Cours complet 09-10 UE2 Bouneau

De Univ-Bordeaux

Sommaire

Histoire de l'innovation et de la communication: une dynamique majeure du monde contemporain

Introduction

L'économie de l'innovation est un croisement entre cinq configurations d'innovations qui peuvent expliquer pratiquement tous les phénomènes du monde contemporain (économiques, sociaux, culturels...) depuis le XVIIIe siècle (qui voit la genèse de la Révolution Industrielle):

  • innovation de produit;
  • innovation de précédé;
  • innovation organisationnelle;
  • innovation commerciale ou de marketing;
  • innovation socio-culturelle;

Le croisement entre innovation et communication revêt trois acceptions:

    1. communication induit transport et mobilité (des personnes, des marchandises, des données et des informations), c'est donc un processus interactif de la mobilité. Au XIXe siècle les communications se font au travers des voies de communication puis des réseaux de télécommunications, d'infrastructures matérielles ou non.
    2. l'acte lui-même de la communication: selon Marshall Mc LUHAN (1911-1980), éducateur, philosophe, sociologue, professeur de littérature anglaise et théoricien de la communication canadien, cet acte est l'émission d'un message, tout message ayant une dimension proactive (agissant sur un fait postérieur), discours orientant forcément l'action. La communication se construit et devient un système de messages et d'informations (c'est en ce sens que se sont développé les Sciences de l'Information et de la Communication [SIC]).
    3. la communication comme propagande: la communication est un art de la guerre avec une dimension économique, soit un art de la persuasion (économie du désir) et doit permettre à une entreprise d'arriver à une position dominante et irréversible. Par exemple c'est comme cela que s'est imposée la disposition des touches claviers AZERTY et QWERTY, alors que des études ont montré que ces configurations ne sont pas optimales.

En étudiant l'innovation et la communication on croise tous les domaines de l'histoire des techniques. C'est une réflexion très dense qui peut être comme une histoire globale faite de facteurs sociaux et politiques, dans la droite ligne de l' École des Annales et de Marc Bloch, qui faisait une part importante à l'histoire matérielle à laquelle il associait toutes les échelles tant macro que micro historique: « raconter le combat sans les armes, le paysan sans sa charrue, la société entière sans l'outil, c'est assembler de vaines nuées ». Cela revient à associer histoire géostratégique, histoire agraire, histoire sociale et appropriation technique et, ainsi, revêt un caractère global.

Depuis une vingtaine d'années, aussi bien les politiques que les entrepreneurs s'approprient un discours incantatoire sur l'innovation et la communication. La diffusion globale du terme innovation date des années 1980. Le concept d'innovation revêt à la fois l'invention, la conception, la diffusion. La nouveauté historique intervient quand l'innovation rencontre le réseau (dans les années 1980). L'histoire de l'innovation, avec aux États-Unis Thomas Hughes (Networks of power, 1983) et en France François Caron (Les deux révolutions industrielles du XX e siècle, 1997), devient l'histoire des réseaux. Tout devient alors objet de réseau.

Réseau: étymologiquement, il faut remonter au XVIe siècle et se situer dans l'univers textile. Dans un ouvrage textile on trouve le rets (mailles). La métaphore est ensuite développée aux XIXe et XX e siècles à propos de la communication et des transports. Système: ensemble d'éléments techniques fonctionnant en interaction, différent du réseau en ce que ce dernier est une transcription spatiale, matérielle ou immatérielles d'un système technique.


I.La dynamique des réseaux au cœur de l'histoire de l'innovation et de la communication

A.Recherche de la gestion du territoire et des techniques urbaines

L'utilisation du concept de réseau est directement liée à la communication et à la circulation. On pratique le réseau avant-même que le terme ne se diffuse et ne se stabilise. Une tentative historienne de définition de l'origine du premier réseau:

  • les voies romaines sont l'un des premiers réseaux (exemple Via Domitia), même elles ne sont liées à aucune pensée de réseau, simplement une pratique du territoire. Dans l'Empire romain le réseau des voies est limité par le limes;
  • en Chine avec la grande muraille, et aussi un réseau social avec le véhicule de la langue (mandarin);
  • les Incas ont un réseau développé et pourtant ne connaissaient pas la roue.


Le réseau de communication transforme un espace en territoire, ce qui revient à dire que le réseau induit la construction sociale d'un espace.

Avant même la fin du XVIIe siècle, deux autres acception liées au réseau se sont formées:

  • le réseau routier: on souhaite le transport le plus rapide possible de l'information: du coureur de marathon, au destrier, le pigeon voyageur n'est utilisé qu'occasionnellement. Louis XI invente la poste: un aménagement sur le réseau routier d'un réseau de malle-poste pour transporter des informations importantes. Le réseau s'ouvre progressivement aux utilisateurs privés.[ A. GRAS, Les macrosystèmes techniques, Que sais-je?, 1996-7]
  • les systèmes de distribution d'eau: proviennent de l'invention des thermes qui nécessitaient un système d'adduction d'eau d'où l'invention d'un système de viaduc, aqueduc. On ne redécouvre ce système qu'aux XVIIe-XVIIe, avec au château de Versailles, une alimentation par la machine de Marly (système complexe de pompes).

La période antique reste le modèle absolu. Le XVIIIe marque des avancées majeures en terme d'innovations sociales. L'aménagement des routes est confiée à des corps spécialisés d'ingénieurs. Ceci est particulièrement sensible dans les États centralisés dirigés par de puissantes monarchies: en France, en 1747 on crée l' École des Ponts et Chaussées; en Prusse on met en avant les ingénieurs militaires. Les ingénieurs représentent la genèse de la technocratie. Ceux-ci sont hérités de la Renaissance (arts et manufactures). À la fin du XVIIIe siècle, dans le cadre de la première Révolution Industrielle et de l'Encyclopédie, dont les auteurs s'attachent à montrer les différents outils, qui donc est la première description de l'outillage et de la technique, c'est la première valorisation du travail des ingénieurs. Le premier corpus scientifique accompagne la première RI est fait par une communauté d'experts: ingénieurs militaires, médecins, mathématiciens, physiciens etc. Le rôle des Révolutions de la fin du XVIIIe siècle (France, États-Unis) est déterminant dans la diffusion et le développement du concept de réseau, car elles sont directement liées aux Lumières, et se situent dans la modernité et sont accompagnatrices du despotisme éclairé. À titre d'exemple aux États-Unis, la figure de Benjamin Francklin, un scientifique touche-à-tout (invention du pare-à-tonnerre et du parapluie) figure de proue du gouvernement issus de la Révolution. En France, le rôle des sciences et techniques, nourrit la dynamique de la Révolution avec la création du Conservatoire National des Arts et Métiers, un musée des techniques (qui est pourtant une pratique plutôt anglaise), fondé par l'abbé Grégoire. Condorcet a insisté sur le rôle de la science et des techniques. Une innovation majeure de la Révolution Française est le système décimal généralisé (unification des poids et mesures), qui concerne en particulier la conception de l'espace et du temps. C'est une entreprise de rationalisation majeure. En 1794, l'invention du télégraphe optique (par Chappe) pour la communication entre les navires en temps de guerre.

B.L'âge d'or St Simonien

C'est l'heure du croisement entre la philosophie de l'innovation et de la stratégie de développement des réseaux. St Simon établit une théorie reliant toutes les formes de réseaux à l'aménagement du territoire et par là-même à la puissance d'une nation. Cette thèse s'affirme dans les années 1850 comme une pensée globale:

  • c'est une pensée universelle puisqu'elle considère l'interaction de tous les systèmes à une échelle universelle;
  • cette pensée associe le développement des progrès techniques aux progrès économiques et sociaux et souligne l'importance du réseau: réseau financier, en lien avec le mythe entrepreneur-innovateur;
  • [cette théorie souligne l'articulation entre les échelles territoriales: locale (exemple fondation de la compagnie de chemin de fer, station balnéaire...), nationale: lobbying pour peser dans la politique d'un État, sous deux formes Péreire et Rotchilde. Les premiers possèdent la Compagnie de Chemins de Fer du Midi, une banque d'obligation: le Crédit Mobilier. Les seconds ont une puissance financière. Les Rotchilde sont les représentants d'une génération financière et de la haute banque ainsi que la Compagnie des Chemins de Fer du Nord. Les deux s'affrontent en permanence pour le contrôle de la Compagnie des Chemin de Fer Français. Ils se placent également à une autre échelle, au moins européenne: ils maîtrisent de nombreux réseaux financiers en Europe: les Péreire investissent beaucoup en Espagne et en Autriche, ainsi que dans des compagnies maritimes.]

[Beaucoup de saint-simoniens sont des ingénieurs. En France, jusqu'aux année 1860 le stade suprême est celui d'ingénieur de Polytechnique. Le meilleur exemple est Michel Chevalier, homme politique et économiste français, né à Limoges en 1806 et décédé en 1879, il est un ancien élève de Polytechnique, il en sort major et devient ingénieur du corps des mines en 1829. En 1830, après la Révolution de juillet, il devient un adepte de la doctrine saint-simonienne et éditeur du journal Le Globe, qui sera interdit en 1832 lorsque la « secte des Simoniens » est décrétée contraire à l'ordre public. Histoire et description des voies de communication aux États-Unis, 1840-42, 2 volumes, montre son intérêt précoce pour les réseaux, qui sont pour l'ensemble des saint-simoniens un concept majeur. Dans les années 1850, en même temps qu'un modèle d'aménagement et de développement ferroviaire, se développe progressivement une pensée réticulaire.]

Le concept de réseau revêt deux acceptions:

  • le réseau en tant qu'infrastructure ou superstructure, bref une acception matérielle;
  • le réseau en tant qu'entreprise/compagnie.

La société est elle-même en réseau: s'y imbriquent les moyens de circulation du savoir, de l'argent, de communication.

Dans cette pensée technophile, philanthropique et utopiste il existe un profond décalage entre la théorie et la pratique. L'exemple de l'urbanisme haussmannien est en cela particulièrement parlant. Il s'agit d'une application à la ville des préceptes saint-simoniens, d'une pensée modernisatrice et de contrôle de la population, à travers la mise en place ou la rénovation d'un réseau hydraulique, de transports en commun, des trottoirs (qui sont d'ailleurs une innovation). Tout ceci aboutit à la création de boulevards, des arrondissements, de l'éclairage au gaz, des transports publics, à la réglementation de la circulation. L'ensemble est une révolution monumentale dont le symbole est au niveau du bâti la construction du palais Garnier. Cette politique suscite bien des oppositions, la plus farouche émanant de Jules Ferry (1832-1893) [Les comptes fantastiques d' Haussmann].

