Cours complet 09-10 UE5 Fernandez

De Univ-Bordeaux
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Les réseaux des services techniques publics urbains

COURS n°1

Entre la fin du XIX° et le premier tiers du XX° pour arriver à la notion « d’édilité » et de « compromis édilitaire » qui se met en place entre l’extrême fin du XIX° et au lendemain de la guerre de 14 au plus tard. Le modèle économique et social français et européen en a accouché jusqu’aux 1970’s, remis par la suite en cause avec le thatchérisme. La grande marque européenne est la fiscalité redistributive (en Amérique du sud par exemple, pas d’impôt au Brésil). Le meilleur exemple reste les pays scandinaves avec un taux de fiscalité très élevé, mais d’une manière générale même en GB et aux EU, les impôts restent élevés. « Compromis fordiste » : notion élaborée par des théoriciens dans 1970’s (Aglietta, Boyer), qui analysent les décennies qui viennent de s’écouler. Ils qualifient le fordisme un régime d’accumulation de profits fondé sur la consommation et la production de masse. La production de masse entraine une réduction de coûts, pour espérer que les ouvriers puissent acheter (5$/jour et invention de la Ford T). Pour passer du moment de consommation des classes moyennes supérieures aux classes moyennes inférieures, des politiques keynésiennes ont été mises en place avec des prélèvements pour permettre aux entreprises de développer leurs équipements pour réduire leurs coûts.

L’INTERVENTION DE L’ETAT APRES GUERRE OU LE « COMPROMIS FORDISTE »

  • Dans un premier temps, reconstruction de ponts et de routes, mais pas seulement. Investissement également pour la construction de centrales hydro électriques. Cet investissement se fait soit directement par l’Etat (France, GB), soit indirectement en facilitant le crédit (Allemagne), crédits d’abord accordés aux entreprises avant d’être accordé aux ménages.

De plus, les périodes d’inflations favorisent la diffusion du crédit, plus facile à rembourser en période d’inflation, en essayant d’éviter les pics comme en 1947.

L’intervention de l’Etat également dans le financement des infrastructures collectives : les logements en banlieues (graves problèmes de logement dans 1950’s, cf abbé Pierre), gymnases, piscines, stade.

  • Les impôts entraînent un cercle vertueux : par exemple, les impôts servent à financer les études ou les médicaments, du coup l’argent peut être investi ailleurs, notamment dans la consommation de biens manufacturés, en consommation privée. Le travail des femmes constitue un deuxième volet de l’augmentation du pouvoir d’achat.
  • Dans les 1950’s, le taux de profit des entreprises diminue, qui s’accentue dans 1960’s et 70’s. Dans 60’s, crise de sur accumulation de capital en Allemagne, France, GB qui entraîne qui plus est à une délocalisation de capitaux, par exemple au Brésil mais également en Espagne. A cette période, l’Etat est amené à intervenir pour défendre les salariés.
  • Deux conséquences de ce mode de fonctionnement dans 1970’s :
  1. Choc pétrolier de 1973 qui provoque de fait une augmentation des prix.
  2. Dévaluation du système de Bretton Woods – 1969, confirmée en 1971 par Nixon, ce qui entraine la création de marchés financier avec la fluctuation des monnaies (création de monnaies fictives). On est passé d’un système de contrôle des monnaies, notamment par des jeux de dévaluation (Italie, Espagne), ce qui entraine de fait une stimulation des exportations et du crédit, à un système de décisions maîtrisées par le directeur de la Banque centrale.

Une question de fond se pose aujourd’hui sur l’utilité et la définition du service public : les impôts peuvent ils justifier le financement des études, de la médication ? C’est tout le débat entre le maintien d’un état interventionniste tel qu’il se développe depuis 1945, ou une privatisation complète vers laquelle le système actuel nous fait tendre ?

