Cours complet M1 TC Agostino 2005-2006

De Univ-Bordeaux

Notion d’histoire contemporaine

  • En France, l’histoire contemporaine tourne autour de la Révolution. Cette notion de Révolution est née de la réflexion des contemporains sur la Révolution. Le contemporain est celui qui vit avec, qui conditionne notre vie. Selon B. Croche (philosophe italien), « toute histoire est contemporaine ». L’historien est un homme de son temps qui a une vision imprégnée de ce qu’il vit.
  • On peut se demander si les césures chronologiques sont valables, si elles ne sont pas arbitraires ?
    • 476 marque la fin de l’Antiquité avec la chute de l’Empire Romain (prise de Rome par les Barbares).
    • 1453 marque la fin du Moyen Age avec la chute de Constantinople. Mais il y a débat sur la question. Certains optent pour 1492 avec la découverte des Amériques.
    • La fin de l’époque moderne varie selon les pays. Pour l’Italie c’est 1860, en France c’est 1789 (mais contesté), pour les pays colonisés c’est au moment de leur décolonisation…
    • Au départ, l’histoire contemporaine était définie par le fait qu’on pouvait interroger les acteurs de la période. Mais, dans ce cas, cette période serait en constante évolution et aurait tendance à se décaler dans le futur. Il y a donc débat entre les modernistes et les contemporanéistes. Il y a débat sur la date de 1789, les modernistes voulant ce l’approprier. La question est posée de savoir si la Révolution est un évènement qui a bouleversé la France…
  • On peut se demander si il faut parler des 3 temps de Braudel : temps long, moyen et court.

En effet, c’est Braudel qui est à l’origine de cette réflexion historique. Pour autant, est-ce que la Révolution a modifié le temps long ? Non. Par contre, elle a bouleversé le temps moyen c'est-à-dire la conjoncture. La Révolution a-t-elle eu un impact sur les mentalités ? l’économie ? le social ? 1789 a longtemps été considéré comme la césure mais beaucoup d’historiens pensent que cette Révolution n’est pas suffisante pour faire le changement d’époque à cette date.


Historiographie de la Révolution française

L’histoire de la Révolution est liée à celle de la République. Les Républicains du XIXe siècle se sont fondés sur la Révolution qui est donc mère de la République. La Révolution est un champ historique prolifique.

I/ Les contemporains et les premiers historiens

  • Pour connaître les grandes étapes de la Révolution, voir Lavisse.

Les premiers historiens qui écrivent sur la Révolution ne sont pas des historiens mais des politiciens. Pour Louis Blanc (1811-1882) dans son Histoire de la Révolution Française (1847-1862), la Révolution est un sujet d’étude. Pour lui, elle a ses origines bien avant 1789. Pour la comprendre, il faut remonter loin. Il oppose Voltaire et Rousseau. Rousseau apporte la fraternité. Il est un défenseur de Robespierre. Pour Guizot qui est protestant, la Révolution est légitime. La Révolution est l’objet d’étude de tous les philosophes comme Marx. Les premiers historiens qui écrivent sont ceux qui ont été traumatisé.


1) Ceux qui sont contre la Révolution

  • Selon Edmond Burke (1730-1797), la Révolution allait bouleverser l’Europe entière. Dès 1790, il est un des premiers à écrire sur la Révolution : Réflexion sur la Révolution Française. Il avait prévu les conséquences. Cet Anglais défend les anciennes doctrines : il refuse la Révolution. Ce violent pamphlet a été complété (1794-1799) mais a été fortement critiqué par Augustin de Barruel.
  • Augustin de Barruel (1741-1820), jésuite, va donner un sens précis de la Révolution. En 1788, il est directeur d’un journal : Journal ecclésiastique. Entre 1762 et 1774, il est expulsé puis rentre en étant simple prêtre. Barruel est un observateur, il prend des notes jusqu’en 1792 puis s’expatrie à Londres. Pour lui, la Révolution naît de la conspiration contre l’Eglise comme les francs maçons et tous les illuminés (jansénistes…). Sa thèse a eu énormément de succès.