Le saint-simonisme multiplie des discours messianiques qui érigent les réseaux en prophètes du progrès. Parallèlement, des critiques à l'égard de l'innovation s'élèvent. Cette résistance n'est pas forcément un signe d'archaïsme. Au delà des intérêts catégoriels, il existe une rationalité à la critique d'une logique uniquement vertueuse de l'innovation qui est forcément génératrice de destructions/créations. (exemple: le mouvement du Luddisme qui prône la destruction des machines: « bris de machines »).

Le saint-simonisme est battu en brèche par l'irruption de la Grande Dépression (1873-1895), aux États- Unis et en Europe, qui est la première crise totalement moderne puisqu'elle est boursière au départ. La Grande Dépression occulte les discours euphoriques sur les bienfaits généralisés des réseaux. La deuxième Révolution Industrielle née dans la crise (celle de l'électricité et de la chimie, en Allemagne et aux États-Unis), conduit au développement et à la diversification des réseaux. Les discours philanthropiques sont annihilés. C'est une révolution de l'entreprise, l'économie-politique n'est plus un élément déterminant. La logique du marché prend le dessus en lien avec une concentration accélérée et amplifiée des entreprises. Se développe une mystique industrialiste avec des discours centrés sur la modernité (qui n'est pas la même chose que le progrès).

C.La diversification des modèles de réseaux au cœur de la deuxième Révolution industrielle

C'est avec la seconde RI (1880-1970), que joue à plein régime la dynamique de l'innovation, c'est à dire que l'on a bien le jeu approfondi des cinq catégories définies par Schumpeter, avec des interactions durables entre elles qui, dans chaque secteurs sont organisées en grappes (électricité, automobile, aéronautique), avec néanmoins des décalages chronologiques (d'abord l'électricité, puis l'automobile et enfin l'aéronautique). Ces grappes d'innovations sont un système d'innovations radicales dans une période relativement restreinte (il existe deux sortes d'innovations: « radicales »: mise au point par exemple de tous les éléments de la bicyclette; « incrémentales »: il s'agit simplement de perfectionnement). C'est dans cette deuxième RI que les phénomènes historiques sont les plus clairs. En effet, elle se déroule sur plus d'un siècle. Les modèles de réseaux (transcription spatiale d'un système technique) se modifient et se diversifient, deviennent une transcription spatiale de plus en plus immatérielle alors que la première RI était dominée par un modèle de développement centré sur le réseau de transport (cf UE3). Pour la deuxième, on a une grappe d'innovations radicales très importante dont découlent à partir des années 1880, deux nouvelles formes de réseaux: électrique, et réseau de télécommunications: le réseau télégraphique, déjà présent depuis les années 1850, est approfondi par le réseau téléphonique dans les années 1880. Le téléphone ne fait pas, pendant longtemps, disparaître le télégraphe, à la différence de ce qui s'est produit pour l'électricité qui remplace radicalement le gaz (renaissance avec le réseau de gaz naturel, qui n'est pas le même gaz que celui du XIXe siècle, produit à partir du charbon dans des usines à gaz). Le réseau de transports continue à se développer mais surtout par des innovations incrémentales, sauf pour le passage de la vapeur à l'électricité (électrification des chemins de fer).

Ces nouveaux réseaux amènent un perfectionnement de l'entreprise moderne multidivisionnelle, notamment manageriale chandlerienne. Alfred Chandler Junior, avec La main visible des managers, 1979, montre que les compagnies électriques à partir des années 1880 vont plus loin dans les formes d'organisation que les compagnies ferroviaires (sujet de son premier essai en 1963, The Nation First Big Business), qui étaient selon lui les premières entreprises modernes, de véritables microcosmes. Les nouvelles entreprises de réseau ont un poids macroéconomique considérable, ce que montre Thomas Hughes en 1983 dans Network of Power: Electrification in Western Society. Il compare l'histoire de l'électrification dans trois pays (États-Unis, Grande Bretagne, Allemagne) pour insister sur le poids global des réseaux électriques en ce sens qu'ils forgent la civilisation moderne dans laquelle les flux ne sont pas toujours visibles. La polysémie du terme Power, signifiant en anglais à la fois pouvoir et énergie, donne une dimension globale à la réflexion. On peut trouver plusieurs indicateurs de cet aspect total de la révolution électrique: des années 1890 à 1930, la plus forte capitalisation boursière est détenue par les compagnies électriques qui regroupent 4 secteurs:

  • matériel;
  • production;
  • transport;
  • distribution.

Quand on additionne le tout, l'électricité est de très loin le premier secteur, au niveau des moyens financiers, avant la chimie ou l'automobile, les majors pétrolières n'obtiennent une capitalisation boursière équivalente qu'au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale. Les quatre plus grandes compagnies électriques du monde sont soit américaines (deux), soit allemandes (les deux autres):

  • Westinghouse et General Electric pour les États-Unis;
  • Siemens et AEG pour l'Allemagne.

Celles-ci ont un rôle culturel majeur. Siemens par exemple, crée dans Berlin un faubourg, Siemens-Stadt, construit, développé et financé par la compagnie (1899-1920). En France, Michelin à Clermont-Ferrand, ou Peugeot à Sochaux prennent le même genre d'initiatives. Ces nouvelles formes de réseaux sont très liées à de nouvelles formes complexes d'entreprises, ont un pouvoir à part entière.

D.Un dispositif décentralisé de coordination?

Dans le cadre de cette seconde révolution industrielle, les réseaux contribuent-ils à la coordination des acteurs, des territoires? Et aboutissent-ils à des formes décentralisées?

C'est ce que la socio-économie, et notamment Williamson (né en 1932, économiste américain), oppose à la pyramide, la structure des réseaux favorisant la décentralisation. Williamson considère qu'il s'agit d'une nouvelle vague facilitant la coordination sous une structure spécialisée. Tout est analysé en regard des coûts de transaction (dans tous les domaines, même par exemple l'économie universitaire)[Le concept de coûts de transaction apparait pour la première fois en 1937. C'est cependant Williamson qui est considéré comme le père fondateur de ce courant théorique. La TCT postule que les agents ne sont dotés que d'une rationalité limitée tout en se comportant de manière opportuniste. Le point de départ de Williamson et de la TCT est de postuler que toute transaction économique engendre des coûts préalables à leur réalisation : coûts liés à la recherche d'informations, aux "défaillances" du marché, à la prévention de l'opportunisme des autres agents etc. Ainsi, certaines transactions se déroulant sur le marché peuvent engendrer des coûts de transaction très importants. Dès lors, les agents économiques peuvent être amenés à rechercher des arrangements institutionnels alternatifs permettant de minimiser ces coûts. A l'opposé du marché, Williamson distingue ainsi à la suite de Coase la "hiérarchie" qui correspond en fait à l'entreprise. Entre le marché et l'entreprise, de nombreuses formes "hybrides" peuvent être identifiées (sous-traitance, concession, réseau etc.)]. Ainsi, il décompose l'économie sous forme de réseaux où les acteurs sociaux ont toute leur place, et il donne trois acceptions au réseau:

  • réseau matériel (technique);
  • entreprise de réseau;
  • réseaux sociaux (acteurs).

On retrouve cette conception dans la théorie de l'économiste Granovetter, chez qui les réseaux de relations interpersonnelles interviennent directement dans la vue économique et contribuent à la construction des entreprises. Par exemple les grandes écoles d'ingénieurs fabriquent une caste qui influe sur l'économie. Les acteurs sociaux peuvent constituer des groupes de pression.

La sociologie de l'innovation a beaucoup travaillé sur cette articulation entre les trois formes de réseaux. Michel Callon depuis trente ans travaille sur les relations horizontales entraînées par les réseaux, par rapport aux formes verticales classiques. Au fond, son héritier est Michel Grossetti sociologue des réseaux sociaux de l'innovation. Ces deux-là complètent en fait Schumpeter. Même la science politique s'est emparée de la notion de réseau dans l'analyse de ce qu'ils appellent la « gouvernance ». Le réseau se fait ainsi outil de gestion et de compréhension de la complexité.

II.Les grands débats de l'histoire de l'innovation

A.La critique d'une vision exclusivement évolutionniste

  • L'évolutionnisme est toujours lié à une forme d'utopie (quelle qu'elle soit).
  • Le millénarisme est la vision pessimiste de l'Histoire. Chaque révolution industrielle est mortifère. La création est beaucoup plus destructrice que la destruction n'est créatrice. C'est une forme d'évolutionnisme inversé.
  • La troisième vision de l'histoire est cyclique. Ainsi, l'histoire est inscrite dans un mouvement de cycles dont l'historien est le fabriquant.

Pour les réseaux, la vision évolutionniste est classique, avec une progression de l'échelle (réseaux locaux, régionaux, nationaux, internationaux). L'évolution est irréversible et va du local vers l'international. Les réseaux seraient en fait la main visible de la mondialisation. Cette vision dominante est néanmoins insuffisante. Certains réseaux sont restés à dominante locale et ne changent pas de taille, par exemple les réseaux techniques urbains. L'international, par ailleurs, n'annule pas nécessairement le local. Il existe une confrontation entre les différents réseaux et les espaces qu'ils touchent. Si on prend le réseau ferroviaire, on voit une tentative de développement du réseau à grande vitesse à l'échelle internationale qui se heurte à des réseaux locaux, et doit cohabiter avec eux, qui viennent s'y greffer, par exemple en Bretagne, Italie ou Allemagne. On assiste dans ces régions à un regain du transport ferroviaire à moyenne distance alors qu'il était établi que seules les grandes lignes étaient rentables, les lignes régionales étant alors délaissées ou confiées à des acteurs locaux (collectivités territoriales). Derrière ce trend, il existe des connexions avec le rêve d'une autarcie écologique (éco-quartiers).

La vision évolutionniste n'est pas exclusive et doit faire la part aux deux autres théories, car il n'existe pas forcément une articulation harmonieuse des échelles, des confrontations brutales sont aussi possibles.