LA NOTION DE « COMPROMIS EDILITAIRE »

  • Compromis de la ville, les « édiles » étant conseillers municipaux.
  • La question des déchets au début du siècle ne va pas être traitée. L’économie des réseaux se distingue de l’économie des biens manufacturés car des gros postes de dépenses se distinguent, et le reste suit. Concrètement, une fois la centrale électrique installée, la quantité d’énergie distribuée ne fait pas varier le prix de distribution, jusqu’à un certain stade du moins.
  • Notre étude de services techniques ne portera pas sur les services urbains ou techniques qui ne demandent pas la contribution du bénéficiaire : c’est le cas de la voierie (exception faite des autoroutes avec le péage). Ces services sont dits indivisibles (la police, l’armée etc…) Entre parenthèse, une question de fond se pose sur l’offre de certains services publics ; par exemple, doit-on faire payer le service des pompiers pour ceux qui se retrouvent coincés dans une avalanche ? D’autres services publics sont également sujets à ces interrogations : la question de l’eau (mise en avant de son rôle utilitaire donc tarification en deçà de son prix de revient), la question de l’électricité, du gaz.

Seront exclus également de notre étude les services où le bénéficiaire ne paye pas (le cimetière).

  • Cela nous emmène à considérer et à prendre en compte une question majeure d’histoire économique : c’est la question de la tarification. Doit elle être proportionnelle (prix à l’unité), dégressif (baisse du prix à mesure que la consommation augmente). C’est une des questions majeures de la gestion communale ou inter communale : faut il stimuler la consommation par une tarification dégressive ou limiter la consommation par une tarification dégressive dans le cas par exemple d’une pénurie de ressources.

Au début du siècle, la tarification était dégressive. Aujourd’hui mais surtout demain, afin de limiter la consommation, la tarification risque de devenir régressive (augmentation des prix au fur et à mesure que la consommation augmente).

  • Au final, plusieurs acteurs : les autorités concédantes – qui sont aujourd’hui les autorités locales (communes qui peuvent se regrouper), qui peuvent déléguer à des opérateurs (Lyonnaise des eaux à Bordeaux) où à des régies (Kéolis pour les bus à Bx). Cette notion de délégation du service public à émerger à la fin du XIX°.

Les opérateurs sont le deuxième acteur. L’Etat est le troisième. Les citoyens contribuables étant le quatrième et dernier, finançant directement par les impôts ou indirectement lorsque la ville emprunte. Tous ces acteurs se retrouvent dans le compromis édilitaire.

COURS N°2

En 1963, les choses paraissaient simples : l’électricité comme le gaz était un service public et il avait été décidé, d’abord dans les rangs du CNR en 1943, et ensuite dans l’Assemblée nationale de la libération, de créer une entreprise nationale correspondant à ce service public. La création d’EDF en avril 1946 par la loi de la nationalisation du gaz et de l’électricité. Cette loi intègre dans cette entité électricité de France l’ensemble des compagnies préexistantes privées dans les trois domaines de la production, du transport et de la distribution.

  • Dans le détail de la loi cependant, la nationalisation de production n’est pas totale, et il reste possible de produire, dès lors de que cette production n’excède pas 500 kWatt par an. Il continue également à avoir des petits producteurs indépendants : SNCF, charbonnages de France, compagnie du Rhône.
  • Le transport est lui entièrement nationalisé (actuel RTE).
  • Pour ce qui est de la distribution, dès lors qu’une entreprise publique s’occupait de la distribution, elle peut continuer son activité (régie municipale, à Bx par exemple) car les communes et édiles (cf cours précédent) continuent de choisir leur mode de distribution : autorité concédante. A Bordeaux par exemple, la compagnie du gaz et de l’électricité créée en 1896 continue à fonctionner après 1946. Elle absorbe progressivement les producteurs privés progressivement. (Les régies publiques existants déjà avant 1946 sont limitées essentiellement à Bordeaux, mais également à des villes de l’est de la France (Alsace, Lorraine : héritage allemend). Ailleurs, producteurs privés.

De nombreuses régies publiques sont créés dans les zones rurales pou gérer cette distribution.

