Fernandez UE1 8eme cours 07/11/08
Le paradigme historique
Selon Thomas Kuhn, un paradigme est un système de connaissance et d’expression partagé par l’ensemble de la communauté scientifique. Plusieurs révolutions paradigmatiques se sont produites en physique : Aristote, Galilée, Newton, Einstein. En histoire, les ruptures épistémologiques existent aussi, mais sont moins fortes.
I. L’apparition de la science de l’histoire
Dans les années 1830-1850, l’histoire s’autonomise. Elle fait sienne l’appareil érudit développé notamment au XVIIe siècle par Jean Mabillon en 1681 dans son De Re Diplomitica, pour se dégager de la philosophie morale, après avoir fait de même avec la religion.
Dans les années 1830, en Allemagne, l’histoire apparaît désormais comme une discipline. En 1824, Leopold von Ranke a publié L’histoire des peuples romans et germains de 1494 à 1514, où il pose les fondements de ce que sera l’histoire-science, une histoire qui établit des documents et en fait la critique, et qui a pour objectif de restituer « ce qui s’est réellement passé », sans interférence philosophique, théologique, morale ou politique. Cette proposition reste l’horizon de l’historien qui se distingue alors des autres intellectuels : il recueille le document, en fait la critique et l’expose en le mettant en relation avec d’autres. Von Ranke, bien qu’engagé dans la vie politique et sociale de la Prusse, est persuadé d’atteindre l’objectivité dans sa pratique de l’histoire. Si c’est en Allemagne que l’histoire-discipline naît, c’est d’abord en raison de l’essor des universités allemandes dès le début du XIXe siècle, dans lesquelles sont mis beaucoup de moyens intellectuels et financiers.
Dans la première moitié du XIXe siècle en France, il y a un gros travail de collation de sources ; c’est d’ailleurs à ce moment qu’est créé le Comité des travaux historiques et scientifiques, qui organise des congrès. Augustin Thierry réalise d’importants travaux de recherches érudits, sur les Mérovingiens notamment dans un contexte qui est d’établir les origines des Français : derrière le fait de savoir s’ils descendent des Gaulois ou des Francs, il y a un enjeu politique entre démocrates et aristocrates. François Guizot et Adolphe Thiers livrent également des œuvres historiques. Le premier, contemporain de Ranke, ne pratique pas de la même façon que lui. Ayant des activités politiques, il parle de l’essor de la classe moyenne depuis les communes du Moyen-âge jusqu’à la révolution de 1830, l’apogée du libéralisme. Jules Michelet est un cas bien particulier : il s’agit bien pour lui aussi de restituer le passé ; un passé qu’il fait même revivre avec une empathie pour son personnage principale pendant la Révolution, le peuple.
Plusieurs réactions s’opèrent suite à la défaite française radicale et massive de 1871 ayant provoquée un profond traumatisme et interpelé dirigeants et intellectuels français. La réaction politique, c’est le renforcement des universités, dès les années 1870 mais surtout dans les années 1880, avec la création de la faculté des lettres et des sciences en sus des anciennes de droit et de médecine, les dotant de cursus comportant des plans d’études, des départements, etc. Ce travail du politique en faveur des enseignements concerne aussi le primaire avec l’école de Jules Ferry, mais pas le secondaire.
Les pères de l’école méthodique s’érigent contre les philosophies de l’histoire qui apparaissent alors. Gabriel Monod, Républicain proche des Opportunistes, fonde en 1876 la Revue historique qui a des objectifs politiques et scientifiques : mettre fin à la suprématie de l’histoire allemande et battre la Revue des questions historiques, monarchiste, qui produit beaucoup sur l’histoire des rois alors que Mac-Mahon est encore au pouvoir. La Revue fonde et impose une pratique et une écriture de l’histoire, dégagées de tout contenu politique et de toute philosophie politique par une méthode stricte, définie et appliquée ; cela dans le but d’imposer la validité du travail de l’historien à leurs pairs, puis à la communauté scientifique française. La conservatrice Académie française recueille la Revue des questions historiques, mais celle-ci ne bénéficie plus du même écho. L’école de la Revue historique se fortifie, il y a un prolongement didactique dans la grande synthèse d’Ernest Lavisse sur L’Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution en 1901, auteur qui devient en 1904 directeur de l’Ecole normale supérieure. Les historiens participent de la constitution de l’identité française, y compris dans les « manuels Lavisse » pour les écoles communales, l’histoire étant alors une discipline fondamentale dans un contexte de nationalisme français montant et frustrée.