B.Le débat sur les résistances à l'innovation

A priori, dans une vision technophile d'une dynamique schumpeterienne, résister à l'innovation semble un combat d'arrière-garde, dangereux et inutile, taxé de conservatisme et de passéisme. Un exemple majeur est celui donné par Zola dans La bête humaine, où les transporteurs résistent au chemin de fer. De même, la réaction du luddisme paraît à première vue obscurantiste.

Depuis une vingtaine d'années, les historiens, notamment Pascal Griset, montrent que ces résistances sont d'abord inévitables, et sont même des éléments indispensables au bon déploiement des nouvelles techniques. Il faut les dégager de leur aspect simplement péjoratif. Les logiques de choix d'innovation ne s'inscrivent pas dans un progrès continu, il y a parfois autant d'erreurs à se jeter tête baissée dans la course à l'innovation qu'il y en a à la combattre. Dans le domaine électrique, par exemple, dans l' Entre-deux-guerres, il y a une volonté de développement de l'innovation qu'est le labourage électrique. Or, à la fin des années 1930 on s'aperçoit que l'on est dans une impasse technologique alors que les années précédentes avaient fait de cette technique le chantre de la modernité. On peut aussi s'arrêter sur la question de la voiture électrique. En 1904, aux États-Unis, on trouve plus de voitures électriques que de véhicules à vapeur ou à moteur à explosion. On trouve là l'interaction entre le discours sur la modernité, les performances techniques et le réseau social. La voiture électrique est aujourd'hui dans une logique d'innovation incrémentale. C'est une logique complexe dans laquelle l'histoire a toute sa place.

C.L'influence durable du développement des réseaux d'information et de communication

Les révolutions de la communication datent au minimum du XIXe siècle, pour une grande part grâce à la révolution des transports. (cf cours L3 ITD). Il suffit juste de regarder la vitesse des voyages Paris-Bordeaux pour s'en rendre compte: au XVIIIe siècle il faut compter 15 jours, puis la diligence et ensuite le chemin de fer réduisent considérablement les temps, aujourd'hui, avec le TGV le voyage ne dure que 3heures et peut être bientôt 2h15. Ces révolutions ne datent d'ailleurs pas de la troisième révolution industrielle. Lors des révolutions de 1848, c'est la première fois que les nouvelles vont plus vite que le cheval grâce au télégraphe. C'est surtout à partir des années 1960 que l'on réfléchi à propos de ce quatrième pouvoir que sont les médias qui utilisent à la fois les réseaux de communication et d'information. C'est à partir de cette réflexion qu'une nouvelle discipline est créée: Sciences de l'Information et de la Communication, sous l'impulsion de Dominique Wolton pour la France. Le père fondateur de la discipline est Mc Luhan, qui publie en 1969, War and peace in the Global Village. Désormais, le réseau est conçu comme un commutateur d'informations dont le stade suprême depuis quinze ans est internet. Le web a mis aux oubliettes les autres technologies, telles le minitel. Avec le réseau internet on est bien sur le croisement de trois notions qui seraient même des vertus:

  • connexité;
  • vitesse;
  • ubiquité.

L'utopie technophile a développé une théorie sur le lien entre nouvelle société de consommation et l'avènement d'une nouvelle démocratie, avec ombres et lumières. Ainsi, est aussi nourrit tout un discours technophobe, en lien avec la fracture numérique induite par le web (inclus/exclus en fonction de connectés/non-connectés).


L'innovation et le cercle vertueux de la seconde industrialisation

I) la notion de système technique au cœur du développement économique et social.

Un système technique est un ensemble d'éléments techniques qui interagissent entre eux pour former un secteur et utilisent une grappe d'innovation. Un système technique devient une structure économique en générant de nouveaux produits et de nouveaux procédés participant au développement de la société. Dans le rapport entre la conjoncture et l'évolution du système technique la question se pose de savoir si les guerres et les grandes crises économiques sont favorables à la dynamique de l'innovation ou non? Le débat se complexifie quand on analyse l'influence des crises économiques. C'est ce sur quoi s'est basée la réflexion de Mensch. Dans sa thèse, ce néo-schumpeterien démontre que les dépressions sont plus favorables à l'innovation que les périodes de croissance, dans le sens où elles résolvent les gouleaux d'étranglement des systèmes en place (c'est l'exemple de ce que l'on vit actuellement avec les technologies vertes).

A) Les générations de la seconde révolution industrielle

Les secteurs moteurs de la première industrialisation continuent à se moderniser pendant la deuxième révolution industrielle.

  • 1) la sidérurgie.

La sidérurgie, dont la révolution a lieu pendant la dernière phase de la première révolution industrielle, voit son rôle se prolonger pendant toute la deuxième industrialisation. En 1856, est mis au point le convertisseur Bessemer, une innovation de procédé permettant de convertir en grande quantité de la fonte en acier (charbon + fer = fonte qui donne l'acier). Par ailleurs, de nouveaux procédés apparaissent en permanence. En 1879, Thomas Gilchrist met au point une nouvelle technique qui permet le traitement de tous les minerais. L' Allemagne et la France peuvent ainsi développer une sidérurgie de pointe en Lorraine entre 1880 et 1890. A la fin de la première révolution industrielle et au début de la seconde, on a une interpénétration de la sidérurgie et des chemins de fer. Il n'existe pas de dichotomie absolue. Dans le premier mouvement de cette seconde industrialisation,en effet, entre 1870 et 1920, en plus de la chimie et de l'électricité, la sidérurgie et le chemin de fer jouent un rôle encore très important. À partir de 1920, le développement de l'automobile renouvelle cette seconde révolution industrielle. La sidérurgie devient électrique, tous les types de fer peuvent désormais être traités, et entre ainsi de plein pied dans la deuxième révolution industrielle. Les aciers produits à partir de procédés électriques sont de bien meilleures qualité. Des fours électriques sont mis au point à partir de brevets allemands déposés par les frères Siemens. Deux pays sont alors moteurs dans ces domaines, l'Allemagne et les États-Unis, avec des phénomènes croisés de concurrence et d'accords.

  • 2) L'électricité.

[pour le rôle de l'électricité cf cours ITD L3]

  • 3) Le cas de la chimie.

L'histoire des innovations de la chimie a une périodisation différente de celle utilisée classiquement pour décrire les révolutions industrielles. La première innovation radicale date de 1861, et est celle d'un industriel belge, Solvay, qui met au point un nouveau procédé de fabrication de la soude. Cette mise au point bouleverse les bases économiques de la chimie minérale. Ce processus est antérieur à la deuxième révolution industrielle. En ce qui concerne la chimie organique, les innovations qui la parcourent sont datées au cœur de la deuxième industrialisation. D'un point de vue industriel, la première branche de ce secteur est l'industrie des colorants de synthèse. Jusqu'à présent il n'existait que des colorants naturels, tels le pastel ou l'indigo. En pointe on trouve les États-Unis, avec Dupont de Nemour, mais surtout les Allemands qui comptabilisent six prix Nobel de Chimie entre 1902 et 1918 (avec en 1905 Adolf Von Baeyer, et en 1918 Fritz Haber). L' Allemagne est un concentré de puissantes industries chimiques pour plusieurs raisons convergentes que sont la présence sur son territoire de nombreuses ressources naturelles, la puissance des laboratoires de recherche dans les universités (à la différence de la France qui voit une séparation entre grandes écoles et universités), l'imbrication entre les usages civils et militaires (en temps de paix la chimie organique permet la production d'engrais, en temps de guerre, en changeant la chaîne de réactions, on produit des explosifs). L'industrie de la chimie organique est multifacette.

B) un secteur décisif pour l'innovation: les applications énergétiques et la formation d'une économie de l'énergie

La révolution de l'électricité s'insère dans une révolution plus large qu'est celle de l'énergie. (rappel: l'électricité est une forme d'énergie), qui est globale. En effet, de façon continue jusqu'au début du XX e siècle, on assiste à un perfectionnement de la machine à vapeur, que l'électricité n'efface pas dans un premier temps. Le rendement de la machine à vapeur s'améliore entre 1870 et 1873, en Europe Occidentale, en moyenne de 25%, avec la mise au point de machines à pistons. De nouvelles turbines mises en place dès les années 1860, contribuent à cette amélioration, une technologie qui progresse continuellement jusqu'au début du XX e siècle. La turbine la plus perfectionnée est la turbine à haute pression Parsons, mise au point dans les années 1890, fabriquées avec l'acier désormais électrique. Cette technologie profite des progrès industriels des machines outils (les États-Unis sont ici en pointe). C'est à partir de ces machines outils que Taylor a mis au point sa théorie de l'Organisation Scientifique du Travail.

De plus, on recherche de nouveaux moteurs, qui ne soient ni à vapeur, ni électriques. En effet, la fin du XIXe siècle, des recherches sont effectuées pour diversifier les modes de propulsion. Les moteurs à explosion, à combustion interne, voient alors le jour. Mais il s'imposent difficilement, la voie est étroite entre la vapeur et l'électricité. Par exemple, en 1902, aux États-Unis, la majorité des automobiles sont équipées soit de moteurs électriques, soit fonctionnent à la vapeur. (remarque: étymologiquement, le mot automobile n'indique pas le mode de propulsion). La première machine à vapeur est le fardier de Joseph Cugnot (1725-1804), un ingénieur militaire français. La première vraie voiture automobile est celle d' Amédée Bollée, qui a mis au point en 1873, une automobile à vapeur baptisée «l'obéissante», qui couvre 230 km en dix-huit heures. Cette utilisation de la locomotion à vapeur concerne aussi le domaine aérien. Clément Ader (1841-1925) conçoit le premier appareil en 1897, en se basant sur la morphologie des oiseaux, équipé de machines à vapeur. Par ailleurs, tous les principes du véhicule électrique sont prêts dès la fin du XIXe siècle (aujourd'hui ce mode de propulsion ne voit que des innovations incrémentales. En 1999, au salon de l'automobile de Paris, sont exposés 63 véhicules électriques différents). Mais dans cette trajectoire d'innovation, c'est le moteur à combustion interne qui s'impose. La première mise au point date de 1860. Le Belge Étienne Lenoir, réalise le premier moteur deux temps avec un mélange de gaz d'éclairage et d'air, avec un allumage électrique. En 1867, le premier moteur quatre temps est opérationnel, construit par un l'Allemand Otto. Il présente en 1878 à Paris, un prototype fiable et discret (qui fait peu de bruit par rapport à ce qui était produit avant). Suit une grappe d'innovation qui va conduire à l'irréversibilité de cette technologie. En 1886, K. Benz met au point l'allumage électrique à basse tension. Maybach, (une firme de voitures de luxe) en 1893, construit le premier carburateur à gicleur, donc un véhicule fiable, fonctionnant avec de l'essence. C'est en effet le début de l'extraction des hydrocarbures (avec des gisements aux États-Unis, à Bakou en Azerbaïdjan sur la Mer Noire). Tout ceci ne suffit évidemment pas à imposer ce type de propulsion car pour le transport automobile de marchandises, il n'est pas encore assez puissant. En 1893, Rudolf Diesel rédige son ouvrage Théorie et projet d'un moteur thermique rationnel. Le premier prototype de moteur Diesel date de 1898. En 1908, il y en a un millier en service. C'est une trajectoire lente, qui suit un sentier spécifique en ce qui concerne les camions. L' Entre-deux-Guerres voit la diffusion des autocars et des autorails. L' Allemand Daimler, réalise, en 1885, la première intégration d'un moteur à explosion dans un véhicule automobile. Ce secteur voit une très forte empreinte allemande.