Le gaz de Bordeaux (Société économie mixte) est créé en 1991 dans un autre contexte cependant. Les grandes privatisations qui se développent dans les années 1980 en Europe (modèle thatchérien et reaganien), et en France dès 1986. En 1991 à Bordeaux, la création d’une SEM (gaz de Bordeaux) permet de trouver un compromis entre le passage du publique au privé, sans libéraliser totalement le système (libéralisation partielle). Le tournant adopté dès 1986 met fin à la tendance depuis le milieu du XX° où les systèmes nationaux l’emportaient (National Health Service en GB où sont également nationalisés les charbonnages, nationalisations en Italie, sécurité sociale en Fce dès octobre 1945 etc…), système national français qui atteint son apogée dans 1960’s (grandes politiques d’aménagement du territoire : métropoles d’équilibres etc…)

Les années 1980 marquent également la séparation de deux échelles :

  • L’échelle régionale avec un certain nombre d’acteurs qui ont tout intérêt à jouer la carte régionale (Sud Ouest, Fr 3, un certain nombre de politiques)
  • L’échelle locale avec certaines villes qui supposent qu’elles auront le moyen de s’en sortir si l’Etat n’intervient pas dans leur gestion. Une nouveauté du discours apparaît donc à partir des années 1990, surtout dans la notion de concurrence des villes entre elles, ce qui paraissait impensable avant, en pleine période de force étatique (cf paragraphe précédent). C’est dans cette logique que Bordeaux continue à s’approvisionner en gaz, sans passer par EDF (pour la distribution).

Les services publics et techniques sont donc les enjeux de ces rapports de force qui marquent la fin du XX° comme ils avaient marqué la fin du XIX°- début XX°. Ces réseaux constituent quelque part un enjeu économique majeur. Cependant, ces activités ont nécessité une intervention pour réguler ces produits, différents par nature des produits manufacturés par exemple qui nécessitent moins de régulation. Or, cette régulation s’est imposée car les entreprises ont réclamé cette régulation d’elles-mêmes.

Il a fallu donc obtenir une régulation de la libre entreprise. Le soutien de la loi était nécessaire face aux obstacles des autorités administratives, mais également des compagnies privées. En aval, pour distribuer, il faut disposer de canalisations, donc d’emprunter soit des propriétés soit le domaine public, auquel cas il faut monter que la distribution est d’utilité publique afin d’obtenir une autorisation. Dans le cas de l’électricité par exemple, la grande difficulté était d’obtenir l’accord des grands propriétaires fonciers habitant à côté des grandes zones productive.

D’autre part, la production de gaz est considérée à risques. Il y a donc une surveillance émanant des autorités administratives. Au début du siècle, de nouvelles notions de services public, industriel et commercial ont été élaborées, notamment grâce à l'apport du juriste bordelais, Duguit. Ces notions ne sont pas seulement juridiques, elles recoupent également du droit administratif et le rôle de l’historien est d’expliquer que si la distribution de l’électricité surtout mais également du gaz devient un service public, c’est parce qu’il y a une demande sociale rendue possible par l’offre : ces besoins peuvent être techniquement, économiquement fournis. La question juridique se couple donc avec la question politique, notamment avec la question des tarifs. C’est le moment où l’on commence à considérer comme normal que les habitations disposent d’habitations électriques, et disposant d’eau.


Cependant, pour être normaux, ces services doivent remplir plusieurs critères : il faut que techniquement soit possible, il faut que l’offre existe techniquement et financièrement, ainsi qu’une demande fiable techniquement et financièrement soit présente. Il reste ensuite à savoir comment ce service peut être distribué.

Cela se passe au niveau local, d’où l’importance de la notion de compromis édilitaire.

Cette notion d’Etat social justifie une prise de pouvoir par les autorités publiques, ce qui est particulièrement net en Allemagne : c’est le socialisme municipal. Mais tout cet arsenal juridique n’a pas se mettre en place parce que les conditions théoriques, politiques, matérielles sont rendues possibles. Ces services se muent donc en besoins, et imposent aux collectivités de développer la mise à disposition de ces services à tous. En conséquence, les opérateurs vont être obligés d’assurer la continuité du service quoi qu’il advienne. Il y a donc une délégation du service public.

