenant au sein duquel d'autres réalités physiques vont se caler.
- Cette conception est mise en cause par les physiciens de la fin du XIXe siècle-début XX e siècle, que sont Mach et Einstein. Ce que l'on peut en retirer c'est que temps n'est pas ce flux au sein duquel s'immergent les autres réalités physiques de l'univers. Il n'existe pas de temps absolu. Il n'est pas externe aux phénomènes physiques. À l'inverse, les phénomènes physiques prouvent son existence. Ceci revient à dire que le changement démontre le temps. Le temps astronomique de Newton rend nécessaire l'uniformité des mouvements qui, de fait, n'existe pas. Le temps n'est pas la toile de fond où se déroulent les choses, c'est une dimension des choses. Avoir posé ceci ne résout pas vraiment la question. Mach et Einstein ont ainsi introduit la dimension du temps, étroitement reliée avec les autres. C'est ainsi qu'on ne peut le concevoir indépendamment de l'espace.
L'irréversibilité amène la question de la flèche du temps, posée dans l'ouvrage de SJ. Gould, La flèche du temps, mythes et métaphores sur la découverte du temps géologique. L'idée qu'il existe un sens au temps est développée par Ilya Prigogine, qui décrit des principes de thermodynamique dans lequel il démontre une tendance à l'inertie des systèmes. Il conclut à l’irréversibilité du temps en considérant que l’univers a une histoire.
Le temps a été relativement peu pensé pas les historiens qui ont surtout laissé le travail aux philosophes. Ceux qui l'ont fait, comme A. Toynbee (historien britannique), en ont une vision cyclique. La grande avancée qui permet de rompre la dichotomie préexistante entre une vision téléologique (flèche uniforme) et cyclique, est la publication en 1958 d'un article de Fernand Braudel dans les Annales, dans lequel il définit trois temporalités:
- la longue durée: un temps presque immobile, celui des temps géographiques, des paysages (désert, immobile à l’échelle historique). Il s'en sert (comme dans un dialogue avec Levi-Strauss) pour l'étude des structures familiales, par exemple, qui sont mesurables en siècles, voire en millénaire. C'est le temps de la démographie, de l'anthropologie.
- La moyenne durée: c'est le temps de l'économique.
- Le temps court de l'évènementiel: Braudel se plait à l'appliquer au politique mais peut être présent dans l'économique ou le social.
Cette vision représente un bon en avant pour penser les phénomènes historiques quels qu'ils soient. Depuis, la réflexion sur le temps a été marquée par les travaux de Reinard Koselleck (historien allemand). Il publie en 1990, Le futur passé. Contribution à une sémantique des temps historiques. La chronologie calcule selon les lois de la physique et de l’astronomie, mais n’est pas dans la condition naturelle du temps qui s’accomplit, le temps de l’histoire. Le temps de l’histoire n’a pas d’unité parce qu’il est articulé à de multiples combinaisons d’actions sociales et politiques. Dans une situation concrète, les expériences du passé se sont transformées avec le temps et, selon les expectatives, espérances, anticipations leur forme peut être différente lorsqu'elles réapparaissent. L’idée de la temporalité historique se tourne dans l’analyse vers 3 modes de temporalité dans une relation entre passé et futur qui cristallise dans le présent. Le mouvement historique prend place entre l’attente et l’expérience, entre les catégories que l’auteur définit comme « horizon d’attente » et champ d’expérience. Le temps de l’histoire est cumulatif mais la tentation de saisir l’histoire dans sa totalité ne peut se comprendre que dans cette tension vers le futur, vers ces horizons d’attente. C’est une réflexion très importante menée par un historien, chez lequel on sent l’influence de la philosophie (Heidegger, l’herméneutique allemande). L’histoire est d’ailleurs traditionnellement associée à la philosophie en Allemagne, tandis qu’elle l’est à la géographie en France. Koselleck est un auteur important, un de ceux dont le travail a le plus marqué la discipline historique. François Hartog a aussi travaillé sur le temps. En 2003, il a théorisé la notion de « régime d'historicité » (Régimes d'historicité - Présentisme et expériences du temps). Dans une société donnée, un régime d’historicité est la manière d’articuler le passé, le présent et l’avenir.
