Coste UE3 1er cours 25/09/08
Sommaire
Espaces et territoires
Introduction
Espace et territoire sont parfois utilisés comme synonyme, leur emploi est très souvent impensé. Qui dit espace et territoire dit géographie : on distingue en général l’espace géographique de l’histoire temporelle, alors que les deux sont liés.
I. Les géographes : l’espace et le territoire
Les géographes sont les premiers à travailler sur l’espace, mais ils ne sont pas les seuls ; les philosophes et les sociologues participent de la bibliographie sur le sujet.
A. La vision des grands dictionnaires de géographie
Les principaux dictionnaires :
- Le dictionnaire de la géographie, 1970, dir. P. George et F. Verger
- Les mots de la géographie. Dictionnaire critique, 1992, dir. R. Brunet [tenant de la nouvelle géographie]
- Dictionnaire de géographie, 1995, dir. P. Baud, S. Bourgeat, C. Bras
- Dictionnaire de la géographie, 2003, dir. J. Lévy, M. Lussault
Les dictionnaires sur internet :
- www.espacestemps.net/document436/htmal
- www.archives.ac-strasbourg.fr/database/articles/fichiers/Dicogeo.pdf
- www.internetactu.net/?p=6540
B. L’espace
L’ « espace » est le terme le plus vague. Au XVIIe siècle, le Dictionnaire de Furetière le définit ainsi : « Une étendue infinie de lieu, lieu déterminé, étendu depuis un point jusqu’à un autre. » Le dictionnaire de la géographie de P. George et F. Verger dit qu’il s’agit de « l’environnement de la planète »… Les modernistes ne peuvent donc pas l’étudier…
Dans l’ensemble, les définitions sont contradictoires, les débats vifs, surtout à partir des années 1960-1970 quand certains géographes ont voulu démolir les Grands de la géographie du début du XXe siècle, dans une démarche d’émancipation de la dimension vidalienne de l’espace.
L’ « espace » vient du latin spatium, « ce qui mesure avec le pas ». Il peut être clos ou une étendue, mais c’est un espace cartographiable. C’est l’espace-terrestre de l’humanité (œcoumène) ; l’espace géographique (portion définie de l’espace terrestre : espace rural, montagnard, etc.) ; l’espace économique, social, public, vécu, représenté (ces deux derniers ayant une connotation socio-culturelle, subjective selon le vécu, les connaissances et l’imaginaire).
C. Le territoire
Le « territoire » est une notion plus précise, mais suscitant des débats dans son utilisation. Chez Furetière c’est un « détroit, juridiction, ressort, étendue d’une seigneurie, d’une paroisse ». Une vision très juridique donc, sous une autorité, avec un centre et des limites. Chez P. George et F. Verger, c’est un « espace géographique qualifié par une appartenance juridique ou par une spécificité naturelle ou culturelle ». Le territoire a ainsi une définition précise et contient une autorité. Certains chez les décideurs considèrent que l’emploi du mot « espace » est technocratique.
Les géographes lui ont donné plusieurs définitions. C’est un espace socialisé, un espace contrôle-borné, qui renvoie souvent à un Etat ou à une Nation : il y a des frontières. D’ailleurs, des circonscriptions administratives prennent le nom de « territoire » ; ainsi les territoires d’outre-mer. C’est une notion juridique culturelle et affective : un espace approprié, un sentiment d’appartenance. C’est donc un espace de contrôle exclusif obtenu ou non par la force, qui renvoie au monde animal (marquer son territoire).
J. Lévy et M. Lussault le définissent de plusieurs façons : « toute portion humanisée de la surface terrestre » ; « un espace métrique topographique » (mesuré en utilisant le système euclidien). « Cet espace est caractérisé par la continuité, par l’uniformité ». Cette question peut être contournée grâce aux progrès informatiques qui ont permis des procédés cartographiques nouveaux : l’anamorphose (www-viz.tamu.edu/faculty/house/cartograns).
Qu’est-ce qu’un territoire ? « Un agencement de ressources matérielles et symboliques capable de structurer les conditions pratiques de l’existence d’un individu ou d’un collectif social et d’informer en retour cet individu ou ce collectif sur sa propre identité. »
Se pose la question in fine du lien entre le territoire et le réseau. Il n’y a pas d’opposition fondamentale entre les deux : le territoire est une surface de points reliés entre eux, le réseau est fait de lignes parcourant une surface. Souvent, le réseau couvre un territoire. [Mais en étant immatériel, le réseau transcende partiellement ou totalement le territoire.]
