Cours complet 09-10 UE5 Bouneau

De Univ-Bordeaux
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La civilisation des réseaux électriques et le développement des réseaux de transport d’électricité en France et en Europe au XXe siècle.

Quelques remarques préliminaires :

Les dernières catastrophes ont montré l’importance de l’électricité et des réseaux dans la notion même de civilisation contemporaine. Le lien est très direct avec les enjeux du développement durable et ses trois piliers. Les évènements climatiques et les catastrophes font référence aux différents mouvements réguliers de « black out » (occultation de toute lumière pour que l’efficacité des frappes aériennes soit réduite) : ce mot signifie aujourd’hui l’effondrement du réseau électrique, la disparition de l’électricité, devenue antonyme de la civilisation. Sa place essentielle est attestée par les grandes tempêtes. Les grands incidents techniques d’effondrement du réseau électrique en 2003 aux Etats-Unis et en France ont vu le métro bloqué, une paralysie des hôpitaux. En septembre 2003, en Italie et en France, on a vu la mise en pratique de la théorie de la sauterelle : un arbre s’est abattu sur une ligne de distribution ce qui a eu pour conséquence l’effondrement du réseau électrique du fait de l’interconnexion, la Suisse ayant joué son rôle de régulation.

Les incidents techniques peuvent partir d’un évènement minime.

Les incidents nucléaires, de type Tchernobyl, ont en plus des conséquences nucléaires directes, une incidence au niveau électrique. La mise hors service d’une centrale nucléaire peut mettre à mal le réseau électrique de façon durable.


L’électricité est une ligne de vie, elle amène le progrès. Mais les mécanismes de solidarité, de mutualisation accroissent paradoxalement les risques.

I) la création des réseaux de transport d’électricité.

A) les avantages compétitifs de l’énergie électrique.

L’énergie électrique renvoie à la trilogie invention/innovation/développement (1er semestre) et aux Etats-Unis (L3). On a là le leading sector de la seconde révolution industrielle. Dans ce domaine deux pays jouent un rôle clé :

  • Etats-Unis : General Electric (existe toujours) et Westinghouse (a fondé son développement sur le courant alternatif grâce à un grand ingénieur : Tesla).
  • Allemagne : Siemens et AEG.


Ce sont les deux pays majeurs, leaders de la diffusion de l’énergie électrique comme un système.

L’électricité comme système joue un rôle déterminant dans la puissance économique et industrielle des civilisations américaine et allemande (chaise électrique, Babitt, Siemens Stadt).

Il y a un rayonnement de la réputation de l’ingénieur électricien. Le meilleur exemple est le ministre de Weimar Rathenau.


Dans les années 1920, l’URSS joue un rôle important, dont le symbole est la célèbre phrase de Lénine : « le Communisme se sont les Soviets et l’électrification ». L’électrification en tant que diffusion spatiale de l’énergie électrique. La question de la confiance est centrale dans les principes d’interconnexion. L’électricité a un aspect foncièrement géopolitique, parce qu’elle est un système.


Genèse du réseau électrique proprement dit :

La question essentielle est son échelle. Immédiatement sont apparus les réseaux de distribution qui fournissent l’énergie électrique à des abonnés domestiques ou industriels dans un périmètre limité. Le réseau de distribution est d’abord urbain, puis suburbain. Le mot « centrale » vient de la conception d’Edison de fonctions centralisées par rapport à un réseau de distribution.

On peut considérer que dans le monde occidental, l’électrification est essentiellement urbaine et suburbaine jusqu’aux années 1920. Aujourd’hui, il y a une distinction entre la distribution (EDF) et le transport (RTE).

  • une échelle de distribution de portée restreinte : quelques kilomètres.
  • Une tension que l’on appelle la basse tension (inférieure à 600 000 Volts)
  • Une interconnexion limitée.


Intérêt à la hausse de la tension pour transporter plus d’électricité.

Le transport d’électricité ne devient nécessaire que lorsqu’on voit l’intérêt de la transporter au-delà de son lieu de production, en clair, lorsqu’il existe à proximité de la production très peu de consommateurs.

Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, les moyens exclusifs de produire de l’électricité étaient le charbon (énergie thermique, actuellement les réserves sont encore énormes) et l’eau avec l’hydro-électricité. En France, dans les années 1930, c’était une production équivalente entre hydroélectricité et houille blanche.

B) la dynamique spatiale des réseaux électriques : du local au national.

Le développement des réseaux s’appuie sur deux avantages majeurs par rapport à l’énergie vapeur :

  • Extrême polyvalence de l’énergie électrique. Elle est polymorphe dans sa production et sa consommation, elle d’adapte à tous les usages industriels et domestiques. Elle est infiniment divisible, transmissible. Elle est le fluide des sociétés développées.
  • Par rapport au moteur à vapeur classique, le moteur électrique a un rendement énergétique supérieur.
  • Un inconvénient : on a beau augmenter la tension il reste des pertes en ligne.


Dès les années 1890-1900, les ingénieurs et les entrepreneurs sont constamment confrontés à trois opportunités :

  • consommer l’énergie sur le lieu de production.
  • Transporter les énergies fossiles sur les lieux de consommation.
  • Faire transporter l’énergie électrique par des réseaux électriques.


