Le Mao UE1 7eme cours 03/11/08

De Univ-Bordeaux
Révision datée du 19 novembre 2009 à 20:35 par 90.50.41.99 (discussion)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)

Les sources de l'histoire judiciaire

Introduction

Les documents judiciaires sont très volumineux et rarement classés, souvent difficiles à lire. Ils exigent une connaissance approfondie du droit d’Ancien Régime : droit civil, criminel, institutionnel. Cela concerne toutes les catégories de la société. Les milieux populaires et le monde des marginaux ne sont abordés que par ce type de sources. Dans les années 1970, l’histoire sérielle s’est attaquée aux archives judiciaires, du XVIIIe siècle car plus nombreuses et plus faciles d’accès.

Parmi celles-ci, il y a surtout les sentences des tribunaux d’appel : séries statistiques qui s’intéressent aux crimes poursuivis, aux châtiments infligés, aux caractères des condamnés (âge, sexe, domicile…). Une évolution a lieu dans les types de violence : on serait passé de la violence au vol, c-à-d de l’atteinte aux personnes à l’atteinte aux biens. On a aussi constaté une surreprésentation des hommes jeunes et une tendance à la professionnalisation dans la carrière du crime, l’atténuation de la rigueur des châtiments judiciaires, plus précoce en ville que dans les campagnes. Cela résulterait d’un progrès de la civilisation des mœurs, société plus policée qui aboutit à un meilleur contrôle de soi, et l’image d’un enrichissement du plus grand nombre, opposé à la paupérisation et au déracinement des couches sociales les plus basses.

Ces conclusions ont été critiquées. D’abord pour un problème de sources : basées sur l’appel alors qu’un très grand nombre de poursuites ne dépassent pas le stade de l’information (l’enquête), et cela pour de multiples raisons : désistement de la partie civile, accord à l’amiable, procédures abandonnées faute de preuves, etc. Près de la moitié du volume d’affaires est perdue, cette interprétation est donc faussée, la violence ordinaire n’apparaissant pas. De plus, beaucoup de victimes ne portent pas plainte mais préfèrent s’arranger à l’amiable, pour une plus grande discrétion, une efficacité supérieure et un moindre coût. Toutefois, si ces enquêtes sont biaisées par l’étude de la criminalité, elles sont pertinentes pour une approche de la répression judiciaire.

On préfère donc une approche plus « qualitative » que quantitative et un élargissement chronologique (XVIe-XVIIIe siècle). Mais on s’intéresse toujours aux procédures criminelles et non civiles. On s’appuie non plus sur les sentences mais sur les interrogations des accusés et les dépositions des témoins. On peut cerner un rapport au monde : appréhension du temps, de l’espace et du corps. C’est une façon de mieux connaître les relations sociales, familiales, amoureuses, les conditions de vie matérielle (habillage, logement, alimentation), les croyances (sorcellerie, superstitions), les conditions de travail, etc. Les PV de levées de cadavres de suicidés renseignent sur les habits de tous les jours, des objets divers, etc. Les pistes actuelles sont :

  • justices inférieures ou petite délinquance, celle en tout cas qui fait l’objet de poursuites : laisser de côté les parlements, présidiaux, baillages et sénéchaussées, prévôtés, justices seigneuriales
  • étude de l’infra-justice et de la para-justice : beaucoup de conflits sont traités au sein des communautés car : manque d’argent, peur de la justice, discrétion (dans les cas de viol, adultère, séduction). Mais les accords oraux échappent à nos investigations. Les procédures d’accommodement passent souvent chez notaire. Il arrive que la justice entérine les décisions prises à l’amiable.
  • étude de la justice civile : elle représente 90% des affaires de l’époque, on ne distingue pas nettement le pénal et le civil
  • fonctionnement de la justice : organisation des tribunaux et problème des compétences, le travail des hommes de loi au quotidien, la perception de la justice par les justiciables, étude des stratégies de défense, étude du coût de la justice

I. Pour une étude de la structure : l’institution et ses hommes

A. L’étude de la norme et des institutions judiciaires

La 1ère source est constituée par les textes législatifs, la base est trop souvent négligée, elle est pourtant foisonnante. Le corpus juridique de base est très ancien. Les inventaires de bibliothèques des magistrats – véritables outils de travail – sont comparés à leur travail effectif. Les coutumes sont mises par écrit au cours du XVIe siècle. Les textes législatifs sont émis par les rois successifs, avec notamment une forte codification réalisée par Louis XIV. Isambert a réuni toutes les lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à 1789. Parmi les grands jurisconsultes, on peut nommer Bodin, Loyseau, Jousse ou Muyard de Vouglans. Ils commentent l’organisation et le fonctionnement de la justice.