II)L'objet théorique de l'histoire
les contours de l'objet de l'histoire science.
C'est ce que recherche l'historien, c'est une question très discutée et qui demeure. Elle pose la question de qui fait l'histoire les individus, ou le collectif.
Que doit-on alors retenir et raconter de la masse qui est accessible? Cela dépend de la définition donnée à l'objet de l'histoire science.
Discuter l'objet de l'histoire ce n'est pas une discussion sur le sens de l'Histoire, ni même une discussion de type éthique.
La connaissance historique de l'histoire n'est pas un instrument de normes, de justice, cela ne doit pas servir à établir un modèle de société.
Rendre compte du processus socio-temporel est un protocole très rigoureux et qui se révèle à travers la recherche et dans la mise en récit. Même si l'on peut inférer qu'il y a un objet de l'Histoire, il a plusieurs facettes. Nous allons examiner ça à partir du présupposé que toute connaissance historique, sens commun ou scientifique, part d'une réalité empirique. On peut alors introduire l'idée de champ de connaissance qui se réfère à un ensemble d'expériences observables appartenant à une réalité extérieure et sur lequel s'exerce une observation de phénomènes déterminés. Un champ peut se définir par un ensemble défini de faits qui constitue la base empirique d'une connaissance.
La recherche du social-historique selon cette détermination s'opère sur une portion du réel mais quelle portion?
L'histoire ne peut travailler sur des sociétés humaines concrètes, réelles, existantes ou qui ont existé. C'est en ce sens que son champ est inséré dans un ensemble de disciplines, les sciences sociales: c'est une affirmation importante si l'on considère que l'Histoire est une science sociale et précisément face à ceux qui pensent le contraire. Il est nécessaire de montrer que le champ de l'Histoire n'est pas différent de celui des autres sciences sociales. Tout ce qui est parti du phénomène humain est objet d'histoire. C'est sur cet objet du phénomène humain qu'il y a structuration de la discipline.
Ce n'est pas tant le champ qui distingue la discipline que son objet:
- => Tout type de connaissance n'aspirent pas à savoir les mêmes choses sur les phénomènes observés.
C'est le même champ mais l'objet est différent selon la discipline. (Philosophie, économie, sociologie). L'homme peut être entendu comme un corps physique, chimique, comme être vivant, social, animal rationnel etc..
- =>On observe la même chose mais on ne veut pas en savoir les mêmes choses
C'est ça l'objet, c'est en fonction de cet objet que sont élaborées des méthodes distinguant les disciplines, même si les pratiques méthodologiques sont parfois communes. L'historien manipule et analyse des réalités dont l'essence est sociale et qui sont en même temps dotées d'une extraordinaire hétérogénéité. Le pourquoi de l'historien: => être un scientifique du social, ou le traitement des singularités et d'individus est l'objet même. Il se trouve confronté à des réalités démographiques, politiques, sociales, culturelles; aucun de ces domaines ne lui est étranger.
Le problème de l'histoire science c'est qu'elle ne peut limiter son champ à un seul secteur de l'activité humaine et l'historien lui même ne peut tout embrasser dans le même temps.
L'objet de l'histoire est différent de l'objet des autres sciences sociales de façon beaucoup plus problématique puisque l'historique est l'attribution, un conditionnement de l'activité humaine (et à la fois son produit). La dimension historique de l'homme implique à chaque moment de la réalité observée l'existence de traces, de résidus des moments antérieurs. Elle implique la présence dans l'expérience de l'homme individuel des réalités auxquelles on peut attribuer des temps divers, de passé toujours présent chez chacun. (Cf. réflexion de Carlo Ginsburg l'italien).