L’exemple de la France, qui a été à la pointe dans le domaine des réseaux électriques va être étudié. La France a été et reste une grande pionnière. La France est considérée comme un modèle. Plusieurs étapes pour en arriver là :

1) L’âge des pionniers (1890-1929)


Rapidement, les ingénieurs se sont rendu compte de la dissociation entre zones de production/zones de consommation. La carte de l’hexagone physique et de l’hexagone urbain ne coïncident pas. Les massifs charbonniers sont situés dans le Nord-Pas-de-Calais. Par ailleurs, il y a des capacités de production électrique importantes dans les massifs hydroélectriques : Alpes, Pyrénées, Massif Central. Les potentialités hydroélectriques sont très importantes. On joue sur le volume d’eau. Il existe deux types de barrages :

  • centrales au fil de l’eau (utilisation du débit, notamment sur le Rhône et le Rhin).
  • Centrales de haute-chute, des barrages d’altitude utilisant la retenue d’eau (Artouste).


Dans les années 1890, ces pionniers se rendent compte qu’il est très rentable de développer les réseaux à partir des centrales hydroélectriques et ce jusqu’en 1914. Trois entreprises dominent :

  • Alpes : Energie électrique de la Basse Isère.
  • Pyrénées : Société Méridionale de Transport de Force (avec Joachim Estrade qui aménage de lac des Bouillouses dans la vallée de la Têt). Les Pyrénées orientales sont les premières à être électrifiées. C’est une situation paradoxale au vu des régimes hydrauliques des Pyrénées.
  • Pyrénées centrales et occidentales : la Compagnie des Chemin de Fer du Midi devient une entreprise polyvalente. Elle avait aussi la concession du Canal du Midi, elle obtient en plus la concession des lignes de force (usines de la vallée d’Ossau).

2) l’âge d’or des réseaux régionaux (entre-deux-guerres).

On passe après la Première guerre mondiale d’une échelle de transport d’électricité de 80/100 km à plus de 100 km (jusqu’à 200/250 km). A partir des années 1920, sont constitués de véritables complexes régionaux de transport, appelés aussi des groupes d’interconnexion.

En 1923, 900 km de lignes de transport d’électricité à haute tension sont construites en France. En 1945, le chiffre est passé à 12 400 km.

En outre, le secteur de l’électricité est contracyclique. Les chantiers ont continué durant la Seconde guerre mondiale. Le développement du réseau de transport est considérable, avec une tension qui augmente. En 1923, la Compagnie du Midi expérimente le 150 000 Volts à partir de Lannemezan jusqu’à Bordeaux et Toulouse. A partir de 1927, 220 000 Volts entre le Massif Central et Paris sont acheminé par une autre Compagnie de chemin de fer à la base, la Compagnie du Paris-Orléans.

Le Sud-ouest est un modèle national et international. Les installations étaient visitées par des ingénieurs américains dans les années 1920 et 1930. La Compagnie du Midi prend la tête d’un consortium regroupant huit entreprises, coordonnant l’électrification du Sud-ouest. Un modèle d’économie mixte à la française est celui de l’UPEPO : Union des Producteurs d’Electricité des Pyrénées Occidentales, fondée en 1923 par la Compagnie du Midi, dont l’objet et la raison sociale est ? Son rôle est la distribution et le transport. La zone de desserte s’élargi. Elle est nationalisée en 1946. L’UPEPO développe une boucle cohérente de Lannemezan à Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Massif Central. L’avantage de cette boucle électrique est de bénéficier de la complémentarité des usines électriques. L’interconnexion est une mutuelle contre le risque. Le Sud-ouest est un modèle imité : huit groupes régionaux d’interconnexion se sont développés partout en France à l’exclusion de la Corse et de la Bretagne.

3) La marche à l’interconnexion nationale (fin des années 1930, années 1950)

On est à la recherche d’un marché électrique national, d’une discipline nationale : péréquation des tarifs, conditions de sécurité égales. Les mécanismes et les efforts ont été triples :

  • Développement du réseau de transport : on construit des milliers de kilomètres de lignes à 220 000 Volts. L’objectif est achevé dans les années 1950 : une boucle a été créée au centre de la France à 220 000 Volts.
  • Polariser le réseau par la capitale : jusqu’aux années 1930, les réseaux électriques avaient un développement centrifuge. L’alimentation de la région parisienne se faisait par les centrales thermiques. Des années 1930, sous Vichy, à la création d’EDF, il y a une logique de centralisation différente du réseau ferroviaire. Celui-ci est centralisé dès 1842.
  • Développement d’une économie dirigée : 1938 Vichy, avril 1946 (EDF) sont les trois étapes.

C) Peurs et menaces sur le réseau électrique.

1) le caractère vital des réseaux électriques.

Pendant quelques années, l’électricité est considérée comme un luxe charmant, le symbole de la modernité, à la fois fée séduisante et sorcière maléfique. Mais pendant un court moment, elle n’est pas considérée au cœur d’un modèle économique et social. Elle est considérée sur le registre du spectacle, du spectaculaire. La Tour Eiffel n’est éclairée à l’électricité qu’en 1900 (avant elle l’était au gaz).