On est du côté de l’histoire des normes et non du côté de celle de la pratique. Le système judiciaire est organisé selon un mode pyramidal : au sommet, le roi source de toute justice mais qui ne peut rendre toute la justice, ce qui légitime le fait qu’il en délègue l’exercice. Ensuite viennent les parlements qui reçoivent les appels des juridictions inférieures (6 en 1500, 13 en 1789). Sur le même plan se situent les conseils supérieurs. Leur pouvoir s’exerce sur un ressort plus ou moins grand. La Cour la plus importante est le parlement de Paris. Les parlements, avant d’être des lieux de contestation de l’absolutisme, sont d’abord des cours de justice. En-dessous se trouvent les justices moyennes et inférieures : présidiaux, baillages et sénéchaussées, prévôtés, chancellerie, vicomté/viguerie. Ce sont toujours des juridictions royales. Enfin, les justices seigneuriales, les plus nombreuses, elles continuent à fonctionner, en particulier à la campagne mais aussi dans de nombreuses villes. Leur avantage est d’être rapide et proche. En parallèle, il y a des cours extraordinaires : maîtrise des eaux ou forêts (table de marbre), les Amirautés, les greniers à sel.

Ces institutions peuvent être étudiées à partir de 3 types de sources :

  • documents de nature législative qui émanent du pouvoir royal, et qui organisent et modifient le fonctionnement de ces institutions
  • documents qui émanent des institutions judiciaires elles-mêmes : textes d’ordre pratique qui précisent le fonctionnement réel : arrêts de règlement
  • commentaires fait sur le fonctionnement de ces institutions, qui peuvent venir de l’intérieur de l’organisation judiciaire (jurisconsultes) ou de l’extérieur (moralistes) : Dictionnaire de Furetière

B. Personnel judiciaire

Le personnel judiciaire regroupe les juges et les auxiliaires de justice (greffiers, huissiers, procureurs, avocats). En 1665, on recense 70 000 juges et au moins autant d’auxiliaires de justice, qui se trouvent essentiellement dans les villes. A l’exception des avocats, ils sont quasiment tous officiers, soit royaux, soit seigneuriaux. Les charges sont soumises au système de l’achat/vente ; ce sont des contrats notariés qui peuvent faire l’objet d’un traitement en série, pour voir l’évolution du prix des charges, comparer les types de charges, constater la circulation de ces charges. Mais beaucoup de charges sont transmises de père à fils ou d’oncle à neveu et échappent à l’estimation de valeur que permettent les transactions.

Cette question de la vénalité des offices a fait l’objet de débats théoriques pour comprendre la façon dont on conçoit la justice et sa place dans la société. Sur le plan théorique, il appartient au roi de désigner des agents de la monarchie. Mais, dès la fin du Moyen âge, il y a une vénalité accrue des offices : le roi vend une parcelle de l’autorité royale. Cet achat en rend l’officier propriétaire de la charge, à la différence d’un commissaire nommé et révocable par le roi (intendant). Le roi n’a pas les moyens de racheter les offices, aussi cherche-t-il à créer un cours officiel. La vénalité s’est donc inscrite comme un mode de fonctionnement, d’où les polémiques autour de la confusion entre service public et propriété privée. Beaucoup critiquent la victoire de la richesse sur le mérité. Ainsi de Loyseau dans son Traité des officiers. Au XVIIIe siècle, les philosophes mènent une réflexion sur le sujet, ils sont partagés : s’ensuit une polémique entre Montesquieu et Voltaire, ce-dernier l’accusant d’être partial en tant que parlementaire et précisant qu’il est inconcevable que l’autorité royale soit vendue.