Cette relation au temps démontre des particularités de l'objet historique souvent donné comme majeur, comme La particularité qui définit, l'objet historique est temporel. L'axe consubstantiel de ce que l'historien poursuit c'est bien le comportement dans le temps des faits sociaux des activités humaines, personnelles ou collectives ainsi que le résultats de ces actions.
- =>Le contenu de l'Histoire fait apparaître une extraordinaire présence du passé.
Dans le même temps, le problème fondamental de l'objet historique c'est qu'il se réfère à des réalités qui ne sont plus, vécues dans les temps antérieurs. C'est pourquoi dans la grande majorité des cas l'objet de l'histoire science n'est pas directement observable et doit être analysé à partir des traces qui ont perduré. Il ne faut pas non plus oublier que d'autres aspects du réel passé ont disparu et que d'autres sciences étudient le présent. Par ailleurs quand il y a un passé, il est souvent instrumentalisé au service du présent.
- => L'historiographie s'est emparée de périodes de plus en plus récentes, de passé de moins en moins lointain; l'exemple même en est l'Histoire du Temps Présent qui intègre une dimension du passé dans les phénomènes observés.
Se pose alors la question de la distinction, comment a-t-on conceptualisé ce qu'est l'historique à travers la notion contestable du «fait historique»?
L'historien travaille avec tout ce qui reste (traces...) et qui valide la proposition que l'action de l'homme se développe dans le temps et qu'elle est sujette à des mutations. Cependant il ne peut se limiter à transcrire sans plus s'interroger sur ce que disent les documents. Il doit alors les expliquer. Une nouvelle interrogation voit alors le jour:
Comment convertir la transcription en analyse? Comment exprime-t-il ce qu'il y a, ce qu'il se passe à travers ce qu'il appelle une histoire?
Pourtant, Ranke prétendait que l'histoire de la papauté était contenue dans les documents qu'il avait manipulé. Cette idée qui fonde l'histoire comme discipline autonome, à la dégager des serres de la philosophie, a été fort puissante au XIX°. C'est celle que l'on retrouve dans le manuel de Seignobos et de Langlois ou l'histoire scientifique est basée sur des faits bruts qui sont ensuite élaborés. C'est l'histoire positiviste avec une considération absolue des faits. C'est contre cette histoire, cette «religion» du fait que s'était élevé Lucien Febvre dans les Anales. Qu'est ce qu'il y a derrière le mot «fait». «Vous pensez que les faits sont donnés dans l'histoire comme des réalités substantives que le temps aurait enterré et qu'il suffirait de les déterrer de la couche du temps pour les trouver tout fait». Déjà en 1930, L.Febvre mettait en garde contre cette hypothèse des faits. Pourtant, 40 ans plus tard, E.Karr (What's history) revient à la charge sur ce qu'est un fait historique. Il apporte son idée selon laquelle les faits de l'histoire ne nous arrivent jamais purs et qu'ils ne ressemblent en aucune manière à l'étal d'une poissonnerie. C'est A.I Marrou dans, De la connaissance historique, qui affirme: «Il n'y a rien qui ne nous paraisse aussi peu clair que la notion de fait en matière d'histoire». C'est à la fin du XIX° avec Von Ranke et ceux qui suivent que la notion de «fait» devient centrale dans la constitution de la science en discipline autonome. Il y a la une sorte de parallèle avec la branche de la philosophie politique qui s'est détachée pour devenir la sociologie et avec ce qu'est en train d'établir E.Durkheim, père de la sociologie scientifique. Durkheim est un contemporain de Seignobos. Son texte a impressionné avec ses règles de la méthode sociologique élaborant la notion de fait social, empirique, de fait, comme une chose donnée. Selon lui, les faits sociaux «sont un ordre de faits qui présentent des caractères particuliers, des notions de faire, de sentir extérieures à l'individu doté de pouvoirs de coercition qui s'intègrent à lui». Cette extériorité donne l'objectivité à laquelle les historiens vont être très liés attentifs en élaborant leurs propres faits historiques extérieur. => Deux ans après la première parution de l'Année sociologique, quatre ans après le livre de la méthode, Seignobos et Langlois font paraître le leur. Livre dans lequel ils s'efforcent de caractériser le fait, le sens de leur analyse. Il faut trouver un «type de faits, il n'y a pas de faits historiques comme il y a des faits chimiques, le même fait est ou n'est pas historique selon la manière dont on a connaissance. Il y a des modes historiques d'accès à la connaissance. Le caractère historique n'est pas tellement dans les faits mais dans la manière de les connaître». Cet exposé est puissant dans l'analyse et d'une grande prudence. Il n'y a pas de faits historiques sinon dans la manière de connaître le fait en question. Febvre aurait pu être d'accord avec cette dernière phrase seulement les faits humains sont tous historiques. Il n'y a pas de fait historique au sens strict, ni scientifique, sinon des connaissances historiques.