Le caractère vital de l’électricité comme arme syndicale date de 1907 avec la première grève générale des électriciens de Paris, dirigée par Emile Pataud, théoricien de la grève révolutionnaire. Pour obtenir le Grand Soir, il faut utiliser le black out. Paris fut plongée dans le noir pendant plusieurs jours. En 1907, les électriciens obtiennent des statuts qui existent toujours aujourd’hui en partie.

La grève de 1907 est très significative de la paralysie que l’on peut apporter à un réseau électrique. C’est sous l’action d’E. PATEAU que le statut gaziers et des électriciens a été amélioré au point de devenir un service d’élite, totalement préservé par les statuts adopté par EDF-GDF en 1946.

C’est la corporation du réseau par excellence, puisqu’on est également en présence d’un réseau social très puissant étant donné le caractère stratégique et vital du réseau électrique. Dès le début du XXe siècle, les révolutionnaires se rendent compte que les réseaux électriques sont des infrastructures stratégiques pour la conquête du pouvoir. Cet aspect a été particulièrement étudié par Lénine. On a retrouvé des textes préparatoires à la Révolution de 1917 qui planifiaient le contrôle des centrales électriques et des postes de transformation, couplé au contrôle des gares et de la presse. Ces paramètres se retrouvent pleinement dans les révolutions de 1989-1990 en Europe de l’Est : l’élément majeur est le contrôle des média (TV) mais le réseau électrique reste la ligne de vie de la civilisation moderne. Ceci est valable également en Amérique Latine. Au Chili par exemple, Pinochet intègre le contrôle du réseau électrique dans son plan de prise de pouvoir.

Les infrastructures sont ainsi protégées spécifiquement des attaques terroristes. EDF a des agents spécialisés (par exemple à Saint Denis où se trouve le plus important dispatching européen la protection est de niveau maximal ; les agents ont comme unique fonction la défense vitale du site). Jusqu’à présent aucune menace terroriste n’a abouti à toucher les infrastructures électriques, ce qui serait d’ailleurs une catastrophe totale ! Si Saint Denis était touché, il faudrait arrêter très vite les centrales nucléaires du fait du risque de catastrophe nucléaire.

Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, le spectre du black-out est omniprésent (terme britannique utilisé à partir des années 1930). Il a une triple signification : éliminer toute source de lumière dans le but de réduire l’efficacité des bombardements, c’est une mesure défensive prise par l’état major britannique contre les frappes aériennes allemandes qui a été cruciale dans la bataille d’Angleterre ; le black-out est aussi une mesure pour gérer la pénurie qui a été prise par le régime de Vichy et par les Allemands (pour eux les deux dimensions sont mêlées) ; une autre signification est celle qui a été étudiée par les Alliés pendant la Deuxième Guerre Mondiale, le black-out comme meilleur moyen de paralyser l’économie allemande. Pour ce faire il fallait paralyser le réseau électrique français, c'est-à-dire provoquer un black-out dans le sens d’un effondrement volontaire du réseau électrique par une attaque militaire. Celui-ci est recherché à partir de 1943 : les bombardements ciblent les dispatchings et les postes de transformation. Ainsi, le réseau français a été progressivement paralysé (alimentation limitée), ceci couplé à des actions de la Résistance (comme à Pessac par exemple). Les Allemands, dans leur retraite, ont fait sauter les postes de transformation. Les actions de sabotage sont plus efficaces et moins coûteuses : on a évité le bombardement des centrales hydro-électriques car reconstruire les postes de transformation et les dispatchings est plus simple.

A Paris, la « Ville Lumière », les industries du spectacle et du cinéma ont été gravement touchées pendant le deuxième conflit mondial. Par ailleurs l’éclairage public a été drastiquement réduit. Alors que 31 kilowatt ont été consommés pendant l’année 1938 à Paris, seulement 1 kilowatt est consommé en 1944. Pendant la guerre la pénurie d’électricité augmente chaque mois en intensité. L’interconnexion entre les différentes parties du territoire est définitivement coupée en 1943, ayant pour conséquence un syndrome de retour aux affres de la nuit. Le réseau électrique est cœur de la civilisation et R. Barjavel écrit Ravages en 1943, un roman de science fiction qui se déroule à Paris et débute par la disparition totale de l’électricité entrainant un chaos absolu.

L’électricité est source de chaleur, de lumière, à l’origine de la communication. L’écoute de la TSF pendant la guerre a été considérée comme le besoin électrique le plus important.

La crise de l’alimentation énergétique dure jusqu’en 1948-1949 avec des délestages qui sont régulièrement programmés.

Paradoxalement, avec la deuxième guerre mondiale, la polarisation parisienne se renforce. C’est à partir de 1938 que fut construit rue de Messine (8e arrondissement) le dispatching national. Il est l’œuvre de sociétés privées qui collaborent. C’est la première centralisation (transférée dans les années 1970 à Saint-Denis).