Longtemps la juridiction empêche l’intervention publique, jusqu’en 1917. Mais plus le temps passe, plus assurer le service revient cher.

Résumé/rappel : 2 acteurs majeurs : les autorités concédantes et les opérateurs.

COURS N°3

Première installation de l’électricité à Bordeaux en 1897. On peut observer une mutation de l’édilité dès le milieu du XIX° et qui s’encadre dans les décennies suivantes.

Depuis l’Antiquité déjà, des édiles avaient la charge de la gestion des ressources, d’où l’aménagement des greniers etc… (Édilité monumentale). Dans certains cas, notamment autour de la Méditerranée, réseaux d’eau particulièrement élaborés (édilité sociale, Rome).

Au XIX° :

  • l’édilité politique ne change pas.
  • Mais dans l’édilité sociale, on observe de nombreux changements ; il faut en effet apporter de l’eau à 300 000 personnes. Certes la population n’augmente pas très rapidement (Bordeaux par exemple), mais le volume de la population à approvisionner n’en demeure pas moins présent. [évolution absolue / évolution relative
  1. évolution absolue de la population : Bordeaux passe de 100 000 personnes en 1789, 2ème ou 4ème ville du royaume, à 300 000 en 1918.
  2. Evolution relative. Certes la population augmente, mais elle augmente moins que celle du royaume.]

L’un des grands problèmes du XIX° reste les conditions d’hygiène des villes.

En 1842, Chadwick fait un état de la santé publique dans Londres catastrophique. Il montre que les conditions de vie sont pires au moment où il écrit qu’au siècle précédent. Ce rapport Chadwick a eu des conséquences considérables dans tout l’Europe et a donné naissance à l’hygiénisme. Pour faire court, l’hygiénisme part d’un constat catastrophique sur les conditions matérielles des populations et la nécessité d’y trouver remède. (Cf John Snow et la mise en place d’une politique de santé publique pour lutter contre le choléra).

Hygiénisme aériste qui rend la promiscuité responsable de la mortalité. Cette pensée est renforcée par la révolution pasteurienne qui ne fait que confirmer une volonté de renforcer la qualité de l’eau déjà présente dès les années 1840. Cet hygiénisme a aussi une dimension morale en indiquant aux populations des types de comportements.

A Londres par exemple (comme à Bilbao ou en Allemagne), mise en place de réseaux d’eaux dès le XIX° où l’eau de la Tamise approvisionne les immeubles. Des doubles installations sont développées dans certains immeubles :

  • un robinet d’eau potable mais onéreuse.
  • un robinet d’eau de rivière destiné aux autres usages. Cependant, eau en abondance et gratuite, sur laquelle une partie de la population a pu se rabattre.

Dans le cas de Bordeaux par exemple, ce double aménagement ne se pose pas car la ville dispose d’eau en abondance, et de bonne qualité (toujours aujourd’hui).

Dans un cadre d’urbanisation et d’industrialisation, la question de l’assainissement se pose.

Exemple de Bordeaux : situation épouvantable au début du XIX°. Il y a donc deux dimensions : le volume de la population, mais également la question géographique (présence de marais, ressources en eau très faible : peu de puits, quelques fontaines seulement ; sous la restauration 3L d’eau par jour/habitant). Au fur et à mesure que la population augmente et que la proto industrialisation se développe, les ressources par tête diminuent. Finalement, au milieu des années 1850, décision de financer des adductions d’eau après avoir mené une enquête au Taillan et contesté la présence de ressources aquifères de qualité. Un service d’eau municipal existe donc au XIX°. On passe à 200L/jour/hab. Cette première adduction sera complétée dans les années 1880, et elle sera notablement réalisée à la fin des années 1930 (1941 : enquête qui montre que 60% des bordelais disposent d’eau potable). Au point de vue de l’adduction d’eau, Bordeaux se signale, tant au plan français qu’au plan français, à un niveau correct. En revanche, sur la question de l’assainissement reste préoccupante : seulement 6% de la population est rattachée au tout à l’égout. Des ressources techniques et financières sans commune mesure avec ce que l’on connaissait sont réquisitionnées. Il ne s’agit plus de faire une ligne d’eau, mais bien un réseau. Plus tard au XX° se pose la question de l’approvisionnement des étages et donc de la pression d’eau, question qui n’est véritablement résolue que dans les années 1960-70. Il faut qui plus est établir un système d’écoulement.