En 1898, c’est l’apogée avec L’introduction aux études historiques de Charles Seignobos et Charles-Victor Langlois, un manuel pratique de ce qu’est le métier d’historien, la méthodologie de base. Le paradigme méthodique reste encore efficient et permet aux historiens de se comprendre entre eux, malgré les différences : c’est une sorte d’accord minimal des historiens, un patrimoine commun. Cela permet de distinguer l’histoire-discipline de ce qui n’en est pas.
II. Le changement de paradigme avec les Annales
En 1929 paraît le premier numéro des Annales d’histoire économique et sociale, sous la direction de Lucien Febvre et Marc Bloch. Tous les deux sont professeurs à Strasbourg, université particulière puisqu’elle a été sous contrôle allemand de 1871 à 1919 et donc très soignée par les autorités françaises. L’objectif est d’aller vers d’autres champs d’observation et d’analyse. L’entrée des Annales dans le monde intellectuel est fracassante. Les éditoriaux de Febvre sont assassins à l’égard de Seignobos et Langlois qu’il accuse de faire de l’histoire évènementielle, de l’histoire politique et diplomatique, de « l’histoire bataille », dit-il avec mépris. Ils veulent une histoire totale qui prenne en compte les réalités économiques et sociales des sociétés anciennes. Il faut donc de nouvelles sources et de nouveaux champs, ne plus se contenter des actes officiels mais aller chercher des registres d’état civil, des mercuriales de prix : tout peut faire source. Il faut donc questionner les sources, l’histoire ne peut plus être la seule restitution du passé. La question de la seule véracité ne suffit plus.
Des renforts arrivent avec la Revue de synthèse. François Simiand avait tenté de réaliser une sorte de science sociale, point de jonction entre histoire, sociologie et économie. Ernest Labrousse, en 1933, soutient une thèse d’économie en faculté de droit sur l’Esquisse du mouvement des prix au XVIIIe siècle, où il reconstitue des séries de prix et met en évidence une rythmique des prix et retrouve des hypothèses telles que celles de Juglar ou de l’économiste russe Kondratieff qui suggère qu’il existe une phase A (hausse des prix) et une phase B (baisse des prix). Il repère une phase d’expansion liée à la hausse des prix du XVIIIe siècle (trend) et des crises de type Juglar, qui se traduisent par des variations violentes sur la courte durée (à l’échelle humaine, donc les plus ressenties). Il approfondit sa recherche et soutient en Lettres (histoire) une deuxième thèse en 1944 intitulée Crise de l’économie française à la veille de la Révolution. Il obtient alors une chaire d’histoire économique et sociale en Sorbonne, créée après-guerre.
L’école des Annales s’est renforcée dans les années 1930. Febvre, rentré à la Sorbonne, est le directeur de thèse de Fernand Braudel. Bloch a participé aux deux guerres mondiales, ce qui lui a d’ailleurs fait écrire L’étrange défaite. Prisonnier évadé, il devient résistant et est fusillé en 1944 par les Allemands. A la sortie de la guerre, les Annales changent de nom pour signifier la volonté d’aller vers la science sociale : Annales. Economie, sociétés, civilisations. Labrousse et Braudel dirigent une grosse synthèse dans les années 1970 sur l’Histoire économique et sociale de la France.
L’école des Annales rayonne, ses élèves soutiennent et publient des thèses qui font date à la fin des années 1950 et au début des années 1960, à la suite des travaux de Braudel. Pierre Goubert publie ainsi Louis XIV et vingt millions de Français. Elle érige un paradigme concurrent de celui de l’école méthodique. L’Ecole pratique des hautes études (devenue l’EHESS) est, bien plus que l’université (sauf quelques places en Sorbonne), le centre nerveux de cette histoire problématisante, bien loin de l’ « histoire positiviste » (mot de Lefebvre). L’école des Annales est davantage audible qu’elle n’est hégémonique. Il s’agit plus d’une avant-garde étoffée. On a tendance à exagérer son emprise, comme celle du marxisme, du structuralisme, de la psychanalyse lacanienne ou de la philosophie althussérienne. Cette surreprésentation des Annales tient à deux phénomènes : la nouveauté du concept ; et elle sert rétrospectivement à ses détracteurs pour se faire passer pour des résistants en zone encerclée.