II. Le point de vue des historiens
A. Le rôle fondamental de Fernand Braudel
Avant Braudel, il y avait déjà des liens établis entre l’espace et le temps. L’histoire géographique date cependant des années 1930 avec le développement de l’école des Annales. Emerge alors Fernand Braudel (1902-1985) qui a fait sa thèse dans des conditions difficiles (détenu 5 ans sous l’occupation). D’abord, il a préparé une thèse classique sur La politique méditerranéenne de Philippe II d’Espagne, mais il a finalement changé d’idée est recentré le sujet sur la Méditerranée, accordant par là la primauté à cet espace géographique sur l’individu Sujet qu’était le roi : La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. C’est l’époque où la Méditerranée, centre du monde au Moyen âge, décline au profit de l’Océan Atlantique. Braudel innove également en mettant l’accent sur le temps long, surtout que l’époque moderne est le temps de la lenteur, l’homme étant tributaire des conditions naturelles. Etudiant l’espace et la longue durée, il peut distinguer les permanences et les transformations.
Il publie en 1967 Civilisations matérielles et capitalisme : utilisant les travaux de Wallenstein, il élabore la notion d’ « économie-monde », c-à-d un fragment de la planète plus ou moins vaste fonctionnant de manière autonome, se suffisant à lui-même économiquement, l’idée étant qu’il y a plusieurs économies-monde en contact ou non entre elles sur la planète : ainsi de l’empire romain et la mare nostrum, et de ses quelques liaisons avec les mondes germain, africain et asiatique. Une économie-monde a un centre, une ville dominante, le cœur des décisions. Il y a ensuite des régions secondes, les plus proches géographiquement, les plus intégrées au système, qui tirent profit de l’ensemble. Enfin, les régions périphériques dominées, floues, ayant des contacts moins affirmés.
B. La postérité de Fernand Braudel
Il a mis à la mode les études géographiques, avec un temps plus ou moins long, et un territoire plus ou moins vaste. La thèse de Pierre Chaunu, Séville et l’Atlantique de 1604 à 1650, parue entre 1955 et 1959, est monstrueuse de volumes. Frédéric Mauro s’est lui intéressé à L’expansion européenne de 1600-1670. Les échanges économiques et culturelles entre les grandes zones, dans le temps long, sont très importants. François Chevalier a publié un grand travail en 1952 sur La formation des grands domaines au Mexique : terre et société aux XVIe-XVIIe siècles. A un niveau moindre, la thèse de Pierre Vilar sur La Catalogne dans l’Espagne moderne : recherches sur les fondements économiques des structures Nationales, en 1977. Pierre Goubert s’est orienté vers l’histoire du petit pays : Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730. Contribution à l’histoire social de la France du XVIIe siècle, en 1960. La masse de documents est considérable, difficile et d’accès et de compréhension.
Par la suite, certains se sont concentrés sur les espaces maritimes. The Indian Ocean. A History of People and the Sea paru en 1995, par Kenneth MacPherson. The Black Sea : a political and social history, par Charles King en 2004. Ou encore, en 2005, Bruno Lorieux : La Manche au XVIIIe siècle. La construction d’une frontière franco-anglaise.
Ce type d’études est cependant en perte de vitesse.
Les historiens n’ont pas tiré partie des travaux des géographes et n’ont pas théorisé leurs travaux de territoire. L’historien est un praticien de l’espace, plus qu’un théoricien : il fait une histoire dans l’espace, et non une histoire de l’espace. Il n’y a pas d’interdisciplinarité, malgré l’appel de l’école des Annales ou de l’historien Marcel Roncaylo en 1989. L’inverse est vrai en revanche, ainsi avec le géographe Charles Pigeassou qui a travaillé sur les vignes dans le Médoc. Dans L’identité de la France, paru en 1986, Fernand Braudel a également essayé. Des travaux existent cependant, comme à Bordeaux III sur la viticulture.
Il ne faut pas oublier que toute étude qui porte sur la société, la politique, l’économie, le religieux ou le social ne peut tout à fait s’abstraire de l’espace.