Coste UE3 3eme cours 09/10/08

De Univ-Bordeaux
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Les banlieues et le plat pays

Introduction

Les villes d’Ancien Régime exercent une influence sur l’espace environnant. Cette influence peut se schématiser en trois aspects :

  • encadrement juridique qui se fait par une seigneurie (ecclésiastique, laïque ou municipale) => la banlieue à l’époque moderne
  • les villes moyennes/grandes contrôlent économiquement et foncièrement l’espace environnant : les citoyens aisés ont des propriétés et contrôlent les flux à proximité => plat pays
  • zone d’échanges centrée autour d’une ville => région plus ou moins vaste de plusieurs dizaines de milliers de km2, avec des foires et des marchés.

Le terme de « banlieue » a très longtemps gardé le même sens.

  • Nicot, en 1606 dans Le thrésor de la langue française : « C’est la contrée ou distance d’une lieue séant aux environs d’une ville et censée de mêmes droits et privilèges que la ville »
  • Furetière, fin XVIIe siècle dans le Dictionnaire universel : « Environs d’une ville qui sont dans l’étendue d’une lieue […] On le dit aussi des bornes et de l’étendue d’une juridiction »
  • A la même époque, le Dictionnaire de l’Académie française : « L’étendue d’une lieue ou environ autour d’une ville »
  • Au XVIIIe siècle, l’Encyclopédie : « Une lieue alentour de la ville au-dedans de laquelle peut se faire le ban ». Le Dictionnaire de Trévoux (ville parlementaire, proche de Lyon) en 1771 donne une définition semblable
  • Guyot, en 1784 dans le Répertoire universel et raisonné de jurisprudence : « C’est une certaine étendue de pays qui est autour d’une ville et qui en dépend »

Aujourd’hui, dans le Robert : « Le territoire qui entoure une ville et qui en est souvent une dépendance. » Dans le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, dirigé par J. Lévy et M. Lussault : « La plus dense des périphéries d’une ville en général contigüe aux zones centrales ».

En espagnol, « periferia », « suburb » en anglais, « vorstadt » en allemand et « voorstad » en hollandais : dans tous les cas, c’est un espace autour d’une ville, il lui est dépendant, donc inférieur, ce qui lui donne une connotation péjorative. Les aménageurs préfèrent donc parler d’espaces suburbains, les zones alentour devenant le périurbain.

I. Les banlieues à l’époque moderne

A. L’étymologie et les diverses dénominations du mot « banlieue »

Le terme « banlieue » vient du bas latin « banlieuca » qui correspond à un territoire en théorie large d’une lieue et qui est soumis au pouvoir de commandement, le bannum d’un seigneur, d’un évêque ou d’une ville. Certains historiens font remonter son origine à l’époque romaine, il serait l’héritier du « district » entourant les villes gallo-romaines. Pour certaines, cela est vrai, mais dans la documentation il n’apparaît qu’en 1036. Ces premières banlieues étaient sous la tutelle du seigneur ecclésiastique (évêque, abbé : à Strasbourg, Metz, Alby).

A partir du XIe-XIIe siècle, les villes s’émancipent, violemment ou non, et obtiennent le pouvoir en leur sein (mouvement communal). Les bourgeois prennent alors le pouvoir et cantonnent l’évêque au domaine religieux, récupérant son territoire et pouvant même l’agrandir, comme dans le Pays messin (une centaine de villages autour de Metz).

Mais, selon les régions, on peut parler de « districtus », « juridictio » ou « territorium » (Besançon), voire de patrie en cas de fort attachement identitaire (Patria tolosa : à Toulouse). Marseille est un cas à part, car c’est une cité libre, presque un co-Etat (c’est une des terres adjacentes de la Provence).

De quelle lieue parle-t-on ?

  • la lieue romaine : 2200m ?
  • la lieue impériale : 7400m ?
  • 400m ? 4000m ? 5500m ?

Il y a différentes acceptions à l’époque moderne. Au XIXe siècle, on lui a affecté une distance de 4000m.