III. L’histoire en miettes puis la crise de l’histoire
A la fin des années 1970-1980 la dynamique du paradigme des Annales dans le domaine historique est rompue. Cela tient à des raisons internes : dans ce souci de recherche d’une science sociale totale, la revue s’ouvre à des chercheurs et à des types de questionnements et d’écritures qui ne sont pas propres à l’historien : linguistes (après linguistique structurale des années 1960), anthropologues, démographes (démographie historique, avec Pierre Guillaume notamment). François Dosse a relaté cette « histoire en miettes » qui part dans tous les sens. Il y a une implosion/explosion de l’histoire issue des Annales et un rétablissement de domaines plus traditionnels : l’histoire politique avec une grande vigueur méthodologique et sociale. René Rémond et les historiens de Sciences po s’imposent et disposent des éditions du Seuil, mêlant l’histoire savante pour leurs pairs et la vulgarisation (L’histoire).
Des contestations venues des Etats-Unis sont reprises en France par Paul Veyne au sujet du « linguistic turn ». Ils entreprennent une déconstruction totale de l’histoire à partir d’une lecture partielle de Jacques Derrida. L’histoire est présentée comme un récit, il n’y a pas de réel mais que du discours. Le socle paradigmatique et méthodologique commun est profondément ébranlé par la diversité des réflexions des historiens, à tel point que Gérard Noiriel a écrit de façon provocatrice en 1996 La crise de l’histoire.
La construction de la connaissance historique
I. La société et le temps
L’idée de société et celle d’histoire sont inextricablement liées dans une relation complexe et multiple. L’histoire-objet est comme intégrée à la société, c’est quelque chose qui arrive, qui caractérise les sociétés. Pour parler de ce qu’est l’histoire, il faut parler de la société. Pour parler de ce qu’est l’histoire, il faut parler de la société. Trois connotations préalables servent à la dimension historique du social :
- La nature et la société ne sont pas des réalités juxtaposées, mais constituent un continuum sans rupture
- De l’existence de mouvements découle le constat qu’il est possible d’expliquer le monde de la nature et le monde privé. C’est la prémisse pour penser tout changement
- L’idée de société acquiert un profil plus précis lorsque l’on parle de système social : la société (abstraite) et les sociétés historiques (concrètes) fonctionnent comme un système, c-à-d comme une sorte de tout où la modification d’un élément modifie l’ensemble. Toute réalité naturelle est immergée dans le mouvement, dans ce que les physiciens appellent la flèche du temps, un temps cumulatif et irréversible. Cela sert pour dire que tout l’univers a une histoire.
La nature humaine est sociale et historique. Mais la société et l’histoire sont des entités qui appartiennent à des ordres distincts de la réalité. Ainsi, alors que l’idée de société inclut des aspects matériels, institutionnels et organisationnels (Durkheim : observer les faits sociaux comme des choses), l’histoire est une entité non matérialisable.
L’analyse de la société comme le sujet historique implique une dimension primordiale à la dynamique temporelle. C’est ce à quoi contribuent les théories sociales de fondateurs de la sociologie : Comte, Marx, Durkheim et Weber. C’est cette attention à la théorie du « social becoming » que l’on trouve chez Anthony Giddens, théoricien de l’action sociale en 1982 dans Sociology. A brief but critical introduction. Il y parle de tournant historique de la sociologie. C’est également ce que l’on retrouve chez Pierre Bourdieu. C’est un retour à la dimension temporelle de la sociologie-science après le fonctionnalisme de Talcott Parsons qui posait le problème en termes de structures plutôt qu’en termes de processus dans les années 1950-1960. Des théories de l’action davantage attentives aux processus reprennent vigueur, ce sont celles de la « human agency » où il y a une relation entre l’agent (le sujet) et les structures (une situation historique donnée), entre les actions transformatrices des individus et l’inertie des institutions. C’est la théorie de Giddens qui est reprise à l’occasion de la traduction de La Constitution de la société en 1995. Le problème de l’action du sujet est réinterrogé dans ses interactions avec les structures, en particulier par l’histoire. Dans la société et par la société les choses acquièrent leur dimension historique.