A partir de 1907, les électriciens ont la sensation de constituer une communauté professionnelle privilégiée, avec une grande renommée. Cet élément est particulièrement sensible en France : en 1930 Etienne Génisseur, un ingénieur des Ponts et Chaussées écrit : « la France est par excellence le pays de l’interconnexion ». Ceci est possible grâce à :

  • L’expertise française qui dispose d’une communauté professionnelle compétente.
  • le potentiel énergétique naturel et sa répartition au sein de l’hexagone. Il y a une complémentarité entre la France technique, urbaine et industrielle du Nord et la France hydraulique, plus rurale et moins industrielle donc moins consommatrice du sud (Alpes, Pyrénées, Massif Central). Ceci justifie la construction d’un grand réseau de transport de force (en région parisienne, dans le Nord Par de Calais et la Lorraine produisent de l’électricité thermiquement).
  • A cela s’ajoute les aménagements hydau-électriques du Rhône et du Rhin (ce sont en France les deux fleuves aménagés au fil de l’eau du fait de leur débit et de leurs ruptures intéressants).


La réputation internationale de la France se retrouve dans les congrès internationaux notamment celui de la CIGRE (Conférence Internationale des Grands Réseaux Electriques) créée en 1921 à Paris. Elle devient permanente en 1931et réunit des milliers d’industriels, des ingénieurs du monde entier (elle existe encore de nos jours).

On assiste au développement d’une mystique de l’interconnexion et de l’organisation. Aujourd’hui le terme d’interconnexion cumule plusieurs acceptions. A l’origine il s’agissait d’une liaison dans le cadre d’un réseau entre différentes catégories de producteurs et différentes catégories de consommateurs. C’est un mécanisme dynamique. Son support est le réseau de transport et les agents qui sont à la fois les producteurs et les consommateurs. Il existe une profonde diversité parmi les consommateurs, dans la « courbe de consommation », qui est très différente entre une consommation domestique, industrielle ou de transport d’où la mutuelle d’assurance contre le risque représentée par l’interconnexion. C’est d’ailleurs en ce sens que Lénine prononce sa célèbre phrase.

Les représentations de l’interconnexion (jusqu’aux années 1980) font preuve d’une mystique absolue. On a ainsi une séduction qui vient :

  • du flux invisible, de l’immatériel qu’elle revêt.
  • L’électricité est vue et présentée comme la modernité absolue.
  • L’électricité est le réseau parmi les réseaux : il permet le fonctionnement des transports, des médias, de l’industrie et de la vie domestique.
  • C’est une manifestation du service public. L’électricité représente l’égalité et la fraternité, dans le sens où l’accès à l’électricité est considéré comme un droit absolu. Ainsi, le réseau électrique est considéré comme vertueux car il est une ligne de civilisation. L’utilité collective prime en ce qui la concerne, ce qui est le paradigme de la technocratie. C’est dans les années 1960 que les derniers écarts d’accès sont comblés.


Dans ses mémoires, Pierre Massé, grand ingénieur et commis de l’Etat, écrit en 1927 : « La modernité, la fluidité, la divisibilité de l’électricité qui attirent les esprits philosophiques » lorsqu’il évoque la raison de son entrée dans une compagnie électrique. Il existe une fascination pour l’élite ouvrière des électriciens, des agents lignards, lors des tempêtes notamment ce sont eux qui montent aux poteaux électriques pour rétablir les lignes. Cette vision noble, au fond, est héritée et perfectionnée par rapport au chemin de fer (« l’électricité, fille du chemin de fer » François CARON).

II) Développement, omniprésence et contestation du réseau électrique depuis le second conflit mondial.

A) Le développement des modèles électriques nationaux.

C’est en France qu’il est le plus net avec le modèle d’EDF à partir de 1946. Cela-dit ce développement concerne la quasi-totalité des pays européens et dans une certaine mesure les Etats-Unis.

  • Il y a une logique technique : la progression permanente de l’échelle de l’interconnexion qui passe de quelques kilomètres dans les années 1890 à plusieurs centaines voire plusieurs milliers, avec la nécessité de progrès techniques qui font appel à des innovations incrémentales. La marche à l’interconnexion nationale est préparée à la fin de l’Entre-deux-guerres qui pose également en germe une interconnexion transnationale.
  • Des raisons idéologiques entrent en compte, qui correspondent à la montée des idéologies communiste et socialiste. La nationalisation de l’électricité est présente dans les projets notamment du Front Populaire (nationalisation en 1938 de la SNCF). On retrouve cet élément dans les programmes syndicaux (CGT) avec la vision que l’électricité est un secteur vital et stratégique de l’économie et que l’ensemble de la filière et du réseau est de loin de plus crucial. La vision que l’électricité est un service public qui en plus, comme les chemins de fer, voit s’appliquer la théorie du monopole naturel : son efficacité est très largement optimisée par les rendements croissants, les économies d’échelle engendrée par la construction d’une grosse infrastructure. Cet aspect idéologique est un élément décisif pour la conception d’une entreprise publique.
  • La Seconde guerre mondiale renforce la nécessité d’une concentration des entreprises et l’élaboration d’un modèle national. Ce second conflit mondial montre tout l’intérêt de l’interconnexion (Paris a pu vivre convenablement grâce à cela). Les exploitations militaires montrent les intérêts qu’il y a à l’action coordonnée. Par ailleurs, l’électricité a un rôle important dans l’épuration : il y eu de grands procès d’ingénieurs et de responsables de l’électricité qui ont collaboré.