Les années 1880-1890 voient la mise au point de la locomotion aérienne. Au XVIIIe siècle, avait été mise au point la montgolfière qui domine les airs jusqu'au milieu du XIXe siècle. Ce siècle est parcouru de tentatives peu fructueuses d'amélioration des ballons. Le compte Von Zeppelin, applique le moteur à explosion au ballon et invente le dirigeable (zeppelin). La première véritable réussite dans le domaine aérien est celle des frères Right qui en 1908 mettent au point le premier biplan piloté par Henry Farman. C'est une prouesse: le premier vol en circuit fermé en Europe. À partir de là, on assiste à une floraison de meetings aériens, dans un registre sportif, festif, d'exploit. En 1909, c'est la traversée de la Manche par Louis Blériot. Les premiers moteurs des avions sont à explosion, dérivés des automobiles. Le problème était la lourdeur du moteur par rapport à la structure des avions. Des progrès rapides sont effectués avec la possibilité qui se développe de jouer sur les matériaux.

C) L'innovation dans la communication ou la naissance de nouveaux médias

Le premier média moderne est le télégraphe électrique inventé par Morse dans les années 1840, reconnu comme tel par la création en 1865 de l' UTI (l' Union Télégraphique Internationale), qui adopte le modèle d'organisation des compagnies de chemin de fer. À l'origine l'usage du télégraphe est publique (armée, police, administration), puis peu à peu on assiste à l'ouverture de bureaux de poste et de télégraphe, avec la figure masculine du télégraphiste qui émerge (à la différence du téléphone avec la figure féminine de l'opératrice téléphonique).

Le téléphone a une trajectoire d'invention/ innovation/ diffusion particulièrement rapide à partir des années 1880, au début de la deuxième révolution industrielle, complémentaire de celle de l'électricité. Cette technologie est contrôlée aux États-Unis par les brevets de Bell et d' Edison. Elle connait rapidement des problèmes de croissance, une saturation. Le soucis se pose de connecter les abonnés entre eux, les opératrices sont nombreuses mais ce n'est pas suffisant. Strowger, qui dirigeait à la base une entreprise de pompes funèbres, met au point un système de commutation. Les États-Unis ont sur l'Europe une double supériorité de par l'antériorité des brevets et leur culture technique avec l'invention de l'automatisation (qui pose beaucoup plus de problèmes en Europe), même si ce n'est seulement qu'une semi-automatisation.

La radio se diffuse à partir des années 1900. La TSF, Télégraphie Sans Fil, utilise les ondes Hertziennes. Son inventeur est un Italien, Guglielmo Marconi, en 1895-1896. L' Italie est alors un pays en retard, la radio représente donc un marché risqué, du coup le physicien italien immigre en Grande-Bretagne en 1896 et y développe son invention qu'il vend aux Britanniques dans une perspective de commercialisation. Il est soutenu conjointement par le Post Office et le War Office. Ainsi, la radio est développée industriellement par la Grande-Bretagne, qui l'utilise en premier lieu dans la navigation. Elle permet une meilleure mobilité. On passe ainsi d'un réseau matériel à un réseau immatériel (récepteurs/émetteurs, sans fil). La radio présente de ce fait un avantage comparatif considérable. Marconi crée tout un groupe d'entreprises et part à la conquête de l'Australie et de l'Amérique latine. En France, Émile Ducretet qui s'associe au Russe Popov en 1899, équipe la marine russe en TSF (les Français n'étaient pas intéressés). Mais la plus grande entreprise de radio française est fondée en 1910, c'est SFR (Société Française de Radio).

Ces trois exemples montrent différentes vitesses de trajectoires. Les médias, en plus d'être une industrie, sont aussi un élément culturel. À cela il faut ajouter le cinéma. Les frères Lumières sont les inventeurs en quelques mois à la fin des années 1890 de tous les composants de l'industrie cinématographique: production de pellicules de films, de matériel d'excellente qualité. Ils ont en revanche échoué dans l'étape de la diffusion. Le cinéma symbolise de façon exemplaire les synergies des technologies. Son développement se fait surtout ensuite à partir d'Hollywood.

II) Les difficultés de la transition industrielle en Grande-Bretagne et en France.

Les premiers deviennent derniers: les pays lanceurs de la première révolution industrielle subissent un processus d'obsolescence. La Grande-Bretagne et la France ont beaucoup plus de mal à gérer les mutations technologiques (qui sont à la fois sectorielles et entrepreneuriales) de la fin du XIXe siècle.

A) l'essoufflement des secteurs traditionnels

Les secteurs traditionnels constituent les fondements de la puissance industrielle de ces deux nations. Leur essoufflement est d'abord celui du secteur textile. La Grande-Bretagne parvient tant bien que mal à maintenir sa première position internationale. En 1913, le secteur textile emploie 620 000 personnes au Royaume-Uni et exporte les trois quarts de sa production. En France entre 1880 et 1914, le textile subit une régression. Le lin, qui disparaît presque, la laine, la soie (Lyon) sont très touchés. Seul le coton reste une branche dynamique.

En ce qui concerne les mines, la Grande-Bretagne confirme sa première place européenne pour l'extraction du charbon (287 millions de tonnes en 1913). Un tiers de cette production est exportée. Mais, dès 1913, ces mines sont déjà beaucoup moins modernes que celles d'Allemagne et des États-Unis. En France la situation est problématique. Le pays manque de gisements charbonniers et est, de ce fait, très largement déficitaire en la matière malgré le gisement de fer de Lorraine (minette lorraine, très phosphoreuse et est un eldorado grâce au procédé de Thomas Gilchrist), qui est en fait le seul atout minier de la France.

Pour la Sidérurgie, la Grande-Bretagne maintient très difficilement ses positions. Cette industrie représente encore une part importante des revenus nationaux, mais le recul est surtout sensible dans la consommation du Royaume-Uni, qui est, dès 1899, très largement surclassée par celle des États-Unis. À la veille de la Première Guerre Mondiale, la Grande-Bretagne a lâché prise (voit une stagnation, à l'inverse des États-Unis et de l'Allemagne dont la croissance est spectaculaire). La France connait sur ce plan un développement moyen, avec une phase importante dans les années 1880.

Pour ce qui est de la construction de matériel ferroviaire, un point fort traditionnellement des Britanniques, grâce, notamment, à au marché colonial; la France a également une industrie performante et puissante. Les deux premières entreprises sont Schneider au Creusot et, à partir de 1878, la Société Alsacienne de Construction Mécanique basée à Belfort (seul territoire encore français d'Alsace).

B) une capacité à l'innovation inégale dans les secteurs moteurs de la seconde industrialisation

(globalement insuffisante)

  • 1) la chimie.

En Grande-Bretagne, l'industrie chimique connait un déclin continu, une léthargie progressive. En France, la situation est très contrastée. Totalement distancée en ce concerne les colorants synthétiques, le pays développe une chimie de spécialité (à Lyon notamment) en particulier pour l'industrie pharmaceutique, la photographie, la parfumerie. À la veille de la Première Guerre Mondiale, trois grandes entreprises dominent: Saint Gobin, Alais, Forges et Camargue, et enfin Kuhlmann.

  • 2) l'automobile.

La France connait des performances spectaculaires. En 1914, elle est le deuxième constructeur automobile mondial. Son rayonnement est international, grâce notamment au salon de l'auto de 1898. La France montre l'efficacité du modèle du garage: d'un niveau artisanal on passe à une entreprise moyenne. Panaard & Levassor vendent 7600 autos en 1901. Cette industrie bénéficie de la mise au point de tout un complexe: garages, état des routes, signalisation (accompagnée par Michelin: pneus, guides, cartes). La Grande-Bretagne connait un retard pour l'automobile, même si en 1913, elle occupe le deuxième rang européen derrière la France (qui produit 45 000 unités par an quand le Royaume-Uni en produit 34 000. L' Allemagne occupe le troisième rang européen).

  • 3) les industries de la communication.

La situation est dans ce cas contrastée. En Grande-Bretagne, à la veille de la première Guerre Mondiale, l'ensemble du réseau télégraphique et téléphonique est concentré dans le Post Office. En France, il est le monopole des PTT, qui a été précoce. La loi du 16 juillet 1889 place, en effet, ces industries entre les mains de l' État. Cette étatisation a été un frein à long terme sur le taux d'équipement français (en 1970 par exemple, la France a le même taux que le Portugal). Pour ce qui est du cinéma, l'entreprise de Louis Lumière fait une percée entre 1895 et 1900. Sa réussite est impressionnante mais à partir des années 1900, le groupe stagne. En 1907 l'industrie connait une crise internationale particulièrement vive en France, qui élimine par exemple l'entreprise de Melies. Après cette crise on voit apparaître les majors cinématographiques dont deux sont françaises: Gaumont et Pathé qui luttent tant bien que mal face aux américaines.

Pour conclure on peut dire que la France et la Grande-Bretagne, à la fin du XIXe siècle, se sont heurtées à des structures d'organisation vieillies. Au début du XX e siècle, la deuxième révolution industrielle a opéré une redistribution des hiérarchies, même si dans certains secteurs la Grande-Bretagne et la France gardent leur compétitivité (la supériorité de la Grande-Bretagne est une supériorité de masse).