B. La banlieue dans le reste de l’Europe

En Espagne, plusieurs termes sont employés :

  • terminos : terres qui dépendent d’une communauté d’habitants
  • tierra : ensemble des terres et des villages qui sont soumis à une ville
  • juridiccion : territoire soumis à l’autorité politique d’une ville (le plus utilisé)

Cela varie selon les provinces car les territoires sont plus ou moins grands. En vieille Castille et en Navarre, il y a des petites juridictions. Elles sont beaucoup plus vastes dans le sud en raison de territoires issus de la Reconquista. Ainsi à Valladolid et à Tolède. Cette-dernière, étudiée notamment par Julian Montemayor, était une tierra courant 6200 km2 avec une partie sud aux limites floues et des zones très découpées au nord au contact d’entités politiques. Ce territoire a été réduit de 10% entre 1627 et 1659, certaines terres ayant été vendues à des grands seigneurs pendant que certains villages obtenaient une promotion octroyée par le pouvoir royal. Pouvoir royal qui exerce un chantage sur les grandes villes : le roi menace de faire d’un village de son territoire une ville, ce qui lui permettrait d’échapper à la ville-centre qui perdrait par là des ressources financières. Le roi ne s’exécute pas à la condition que lui soient versées des sommes d’argent. Il peut aussi exiger que les députés votent dans le sens qui lui sied le mieux.

Dans le Saint-Empire, souvent les villes disposent d’une banlieue, banmeile, mais cela ne concerne pas les villes impériales, les Reichstädte. Celles-ci ont certes une banlieue, mais beaucoup plus vaste que les banmeile et qui est peu à peu devenue un territoire politique (Hambourg, Brême, Francfort... dans le sud, surtout Nuremberg et Ulm). Certains de ces territoires devinrent des cités-Etat.

En Italie, les villes disposaient d’une banlieue, le contado (du latin « comitatus »). Certaines l’ont étendu au point de devenir des cités-Etat (Florence…)

En Angleterre, il y a des banlieues qui sont désignées liberties (Chester, Nottingham), territoires profitant des privilèges (=libertés) de la ville.

Au Danemark, la banlieue a un double territoire : terrestre (contrôlé par la ville) et maritime (mer du Nord ou Baltique).

II. Structures et formes de la banlieue

A. Les limites de la banlieue

En théorie, la banlieue a des limites précises. Celles-ci sont énoncées lors de la création de la banlieue, lors de son extension, ou lors de la confirmation des privilèges. Ces limites sont représentées sur des bornes en pierre où sont gravées les armes de la ville (XVIe siècle). Mais souvent ces limites sont physiques (cours d’eau, chemins/routes, carrefours, ponts, croix et accidents du relief), ce qui peut entraîner des contestations de limites en raison des changements physiques ou de la position de puissances limitrophes ou enclavées.

A Bordeaux, des procès verbaux ont eu lieu avec le chapitre de Saint-André et surtout le chapitre de Saint-Seurin (enclavé et possesseur d’une seigneurie limitrophe : Cadaujac). A Besançon, il y a eu des problèmes avec les comtes de Bourgogne. Bayonne a connu des conflits avec les communautés voisines, en particulier Anglet et la maison d’Albret (procès de 1743 à 1786, gagné par la ville). Bayonne toujours, en 1618, voulait avoir le cours de l’Adour jusqu’à Cap Breton en raison des évolutions physiques, mais la demande a été rejetée. A Dijon, la banlieue a une forme idéale, presque circulaire, avec des limites entre 5500 et 6000m. Le terroir d’Aix est lui très découpé, tarabiscoté. De même que la banlieue parisienne qui comprend une quarantaine de villages et paroisses alentour : il y a Saint-Denis, La Villette, Issy (où allait se reposer le cardinal de Fleury), Boulogne, Neuilly, Auteuil, etc. Les surfaces des banlieues sont très variables : Lille n’a une banlieue que de 500 ha, alors que Blaye a 1000 ha, Bourg-sur-Gironde 1500 ha, Saint-Emilion 7000 ha, Toulouse 12000 ha, Marseille 23000 ha, Bordeaux 42000 ha, Arles 110000 ha.