Les années 1950 sont les années du paradigme keynésien. Après la Deuxième guerre mondiale, de façon décalée, dans la majorité des pays d’Europe occidentale, l’électricité est totalement ou partiellement nationalisée. La plus tardive a lieu en Italie au début des années 1960, avec la création de l’ENEL. En quinze ans, on assiste à la création soutenue d’entreprises nationales de gestion des réseaux électriques :

  • En France, en 1946 sont créés EDF et GDF. Sont nationalisés complètement le transport et la majeure partie de la production d’électricité (à l’exception de celle produite par la SNCF, la Compagnie nationale du Rhône et par les petits producteurs : microcentrale européenne, les Charbonnages de France et quelques grandes entreprises ayant leurs propres usines électrique servant à l’autoconsommation). La distribution est en majorité assurée par EDF. La Gironde est l’une des grandes exceptions jusqu’à la tempête de 1999. Elle était assurée par la Régie Municipale de Bordeaux (municipalisme) créée par Adrien Marquet, ou par le Syndicat d’Electrification de la Gironde qui est une réunion de communes qui fait faillite en 1999.
  • En Grande-Bretagne, en 1946, est créé le Central Electricity Board. Le monopole va moins loin en ce qui concerne la distribution.


Le rôle d’EDF est de reprendre à son compte la mystique de l’électrification. En 1946, c’est la nationalisation de 1650 entreprises de production, de transport et de distribution d’électricité. Outre la reconstruction d’une grande partie du réseau on met en place des innovations organisationnelles. On doit regrouper l’ensemble du personnel sous une direction commune. EDF devient ainsi un Etat dans l’Etat. Par le nombre d’agents elle est la première entreprise publique française. Rapidement, dans les enquêtes d’opinion, elle devient plus populaire que la SNCF. Le président du Conseil d’Administration est nommé par le Conseil des ministres. Parmi eux on trouve Marcel Boiteux dans les années 1970 jusqu’au milieu des années 1980. Le syndicalisme est très puissant chez EDF : 1 % du chiffre d’affaire est réservé au comité d’entreprise, ce qui est énorme. Les effectifs augmentent régulièrement : pour le transport on passe de 3000 agents en 1950 à 6700 en 1985, qui est pourtant par définition le service le moins consommateur de main d’œuvre.

L’élément le plus important reste le développement du réseau de transport à très haute tension, avec quatre étapes :

  • 1946-1947-1948 voient le rétablissement d’une interconnexion nationale rudimentaire, qui n’est pas permanente (délestages et coupures sont encore fréquents).
  • L’interconnexion est réalisée aux alentours de 1951-1952 avec le renforcement du réseau à 220 000 V et d’une grande boucle au centre de la France.
  • Une progression en tension a lieu, avec le développement d’un super-réseau de transport de force à 400 kV. Sa construction est longue puisqu’elle débute à la fin des années 1940 et s’achève au milieu des années 1970 à l’échelle nationale. La France est alors à la pointe, les ingénieurs américains viennent même visiter le réseau français (c’est là un retournement de situation entre l’Europe Occidentale et les Etats-Unis).
  • La quatrième étape est la recherche approfondie sur un échelon supérieur de tension à 780 kV qui mobilise beaucoup d’ingénieurs électriciens en France et ailleurs notamment dans le cadre de la CIGRE. L’avantage serait l’exportation l’électricité produite en grande quantité par d’immenses centrales nucléaires (tentation en France) qui permettrait la mise en place d’un super-réseau à l’échelle européenne et l’acheminement de l’électricité sur des milliers de kilomètres. Ceci revêt une triple difficulté : au niveau de la sécurité car le niveau de tension nécessite des conditions d’isolement draconienne ; au niveau du coût qui croît de façon exponentielle ; et dès les années 1960 se posent des questions environnementale du fait de la nécessité de pilonnes monstrueux, et de l’aménagement de nouvelles traversées à l’échelle européenne, si bien qu’au début des années 1970, en Europe Occidentale on abandonne la tentation de la tension à plus de 400 000 V. En revanche, dans les années 1960-1970 quelques milliers de kilomètres de lignes sont construits en URSS et au Canada ainsi qu’au Brésil. Depuis le milieu des années 2000 cet échelon est envisagé de nouveau, même à plus de 1000 kV en Chine (se posent toujours les questions de sécurité et d’environnement…).


On assiste à un changement de paradigme énergétique.

Le modèle national d’EDF repose sur la complémentarité, jusqu’aux années 1960, entre hydraulique et thermique (40 % - 60 %). Mais, la France, comme tous les pays industrialisés, est confrontée à la croissance continue de la consommation d’énergie électrique, qui est d’ailleurs contracyclique (continue pendant la crise des années 1970). La conséquence est que les ressources hydrauliques deviennent insuffisantes de même que les ressources thermiques classiques (charbon), ce à quoi s’ajoute la question de la pollution et des rendements énergétiques qui ne sont pas satisfaisants.