III) la montée en puissance de l'innovation allemande

La seconde révolution industrielle est aussi celle du développement exceptionnel de la puissance économique allemande. D'ailleurs, Guillaume II avec sa Weltpolitik menée de 1890 à 1918, permet à son pays de rivaliser avec les États-Unis. Les taux de croissance allemands sont élevés même s'il restent moins spectaculaires que ceux des États-Unis, ce qui est normal, ces dernier étant un pays neuf, d'immigration, qui voit une dilatation de son territoire. L' Allemagne est en revanche déjà très peuplée avec un territoire maîtrisé. Comme pour les États-Unis, on retrouve dans ce miracle économique allemand, qui suit la proclamation de l'Empire, l'application de la thèse du protectionnisme éducateur de List, entrainant un nationalisme économique exacerbé. La politique économique correspond à la constitution d'un marché intérieur, le Zollverein en 1830 (précède la construction politique de l'empire, facteur préparatoire ou fondateur? Question semblable dans le cadre de la CECA, la construction économique précède souvent la construction politique). C'est une zone densément peuplée, à fort pouvoir d'achat relatif. Or les États puissants économiquement sont ceux qui ont un marché intérieur solide. Cela est renforcé par la démographie dynamique de l'Allemagne, pays des trois K pour les femmes (Kinder, Küche, Kirche).

A) le dynamisme de la recherche par la mise en œuvre de nouvelles méthodes: le modèle de l'industrie chimique

La trajectoire de la chimie allemande est diamétralement opposée à celle de la chimie en Grande-Bretagne. Elle est presque inexistante en 1850 et domine le secteur en 1914, grâce à un investissement constant et organisé dans la recherche. Succès facilité par la découverte de ressources minières très importantes (potasse) en plus de mesures protectionnistes visant à limiter l'importation de soude. Ce triomphe est indissociable de la trajectoire de l'industrie des colorants artificiels. La première grande entreprise allemande à déposer des brevets est BASF (fondée en 1865), très liée à l'université de Berlin puisqu'elle emploie toute une série de grands savants. Puis BAYER et la société HÖCHST entrent eu jeu. Ainsi, trois entreprises se partagent le marché européen des colorants textiles. BASF réussit la synthèse de l'indigo en 1897. Ces grandes entreprises chimiques ouvrent de nouveaux marchés. Elles se diversifient vers 1880 dans l'industrie pharmaceutique avec la synthèse en 1899 de l'aspirine. Elles trouvent à la fois un succès technique et marketing (information/publicité réalisée par les médecins allemands). Une autre diversification se fait cette fois vers les engrais, qui peuvent servir aussi à faire des explosifs. En 1914, la puissance allemande dans l'industrie des colorants était impressionnante: sur une production mondiale de 150 000 tonnes, 140 000 proviennent d'Allemagne. Par ailleurs c'est en Allemagne que la guerre chimique est inventée par Fritz Haber (ypérite).

B) la puissance internationale de l'industrie électrique allemande

Dans la deuxième révolution industrielle, sur la longue durée, l'Allemagne a joué un rôle presque aussi important que les États-Unis dans l'industrie électrique. Le milieu est favorable à la fin du XIXe siècle pour que cette industrie de pointe à haute technologie se développe (chaque période a ses industries de pointe, le facteur le plus important étant innovation/recherche). Deux familles, deux dynasties jouent un rôle crucial (la forme dynastique est typique du capitalisme allemand):

  • SIEMENS
  • RATHENAV

Elles cumulent toutes les formes de capital (selon la définition de Bourdieu). Siemens est une dynastie industrielle qui œuvre depuis les années 1840 (on peut comparer avec Michelin ou Peugeot pour la France), d'abord dans la télégraphie et le chemin de fer, avant d'étendre à l'électricité. Emile Rathenav, lui, obtient l'exploitation des brevets d' Edison au début des années 1880 et fonde ainsi en 1887 AEG (Allgemeine Elektrizitats Gesellschaft) qui devient une très grande entreprise qui est encore aujourd'hui l'une des quatre plus importantes au monde. Siemens joue un rôle très important au début des années 1890 en allant plus loin qu'Edison en développant en Europe un système industriel polyvalent à partir du courant alternatif triphasé. Il fait alliance avec le géant américain Westinghouse en 1889. Ensemble, ils mettent au point le moteur électrique triphasé. Du coup, Siemens expérimente en 1891, le premier transport longue distance d'électricité, de courant alternatif triphasé, sur plus de 100 km entre Francfort et Lauffen. C'est le début du réseau d'interconnexion électrique. Les alliances entre les géants Siemens-Westinghouse et AEG-General Electric dessinent un partagent du monde industriel. Siemens a un rayonnement mondial. En 1897, la compagnie emploie 11 000 agents dans l'ensemble de l'Europe auxquels s'ajoutent des filiales en dehors du continent, en Amérique latine notamment. En effet, l'industrie électrique allemande a pratiquement dominé ce continent qui est alors considéré comme en pleine expansion. C'est une société en situation transitoire qui voit une influence importante des États-Unis et cherche à s'en protéger en faisant appel aux industries européennes et en premier lieu allemandes. En particulier l'Argentine, qui était alors le pays dont l'expansion était la plus fulgurante, un pays très prometteur qui voyait une émigration européenne très importante à une époque où les États-Unis se ferment. L' Allemagne s'est aussi bien implantée en Russie entre 1900 et 1914. Siemens est la première entreprise européenne de haute technologie. L'exposition électrique internationale de Francfort a montré la domination allemande (c'est à cette occasion que le premier transport longue distance vu précédemment est effectué). En 1913, l'industrie électrotechnique allemande fournissait 23% de la production mondiale (les États-Unis 40%), 48% des exportations (EU 35%, encore peu extravertis).

C) des percées inégales dans les nouveaux moyens de transport et de communication

Les ingénieurs allemands jouent un rôle majeur dans l'invention et l'innovation automobile. Mais les industriels doivent faire face à un goulot d'étranglement du marché allemand. On voit là les limites de la réglementation restrictive des courses automobiles et les conséquences de la mauvaise qualité du réseau routier en Allemagne. Entre 1880 et 1890, le premier industriel allemand est BENZ qui en dix ans a vendu 1132 véhicules dont 509 en France et seulement 334 en Allemagne. Daimler parie, à partir de 1901, sur le haut de gamme. La diffusion est limitée de ce fait. En 1907, en Allemagne il y a 11 000 véhicules en circulation contre 34 000 en France et 64 000 en Grande-Bretagne. Les allemands ont dans ce secteur de très brillants ingénieurs mais une faible diffusion de cette industrie.

On assiste à une percée du dirigeable,le ballon du compte Von Zeppelin, un innovateur entrepreneur acharné, qui y croit jusqu'au bout. Il crée son entreprise dès 1896. Il construit un appareil de grande taille doté d'une structure rigide susceptible de transporter une charge importante. Il dépose en 1896 toute une série de brevets et dès 1900 sortent des prototypes. Le premier dirigeable au point est lancé en 1913, le Sachsen qui fait 140m de longueur et peut transporter vingt passagers.

Le domaine de la radio (TSF) bénéficie des crédits militaires. À la base cette innovation est destinée à la marine (pour éviter les naufrages, améliore nettement la communication) et équipe bientôt les navires de guerre allemands grâce à l'action de l'amiral Von Tirpitz à partir des années 1900 qui fait doter chacun d'eux d'un poste de TSF. En 1903 nait la première entreprise européenne de TSF, TELEFUNKEN grâce conjointement aux crédits militaires et à la participation financière d' AEG et Siemens. En 1906, l'entreprise fournit le matériel de la première station de TSF intercontinentale de Nauen. Cette installation a une grande importance géostratégique et s'effectue dans le cadre de la Weltpolitik de Guillaume II. Le seul inconvénient pour l'Allemagne est la faiblesse de son empire colonial. Il est en effet difficile de relier les quelques possessions africaines (Namibie, Cameroun, Togo).

Ainsi, la technologie et l'innovation ont été des armes de la Weltpolitik de la même façon qu'elles ont été des armes pour le IIIe Reich.

Technologies et logiques de guerre, de croissance et de crise: 1914-1945

La première Guerre Mondiale a une influence sur la longue durée dans le domaine industriel, au moins équivalente à celle de la Seconde Guerre Mondiale. Le premier conflit mondial se situe dans l'approfondissement de guerres antérieures: guerres napoléoniennes, guerre de Sécession et surtout la guerre de 1870-1871. La Grande Guerre confirme que la maîtrise technologique influence durablement le déroulement des combats. Elle voit l'utilisation de nouvelles technologies, d'innovations radicales qui ont pu faire basculer la victoire, comme par exemple le char d'assaut. Le maréchal Pétain (avec tout le recul nécessaire face à ce personnage) a même dit: « j'attends les Américains et les chars », pointant un des éléments les plus importants de la victoire alliée, dont la mise au point est récente.

Ainsi, la guerre totale confirme le rôle de l'industrie lourde et du système technique de l'armement. Ce sont bien des « complexes militaro-industriels » (selon la formule du président américain Eisenhower) qui s'affrontent: Allemands contre Français, Britanniques et Américains. L'opposition entre guerre de position et guerre de mouvement contient la question de comment basculer de l'une à l'autre. Le char est en l'occurrence l'élément déterminant en plus de la masse des Américains. Les technologies militaires et les innovations ont eu un poids considérable dans le déroulement du conflit.

I)La Grande Guerre comme rupture économique majeure.

A) L'intervention de l' État, le renforcement d'une prise de conscience pendant le premier conflit mondial.

Même en restant dans une économie de marché, il peut y avoir une graduation du contrôle de l'État. Le premier stade est l'État libéral originel, avec simplement un rôle de gendarme. Globalement il existe deux formes d'interventions étatiques: l'État social, et l'intervention dans l'économie, avec toute une palette de nuances.