L’EDILITE MODERNE C’EST DONC :

  • Un point de vue social qui ne change pas vraiment : mission traditionnelle.
  • Un point de vue technique et financier avec des exigences qui explosent sans commune mesure. A Bx en 1920, le budget pour la gestion des réseaux est égal au budget total de la ville (les 2 budgets sont séparés).


L’insertion progressive des réseaux de gaz, de transports collectifs (d’abord hypo mobile), de l’électricité au réseau d’eau déjà existant renforce ce phénomène. L’édilité entre donc dans l’économie ; 3 types de questions se posent :

  • comment financer l’équipement ?
  • comment exploiter le service ?
  • quelle expansion spatiale doit on lui donner ? (par exemple, un temps, le tram s’arrêtait aux barrières et on était obligé de changer de compagnie).

Entre économie et gestion politique, il s’est constitué une sphère de l’édilité que nous pourrions nommer l’économie municipale qui n’est pas limitée à l’exploitation des réseaux techniques, qui sont en réalité une part prégnante de l’économie, du moins à cette période (la période suivant sera marquée par le développement des infrastructures sportives).

La gestion municipale est donc un compromis entre administration et économie, entre initiative privée et intérêt publique et initiative publique et intérêt privé.

Les centres municipaux sont donc des centres décisionnels majeurs, où les choix techniques adoptés peuvent devenir irréversibles : c’est le fameux path dependancy (Paul David).

Il ne faut pas non plus prétendre embrasser toutes les actions économiques et sociales dans les municipalités ; l’Etat peut rester un acteur majeur (système d’adduction d’eau moderne et précoce dans les années 1960 à Madrid, bien plus développé qu’à Barcelone car l’Etat y est intervenu d’emblée, dès les années 1850).

L’essentiel des dépenses municipales au XIX° reste dirigé vers des dépenses de bienfaisance avant de dévier vers la fin du siècle à la protection sociale. Enfin, dans cette notion d’économie municipale on n’inclut pas l’édilité traditionnelle comme la voierie.

Les municipalités dans les Etats d’Europe restent les autorités concédantes dans la plupart des cas (sauf en Angleterre où le statut des villes est bien plus complexe où il y a seulement un peu plus de 130 towns reconnues), et le bon rapport avec les municipalités reste donc une donnée fondamentales. Deux éléments doivent donc être considérés :

  • l’eau potable est destinée à un usage privé.
  • La construction de distribution d’eau potable implique des coûts très importants : il ne s’agit pas simplement des réseaux d’adduction, mais également assurer la question de l’hygiène. Il s’agit donc de passer d’une dimension collective à une dimension individualisée. C’est à partir donc de la fin du XIX° que l’on a commencé à faire payer l’eau : il faut amortir le coût de fonctionnement d’une part. Mais d’autre part, il faut assurer le passage de l’adduction publique (la fontaine), à l’adduction privée (le robinet).

Le paiement de l’eau s’appelle le tarif, fondamentalement distinct du prix. Le tarif est donc administré, contrairement au prix qui dépend du marché libre. Le tarif est donc différencié du marché. Dans la plupart des cas, le tarif est un prix politique. C’est une convention passée entre usagers, opérateurs, Etat, autorités municipales qui lorsqu’elles n’assurent pas elles mêmes le service en possède tout de même l’autorité. Il s’agit donc de trouver un niveau de tarif qui assure une rémunération publique ou privée, sans être trop élevée pour pouvoir rendre le service disponible sur tout le territoire et à un maximum de catégories sociales. Cette tarification de l’eau n’a pas été sans rencontrer l’opposition des populations.