On assiste de ce fait à une double inflexion de la politique énergétique : l’utilisation dans les centrales thermiques des hydrocarbures, surtout du gaz naturel, mais, déjà sous de Gaulle, dans une volonté d’indépendance énergétique et de grandeur française, le recours à l’énergie nucléaire. C’est en 1946 qu’est créé le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique). Les premières centrales civiles sont lancées à partir de 1962-1963, dont la première à Saint Laurent-des-eaux sur la Loire. Mais c’est en 1977 que Pierre Messmer (Premier ministre) adopte le plan nucléaire le plus important du monde (plan Messmer). Donc antérieurement à la crise mais il est clair que le choc pétrolier, ainsi que l’arrivée au pouvoir de VGE accélèrent le programme électronucléaire français. Celui-ci est réalisé en dix ans. Par rapport à la crise énergétique, le programme nucléaire français est une grande réussite industrielle française. En conséquence, la France est énergétiquement en position de force au début des années 1980 et produit plus de 70 % de l’électricité nucléaire mondiale et est le premier exportateur d’énergie électrique. C’est là une grande réussite industrielle, financière et commerciale. La grande question qui se pose est alors celle de la sécurité, du retraitement et de la conservation des déchets nucléaires.

B) Genèse et développement de l’interconnexion internationale de la France.

L’interconnexion est un concept multiforme qui vient d’abord du réseau ferroviaire. Le réseau électrique est le fils du réseau ferroviaire (« l’électricité est la fille du chemin de fer » François CARON). L’interconnexion est le mécanisme de liaison entre les centres de production et de distribution. Elle donne son sens à la civilisation électrique car elle est un système de solidarité fondé sur l’innovation permanente, qu’elle permet le lien entre la production d’électricité, le réseau de transport et la distribution (jusqu’à l’usager). Par ailleurs, l’interconnexion est une mutuelle de plus en plus vaste contre le risque.

A partir des années 1930, l’interconnexion nationale débute. Elle est réalisée par EDF dans les années 1950 même si quelques angles morts persistent (exemple : Bretagne). Pour autant le stade national est progressivement considéré comme un stade intermédiaire, insuffisant. Dès le début du XXe siècle on avait pensé au stade suprême, utopique d’interconnexion internationale.

  • L’interconnexion est une mutuelle contre le risque dans la possibilité qu’elle recouvre de consommation des excédents.
  • Un élément idéologique réside dans la progression de la solidarité des peuples qu’elle engendre. Elle est une forme d’esprit international dans un discours mystique des ingénieurs. L’électricité est la paix. D’ailleurs les grands traités : Rome (1957), Maastricht (1992), même les récents traités de Lisbonne, sont précédés par la coopération technique et économique. L’interconnexion prépare, accompagne et est le levier de la construction européenne. Les réseaux techniques structurent l’espace économique qui devient politique, et fournissent l’infrastructure de la construction européenne (ce qui est d’ailleurs montré par certains auteurs hollandais).


A l’inverse, l’interconnexion rencontre deux obstacles :

  • Le premier est technique et réside dans le transport longue distance de l’électricité avec perte minimale d’énergie. Pour cela il faut augmenter la tension ce qui a un coût important. Il faut, en outre, que les systèmes techniques soient compatibles. Jusqu’en 1989-1990 et l’effondrement du bloc soviétique, l’interconnexion de l’Europe occidentale avec l’Europe orientale et l’URSS est techniquement impossible : les normes des systèmes techniques sont radicalement différentes. En effet, deux systèmes électriques différents se sont construit, correspondant aux économies de part et d’autres du rideau de fer. En Europe occidentale, c’est l’OCDE qui organise l’économie (organisation qui regroupe tous les pays capitalistes). En Europe orientale, le Comecon devient progressivement une réalité au profit quasi-exclusif de l’URSS.
  • Le second persiste jusqu’aux années 1950 et est d’ordre idéologique. C’est le patriotisme énergétique qui domine et engendre un hyper-nationalisme énergétique qui condamne les exportations d’énergie, en particulier d’électricité. En France, les exportations sont soumises à une législation très sévère qui se révèle être un gouleau d’étranglement jusqu’aux années 1950. Ce nationalisme est construit et hypertrophié par les deux guerres mondiales. Pendant la Première guerre mondiale la houille blanche a montré qu’elle était une énergie nationale, renouvelable. La Deuxième guerre mondiale voit la pénurie extrême d’électricité qui montre toute la difficulté du transfert d’énergie d’un pays à l’autre et de la zone libre à la zone occupée.


Jusqu’aux années 1930, le premier stade de l’interconnexion en France et en Europe est celui d’échanges transfrontaliers limités. En fait ce sont des échanges interrégionaux, principalement dans le massif alpin entre la France, la Suisse, l’Italie et l’Allemagne. La quantité d’énergie est limitée.

Dans les années 1937-1939, les échanges nationaux représentent en France 4 % des flux du fait des entraves législatives et idéologiques. Il existe tout un discours sur l’électricité française aux mains des capitalistes étrangers. Les communistes parlent e « trust international de l’électricité ». Or les capitaux étrangers sont en fait très faibles mais l’industrie de l’électricité reste à part entière dans ce que l’on appelle le « grand capital ».