On attend beaucoup de ces personnels, d’où les discours sur les qualités professionnelles et morales exigées : harangues ou mercuriales sont des sources précieuses pour cerner ces attentes, prononcées à la rentrée des cours de justice (saint Martin d’hiver : 11 novembre). Les attentes évoluent : l’institution a édité elle-même des exigences en matière de recrutement et de formation, d’âge et de parenté. Exigences qu’il est possible de contourner. Les textes législatifs posent des obligations, on demande aux candidats des pièces justificatives : extraits de baptêmes pour l’âge, diplôme (licence de droit et une année au barreau), enquêtes de bonne vie et mœurs. Des dispenses peuvent être amenées par le magistrat : dispenses d’études relativement rares, dispenses de parenté plus fréquentes pour reconstituer les noyaux familiaux dans les cours de justice, dispenses de services. Ces magistrats sont contrôlés par le procureur général (un homme du roi), l’intendant et en dernière instance par le roi : tout particulier peut s’adresser directement à lui pour réclamer une justice équitable ; l’intermédiaire important étant dans ce cas le chancelier qui s’adresse au premier président de la compagnie (ensembles des officiers d’une institution) pour veiller au règlement du problème). Il y a plusieurs types de sources :

  • notes secrètes (enquête sur la justice commandée par Colbert dans les années 1660) : pour avoir un panorama de la justice et des rapports entre le parlement et l’intendant
  • les rapports des intendants donnent un état des lieux des cours de justice
  • correspondance du chancelier avec le 1er président d’une Cour
  • littérature généralement hostile à la magistrature qui constitue une source précieuse mais à utiliser avec précaution car on y use beaucoup de stéréotypes

Ces rapports émanent souvent d’adversaires plus ou moins hostiles aux officiers. La nature même de ces sources les portent à insister sur les défauts sans jamais évoquer les qualités.

Tous les officiers du royaume sont pourvus en leur charge par lettres de provision émanant du roi. Cela concerne les magistrats, huissiers, gendarmes, notaires et même les bourreaux. C’est à partir de ces pièces qu’on peut reconstituer le personnel judiciaire. Contrairement aux lettres de commission longues et personnalisées, celles-ci sont stéréotypées. On trouve cependant parfois des éléments sur la carrière antérieure du magistrat, sur les services rendus, parfois un éloge de la famille (généalogie). Ces lettres de provision font également mention des dispenses demandées.

Après vingt ans de charge, il y a les lettres d’honorariat. Cela permet un rappel sur certains éléments de la carrière.

Il est difficile de connaître le temps du magistrat au quotidien. Certains se sont toutefois exprimés sur leur travail : ainsi de Labat de Savignac, conseiller au parlement de Bordeaux, qui a laissé un document où il a écrit tous les jours de 1708 à 1720 ce qu’il a fait dans la journée. Cela permet de savoir le travail qui est effectué. Il peut aussi y avoir des papiers laissés par un juge (fonds personnel) ou des papiers publics (procédures judiciaires : nombre et fréquence des procès, temps consacré à chaque affaire, façon de procéder, spécialisation éventuelle)

Le monde judiciaire est celui de la diversité, il y a loin du riche parlementaire au petit huissier : il faut mobiliser les ressources classiques pour l’étude des groupes sociaux. C’est une approche largement menée pour le XVIIIe siècle, plus rare pour le XVIIe. Cela reste à faire pour les cours subalternes. Pour cela, on utilise :

  • les contrats de mariage : réseaux familiaux, niveaux économiques, comportements démographiques, structure des fortunes
  • testaments : partages successoraux, pratiques religieuses (nombre de messes demandé, honneur funèbre, choix de la sépulture, pratique de l’assistance aux pauvres), étude des descendances, des relations familiales (mari/femme, parents/enfants), des choix d’exécuteurs
  • inventaires après décès : cadre de vie, niveau culturel et pratique professionnelle (inventaires de bibliothèque, caisse de papiers conservés, inventaires des papiers – achat d’office, carrière).

Les résultats peuvent être contrastés, mais il y a des solidarités institutionnelles, économiques, sociales et culturelles.

II. La justice à l’œuvre

A. L’importance du parajudiciaire

La justice n’intervient pas dans le règlement de tous les conflits, elle en confit certains au parajudiciaire, c-à-d des affaires bénéficiant de règlements privés, de gré à gré sans intervention d’un tiers (accords bilatéraux directs). Ils se produisent souvent à l’oral, ce qui en laisse peu de traces. Le cabaret de campagne est le lieu habituel du règlement : on s’y retrouve après une bagarre/insulte pour établir des modalités de compensation, puis une poignée de mains vaut engagement.