Cependant, dans le même ouvrage, Langlois et Seignobos oublient ce qu'ils ont posé comme principes théoriques au début de l'ouvrage que l'on a vu précédemment. En effet, alors qu'ils ont exposé durant les premières pages qu'il y a seulement des manières historiques de connaissances et pas de faits directement, ils emploient peu après l'expression «faits historiques».
Pourquoi cet emploi outre le fait de poser l'histoire science face à la sociologie naissante?
C'est une facilité, une sorte d'abdication théorique face à ce qui paraît être du sens commun. Même si cette notion de fait historique est contestable elle a continué a être employée dans leur livre et même au XX°. Extérieurs à la discipline, des philosophes ont entrepris de combattre la discipline à travers l'emploi étourdi de la notion comme Popper. Notion non abandonnée de nos jours. A partir de l'affirmation acceptable qu'un fait ne peut être qualifier d'historique qu'en fonction de sa position on en a trop souvent tirer des conséquences:une position historique est liée uniquement à la lecture chronologique du passé.
Par ce que le fait historique n'a pas de nature propre finit par désigner un événement et le simple changement.
En somme, il n'y a pas de possibilité pour une théorie de l'histoire rigoureuse sans que l'on revienne sur les conditions de la description et sur la réflexion sur le passage de la description à l'explication.
III) Les instruments de l'analyse historique
Ce sont les principes formels de l'analyse historique qui jouent comme une boussole, une condition nécessaire à la connaissance de type historique, même si elle n'est pas suffisante. Il y a la un paradoxe car, tandis que la méthode scientifique garantit la connaissance on n'est jamais sur d'atteindre la connaissance entière et pleine.
A) La méthode scientifique sociale et l'histoire
Il y a une méthode scientifique, un processus pour obtenir la connaissance avec des étapes qui assurent que ce que l'on prétend connaître sera expliqué. Proposer une affirmation démontrable, cela peut être une connaissance scientifique à partir du moment ou l'on définit clairement une problématique, que l'on propose des hypothèses, que l'on analyse les réalités.
Les questions les plus débattues en science sociale sont de savoir si la méthodologie serait un ensemble de règles établies, si la méthodologie appartient à un ensemble de règles. C'est un point de vue défendu par beaucoup, se heurtant à une constatation empirique alors que bien souvent «les grandes découvertes ont été réalisées lorsque précisément on s'était affranchi des règles». La méthode historique a été définie après le XIX° comme l'art d'apprendre à découvrir et à analyser les procédés logiques ou se fonde implicitement la recherche et à ce compte, la méthodologie est un ensemble de règles, de procédures (différentes des règles de travail).