Les structures sociales ne peuvent pas se comprendre sans référence aux acteurs qui les incarnent. Cela s’articule avec la nécessité d’attribuer un certain degré d’efficacité aux sujets historiques. A ce point se pose la question déjà posée au XIXe siècle : qui réalise cette action historique ? Les individus ou les groupes ? Pour l’individualisme méthodologique, les actions collectives sont des sommes d’actions de sujets, alors que pour l’holisme méthodologique, les groupes sont les véritables sujets historiques. Se pose le problème du changement social. Si l’histoire-objet est le résultat des actions des sociétés dans le temps, l’histoire-discipline est l’analyse des étapes temporelles : entre permanences et changements. Le changement fait donc l’histoire même s’il n’est pas l’histoire. L’histoire-discipline serait la science qui a pour mission d’observer le degré de changement. Mais, comment le percevoir ? Quels types de mutations observer pour étudier la société ? Quels sont les sujets à l’origine de ces changements ? Et quels sont leurs interactions avec les structures.
Robert Nisbet, sociologue conservateur, prend le contre-pied de ces considérations en pensant que le changement n’est pas essentiel à l’histoire des sociétés : il distingue les mouvements du changement. La sociologie de Raymond Boudon, tenant radical de l’individualisme méthodologique (les causes ultimes de tout phénomène social résident dans des actes, des croyances ou des attitudes individuelles), soutient qu’il y a des conséquences inattendues aux décisions prises. En fait, le changement social ne peut être considéré comme identique à l’histoire. Le changement des sociétés est sociologique, mais son analyse ne peut être qu’historique : le changement social est l’un des principaux composants qui donnent la dimension historique des choses.
A l’origine du changement, plusieurs théories. Il y a la question des conflits qui sont, dans tout un courant notamment inspiré par Marx, donnés comme l’un des moteurs de l’histoire. Les idées sur le sens (signification et direction) des changements. On revient là à l’idée de progrès qui est structurante, c’est un concept normatif, justificatif et prescriptif des actions individuelles et collectives. De même les notions de croissance et de développement sont à la fois des métaphores explicatives dans les discours et des concepts actifs des sociétés et des individus très fortement attachés à la notion de progrès. Ces notions rendent sinon impensables du moins incompatibles l’historique comme processus et l’idée de permanence absolue d’une structure sociale. Même si l’historique est le degré d’intensité du changement et le travail de l’historien est d’étudier les variations des permanences.
En somme, on arrive à la thèse selon laquelle il n’y a pas de possibilité de comprendre ce qu’est l’historique sinon depuis la prise en compte de la nature sociale de l’homme. Individu, c’est déjà une composante du social. Comme il est impossible qu’un phénomène social n’ait pas de dimension temporelle, une conception de la société sans histoire est impossible : il y a inséparabilité du social et de l’historique. Ce sont deux faits qui permettent de connaître le réel. La société est une combinaison dialectique entre structures et action sociale. La société n’est donc un processus. La société prend sa configuration à partir des actions des sujets sociaux (individu ou groupe) et s’objective dans les structures. On ne peut considérer les structures seules, contrairement à ce qu’à essayé de faire la linguistique structurale dans les années 1960. La société peut être comprise à partir du système social. Pour qu’il y ait société, il faut qu’il y ait relations globales à l’intérieur de celle-ci. Le changement social est consubstantiel à l’histoire, mais l’histoire est quelque chose de plus. Si l’on considère la société comme un processus, le social est sans arrêt modifié par l’évènement est mis en relation avec un milieu (configuration globale). La société n’est pas, elle devient, sauf à tomber dans le/la substantialisme/naturalisation où on commet des erreurs.