Localement, bien que d’autres systèmes se maintiennent, le XIX° voit l’apparition majeure du compteur. A Marseille par exemple, le système de la bâche ( ?). Certains pensent que le compteur a été responsable en raison de ces coûts.


COURS N°4 : VILLES ET TECHNIQUES, DIX (ou presque) PROPOSITIONS CONCLUSIVES :

Les grands systèmes techniques qui traversent les villes comme le téléphone ou l’électricité font partie du questionnement urbain même s’ils ne sont pas exclusivement citadins.

Certaines technologies ont pu être, à l’origine, spécifiquement urbaines, comme l’électricité (meilleur exemple), mais le développement de leurs logiques technico-économiques font qu’elles échappent de plus en plus au contrôle édilitaire. A l’inverse, l’eau et le gaz deviennent des services plus municipaux. C’est particulièrement le cas du gaz qui garde une grande urbanité (jusqu’aux années 1960, le gaz provient d’usines à gaz et est produit à partir de charbon, différent du gaz de ville actuel).

Cette spécificité urbaine est-elle liée à l’ancienneté des services urbains ? La réponse est négative car à la fin du XXe siècle certaines nouvelles technologies font appel à des services techniques dont la logique est exclusivement urbaine (TV câblée). Les services sont-ils cantonnés dans les villes ? La sortie hors des villes de l’eau courante est un phénomène récent qui date de la deuxième moitié du XXe siècle voire de son dernier quart. A la fin des années 1970, beaucoup de hameaux n’ont pas l’eau courante.

L’innovation est un phénomène massivement urbain.

Les pratiques sociales générant les nouvelles technologies ont d’abord été, et sont restées pendant longtemps, citadines. Elles sont significatives d’un genre de vie citadin, non seulement au niveau des usages mais aussi du fait d’une prédisposition culturelle. Il existe une appétence pour la modernité plus importante en ville que dans les campagnes. Ceci est dû à la naissance en ville de raisons économiques et sociales principalement du fait que les marchés et la demande se trouvent en ville (il existe des nuances chronologiques et sociologiques selon le type de technologie mis en œuvre et selon le lieu).

Les premiers demandeurs sont les milieux aisés, mais pas forcément les plus riches. Dans le cas de l’eau courante, les très riches ont des domestiques pour la leur apporter, donc n’en ont pas besoin. Ceci se couple, d’autre part avec les modes de vie aristocratiques, qui demeurent attachés aux traditions, en découle une certaine réticence à la modernité. La bourgeoisie a plus d’intérêt dans le progrès technique.

On remarque une capillarité descendante quand on regarde avec précision la diffusion des innovations.

Le confort est une notion bourgeoise, distincte du luxe. C’est un service qui, une fois universel, n’a plus d’effet distinctif [cf Bourdieu]. Ainsi, son refus devient alors une marque distinctive. Il s’agit en fait de trouver des modes de distinction dans la production du service indépendamment du mode de production du service (par exemple avec les panneaux solaires actuellement : façon différente de se procurer le même élément).

Les externalités.

  • Elles sont à l’articulation du système technique et de la morphologie urbaine. Même si les équipements techniques en réseau ne possèdent pas une matérialité et une monumentalité aussi lourde que d’autres types d’équipements collectifs qui s’inscrivent durablement dans le paysage urbain, ils peuvent quand même façonner l’espace urbain. Les centrales thermiques, les usines à gaz ont une monumentalité à la différence des réseaux d’eau et de gaz sous-terrain. Ils ne sont pas visibles.

L’eau et l’électricité sont devenues universelles et ont une matérialité réduite mais elles peuvent façonner des quartiers. Evidement, le réseau de transport (tramway) est producteur d’espace urbain : les faubourgs et les banlieues connaissent une urbanisation autour des lignes et des stations. Le réseau de transport crée même de nouveaux quartiers.