Ce mode de résolution a bien des vertus par rapport à la justice : discrétion/publicité, rapidité/lenteur, gratuité/coûts excessifs, jugement équitable/jugement de rigueur. Le parajudiciaire est surtout fondé sur le consensus, il n’y a donc garantie officielle d’exécution. La seule pression vient de la communauté. Mais, alors que le lien social se délite au XVIIIe siècle, on recherche une plus grande institutionnalisation et on dépasse le simple accord amiable pour parler d’ « infrajustice ». C’est un ensemble de modes non judiciaires de résolution des conflits, vengeance et guerre exclues. Elle concerne tous les types de conflits, a un caractère public, semi public ou officiel. Un tiers joue le rôle d’un arbitre et assume la publicité du règlement du conflit pour favoriser le respect de la décision.

On utilise les archives notariales, la correspondance, les mémoires, les livres de raison. Des sentences arbitrales sont rendues. Chaque partie choisit un arbitre, en général un avocat, les deux examinent l’affaire et proposent une solution acceptée d’avance par les adversaires. On est dans l’imitation des formes de la justice pour donner de la solennité à l’acte et de la force à son exécution. Le texte est construit à l’imitation d’une sentence de tribunal, sont mentionnés : identité des parties, rappel des pièces, dispositif final. Les arbitres sont choisis pour leur autorité morale, mais aussi pour leur savoir judiciaire dont ils se servent pour rendre les décisions. La sentence donne lieu à des frais. On est donc bien dans une logique de totale imitation, cette procédure est très proche du système judiciaire classique. Il n’est pas rare qu’une des parties engage une procédure au civil et au criminel pour faire pression sur l’autre partie pour qu’elle accepte une médiation. Cela explique que beaucoup de documents judiciaires archivés ne dépassent pas le stade de la plainte, la procédure n’ayant en fait jamais eu lieu. Le tout se fait avec l’accord des juges, qui répartissent ainsi les tâches.

La justice officielle accepte donc le parajudiciaire et homologue ses décisions pour lui prêter sa force.

B. Les pièces du procès : une mine de renseignements

En termes de procédure pénales, dès le début du XVIe siècle, en France et en Europe est fixée la procédure inquisitoire. Si sa pratique connaît des aménagements par la suite, la procédure en soi ne varie pas, sauf en Angleterre en raison de l’Habeas Corpus. Les principes de base en sont : l’écrit, le secret et la toute-puissance de la preuve. Toute procédure peut être précédée d’une enquête, mais officiellement, la procédure ne débute qu’avec l’information ; celle-ci a pour but de parvenir à la vérité par l’établissement des faits et leur traitement logique. On use de pièces à conviction, de témoins, d’expertises et de monitoires. Le monitoire est un document d’origine ecclésiastique qui prouve la collaboration Etat/Eglise, comme l’a fait l’exemple plus connu des registres paroissiaux. Si la procédure criminelle n’a pas fonctionné, l’autorité laïque fait appel au curé pour qu’il oblige ses paroissiens à témoigner, sous peine d’excommunication. L’ordonnance de 1670 fixe la procédure, elle la standardise. Une lettre + un placard à la porte des locaux publics (formule d’adresse émanant de l’autorité ecclésiastique, magistrat instructeur) font la publicité de l’affaire. La demande de monitoire émane soit de la victime, soit du ministère public, voire du juge instructeur lui-même. Le monitoire contient l’exposé des faits : lieu de l’incident, nature des crimes, motif du monitoire, peines canoniques encourues.

2nde phase : mise en accusation du suspect et interrogatoire 3ème phase : instruction : récolement (reprendre les dépositions des témoins pour les leur faire confirmer), confrontation (accusé/témoins, voire affrontation entre accusés), conclusion du ministère public 4ème phase : le jugement 5ème phase : l’appel, souvent devant le parlement 6ème phase : éventuelle grâce ou cassation

Beaucoup de procédures s’arrêtent en cours de route, par manque de preuve ou parce qu’elles passent par le civil. Les possibilités d’échapper à la justice sont nombreuses car il y a peu de forces de police, une perméabilité des prisons et un découpage administratif et des chevauchements de juridictions qui facilitent la fuite. On recourt au bannissement, ce qui conduit souvent à des récidives, Richelieu soulignant à ce sujet qu’il est facile pour un accusé « de s’aller promener ailleurs ». D’où des condamnations par contumace. La sentence « De plus ample informé » (PAI) signifie : relâché faute de preuves.