Ces deux contemporains ont une vision négative de la Révolution. Ils ont donné naissance à l’historiographie contre-révolutionnaire comme de Maistre ou Bonald. Pour eux, la Révolution est un moment unique dans l’histoire de France et d’Europe.


2) Ceux qui ont aimé la Révolution

  • De juillet 1794 à novembre 1799, c’est la période Thermidorienne et le Directoire. On va tenter de montrer à quoi a servi la Révolution.
  • Condorcet parle de « progrès » et de « liberté ». Pour lui, le progrès et la liberté sont les leçons à retirer de la Révolution. L’idée des Lumières doit se propager.
  • Philippe Buchez (1796-1865) est un chrétien socialiste qui a écrit un ouvrage sur l’Histoire parlementaire de la Révolution Française (1833-1838) en 50 volumes avec la complicité de Roux. Ce catholique croît en la Révolution pensant qu’elle a apporté quelque chose à la France. Il voulait montrer que la Révolution est la fille du christianisme à savoir : « liberté, égalité, fraternité ». Il tente de concilier la Révolution et l’Eglise. Ceci se fera jusqu’en 1870. Puis, il faut attendre 1980 avec Jean-Paul III qui réaffirme que les droits de l’homme sont des idées de l’Eglise.


3) Les premiers historiens

  • Le relais a été pris, dans les années 1840, par deux hommes qui sont amis : Michelet et Quinet. Ce sont des historiens très engagés.
  • Jules Michelet (1798-1874) : il a préludé à la réforme de l’histoire. Il pense que l’idée de liberté mène la France et donc la Révolution Française. Née en 1798, c’est un névrotique qui soigne ses problèmes par l’histoire. Il est professeur au Collège de France où il s’attaque aux jésuites avec Quinet. Parait Histoire de la Révolution Française entre 1847 et 1853. Il a également écrit une Histoire de France. D’autres auteurs traitent de ce sujet tels que Hugo avec Quatre-vingt-treize, Les Chouans de Balzac ou Histoire des Girondins de Lamartine. Pour Michelet, la Révolution Française s’arrête au 9 thermidor 1794 quand Robespierre est abattu. Il considère qu’après, la Révolution est terminée. Le summum de la Révolution est la Fête de la Fédération sur le Champs de Mars (14/07/1790). Il réprouve la Terreur qui correspond, selon lui, à une machine oligarchique du gouvernement où le comité de Salut public s’est érigé en gouvernement du peuple sans le vote du peuple. Pour lui, Robespierre a détourné la Révolution Française en instaurant la fête de l’Etre Suprême en juin 1794 (car Robespierre ne supportait pas l’athéisme de ses partenaires). Michelet considère ça comme un dérapage. Cette politique religieuse vient rajouter du grotesque à la dictature.
  • Edgar Quinet (1803-1875), continuateur de Michelet, succède à sa chaire au Collège de France et poursuit son combat contre les jésuites. C’est un des pères fondateurs de la laïcité. En 1845 parait Le christianisme et la Révolution Française. En 1865 parait la Révolution Française. Selon lui, la Révolution Française a manqué son œuvre religieuse alors qu’il est anti-catholique. Pour lui, « le christianisme est le fondateur de l’individu moderne » mais le catholicisme mène à la monarchie absolue. Il oppose la Révolution Anglaise à la Révolution Française. Pour lui, 1789 est une rupture radicale qui n’a pas su aller assez loin. En Angleterre, la révolution religieuse a précédé la révolution politique cela ne fut pas le cas en France où il n’y a pas eu de réforme religieuse. Cette révolution a voulu donner un message religieux mais c’est un échec. Il dit qu’il existe beaucoup de citoyens sans religions mais on peut donc se demander si cela suffit à expliquer la guerre des deux France. Quinet dénonce la Terreur comme un régime politique qui a voulu devenir un régime religieux. Pour lui, il fallait laisser la religion dans la sphère privée.