II. L’objet théorique de l’histoire
Les considérations sur le temps sont anciennes et appartiennent d’abord à la physique et à la philosophie. En Occident, il y a Aristote et Augustin au départ. Aristote, dans sa Physique, expose des conceptions sur la nature et la mesure du temps. On trouve une mise en absolu de la loi relationnel du temps et du mouvement, mais le temps n’est pas l’équivalent du mouvement. Chez Augustin, on a une conception du temps comme absolu, irréversible : l’irréversibilité du temps est la seule limite à la toute-puissance de Dieu ; on ne peut pas revenir sur ce qui a été.
Newton distingue le temps absolu, vrai et mathématique, un temps en soi et sans relation à l’extérieur, qui s’écoule d’une manière continue et que l’on nomme « durée » ; contre le temps relatif, apparent et commun, mesure sensible et externe de la durée au moyen du mouvement. C’est ce temps relatif qui est utilisé par le sens commun au lieu du temps vrai, absolu. Le nouveau paradigme de la physique au début du XXe siècle l’a toutefois qualifié de conception du temps comme récipient, conception attaquée par Ernst Mach dès la fin du XIXe siècle et détruite par la théorie de la relativité d’Einstein. Ilya Prigojine conclut à l’irréversibilité du temps en considérant que l’univers a une histoire.
La principale réflexion sur le temps émanant d’un historien est celle de Fernand Braudel dans les Annales en 1958 avec un article intitulé La longue durée. Braudel distingue des temps simultanés et différents :
- Le temps de la très longue durée, à l’échelle humaine ou d’une société mais non dans l’absolu : le temps des paysages (désert, immobile à l’échelle historique)
- Le temps de durée moyenne des cycles économiques
- Le temps court de l’évènementiel (celui étudié par l’école méthodique)
Ces 3 temps sont articulés, la même séquence historique les contient tous les 3. Braudel a trop tendance à assigner la moyenne durée à l’économique et la courte à la politique, mais la crise économique par exemple est par essence courte, évènementielle. L’histoire est en tout cas un précipité des 3 durées que Braudel isole. Depuis Braudel, on ne pense plus le temps de la même façon, il y a un télescopage des durées sur un présent : par exemple, dans le quartier d’une ville, on croise des bâtiments anciens (passé lointain) et nouveaux (passé plus récent), ainsi que des individus marchant dans les rues (présent).
Avec une approche très différente, Arnold Toynbee donne une vision moins linéaire du temps, il en a élaboré une vision à partir des notions de « défi » et de « renaissance ». C’est une vision du temps saccadée par des phases d’accélérations (renaissance) qui servent à mesurer le temps des civilisations. C’est une conception du temps quasi circulaire, minoritaire dans la pensée occidentale.
Plus récemment, de nouveaux apports sont apportés à la réflexion par Reinhart Koselleck dans Le futur passé.Contribution à la sémantique des temps historiques, traduit en 1990, ou de Bernard Lepetit dans Les formes de l’expérience en 1994. Koselleck approfondit Braudel : la chronologie calcule selon les lois de la physique et de l’astronomie, mais n’est pas dans la condition naturelle du temps qui s’accomplit, le temps de l’histoire. Le temps de l’histoire n’a pas d’unité parce qu’il est articulé à de multiples combinaisons d’actions sociales et politiques. Dans une situation concrète, les expériences du passé se sont transformées avec le temps et les expectatives, espérances, anticipations y trouvent manière de s’exprimer. L’idée de la temporalité historique se tourne vers l’analyse vers 3 modes de temporalité dans une relation entre passé et futur qui cristallise dans le présent. Le mouvement historique prend place entre l’attente et l’expérience, entre les catégories que l’auteur définit comme horizon d’attente et champ d’expérience. Le temps de l’histoire est cumulatif mais la tentation de saisir l’histoire dans sa totalité ne peut se comprendre que dans cette tension vers le futur, vers ces horizons d’attente. C’est une réflexion très importante menée par un historien, chez lequel on sent l’influence de la philosophie (Heidegger, l’herméneutique allemande). L’histoire est d’ailleurs traditionnellement associée à la philosophie en Allemagne, tandis qu’elle l’est à la géographie en France.