L’urbanisation, à partir des années 1953-1955 (Plan Courant sur le logement date de 1953) est postérieure à l’équipement (au moins anticipé). Ceci joue moins dans les dynamiques d’urbanisation que la rente foncière mais a un rôle déterminant malgré tout.

A l’inverse, les banlieues d’avant les années 1950-1960, du mouvement des « mal lotis » sont la conséquence d’une urbanisation semi sauvage ayant eu cours dans la première moitié du XXe siècle. Les gens construisaient leur pavillon eux-mêmes et attendaient les équipements ensuite, qui parfois mirent très longtemps à arriver.

  • Système technique et économie locale :

C'est-à-dire, ce que le développement peut devoir aux nouvelles technologies et au bon fonctionnement des services techniques urbains. On voit là l’atténuation de certains déterminismes de localisation, notamment ceux issus de la première industrialisation fondée sur le charbon.

On voit aussi l’optimisation des techniques de production voire de distribution (c’est plus une intuition car très difficilement mesurable puisqu’il faudrait isoler la part de chaque facteur dans un mouvement général).

Offre et demande de modernité technologique et de services liés à l’hygiène et au confort.

  • [Il s’agit de repérer les acteurs des dynamiques technologiques] OFFRE : elle vient des constructeurs, des exploitants, des constructeurs-exploitants, de la production, du transport et de la distribution.

Les constructeurs du réseau sont des entreprises différentes des celles des exploitants même si parfois les deux sont associés, quelques fois il y a un jeu de filiales.

Les équipementiers évaluent les stratégies financières et commerciales, en particulier les tarifications qui sont complexes. Les tarifs, on l’a vu, ne sont pas du tout formés comme les prix sur les marchés des biens manufacturés, quels que soient les acteurs qui entrent en jeu et leur statut juridique (privé/public). Les stratégies sont différentes. La construction à un niveau régional est dominante. Par exemple Energie Electrique du Sud-ouest, est une entreprise qui prend dans la région, toute une série de concessions ; la compagnie Durant(d ?) prend tout ce qui passe, la stratégie est différente puisqu’elle essaime partout dans l’hexagone.

Les compagnies sont plus ou moins importantes. Certaines sont filialisées, souvent locales au départ, puis nationales voire internationales (par exemple une filiale de la Edison met la main sur l’électricité en Italie ; les filiales des compagnies allemandes AEG notamment, des banques spécialisées comme la Sofina en Belgique). C’est moins valable dans le cas de l’eau sauf dans le cas français. La Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux sont devenues des paradigmes de capitalisme au début du XXe siècle, comme les grandes entreprises de sidérurgie avaient pu l’être au XIXe siècle.

  • DEMANDE : il s’agit là de s’attacher à l’évaluation qualitative. Il existe un attrait pour la nouveauté, pour le confort, il y a une évolution des besoins d’hygiène, des normes de consommation.

Le volume de population change : théorie des seuils de population donc quand même un aspect quantitatif. L’augmentation du niveau de revenu des consommateurs. Il faut prendre en compte la vitesse de croissance de celui-ci. Il existe une grande différence entre une situation de stagnation démographique et une période de croissance, d’autant plus si le revenu augmente aussi dans le même temps.

Il faut tenir compte de la demande des « milieux pionniers », ceux qui veulent accéder en premier à la modernité. Il faut également prendre en compte les résistances à cette modernité.

Considérer que le développement des réseaux techniques dans les villes n’est pas une simple success story sans contrainte inhérente à l’urbanité.

La densité du bâti pose des problèmes au niveau matériel et va de paire avec la protestation des riverains, les considérations esthétiques.

Les systèmes techniques et les services en réseau présentent une compacité (= densité) paysagère inférieure aux implantations industrielles du fait de leur réticularité. La matérialité de ces réseaux est plus faible.

Quand le « terrain » est « déjà occupé », les nouvelles technologies doivent, pour s’implanter, se tailler un territoire symbolique au dépens d’un service déjà existant et assumant le même service (exemple : l’électricité remplace le gaz pour l’éclairage).