La première guerre amène sous toutes les formes un renforcement de l'intervention de l'État dans l'économie avec son stade suprême qui est le dirigisme. Celui-ci est entrainé de façon exceptionnelle par les nécessités inhérentes à l'économie de guerre: on le retrouve au travers de la mobilisation de main d'œuvre, militaire, mais pas seulement. Tout un jeu de manque de main d'œuvre de masse est consécutive à la mobilisation, dans l'agriculture, l'industrie et les services, auquel s'ajoute une pénurie de spécialistes. Ainsi, l'État a recours à une réquisition de main d'œuvre, privilégiant deux catégories de travailleurs. La population des colonies pour la France, notamment les Indochinois dans l'industrie, les travaux forestiers étant réservés aux Africains, a joué un rôle considérable. On fait, par ailleurs, appel à la population immigrée, en particulier aux Espagnols et aux Portugais. À cela s'ajoute la main d'œuvre féminine qui, elle, n'est pas réquisitionnée. Celle-ci a été beaucoup plus utilisée en Allemagne qu'en France, puisque le Reich n'avait pas d'empire colonial. Cette situation était d'ailleurs paradoxale du fait de la place réservée aux femmes dans ce pays (KKK). Le part de la main d'œuvre féminine passe dans l'industrie allemande de 25% en 1914 à 35% en 1918. Ce n'est, ceci-dit, pas un signe d'émancipation.

On reconnaît le dirigisme aussi dans l'organisation des approvisionnements et l'orientation de la production par l'État. Aussi bien l'Allemagne que la France, créent de nouveaux organes à cet effet. En 1915, en France, c'est la création de la Direction de l'Armement qui devient rapidement un grand ministère (décembre 1916). Son premier responsable est Albert Thomas, un socialiste et syndicaliste (régime d'Union Sacrée dans les deux pays), ingénieur, rationalisateur (il crée plus tard le BIT, Bureau International du Travail). Son successeur est Louis Loucheur qui, lui, est un grand entrepreneur. Ils mettent en place de nouvelles formes d'économie mixte, dont l'aboutissement est le consortium qui regroupe des industriels, des membres de l'administration et de l'état major, pour tous les secteurs. Les consortiums répartissent la production entre besoins civils et militaires. Ceux-ci ont favorisé la normalisation des matériels, la standardisation ayant été un élément déterminant dans la guerre. Cette logique de rationalisation est mise en place dès avant avril 1917 et l'arrivée des Américains. L' Allemagne était préparée depuis plus longtemps à la mobilisation industrielle. L'état major et le gouvernement étaient conscients des risques d'étouffement que présentait la situation enclavée d'empire central (le seul grand port de guerre allemand est celui de Kiel) et le combats sur deux fronts. Ainsi, ont-ils mis en place un plan d'autosuffisance pour de nombreuses branches. La grande inquiétude concernait le secteur de la chimie. Le IIe Reich importait en 1914, 41% des matières premières consommée par son industrie. Ses seules matières premières étaient le charbon et le minerai de fer. Dès l'ouverture du conflit, les Allemands mettent en place l'Office des Matières Premières qui organise des cartels, qui ont la même fonction que les consortiums français. Cela-dit, ils vont plus loin: toutes les entreprises industrielles ont l'obligation d'appartenir à un cartel sous peine de ne pas avoir accès aux stocks de matières premières. Dès 1915, les Allemands se lancent dans la recherche de produits de substitution, les ERSATZ (ils mettent au point, par exemple, le caoutchouc artificiel). Ce dernier aspect pose la question centrale suivante: les conflits et les guerres sont-ils favorables à l'innovation?

B) Le maintien du caractère stratégique des industries lourdes.

Une interrogation globale se pose par rapport à la réflexion morale sur les rapports entretenus par les industriels face à la guerre, et la question des profits de guerre.

En effet, ces rapports son relativement ambigus. Au but premier de l'entrepreneur qui est de faire des profits, se couple une dimension nationaliste (chez Renault ou Shneider, notamment), une acuité en temps de guerre du devoir patriotique. Les gouvernements n'ont, en effet, presque jamais eu besoin de réquisitionner des entreprises, du fait de la mystique nationaliste mise en œuvre et des intérêts du marché de guerre bien compris par les entrepreneurs.

1)le cas de l'industrie chimique.

La chimie est une industrie de guerre, stratégique. C'est un secteur fortement mis à contribution par la Grande Guerre. En effet, la chimie de paix peut vite se transformer en chimie de guerre. Les engrais se transforment rapidement en explosifs et de fait les usines sont facilement convertibles.

Cette industrie est très demandeuse en matières premières dont la possession devient, de ce fait, stratégique. L'innovation est, dans ce secteur, réellement accélérée par la guerre. La chimie permet la recherche de produits de substitution (ersatz). Par ailleurs, elle peut être pensée comme une arme globale, très mortifère. La production d'acide nitrique passe de 15 000 tonnes par an en 1914 à 600 000 tonnes en 1918 en France (l'acide nitrique sert à produire la nitroglycérine, l'explosif par excellence). On a une statistique équivalente pour le chlore. Ainsi, deux entreprises se renforcent en France: Saint Gobin et Kuhlmann. Elles deviennent jusqu'aux années 1990 les deux premières compagnies de chimie françaises.

Les chimies britanniques et françaises ont été handicapées dans le domaine des colorants de synthèse, totalement dominé par l'Allemagne. Les prix sont dans cette branche multipliés par quarante dans la période 1914-1918. Celle-ci a un rôle non négligeable dans l'industrie pharmaceutique. En France, elle est très entravée par l'arrêt des importations d'Allemagne. Après la Première Guerre Mondiale, l'industrie française se développe dans ce domaine, à partir de la confiscation des brevets allemands (Rhône-Poulenc). À l'inverse, en Allemagne et en Autriche-Hongrie, la situation est difficile en raison des difficultés d'approvisionnement (notamment en caoutchouc naturel, et, c'est ainsi que le caoutchouc artificiel est produit par Bayer suite à une innovation de produit et de procédé).

La chimie est l'industrie qui a permis le développement de l'utilisation de gaz asphyxiants. La première expérimentation de ce type d'arme est faite en 1915 à Ypres en France, son concepteur étant Fritz Haber (qui fut prix Nobel en 1918). Les produits sont de plus en plus toxiques. Il existe trois catégories de gaz de combat: les gaz suffocants, le gaz toxique global, les gaz vésicants. Une course poursuite est engagée dans la nocivité et la protection (masques, antidotes etc.). Le composé de base de ces gaz est le chlore. Toutes ces dispositions deviennent contraires, par la suite à la Convention de Genève. Par le traité de Versailles, les brevets furent remis à des industriels alliés. L' Office National Industriel de l'Azote qui s'installe à Toulouse en 1922 et emploie plus de 2000 ouvriers (ancien site AZF), en a bénéficié.

2)La sidérurgie.

La sidérurgie est une industrie cruciale dans l'effort de guerre pour la construction de l'armement. Tous les belligérants sont touchés par une grave crise de la main d'œuvre dans ce secteur. Par exemple en France, alors que 400 000 employés travaillaient dans la sidérurgie en 1914, les effectifs tombent à moins de 130 000. La solution constituée par la main d'œuvre féminine n'est pas envisageable car beaucoup de ces métiers sont des métiers de force. Ainsi, on fait appel aux travailleurs des colonies et dans une moindre mesure aux prisonniers.

En France, la majeure partie des zones de sidérurgie sont soit occupées par l'Allemagne, soit directement des zones de combat. En 1914, la France a perdu 63% de sa capacité de production d'acier, ce qui préoccupe beaucoup le Comité des Forges. En réaction, celui-ci a tenté de redéployer la production sidérurgique dans le Sud de la France, dans des zones loin du front, hors de portée des bombardements. Cette déconcentration favorise notamment le Sud-Ouest, Toulouse et Tarbes en particulier. Quelques hauts fourneaux sont installés dans les Pyrénées. Le port de Bordeaux a vu s'accroitre considérablement son trafic, ce qui a nécessité l'aménagement en urgence de ses avant-ports (Bassens). En outre, en 1917-1918, Bordeaux et sa région ont beaucoup bénéficié de l'arrivée des Américains. Ceci étant, la France manque considérablement d'acier: alors qu'en 1913 4,7 millions de tonnes étaient produites, en 1918 seul 1,1 million de tonnes est produit. En conséquence le pays se voit dans l'obligation d'importer depuis les États-Unis.

La sidérurgie britannique résiste mieux pendant la Première Guerre Mondiale, mais après elle a beaucoup de mal à se reconvertir en raison d'une productivité trop faible. La qualité de leur acier est insuffisant par rapport aux aciers allemands et français.

La sidérurgie allemande vit, en revanche, un véritable âge d'or entre 1914 et 1918. En effet, le pays compte les matières premières de la sidérurgie à profusion. Le traité de Versailles de juin 1919 porte un coup d'arrêt brutal à son expansion. L' Allemagne perd 40% de sa capacité de production de fonte et 30% de sa capacité de production d'acier. Plus grave encore, la perte de la Lorraine prive l'Allemagne de 80% de ses réserves en fer. A priori, c'est une catastrophe industrielle pour le pays. De plus, les alliés ont fait le choix politique de limiter l'expansion industrielle allemande (qui fascinait au demeurant). Malgré cela, les performance de la sidérurgie allemande restent excellentes dans les années 1920. Les Allemands ont concentré leurs efforts sur quelques régions. On assiste notamment à la modernisation de la grande conurbation industrielle qu'est la Ruhr. Entre 1918 et 1929 la production de la région augmente de 33%. En 1929, 13 millions de tonnes d'acier sont produites par la Ruhr. De très loin, l'Allemagne est la première puissance sidérurgique européenne des années 1920.

C)Industries nouvelles et grands réseaux.

Il s'agit ici d'étudier les répercussions de la Grande Guerre sur les années 1920 et sur la deuxième vague de la seconde révolution industrielle (automobile, aéronautique, communication). Dans les deux domaines des transports et de la communication des objets ou des techniques marginales deviennent centrales.

1)L'automobile

La Première Guerre Mondiale rend irréversible la trajectoire de l'automobile, avec notamment l'épisode symbolique de la mobilisation des taxis de la Marne. C'est par ailleurs à cette période que l'automobile s'adapte aux transports en commun et de marchandises (autobus et camions). En outre, le moteur à explosion est adaptable à l'aviation.