Un nouveau paradigme survient après la Deuxième guerre mondiale qui se base sur la mystique de construction d’une Europe énergétique dans laquelle la France aurait un rôle de levier, de moteur. Cette nouvelle mystique devient presque politiquement unanime. Pour EDF on parle de modèle qui était, et reste, original. C’est une EPIC : Entreprise Publique à caractère Industriel et Commercial, qui incarne le modèle français d’économie mixte. C’est une entreprise publique qui reste soumise à des impératifs industriels et commerciaux, la distinction est donc claire entre entreprise publique et entreprise d’Etat (communiste) avec de très fortes nuances dans la gestion, la tarification et l’autonomie relative. EDF est une entreprise phare en France, à gouvernance complexe, avec trois acteurs principaux :

  • Le gouvernement par le biais du ministère de l’industrie (exemple d’un ministre au début des années ?? Jean-Marcel Jeanneney). La politique de l’Etat a un rôle majeur lors de l’adoption du plan Messmer (nucléaire).
  • Les syndicats et à l’origine très largement la CGT (1 % du chiffre d’affaire va au comité d’entreprise).
  • Entre les deux, on trouve le corps des ingénieurs, censés représenter l’intérêt général et incarner la modernité, l’innovation, le progrès. Dans la représentation sociétale française, ce qui est le mieux vu est d’être ingénieur (exemple Marcel Boiteux).


Dans ce système tripartite, se met en place une politique de développement de l’interconnexion internationale. Cela passe par la construction dans les années 1960-1970 de lignes de transport d’énergie internationales. La première liaison 400 000 V transpyrénéenne date de 1964. En 1961, est posé le premier câble sous-marin de transport d’électricité entre la France et la GB. Cette technique progresse considérablement à partir des années 1980. Aujourd’hui il existe un transport d’électricité très fiable entre le Maroc et l’Espagne. Mais cette technologie est très coûteuse et en cas de conflit, les réparations sont très difficiles et chères.

Les années 1960-1970 sont l’époque où l’écologie politique est limitée et donc qui voit la construction d’artères très haute tension entre la France et tous ses voisins (une vingtaine).

Alors que jusqu’au milieu des années 1960 la France est globalement importatrice d’électricité, à partir des années 1970 elle devient de plus en plus exportatrice. De très loin, elle est le premier exportateur européen et selon les années le premier mondial. A la fin des années 1970, la France compte une vingtaine de liaisons internationales (la construction d’une ligne électrique haute tension prend alors 2 à 3 ans, contre une dizaine d’années aujourd’hui). Tout ceci est dû en grande partie à la mise en service du parc nucléaire. De ce fait la France a souvent des excédents d’électricité. Un inconvénient sécuritaire réside dans l’impossibilité de stockage de l’électricité donc l’exportation doit être la plus rapide possible. En 1991, la France exporte 54 milliards de kWh. EDF exporte dans les années 1990 et au début des années 2000 plus de 10 % de la production nationale ce qui est une source de rentrée de devises considérables : EDF est le septième exportateur français toutes entreprises confondues.

L’image de marque d’EDF est pleinement européenne avec une politique d’interconnexion internationale ambitieuse qui se heurte depuis dix ans à plusieurs gouleaux d’étranglement :

  • L’augmentation continue de la consommation française et des consommations nationales respectives des autres pays (qui ne sont d’ailleurs pas prêtes de diminuer).
  • Pour des raisons politiques l’arrêt du programme nucléaire au début des années 1980 (question de sécurité).
  • Depuis les années 1980 pratiquement aucune ligne électrique internationale n’a été construite. On pratique une politique de suréquipement des sites déjà existants, des zones de traversée et de transport.


Depuis les années 1950 se construit un véritable système électrique européen dont le premier repère est la création en 1951 de l’UCPTE (Unions pour la Production et le Transport d’Electricité) qui réunit huit membres fondateurs : les six membres de la CECA plus la Suisse et l’Autriche. Progressivement ces pays s’interconnectent et dans les années 1960 ils sont rejoints par l’Espagne, le Portugal, la Yougoslavie et la Grèce.

Les années 1950-1960 voient de grandes réalisations techniques grâce à une intense coopération entre les ingénieurs des différents pays. Ceux-ci participent pleinement à la construction européenne car seule l’électricité égalise les niveaux de vie.

Remarque : les projets utopiques de réseau européen sont progressivement réalisés des années 1950 à nos jours.

Aujourd’hui malgré la dérégulation le grand défi pour EDF, pout la France et pour l’Union Européenne est la réalisation d’une Méditerranée de l’électricité, un nouveau stade d’interconnexion. Actuellement l’ensemble de l’Europe, Est comme Ouest, est connecté (à l’exception de la Russie). La connexion est réalisée également avec l’Afrique du Nord, y compris l’Algérie, elle est en cours de réalisation avec la Lybie (sacrifice de Cécilia Sarkozy), avec la Turquie, avec l’évocation d’un bouclage entre tous (passant par Israël/Palestine), donc la création d’un marché méditerranéen de l’électricité (ce qui précède la construction politique, vu dans le cas de l’UE).