La question qui se pose alors est de savoir jusqu'à quel point le problème et les résultats que l'on apporte ne sont pas biaisés par la subjectivité qu'il connaît, par ses préjugés, ses intérêts. D'où l'importance de connaître beaucoup de règles pour pouvoir s'en affranchir.
Le sujet observant modifie l'objet observé, tout dépend du lieu au moment même du processus scientifique, supposons que le sujet scientifique ne soit pas inscrit quelque part, ce qui ne veut pas dire que l'observant va travailler selon le point de vue de son collectif.
Il y a en plus des intérêts matériels; un scientifique a besoin de se loger, de se vêtir etc... Cependant de nos jours il y a certains biais comme le fait que de nos jours les recherches soient commandées. Ces biais tendent à être de plus en plus nombreux.
Au sein de la méthode scientifique, on trouve une partition entre deux options méthodologiques:
- la procédure déductive
- la procédure inductive
Méthode inductive: elle part de l'existence des faits, de réalités présentant des homologies, des traits communs suffisamment nombreux pour que l'on puisse établir des relations que l'on peut observer dans le temps et qui peuvent être définies. D'une manière approximative, on peut dire que la méthode déductive va des cas à la loi générale. Le pas crucial de l'explication des phénomènes par cette méthode c'est le moment ou l'on présuppose une universalité à partir de caractères particuliers. Méthode qui est proposée et soutenue par certains philosophes et logiciens praticiens de la recherche comme John Stuart Mill au XIX°. Elle est aussi implicitement la méthode des historiens.
Méthode déductive ou hypothético-déductive: elle part du principe que la multiplication des occurrences d'un phénomène ne peut à chaque fois prévoir la généralisation des relations qui apparaît entre ces occurrences. Ce n'est pas parce qu'elles sont répétées que l'on peut généraliser. Elle ne part pas de l'observation et de la collation des faits mais part de la prédiction hypothétique qu'il existe des relations déterminées qui doivent être testées et vérifiées. On dit que cette méthode par du général vers le particulier. Elle est très approximative et très peu satisfaisante. Partir du général vers le particulier c'est assez contestable. Ce qui est cœur de cette méthode c'est de prétendre arriver à des explications de phénomènes qui sont conçus comme des lois générales appelées parfois les «covering laws».
C'est l'école dite du positivisme logique d'Hempel qui a établi au milieu du XX° les principes de cette méthode hypothético-déductive. Le fait qu'une hypothèse soit appuyée par un fait certain ne prouve pas sa véracité mais qu'elle soit simplement démentie par un fait prouve sa fausseté.
C'est là qu'apparaît le nom de Popper qui a monté une thèse sur «la falcificabilité». Si une seule explication déduite est fausse alors toute l'explication est fausse. Popper a utilisé ça contre le marxisme. Si les prémices d'une argumentation ne sont pas vraies, la conclusion est indéfectiblement fausse. Cependant, que les prémices soient vraies ne permet pas de déduire que la conclusion soit vraie. Une conclusion peut donc être fausse avec des prémices vraies.
En somme, on peut en déduire que la manière de tester une hypothèse n'est pas simple. Les simplifications des tests d'hypothèses ont un caractère conditionnel. Elles ne sont valables que selon certaines conditions et si dans certaines disciplines on peut reproduire les conditions, il est évident qu'en science sociale c'est beaucoup plus difficile.
En science sociale il y a tout un certain nombre de paramètres, de difficultés ontologiques:
- l'intentionnalité du comportement humain. Il a des caractères particuliers qui vont au delà de sa nature non humaine et qui ont la capacité de réfléchir sur eux mêmes.
- L'historicité des phénomènes sociaux qui empêche que l'on puisse parler d'une redondance des phénomènes. Leur immersion dans la temporalité fait que l'expérience humaine est cumulative.
- La complexité des phénomènes sociaux en fonction du degré élevé de variables qui interviennent dans chaque phénomènes observés. Il y a une réelle opacité des influences entretenue par ces variables entre elles.