Les conditions politiques.

Quel que soit le point de vue, il ne faut pas oublier de les prendre en compte, dans les deux sens du terme (politics et policies). Celles-ci encadrent l’expansion du service. Ces activités sont toujours sous le coup de contraintes légales, administratives et politiques.

On a là le cadre d’expression premier du capitalisme régulé, même dans les temps et les espaces les plus libéraux. Les réseaux techniques urbains ont représenté le ban d’essais du capitalisme régulé avant sa mise en œuvre véritable après la Deuxième guerre mondiale.

Une régulation politico-administrative ou institutionnelle a semblé se construire après une période plus ou moins longue d’empirisme juridique, selon les lieux et les secteurs. Vers la fin du XIXe siècle (qui voit l’apparition de la notion de service public), cette régulation apparaît comme une nécessité car :

  • La nature des services considérés induit une rationalisation et une naturalisation pour des raisons techniques du fait du phénomène de réseau et de la gestion des flux dans le réseau. Pour des raisons commerciales puisqu’il faut au minimum un partage du marché pour éviter les effets pervers d’une concurrence absolue. L’évolution observée à la fin du XIXe siècle conduit à la formation de monopoles, au moins au niveau local, d’où la discussion, paradoxalement venue des Etats-Unis autour de la notion de monopole naturel dès les années 1990.
  • Toute installation d’équipement implique l’occupation du domaine public et se sont les communes qui détiennent l’autorité concédante.
  • les réseaux techniques fournissent des services particuliers. Parfois ce sont des biens collectifs dont la consommation ne peut être tarifée individuellement et en fonction de l’utilisation (exemple : éclairage public). Il s’agit de services qui ont pour finalité la distribution dans un usage privé mais qui sont considérés comme faisant partie du bien commun et inaliénable, comme l’eau.
  • La question qui se pose est celle de ce que l’usager (qui n’est pas considéré comme un client) doit payer. Soit c’est le produit lui-même. Or le produit dans ces cas là un fluide (lumière, eau etc.) d’où des résistances au paiement de l’eau jusque dans les années 1960. Ou alors il doit payer la rémunération et l’amortissement des capitaux investis dans l’installation et l’entretien des réseaux. C’est de là qu’a été élaborée la notion de service public notamment à partie de l’Ecole de droit public de Léon Duguy (1903) ; tout le monde, cela-dit, n’est pas prêt à accepter ce concept.

C’est toujours au politique et au Parlement de décider, les débats sont très vifs mais s’atténuent pendant longtemps et reviennent dans les années 1933-1936 puis dans les années 45-48 et à la fin des années 1980. C’est le politique qui tranche.Le champ des autorités communales qui ne résultent pas des héritages traditionnels sont précisément la tutelle de la commune sur ces services.

De ce fait des notions nouvelles apparaissent aux contours juridiques flous.

Peut-on rendre compte par l’étude des sommes allouées par les autorités locales aux services de leur importance ? Les dépenses sont-elles engagées sur les recettes fiscales ? Le service technique est-il compris dans un service administratif particulier ou non ? Une régie directe ou non ? Tout ceci relève du choix des édiles communaux ou intercommunaux quand il y a une délégation d’autorité (CUB), le gouvernement étatique n’intervient pas.

Maîtrise politique et administrative des phénomènes techniques.

On retrouve cette question au début du siècle. Aujourd’hui elle est sous le double effet des lois de décentralisation (France), de régionalisation (Espagne) avec une tendance à la désarticulation de certains monopoles d’opérateurs, notamment publics.

Réflexion autour des experts

Elle a été soulignée notamment autour des experts du nucléaire qui sont indépendants même si le dernier ressort de décision est politique.

Le degré d’autonomie des diverses instances institutionnelles aux différentes échelles locales d’expression, a été posé en question, pour les services qui traversent les villes et ceux proprement urbains. Les articulations d’échelles peuvent être telles que certaines communes sont en difficultés face aux grandes compagnies. Aujourd’hui nous sommes en situation d’équilibre précaire.