Les industriels de cette filière ont bien compris les avantages économiques qu'ils pouvaient trouver dans cette guerre. C'est dans la Première Guerre Mondiale que se détermine la trilogie des trois grands constructeurs automobiles français: PEUGEOT, RENAULT et CITROËN. Peugeot met en œuvre une stratégie industrielle globale. Dès 1915, ils diversifient leur production (armement, camions) de leur propre chef, avec leurs moyens, leurs ouvriers et réussissent ainsi à garder leur main d'œuvre. En 1916, les méthodes américaines sont introduites. André Citroën a fait, lui, fortune grâce à la fabrication d'obus. Renault a une contribution mécanique et technologique avec les chars, les Renault FT, qui ont une fonction d'accompagnement et permettent de traverser les tranchées. Se sont les plus performants du moment. Dans ce domaine d'innovations de pointe, stratégiques, les Allemands font les mauvais paris (ils n'ont que quelques exemplaires de chars, relativement inefficaces).

2)l'aviation

L'aviation fut très fortement stimulée par la Grande Guerre, qui transforme une activité jusque là sportive, risquée, peu fiable en un équipement sûr aux utilisations diversifiées. L'aviation fait partie de la deuxième vague de la seconde révolution industrielle, mais l'aéronautique a vingt ans de retard sur l'automobile.

Cela-dit, l'aviation a, dans la Première Guerre Mondiale, un rôle et une influence limitée. En plus de sa tâche principale qui est l'observation deux nouvelles lui sont allouées: le bombardement et la chasse aérienne (avion contre avion). Malgré cette limite, les progrès sont considérables. Le chiffre d'affaire du secteur aéronautique en 1914 est de 40 millions de francs, en 1918 il est de deux milliards. On assiste à une intense compétition entre les Allemands et les Alliés. Ce coup-ci les ennemis font jeux égal. Pourtant, l'Allemagne construit deux fois moins d'appareils. La qualité de leurs avions fut au moins égale à celle des avions français et britanniques. La grande supériorité allemande réside dans leurs moteurs. En fait, les chasseurs allemands ont trois critères de domination: fiabilité du moteur, vitesse de pointe, l'altitude possible. Ces appareils ont largement surclassé les avions français. Cette supériorité a été obtenue grâce à un transfuge néerlandais, Fokker, qui a mis au point en 1915 un dispositif génial: jusque là, les avions de chasse avaient un ennui majeur qui était que la mitrailleuse interférait avec l'hélice, lui a synchronisé le dispositif de tir avec la rotation de l'hélice. En 1915-1916 les avions Fokker sont les meilleurs. En 1916-1917, ils sont concurrencés par les SPAD (avions français). En 1917-1918 la réplique allemande vient des Albatros. Pour constater l'ampleur que prend l'aviation pendant la Première Guerre Mondiale on peut donner quelques chiffres: en 1914 on comptait 5000 avions, entre 1914 et 1918, 200 000 appareils furent construits.

3)les télécommunications

C' est bien pendant le premier conflit mondial que le terme de télécommunication a été employé pour la première fois. Un système global de communication à distance devient un secteur industriel à part entière. Pendant la Première Guerre Mondiale, la rapidité du transport de l'information est décisif. Ce conflit voit se développer les unités de transmission: télégraphe, téléphone, radio. Dans l'apprentissage des officiers on insiste sur l'intérêt décisif que constitue le fait de ruiner le système de communication adverse. Les Allemands cisaillent ainsi les fils sous-marins, notamment, coupant les transmission transatlantiques. En conséquence il ne reste plus que les communications ne nécessitant pas de fils, à savoir les liaisons radio à courte et longue distance. De ce fait, la Première Guerre Mondiale est une période de progrès de la TSF. Trois grandes entreprises se partagent le marché européen: Marconi (GB), SFR (France), Telefunken (Allemagne). On tend à faire des postes plus puissants, plus légers, donc plus mobiles. C'est une technologie à lampes. Ainsi, on modernise la lampe à diode avant l'arrivée de la triode depuis les États-Unis, produites à grande échelle. Avec cette technologie, les Alliés surpassent les empires centraux.

Dans le rapport favorable entre la guerre et le rythme de l'innovation il est difficile de trancher de façon absolue par la positive ou la négative. Malgré les progrès de la chimie, de l'automobile, de l'aviation ou de la radio, ceux-ci portent sur des biens stratégiques, militaires et non sur des biens de consommation. On peut aussi rester très réservés sur les progrès connus dans la sidérurgie.

II)l'économie de l'innovation, de la démocratie aux totalitarismes et à la guerre totale.

A) Le dynamisme de l'innovation dans les années vingt.

Ce dynamisme de l'innovation est inégalé jusqu'à la haute croissance des années 1950-1960. Même s'il a connu deux guerres mondiales, le XX e siècle connaît une croissance fulgurante.

Ces années vingt voient se superposer et se combiner les deux vagues de la seconde industrialisation: électricité/chimie avec automobile-aéronautique/télécommunications.

1)l'automobile

Ce qui marque les années vingt c'est l'augmentation de la place de l'automobile dans la société. Elle n'a toujours rien de démocratique mais sa place est reconnue comme symbole de mobilité individuelle.

La Première Guerre Mondiale amène un reclassement au niveau des industriels à partir de la modernité, à savoir la mise en œuvre des méthodes américaines. Jusqu'ici, dans le monde industriel, la mise en place du taylorisme et du fordisme reste minoritaire. Jusqu'en 1935, la France voit un reclassement de son industrie. André Citroën, que l'on surnomme « l'Américain », est l'industriel le plus dynamique. Il est allé à Détroit chez Ford et General Motors, observer leur façon de travailler. Il entretient de surcroit un correspondance avec Alfred Sloan. Citroën représente 30% du marché automobile français. Dès 1919 il importe une chaîne de montage (OST), il est celui qui pousse le plus loin l'innovation de procédé. Sa productivité en est renforcée. Il couple cet élément avec l'audace technologique, ce qui lui confère une image de modernité dans les années vingt. Il construit le premier véhicule automobile tout en acier. Chaque année, il envoie une mission d'observation aux États-Unis. Il a bien compris qu'il fallait cumuler les catégories d'innovations. Il crée une marque et développe la publicité autour. Il choisit pour emblème les célèbres chevrons. Plusieurs évènementiels créent une mythologie autour de la marque (Croisière Noire, Croisière Jaune). En 1925, il achète l'éclairage de la Tour Eiffel sur laquelle il projette les chevrons.

La Grande-Bretagne est, comme souvent, le cheval de Troie des États-Unis. Le pays voit ainsi l'implantation de filiales de Ford et de GM. Les marques anglaises sont limitées: Morris, Austin (dès les années vingt la compagnie choisit de populariser de petits modèles, ancêtres de la mini).

L' Allemagne tente de réorganiser dans les années 1920 son industrie automobile. La principale marque est OPEL (44% de la production nationale en 1926).

2) l'expansion des énergies de la seconde révolution industrielle

Dans une première phase il s'agit de l'électricité, dans une seconde des hydrocarbures. Leur point commun est que dans les années 1920, on voit se créer de véritables réseaux, d'abord de transports d'électricité, dans toute l'Europe Occidentale. L'objectif est de créer un marché national et d'interconnecter des centres de production et de consommation. Avant la première Guerre Mondiale, près d'1/3 de la production d'électricité est de l'hydroélectricité. On a un caractère global de l'électrification durant les années 1920. Toutes les villes (même les petites) sont approvisionnées. On passe alors à l'électrification des campagnes. Mais il existe de grands écarts entre les campagnes. Alors que la campagne girondine est approvisionnée en 1925, d'autres doivent attendre jusqu'aux années 1950-1960. Lénine dira « le Communisme se sont les Soviets et l'électrification ».

Entre les réseaux d'entreprises la compétition est rude pour la conquête de l'or noir: Américains, Néerlandais, Français, Britanniques sont en compétition, notamment au Moyen Orient, du fait des ressources limitées en Europe Occidentale, pour lutter contre les majors américaines. En 1924 est créée la Compagnie Française des Pétroles avec à sa tête Ernest Mercier (un autre « Américain »). C'est aussi un levier stratégique, qui obtient de nombreux droits d'exploitation en particulier en Iran et en Irak. Les hydrocarbures deviennent stratégiques pour l'automobile (propulsion) et la pétrochimie. Dans ce domaine, les Allemands sont totalement exclus de la course alors que longtemps, l'Allemagne s'était immiscée dans l'empire Ottoman et avait fait des investissements en Russie (Bakou).

Dans le développement des réseaux électrique la France est le modèle. Pour ce qui est des hydrocarbures les États-Unis et la GB sont en tête et dans une moindre mesure, les Pays-Bas. La France est, dans ce domaine, une puissance secondaire.

3)média et télécommunications.

Dans les années vingt, la dynamique de l'innovation profite des avancées de la Première Guerre Mondiale. On passe d'une application stratégique et militaire à une diffusion plus large. La radio devient le moyen de communication des masses (objet qui correspond à la théorie des mass-medias). Dans ce domaine, l'Europe est en retard sur les États-Unis. L'achat d'un poste de TSF reste couteux, à la portée seulement des classes moyennes supérieures. Aux États-Unis, la radio fait partie de l'univers des roaring twenties. L' Europe ne voit sa diffusion que dans les années 1930.

Par ailleurs, dans les années vingt, on assiste à une phase de croissance du réseau téléphonique en Europe, qui accuse un net retard sur les EU (brevets de Bell). La France tente de rattraper. Mais le marché européen est soumis à l'impérialisme américain dans ce domaine, totalement dominé par le géant ITT (International Telegraph and Telephone Company). La seule entreprise à pouvoir lutter est Telefunken qui, à partir de 1923, fabrique des postes destinés au grand public.

B) démocraties et dictatures face à la Grande Crise

Le point commun de ces régimes politiques est de voir des adaptations industrielles nouvelles face à la grande crise, des interactions entre grande crise et industries nouvelles.

Les activités de pointe sont rapidement et fortement touchées mais elles redémarrent plus vite après avoir subit une destruction créatrice/ création destructrice associée à une grappe d'innovation, couplée à la logique des start-up (une sur dix seulement est une réussite). La crise des années 1930 a un rôle accélérateur dans les mutations structurelles des industries européennes. Il n'existe que peu de spécificité pour l'Europe par rapport aux EU: c'est l'industrie automobile qui est la plus touchée. En France, la production est réduite de 35% entre 1929 et 1932. Elle a, rappelons-le, la seconde industrie automobile du monde après les EU.