Les phénomènes sociaux sont difficilement compréhensibles si l'on réduite le nombre de variables. Comme font les économistes standards de réduire à un nombre limité de variables (jamais beaucoup), d'où un raisonnement hypothético-déductif passant le test de Popper mais en mettant toujours «toutes choses parallèles». Pour eux il y a une limitation des difficultés ontologiques puisqu'ils ne sont concernés ni par le temps ni par l'espace. Ce qui simplifie le raisonnement. Les historiens ne peuvent agir comme ça, ils ne peuvent pas ne pas prendre en compte le temps et l'espace, de fait ils pratiquent la méthode inductive. La nature de la méthode historique, l'histoire science a reçu et emprunté à d'autres disciplines:
la quantification, l'analyse des codes scientifiques, la création symbolique, l'analyse fine des phénomènes de pouvoir, autant de démarches prises à la science politique, la sociologie, la théorie littéraire mais cet emprunt ne peut pas être appliqué tout casqué en important la méthode de telle ou telle science. Il faut l'intégrer à une méthode spécifique, adaptée à l'étude de l'histoire. L'historien se trouve confronté à un certain nombre de problèmes qui lui sont propres.
Parmi ces problèmes, il y a ceux qui appartiennent au domaine générique. On a souvent dit qu'une des difficultés principale à la scientificité de l'histoire c'était que l'histoire se composait de processus uniques, non répétitifs, de phénomènes singuliers. Certains disent que là ou il n'y a pas de régularité il ne saurait y avoir de scientifique. On a dit que l'historique ne pouvait être observé directement et que donc on ne pouvait pas parler de science. En définitive on ne peut pas expérimenter l'historique. On ne peut pas faire d'étude empirique du réel lorsque ce réel est un réel passé.
Il est très difficile de mettre dans des cadres théoriques à valeur universelle le comportement temporel de l'homme. Ces difficultés sont réelles, insurmontables en tant que tel. On ne peut pas obtenir une observation directe de notre objet sauf dans le cadre de l'histoire immédiate. Cependant toutes ces difficultés tiennent précisément au propre de l'humain. Chaque individu est singulier, inscrit dans sa temporalité. Ce sont des difficultés d'ordre intrinsèque.
Il y a une autre difficulté qui tient au fait que l'on considère que l'histoire discours est une sorte de connaissance «sui generis». Or la connaissance historique est une forme de connaissance qui ne peut être insérée dans la philosophie. C'est une forme de connaissance à part. C'est cette connaissance historique , nature propre de la connaissance historique, qui a été développée par Croce, conception retrouvée chez Ricoeur. C'est l'idée que la connaissance historique est une manière particulière de connaissance. C'est une façon de dire que la connaissance historique doit davantage à l'intuition qu'à la science. C'est un point de vue digne de considération mais qui n'est pas le notre. En fait ce que la méthode historique a de générique, de coïncident, au moins au niveau élémentaire avec la méthode des sciences sociales c'est qu'elle aspire à la captation des sociétés, des systèmes. L'évènement science est une manifestation de structure.
Ce n'est pas seulement la science du comportement humain mais une science qui a pour objectif d'appréhender l'évolution, la destruction des structures au delà de l'intention de l'action humaine.
La méthode historique a néanmoins des aspects spécifiques; le temps, le changement, c'est le conditionnement essentiel de la recherche historique.
Pour pouvoir parler de régularité, l'histoire devrait procéder à l'établissement de typologies claires et fines des «faits historiques» en raison même de la non spécificité historique des faits. La description, qu'elle soit un récit ou pas, elle occupe dans la méthode historique une très grande place, essentiellement dans l'analyse. Là est le danger. La description participant du processus même d'analyse; le danger c'est que le résultat du travail s'en tienne à une simple description expliquant peu. L'objectif a par définition la temporalité dans le contexte général de la recherche sur le social, particularité spécifique de l'historique. On ne peut pas en faire abstraction. La variable temps est nécessaire. L'histoire science a pour projet d'exprimer l'historicité à travers les évènements.