Cette procédure a fait l’objet de vives critiques, mais elle est bien plus souple que ce qu’on a longtemps cru, pour peu qu’on s’intéresse à la pratique. En théorie, un accusé ne dispose pas d’avocats. En réalité, ils interviennent, ce que l’on voit dans les factum. De même, le supposé secret de l’instruction subit de graves entorses. Le refus de l’intime conviction du juge et le règne de la preuve sont une protection pour l’accusé. Sauf cas graves (crime de lèse-majesté ou sorcellerie jusqu’en 1682), l’échelle des peines prévues n’est pas respectée. L’arsenal très lourd contre les blasphémateurs n’est jamais appliqué.

Les sources utilisables par l’historien :

  • Documents législatifs : à la fin du moyen-âge, les règles coutumières ou jurisprudentielles, puis les ordonnances qui fixent la procédure (ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 : réforme générale de la vie judiciaire, qui précise le déroulement du procès, le pouvoir des magistrats, renforce le principe du secret et limite les possibilités de défense de l’accusé ; ordonnance criminelle de 1670)
  • Archives des procès eux-mêmes, fournissant une multitude d’exemples. Les arrêts (en appel), on les a systématiquement. De même que les jugements en première instance. Mais il est très rare d’avoir un dossier complet et de suivre l’intégralité de la procédure
  • Recours grandissant aux experts-médecins et chirurgiens qui contribuent à établir le corps du délit. Officiellement dès le XVIe siècle, l’intervention devient obligatoire avec l’ordonnance de 1670. Les experts font prévaloir un point de vue qui se veut objectif, une preuve, mais qui dépend des connaissances médicales de l’époque. L’analyse des rapports d’experts est peu réalisée
  • Utilisation des factum d’avocats pour le déroulement de la procédure
  • Presse locale en augmentation au début du XVIIIe siècle, qui relate parfois une affaire importante
  • Ecrits des magistrats eux-mêmes (for privé)
  • Les interrogatoires sont les premières pièces à considérer. Ils concernent l’accusé assigné à comparaitre ; son interrogatoire est confronté aux allégations du plaignant et des témoins. C’est un moyen d’observer les comportements et relations sociales, l’honneur et la représentation de soi
  • Les plaintes sont d’une composition beaucoup plus libre
  • Lettres de justice ou lettres de grâce (le Roi s’impose aux institutions) : « Tout homme qui tue est digne de mort, s’il n’a pas de lettre du prince ». Ce droit de grâce est d’essence divine. A l’occasion de son Sacre, le Roi peut accorder des grâces. Les lettres de réhabilitation innocentent des condamnés à mort. Les lettres de commutation de peine les envoient aux galères plutôt qu’au gibet, Colbert ayant besoin de fonder une puissante marine. Les lettres de rémission lèvent les peines des cas présentés comme de la légitime-défense. Deux ouvrages majeurs s’intéressent à ce dernier point, l’un de N. Zemon-Davies et l’autre de R. Abad. L’accusé doit déposer un placet auprès de la chancellerie, participer à un interrogatoire où les juges vérifient la véracité de ses propos, le but étant d’établir la non-préméditation. Ce document donne libre cours à la parole du requérant.
  • Pièces décrivant la mise en scène de la répression. Elles permettent de cerner les mentalités et le pourquoi de la punition. L’exécution fait l’objet d’une publicité à but pédagogique : on parle de « pédagogie de l’effroi », la peur du châtiment devant limiter les crimes. Les exécutions publiques sont un spectacle associant l’ordre à la terreur ? C’est le symbole le plus éclatant de la justice du Roi. Il y a une logique d’action compensatoire : le crime est annulé par une action réparatrice – la peine – devant être à la mesure de la faute (logique de rétribution). L’exécution obéit donc à un rite, avec des acteurs (bourreau, lieutenant criminel, greffier, condamné et confesseur) aux rôles bien réglés. Cela concerne les peines capitales et les peines infamantes (fouet, carcan, etc.)