La GB semble mieux résister (d'une manière générale d'ailleurs, avec des mesures monétaires adéquates, une démographie dynamique et une politique précoce de grands travaux): seulement 4,7% de baisse pour l'automobile. Cela-dit c'est un chiffre qui ne veut absolument rien dire quant à l'industrie automobile britannique. Dans les années vingt, celle-ci est en grande difficulté. Certaines activités nouvelles sont contracycliques et se développent malgré la crise. Elles suivent une trajectoire de développement en dépit de la conjoncture. C'est le cas pour la radio qui, en Europe, n'est pas arrivée à maturité, élément couplé au fait que cette industrie a des enjeux politiques. Dans une moindre mesure, c'est aussi le cas du téléphone.

1)La Grande-Bretagne: de la léthargie au sursaut.

Les secteurs qui avaient assuré la domination britannique ont souffert d'une léthargie, venue d'une incapacité à retrouver une puissance exportatrice. L'empire n'est pas une panacée en soi.

Globalement, les entreprises britanniques souffrent d'un processus d'obsolescence du à leur position de leader. La GB subit la concurrence des EU, de l'Allemagne et du Japon (fait partie des pays vainqueurs de la Première Guerre Mondiale). Les entreprises britanniques n'arrivent pas à consolider leur insertion internationale (n'accroissent pas leurs capacités exportatrices).

Tandis qu'aux EU la mutation des charbonnages s'accélère. La GB connait dans le même temps, une contraction de ce secteur: en 1928, 2480 mines sont contrôlées par 1400 sociétés; en 1944, 1630 mines sont contrôlées par 740 sociétés. Par ailleurs, les charbonnages sont modernisés par une mécanisation qui survient dans les années trente. Cela-dit, la rentabilité et l'efficacité des charbonnages britanniques sont nettement inférieures aux charbonnages allemands en 1939.

Sur la sidérurgie l'impact de la crise est dramatique. La production d'acier chute de 45% entre 1929 et 1933. Pour autant, cette activité connait un regain spectaculaire: en 1937, la production d'acier dépasse d'un tiers celle de 1929. Le sursaut est précoce. Seule la GB a réussi à mettre en œuvre une politique anti-crise efficace dans une démocratie. Ce regain est porté par le développement des chantiers navals et la relance du bâtiment, notamment grâce au remplacement des poutres en bois par des poutrelles en acier dans les mines. L'automobile connait aussi un sursaut, couplée à une politique de réarmement, même limitée, permet à la sidérurgie de rebondir.

Ce rebond est très largement basé sur le marché intérieur. Les exportations ne retrouvent pas leur niveau des années vingt. Il y a , en outre, une tendance à la rétraction du marché impérial. La difficulté de l'économie britannique réside en ce que sa concentration est très nettement inférieure à celle des industries allemandes et américaines.

L'industrie automobile voit une croissance soutenue dans les années 1930. Le choix a été fait de parier sur des modèles moins couteux, par, notamment, les firmes à capitaux américains implantées en GB, Ford et Vauxhall.

Le dynamisme du secteur de la radio bénéficie du rayonnement international de la BBC (c'est un élément de l'impérialisme britannique qui permet de faire face à l'impérialisme américain). Ce secteur emploie 60 000 personnes en 1939 contre seulement 20 000 en 1930.

Ces éléments expliquent que la GB a bien réussi sa mobilisation en économie de guerre totale. Celle-ci est rapide, même par rapport à l'Allemagne. Sous l'impulsion de Churchill, la GB connait une mobilisation industrielle rapide à la différence de ce qui s'était produit pendant la Première Guerre Mondiale. En mai 1940, le Premier ministre britannique crée sa propre cellule d'information économique. À l'été 1940, est mis en place un système de priorité. Celui-ci est coordonné, à partir de février 1942, par un Ministère de la production de guerre. La participation des ingénieurs britanniques à l'effort de guerre est décisive, couplée avec une coopération avec les EU dans les domaines de pointe (exemple: invention du radar; dans l'industrie pharmaceutique: invention des antibiotiques).

2)La France: des adaptations insuffisantes et incomplètes

La France ente plus tardivement, plus gravement et plus durablement dans la crise. Ce n'est qu'à l'automne 1931 que le pays est touché:

  • l'industrie textile est particulièrement touchée.
  • La chimie résiste seulement dans les secteurs de pointe. L'industrie pharmaceutique et Rhône-Poulenc notamment, diversifie ses activités.
  • L'industrie automobile est celle qui est la plus gravement touchée. La crise favorise la concentration: le nombre de constructeurs tombe de 90 à 28. C'est Citroën qui paie le prix fort. En effet, l'entreprise française la plus innovante technologiquement avait fait des investissements avant le début de la crise qui amène la compagnie au bord de la faillite. Celle-ci est reprise par le groupe Michelin en 1935 (cela prouve que le tourisme est un secteur contra-cyclique).

L'industrie électronique se réorganise autour de deux entreprises, CSF et Thomson. En 1939, la France est, dans ce secteur, très largement distancée. Le téléphone est utilisé en moyenne 231 fois par an par un Américain, 23 fois par un Français et 45 fois par un Allemand.

  • Dans le domaine militaire, la France a longtemps négligé ses dépenses. Aucun crédit n'est alloué entre 1918 et 1930 au développement et à la modernisation des chars d'assaut. De manière générale, les crédits militaires sont en baisse. Le réarmement n'est relancé que par le Front Populaire en 1936, et encore, timidement.

L'industrie française a été beaucoup plus affaiblie par la Seconde Guerre Mondiale qu'elle ne l'avait été par la Première par plusieurs facteurs combinés:

  • destruction en juin et automne 1944 des ports français par des bombardements.
  • Exploitation industrielle et économique allemande par transfert ou sur-place. Les entreprises françaises ont beaucoup souffert de l'arianisation (confiscation des biens juifs) pratiquée pendant la guerre. L'utilisation de la main d'œuvre française en Allemagne a été systématisée à partir de Février 1943 avec la loi sur le STO: 650 000 ouvriers sont déplacés en Allemagne et rejoignent un million de prisonniers français. Les entreprises françaises sont exploitées avec un système de classification entre elles. Les entreprises dites prioritaires bénéficient de livraisons en charbon, en électricité et gardent leur main d'œuvre (soulève la notion ambiguë de collaboration économique).

3)Le développement d'une logique industrielle de guerre dans l'Allemagne nazie.

Le programme du parti nazi était à l'origine anticapitaliste, correspondant à une des bases populaires du parti (celle que l'on retrouve dans les forces d'assaut, les SA). Mais dès 1932, on assiste au développement d'une alliance objective entre le Parti et les industriels allemands. Le premier oublie son aspect anticapitaliste tandis que les autres se militarisent et acceptent d'être contrôlées, plus ou moins indirectement par les nazis. Cet encadrement est mobilisé dans des cartels. L'organisation industrielle est confiée à H. Göering en 1936. Il est responsable du plan de 4ans visant à assurer l'autarcie de l'Allemagne et la domination de l'Europe. Il s'entoure d'une structure de 1000 personnes dans le but de militariser l'industrie allemande et de contrôler l'Europe à l'issue d'une guerre courte (BLITZKRIEG = guerre éclair).

Pour ce faire, une innovation est utilisée: la propagande, qui a son propre ministère. On tente de placer par ce biais des contrôles partout, à tous les postes de décision. Le ministre de la propagande est le Dr Goebbels. Afin d'accroître l'audience de la radio, tout le monde doit en être équipé. Ainsi, Goebbels incite fortement Telefunken à fabriquer des postes de radio bon marché: 35DM. Ceux-ci doivent recevoir de façon très nette les émissions nationales, mais la réception des émissions internationales est rendue très difficile. Ce modèle devient extrêmement populaire en quelques mois. En revanche très peu de progrès sont effectués dans le domaine des télécommunications privées (téléphone).

Par ailleurs, Hitler a su utiliser les compétences d'Albert Speer, ministre de l'armement. Il organise de façon magistrale l'effort de guerre allemand (ils tiennent jusqu'en 1945 sur deux fronts). Il sélectionne, pour ce faire, les efforts et se concentre sur ceux qui sont stratégiques: aviation (développement du premier avion à réaction), fusées (V1-V2: rampes de lancement en Belgique et aux Pays-Bas avec pour objectif la GB), en mai 1945 les Allemands étaient tout près de découvrir la bombe atomique; la chimie, mobilisée par la Solution Finale à la question juive connait de sinistres progrès (atroce mise au point du zyclon B pour les chambres à gaz par l'entreprise IG Farben).

CONCLUSION:

Dans la cadre de la seconde révolution industrielle, les deux conflits mondiaux orientent les trajectoires de l'innovation et de la communication de façon lourde, avec un renforcement permanent de l'intervention de l'État. Ces logiques d'intervention se diversifient, notamment avec la création d'offices d'État. C'est par exemple la création du CNRS en 1939. Pendant la Deuxième Guerre Mondiale on assiste à un affermissement particulièrement sensible de la convergence idéologique en ce qui concerne l'intervention de l'État, avec d'un côté les idéologies totalitaires et pré-totalitaires; de l'autre le développement du keynésianisme dans les démocraties (en GB le plan Beveridge date d'avant la Seconde Guerre Mondiale). Durant le second conflit planétaire le régime de Vichy renforce ses structures avec la création d'organismes nationaux qui lui survivent (1941 institut national d'hygiène [lié aussi à la question juive] qui devient l'INSERM [sans la question juive]; en 1943 création de l'Institut Français des Pétroles; en 1945 est créé le CEA, Commissariat à l'Énergie Atomique; en 1946 sont créés l'INRA et l'INED). Ce renforcement correspond à une évolution des idées schumpétériennes. Au départ c'est l'entrepreneur qui est idéalisé. Avec la guerre et le développement des macrostructures l'idée schumpéterienne de l'entrepreneur/innovateur évolue pour se fondre dans la grande firme qui collabore avec la puissance publique, bref, un changement de taille et d'échelle. Une interrogation émerge, sur le pouvoir de la science et de la technologie qui, on l'a vu, ont été déterminantes dans les conflits mondiaux. C'est aussi la question du rapport entre civil et militaire. Plus tard, Eisenhower parlera de « complexes militaro-industriels ».