C) Le développement de nouveaux paradigmes (3).

Dérégulation, développement durable, réseaux intelligents.


L’idée générale est que l’électricité est bien un fait de civilisation et de plus en plus celui d’une civilisation européenne. Il y a toujours une mystique autour de l’électricité car elle est reconnue comme une ressource vitale, essentielle par l’Union Européenne : tout citoyen européen a droit à un accès à l’électricité. Dans le même temps, l’électricité apparaît toujours à l’opinion publique avec le spectre des pannes et du black-out (été 2003, automne 2006). Depuis les années 1990, on a vu l’apparition de nouveaux paradigmes.

  • Dérégulation :

Elle suit l’application de directives européennes, adoptées depuis le début des années 1990 par la Commission européenne de Bruxelles, seul organe exécutif de l’Union Européenne (jusqu’à récemment) dont la permanence est assurée par un président.

Depuis les années 1990 elle est dominée par le néolibéralisme. Celui-ci prône le règne intégral de l’économie de marché avec un fondement radical : seul le jeu du libre marché permet un fonctionnement optimal au bénéfice du citoyen européen vu uniquement comme un consommateur.

En ce qui concerne l’électricité, on assiste à un renversement du rapport de force entre l’économie de la consommation et l’économie de la production.

Le néolibéralisme opère aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, avec toute une série de dérégulations au début des années 1980 : eux EU dans l’aéronautique et les télécommunications, en GB dans les chemins de fer et les mines.

La décision est prise pour l’électricité dans une première directive européenne du 19 décembre 1993. C’est un texte fondateur avec trois objectifs : l’ouverture progressive des marchés de l’électricité à la libre concurrence absolue : elle est théoriquement réalisée depuis le 1er juillet 2007, les fournisseurs doivent avoir un libre-accès au réseau ; la séparation des activités de production et de transport : dans le cadre de la France deux entreprises existent depuis 2000 EDF pour la production et RTE (qui reste à 100 % une filiale d’EDF) pour le transport ; la recherche de nouvelles régulations indépendantes pour l’ensemble des entreprises du secteur : les « agences de régulation », depuis 2000 en France c’est la CRE (Commission de Régulation de l’Energie).

Deux conséquences : le système s’est extrêmement complexifié : on découvre qu’il y a d’énormes coûts de transaction ; la mystique néolibérale était intégrée par l’opinion publique dans la mesure où il existait un bénéfice pour le consommateur, or la concurrence reste soumise au marché des sources primaires d’énergie (hydrocarbures). Si l’électricité française est la moins chère en Europe, c’est grâce aux centrales nucléaires. Les vertus du marché sont limitées ce qui est visible dans la recherche permanente de sa régulation. On a d’ailleurs du mal à en trouver d’autres que l’Etat.

  • Montée des enjeux environnementaux

Depuis le début des années 1990, il y a de plus en plus de parties prenantes à chaque fois qu’un aménagement de nouvelles infrastructures est décidé. On a une myriade d’acteurs : les collectivités territoriales, les associations de consommateurs… On assiste à une judiciarisation des espaces naturels et à une remise en cause permanente de la notion d’intérêt général. Ainsi, il y a un blocage des aménagements structurants dans toute l’Europe. Dans le cas des lignes électriques à très haute tension, entre la première étude et la réalisation il faut compter dix ans. La cause en sont les textes qui encadrent :

  • 1993 : le décret Billardon crée les procédures de concertation pour tout aménagement électrique, entre les élus, les communes et les associations.
  • 1995 : la loi Barnier institutionnalise le débat public.
  • 2002 : la circulaire Fontaine alourdit toutes les consultations et procédures existantes.


En conséquence il règne aujourd’hui deux syndromes : NIMBY : « Not In My Back-Yard » (pas dans mon jardin). BANANA: “Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anything” (ne rien construire nulle-part à proximité de quoi que ce soit = Sahara).

  • Les smartgrids : les réseaux intelligents (grid = réseau, grille)

L’idée générale est que le citoyen d’approprie sa propre consommation pour contribuer aux trois piliers du développement durable. Le but est d’augmenter la proportion des énergies renouvelables et plus largement des énergies décarbonnées (la question se pose de la place de l’énergie nucléaire qui n’est pas renouvelable mais est décarbonnée).

Pour qu’il y ait une adhésion on explique au consommateur qu’il doit prendre du temps pour comprendre et maîtriser sa consommation. On met l’accent sur les énergies renouvelables : essentiellement le solaire et l’éolien. C’est en ce sens que seront mis en place les nouveaux compteurs d’électricité sur lesquels on pourra suivre heure par heure sa consommation.

CONCLUSION :

L’électricité a été d’emblée un fait de la civilisation industrielle car elle est à la fois une infrastructure industrielle et permet le développement humain (prise en compte dans l’IDH). De plus en plus, on montre que l’électricité est aussi un fait de la civilisation postindustrielle. Le consommateur doit être le sujet et plus l’objet de ses modes de consommation. Le réseau électrique reste une ligne de vie, un « fait social global » comme disent les sociologues qui est visible dans les peurs et dans les fantasmes.