III. Justice et société

A. Regards sur les magistrats et la justice

Les regards émanent d’abord des magistrats eux-mêmes. L’historien peut avoir recours aux mercuriales (ou harangues) prononcées lors de la saint Martin (11 novembre : rentrée parlementaire). C’est l’occasion de rappeler les devoirs du bon magistrat. Elles sont rédigées et prononcées par le 1er président de la Compagnie, d’où le modèle du « parfait magistrat ». La mercuriale est aussi un rappel à l’ordre émanant du procureur, qui assume une responsabilité morale comme représentant du Roi. Il fait une harangue devant les chambres en Assemblée. Cela se fait devant les magistrats, voire les juridictions du ressort et les auxiliaires de justice (surtout les avocats). Au cours du XVIIIe siècle, ces discours à la base disciplinaires se transforment en apologie, évoquant la dignité et les qualités requises. Cela assure la popularité des orateurs. Ainsi de Daguesseau (1168-1751), un des grands juristes du XVIIIe siècle. Il a commencé avocat général au parlement de Paris en 1691, puis procureur général en 1700 et chancelier de France en 1717. Il est célèbre pour sa culture, sa piété, son attachement au corps des parlementaires et l’éloquence de ses mercuriales. Dans les écrits du for privé, il arrive que le magistrat exprime sa vision du métier.

Les défauts de la justice et des juges sont aussi visités, dans les écrits des philosophes des Lumières. Mais dès le XVIIe siècle, les critiques dressent un état sombre de la justice. Furetière (16179-1688) s’en prend ainsi au « monde de la basoche » (petite robe), alors qu’il y appartient : avocat au parlement puis procureur fiscal d’une justice seigneuriale. Dans le Roman bourgeois, il attaque violemment les procureurs et les clercs, deux professions viles car assimilées aux métiers manuels. Il stigmatise les incessants procès civiles qui alimentent les tribunaux et font vivre cette foule de petits auxiliaires. L’argument est exploité aussi par Racine dans Les plaideurs.

B. Justice et société : influences croisées

Les justiciables influencent la justice. Certes ils les juges possèdent leur office et sont indépendants du pouvoir, mais ils sont sensibles à l’opinion publique, notamment aux émeutes. Il y a une forte solidarité chez les domestiques qui les poussent à créer des troubles pour libérer un des leurs accusé. Cette opinion publique se manifeste aussi à travers les penseurs. Montaigne s’interroge sur la « valeur » de la question. Montesquieu, philosophe et ancien président au parlement de Bordeaux, prône la modération des peines. Les Lumières s’impliquent dans les causes célèbres, comme Voltaire dans l’affaire Calas. Les philosophes soutiennent des projets de réforme judiciaire. Ainsi de Cesare Beccaria, économiste milanais du XVIIIe siècle, le plus connu des réformateurs et critiques de la justice. Soutenu par Voltaire et l’abbé Morellet qui diffusent son livre Des délits et des peines, il porte un projet de systématisation pénale. Ce n’est pas un technicien de la justice, il en a une connaissance empirique. C’est plutôt un philosophe du droit et de la peine criminelle. Il s’interroge sur la question et dénonce le système. Cela suscite des débats contre Jousse ou Muyart de Vouglans (par ailleurs ennemi juré de Montesquieu).

Mais, à l’inverse, la justice peut influencer l’opinion publique. Malesherbes, dans un discours de l’Académie française de 1775, prend à témoin le tribunal du public : « le juge souverain de tous les juges de la Terre ». Les grandes affaires passionnent, comme l’affaire Calas de 1762 ou l’ouvrage Les causes célèbres de Gayot de Pitaval dès 1734. Cet intérêt provient de la publication des factum par une personne pour attaquer ou se défendre lors d’un procès. Rédigés par les avocats pour instruire les juges, ils échappent à la censure royale, et sont donc détournés. Dans les années 1770-1780, l’intérêt sort de la sphère judiciaire pour circuler dans les salons et les cafés. Les factum ont un franc succès grâce à leurs qualités littéraires, des avocats y bâtissent leur réputation. La demande est telle que parfois la police doit intervenir, comme dans l’affaire du collier de la Reine. Ces documents sont notamment utilisés par Sarah Maza dans Vie privée, affaire publique. Les causes célèbres de la France prérévolutionnaire. Cela concerne surtout la ville.

Conclusion

Il y a un nombre restreint de types de sources : interrogatoires ou plaintes, écrits du for privé, textes juridiques, factum. Mais une masse documentaire considérable largement sous-utilisée. Cette masse est d’autant plus intéressante qu’elle sert à l’étude de la justice, de son fonctionnement. Mais surtout, le prisme judiciaire touche toutes les catégories sociales, notamment les couches populaires qui échappent trop souvent à l’œil de l’historien.