II/ La révolution à l’université

  • A partir du XIXe siècle, l’histoire est au cœur de la restauration du système universitaire. La Révolution va entrer dans le champ universitaire avec des débats violents. L’histoire devient une discipline positive, d’enseignement de masse, ce qui va contribuer à former les élites. Après 1870, le problème de l’enseignement de la Révolution s’est posé. En 1886, la ville de Paris créait une chaire municipale celle d’histoire de la Révolution Française, cela montre la volonté de célébrer cet événement.
  • Alphonse Aulard (1849-1928) est le premier titulaire de cette chaire à partir de 1891. Il a fait des études sur la révolution, il anime la société d’histoire de la révolution et une revue la Révolution Française. Il publie une histoire politique de la Révolution Française (1901). Il est le réel patron des études révolutionnaires. Il a pour but d’étendre la connaissance des faits au niveau scientifique. Il défend la Terreur. Pour lui, la période de la Constituante et de la Législative est une période trouble, il mesure la révolution à la Terreur. Cette philosophie est dans l’air de l’époque. Il a opté pour Danton par rapport à Robespierre. Il démontre que Danton est faussement modéré puisque c’est un montagnard qui s’appuie sur les Girondins (qui eux sont décentralisateurs et humanistes), il a diffusé une philosophie dantonienne. Il y a un débat chez les historiens sur la pensée aulardienne à travers ses successeurs.
  • Albert Mathiez (1874-1932) est un socialiste intéressé par Marx. Il a écrit une histoire de la Révolution Française (1922-1924), sa thèse portait sur les clubs de Paris. Il pense que la Révolution Française est une révolution bourgeoise et non pas populaire. Suivant cette logique, les Girondins représentent la fraction bourgeoise et les montagnards la fraction populaire. Sa conception s’accentue avec la révolution d’octobre de 1917 et son adhérence au PC en 1920 (congrès de Tours). Il met en avant Robespierre comme la vraie figure de la Révolution Française. La conception de l’histoire marxiste prend la place de l’histoire patriotique et socialisante.
  • Georges Lefebvre (1874-1959) est un socialiste proche du PC, influencé par Mathiez. Il est professeur à la Sorbonne. Il fait partie de la société des Etudes Robespierristes. Il a fait une thèse sur les paysans du Nord pendant le Révolution (1924). Il donne un nouveau sens à la Révolution Française. Il veut en connaître les causes profondes. Pour cela il va étudier le phénomène de Grande Peur, de transfert de propriété et le rôle des foules urbaines pauvres. Pour lui, c’est dans les campagnes que la Révolution a trouvé son prolongement. Il publie deux livres sous la collection peuples et civilisation, la Révolution Française (1930) et Napoléon (1937).

III/ Nouveau regard sur la Révolution

  • François Furet (né en 1927) est professeur d’histoire à l’HESS. Il n’a pas fait sa thèse sur la Révolution. Il est influencé par le PC. Il s’intéresse à la Révolution Française à partir de 1965 (moment où il se retire du PC), quand il reçoit une commande de Flammarion qui lui demande de faire une histoire de la Révolution : La Révolution Française. Il collabore avec Denis Richet et parait leur ouvrage en deux volumes en 1965. Furet et Richet ont modifié le point de vue sur la Révolution. Ils ont démontré que la véritable Révolution Française s’arrête en 1792. Après ce n’est plus la révolution mais la dictature illégitime de Robespierre. Il sépare trois révolutions en 1789 : celle des avocats, celle de Paris et les journées d’automne. Le dernier chapitre porte sur le temps de la défaite (juin 1793- Juillet 1794). Pour lui, la Révolution a connu un dérapage : le 10 août 1792 et le procès du roi a été inutile. Ses livres créaient une polémique chez les historiens notamment chez Albert Soboul et les partisans des Etudes Robespierristes. Il fait partie de la Nouvelle Histoire. Furet est sollicité pour le bicentenaire de la Révolution Française et a laissé des œuvres comme le dictionnaire critique de la Révolution et Penser la Révolution Française (1978). Selon Furet, deux grands auteurs sont oubliés de l’historiographie révolutionnaire : Tocqueville et Auguste Cochin. Cochin a écrit la Société de pensée, pour lui la révolution repose sur un discours imaginaire qui prend le pouvoir et coupe des têtes, s’arrête le 9 thermidor. Alors que Tocqueville débute la Révolution le 9 thermidor avec la création de l’état moderne

Deux autres historiens portent un nouveau regard sur la Révolution : Denis Richet (vu plus haut) et Mona Ozouf qui dans son livre, le Procès du roi, la nation a tué le père.