B. L’évolution de la banlieue

Elle s’est constituée par étapes selon des formes variées, plus ou moins conflictuelles. Le territoire de la banlieue bordelaise a fait l’objet d’une thèse de Bochaca : banlieue de 42000 ha, plus développée au nord-est, elle comprenait 5 entités administratives correspondant à son

    1. Prévôté de Saint-Eloi entourant la ville et ses faubourgs immédiats (Talence, Bègles, Caudéran, jusqu’à Bacalan) au XIIIe siècle
    2. Fin XIIIe siècle, Bordeaux récupère la banlieue du Médoc, prévôté d’Eysines (Eysines, Bruges, Le Haillan, une partie de Saint-Médard-en-Jalles)
    3. La banlieue d’entre-deux-mers, petite prévôté acquise au début du XIVe siècle (Cenon, Lormont, Floirac)
    4. La contrée d’Ornon (Gradignan, Villenave, Léognan) a été achetée en 1409 à la famille d’Ornon
    5. La baronnie de Veyrines (Pessac, Mérignac) a été achetée en 1527 au seigneur de Veyrines.

Ces évolutions sont fluctuantes, les banlieues peuvent acquérir des terres et en perdre. Ainsi de Bordeaux : alors que la ville avait acheté en 1591 la baronnie des Montferrands dont la lignée s’était éteinte (Yvrac, Bassens, Ambarès, Saint-Eulalie). La municipalité l’a achetée alors que le maire le maréchal Matignon avait des vues dessus. Après l’arrivée d’héritiers éloignés, la ville a décidé de restituer le territoire en 1607.

III. Les pouvoirs de la ville sur la banlieue

A. Aspects généraux

Juridiquement, le territoire de la banlieue est soumis à la ville. La municipalité y exerce différents pouvoirs :

  • justice (la municipalité juge les cas de la banlieue, les condamnés pouvant faire appel au parlement)
  • police (réglementation : la ville légifère sur la circulation des marchandises, la vente ; elle décrète le ban des vendanges, réglemente le droit de pacage des animaux dans les prés, fixe le montant des impôts : taxes à la consommation, taxes aux habitants de la région pour l’entretien des remparts) appliquée par le personnel de la municipalité, ce qui est une bonne opération économique.

B. Cas particulier

La jurade de Bordeaux réglemente l’exercice des métiers (métiers réglés), notamment la boucherie en établissant une différence de prix entre les boucheries de la ville et celles de la banlieue qui sont moins taxées car le pouvoir d’achat y est plus faible. Elle réglemente la circulation du grain, du bois et de la paille. Elle contrôle la chasse et la viticulture en privilégiant les habitants de la ville (bourgeois) par la mise en place de taxes sur les vins extérieurs à sa juridiction. La municipalité de Bordeaux entrave la circulation de la bière.

A Marseille, il y a aussi des privilèges, surtout celui protégeant les vins des propriétés avoisinantes. Les riches marseillais sont attachés au protectionnisme car leurs vins sont jugés de mauvaise qualité. En 1669, la ville a obtenu le droit d’être un port franc, les navires quittant Marseille ne payaient pas de droits. Les Marseillais voulaient cependant être un port normal à l’importation, pour taxer, ce qu’ils ont obtenu à quelques reprises.

A Paris, capitale très surveillée, il est impératif d’assurer un approvisionnement régulier et important, alors que c’est une ville plus aisée qui consomme donc plus de viande. Les bouchers et l’hôtel-Dieu, qui avait un poste alimentaire très élevé, pouvaient faire paître des vaches et des moutons dans la banlieue sans que ces propriétés soient sujettes à la taille dans la paroisse où ils se trouvaient. Cela alors que la taille était répartie entre les habitants du village… Cela signifiait une sujétion des villages de la banlieue à la ville-centre. Contrairement aux habitants de la banlieue, les bouchers parisiens n’avaient pas non plus à payer de taxes à l’entrée de la ville.

Conclusion

La banlieue fait partie du paysage de nombreux français à la veille de la Révolution. En 1789, tout ceci a volé en éclats. Dans certains cas, la ville-centre a pu conserver la totalité ou une grande partie de sa banlieue (Marseille, Reims), tandis que d’autres l’ont perdue, les petites paroisses rurales obtenant le droit de devenir une commune (Bordeaux).

Au XIXe siècle, avec l’urbanisation accompagnant la Révolution industrielle, la banlieue voit se développer sa population. Se constituent des agglomérations en état de dépendance, non juridique toutefois. L’Ancien Régime a ressurgi avec les communautés urbaines et le droit moral de la ville-centre à la présidence, en héritage de son ancien rôle.