Si l'on considère que l'historique est le résultat des phénomènes sociaux dans le temps, le matériel empirique c'est les restes de ce cours du temps. C'est dans une proportion importante mais pas de manière absolue. Les documents historiques appartiennent en général à cette catégorie de choses. Dans la recherche historique le document a valeur d'indice et c'est l'observation d'un phénomène large qui est la source d'information par excellence. Il y a un autre aspect, une orientation essentielle, comparative au moins implicitement. Elle a deux sens. La comparaison entre des processus simultanés qui se produisent dans des environnements différents ou la comparaison successive antérieure et postérieure. Cette inclinaison comparative, même si ce n'est pas bien formulé explicitement, est un attribut de l'historien. 5Ex: si l'on parle d'Ancien Régime, c'est qu'on le compare de fait à un nouveau). => la comparaison tient une place vraiment spéciale dans l'Histoire.
B) Processus méthodologique de la construction historique
C'est le projet même de la recherche et ce qui est une des caractéristiques faibles, non scientifique, mais empirique. Il faut qu'une recherche historique soit planifiée en tout ses points avant qu'elle soit entreprise. Cependant, parfois, la recherche amène le chercheur sur des terrains non prévus. C'est pour cela qu'un des reproches adressés aux historiens c'est de ne pas annoncer d'emblée avec rigueur ce qu'il propose de faire en donnant le cadrage chronologique, méthodologique, empirique entrepris.
Cela tient à la forme de travail historique elle même, à l'héritage disciplinaire emprunté d'une forte dose de pragmatisme, à la disponibilité d'esprit, donc théorique et scientifique dont l'historien peut faire preuve peut être davantage qu'un autre parmi les sciences sociales. L'historiographie traditionnelle considère que la description, le récit des faits tels qu'ils se sont passés a valu comme explication. Beaucoup pensent que le simple récit des faits vaut causalité. Une causalité implicite donnée par le récit. (des causalités qui font du fait antérieur la cause des faits postérieurs). = Toute cette production +/- assimilée à l'Histoire par les visiteurs et les libraires est presque majoritaire sur les étals.
La construction du récit, l'établissement des faits dans une trame chronologique séquentielle n'a pas de logique en soi, ça ne coule pas de source mais c'est construit. Les faits ne parlent pas d'eux mêmes. On peut les juxtaposer faisant mine de ne pas les construire, mais non, ils doivent être construits.
Sans tomber dans le relativisme de la thèse de Paul Veyne, établissant qu'il n'y a que de l'histoire récit (comme l'affirme l'école linguistique), il pousse le raisonnement jusqu'au bout. L'histoire n'est que du récit, c'est un exercice littéraire.Or Il est évident qu'à chaque fois que l'on travaille sur les matériaux on le construit.
Le point de départ d'une recherche historique peut se trouver dans divers types de motivations. Il n'y a pas de texte (ou peu) dans lequel on puisse dire à l'apprenti historien comment dessiner le processus d'investigation en une seule fois parce que c'est le processus lui même qui influe sur le problème historique à résoudre. La recherche historique surgit des traces.
D'autres sources surgissent, liées au processus d'insatisfaction face à la connaissance disponible. Cela correspond à un état social, ce ne sont plus les mêmes questions. Plus de thèmes de recherche sont alors inspirés, souvent commandés par des donneurs d'ordre publics ou privés, état social, politique qui a un moment lance une recherche: comme on peu le voir en ce moment sur le développement durable.
Une discipline comme l'histoire a comme caractéristiques de distinguer l'exposé nominatif des connaissances (synthèses, manuels) et l'apparition des recherches nouvelles qui peuvent (ou pas) se révéler décisives pour la connaissance de l'objet en question, ou pour la méthodologie.