Texte à la mémoire de Robespierre de Lefebvre

Erreur lors de la création de la miniature : Impossible d'enregistrer la vignette sur la destination
Erreur lors de la création de la miniature : Impossible d'enregistrer la vignette sur la destination
  • Dans ce texte tiré d’une de ces conférences, G. Lefebvre donne le fond de sa pensée, il est très robespierriste mais dans ce texte il est très historien. Ce texte se place à la fin de la période universitaire très à gauche de la Révolution.
  • L 1 : « Robespierre est le plus éminent des premiers chefs de la démocratie » Il n’est pas éminent mais significatif c’est le symbole de la Révolution.

Il pose la question de pourquoi on devient révolutionnaire ? Lefebvre fait un portrait phycologique comme un homme issue de la paysannerie mais qui refuse le système monarchique. On peut se demander s’il ne plaque pas des idées préconçues.

  • L 9 à L 11 : Robespierre est allé au collège Louis le Grand, il appartient à l’ordre des oratoriens. Ce collège est le nid de naissance des révolutionnaires. De plus Robespierre a eu une bourse comme Napoléon. C’est le destin de gens qui ne sont pas aristocrates mais qui par leur culture ont pu contester le système.

Selon Lefebvre, il doit son éminence par son admiration à Rousseau. Phrase absurde.
Il fait un regard idéologique sur la petite bourgeoisie révolutionnaire.

  • L 40 : Vision idéaliste avec base de la république avec l’égalité des chances.
  • L 41 à 44 : un des passages le plus important. Il fait un hommage à Robespierre pour son action pendant les Etats Généraux. Robespierre y réclame la libération des opprimés c'est-à-dire les juifs, les comédiens et les hommes de couleur des colonies. Robespierre applique le principe de la démocratie politique, les juifs sont émancipés dès 1790. L’esclavage est abolit dès février 1794. Pas beaucoup d’hommes politiques s’intéressent aux hommes de couleur à l’époque. Il est l’avocat du suffrage universel contre le régime censitaire adopté par la Constitution. C’est une notion pas évidente car les auteurs du XVIIIe sont plus tôt élitistes et non partisans du pouvoir donné au peuple. Il est donc favorable à l’égalité des races, des métiers, des religions.
  • Fin du texte sur la propriété L 45 à la fin. La propriété est à l’origine de l’inégalité mais Robespierre ne s’y est pas attaqué, c’est surtout un homme politique. Robespierre a l’objectif premier de terminer la Révolution Française pour que le Tiers-état ait le pouvoir. Lefebvre dit que Robespierre a bouleversé l’organisation de la société mais il n’a pas touché aux structures économiques.

Les 4 articles sur la propriété L 89 à 94 : Robespierre a condamné la loi agraire. Les premiers à avoir demandé redistribution des terres sont les Gracques (1er dans l’idéologie marxiste). L’auteur regrette que Robespierre ne l’ait pas fait comme celle d’octobre 1917 alors que toutes révolutions commencent par une révolution agraire. Robespierre n’est pas généreux. Il fait preuve d’une grande générosité au niveau politique mais il souhaitait une politique du petit artisan et de petit paysan marqué par la petite propriété. Cela correspond au régime des radicaux. On se rend compte que ce grand révolutionnaire est favorable pour une république vivable. L’auteur lui reproche de ne pas avoir fait de révolution prolétarienne.

  • Questionnement de Furet : Pourquoi la Terreur ? Alors que à la base, il y a le fondement rousseauiste où tous les hommes doivent s’aimer. La mécanique de la Révolution s’est emballée pour un intérêt suprême.