Mercredi 30 janvier : Pierre Martin: l'histoire des assurances
Compte-rendu du Séminaire Aquitain Doctoral d’Histoire Economique du 30 janvier 2008.
Intervention de Pierre MARTIN : « L’histoire des assurances »
Pierre Martin est l’auteur d’une thèse sur le groupe Azur soutenue à la fin de l’année 2003, qui doit être publiée en 2008.
L’histoire des assurances est complexe. Alors que les premières banques italiennes étaient souvent des assureurs, la France a été peu accueillante. Les premières compagnies apparaissent à la fin de l’Ancien Régime (il faut acheter un privilège au roi, le marché est réservé), et sont interdites en 1793 par Robespierre. Ce n’est qu’en 1815 que les premières sociétés apparaissent, notamment grâce à l’influence des assureurs anglais par l’intermédiaire de l’émigration des nobles. François Ewald, dans son histoire de l’Etat providence, a analysé la genèse de la pensée du risque et de l’assurance, dans laquelle deux lois sont fondamentales. La loi de 1898 sur les accidents du travail, d’une part, est une conséquence du risque créé par l’utilisation de la machine dans le cadre de la société industrielle. La loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, d’autre part, inaugure l’ère de l’Etat providence et de la « société assurantielle ».
Un projet d’histoire
Azur, disparu aujourd’hui dans une « méga-fusion », est né dans les années 1890, date à laquelle la société issue en 1881 de la fusion d’un vieille compagnie d’assurance parisienne et d’une modeste compagnie d’assurance incendie de province a été restructurée. Le travail de recherche a été notamment réalisé à partir du dépouillement des archives de ces sociétés successives, du dépôt des assurances générales de France et du centre des archives économiques et financières du Ministère des finances (les archives du contrôle comportent des rapports sur les comptes qui sont très utiles). Les sociétés éphémères ont été laissées volontairement de côté, de même que les filiales et la réassurance. Seuls les deux rameaux principaux ont été gardés, ainsi qu’une filiale de la garantie agricole. Comme le conseille Maurice Lévy-Leboyer, il est nécessaire de reconstituer une généalogie pour trouver des points de bascule cohérents pour l’ensemble des sociétés.
Un objet d’histoire
L’histoire des assurances françaises, contrairement à celle des assurances anglaises, a été longtemps mal connue. On trouve cependant des travaux d’économie dans les thèses de droit du XIXe siècle. Les journaux professionnels (comme le Journal des assurances), quant à eux, fournissent des débats techniques très éclairants. Certains écrits de Braudel, Delumeau ou Bairoch abordent la question des assurances, mais ce n’est que dans les années 1990 que d’importantes avancées scientifiques ont lieu (travaux sur la mutuelle du Mans, sur l’UAP, sur la MAIF…). L’histoire des assurances est une « histoire carrefour », qui s’inscrit dans l’histoire longue du marché, de la technique, et pose le problème du statut particulier de la société d’assurance mutuelle et du langage très technique des assureurs (qui nécessite la consultation de manuels professionnels spécialisés). Les travaux concernant le rôle de l’innovation (F. Caron…), ou encore le circuit de l’argent, des capitaux et de l’investissement (H. Bonin…), fournissent un cadre scientifique aux recherches portant sur les assurances. Comme l’a souligné J. Marseille, il est nécessaire de replacer les études micro-économiques dans un cadre macro-économique.
3. Un sujet d’histoire
Les recherches ayant porté sur le groupe Azur ont un triple statut. Elles se rattachent tout d’abord à l’histoire d’entreprise, ce qui a posé le problème des points chronologie communs jusqu’aux années 1860 (puisque les différentes sociétés ont évolué jusque-là de manière indépendante). L’analyse a notamment porté sur la définition des stratégies : quel marché est visé ? Faut-il attirer les clients par la qualité de la garantie ou par la modicité des tarifs ? L’histoire de l’économie du risque est une approche qui a été réactualisée en histoire économique, à travers les problématiques de maîtrise des risques ou encore la question de l’asymétrie de l’information (cf J. Stiglitz). Ces recherches sont également liées à l’histoire de marché, étant donné que les produits ont été segmentés puis rassemblés tardivement (les assurances multi-risques habitation n’apparaissent que dans les années 1950). Afin de savoir quels sont les produits les plus profitables, il est nécessaire de reconstruire des indicateurs de longue durée, en prenant toujours soin de déflater (à l’aide notamment des tables de conversion disponibles sur le site de l’INSEE). Les indicateurs (montant des sinistres, des primes, des cotisations, des résultats, de la réserve, des valeurs assurées) servent à établir des ratio (« sinistre sur primes », « résultats sur primes »…) qui permettent, par exemple, de voir qu’en longue durée l’assurance grêle est vingt fois plus chère. La réalisation de graphiques, quant à elle, est utile pour repérer les « bons » et les « mauvais » risques, l’évolution des risques endossés par les assureurs, l’impact de l’inflation, etc. Enfin, le fil directeur est l’histoire de l’assurance mutuelle. Au départ, les mutuelles servent à des propriétaires qui s’assurent entre eux et contre les autres. On retrouve, par exemple, des campagnes de presse à la Belle époque sur l’enrichissement des sociétés mutuelles. L’ambiguïté est liée au fait que ces sociétés ne font pas de bénéfices, mais sont libres de dégager des excédents. Depuis 1855, les organismes de sociétés mutuelles sont réunis, et la Fédération française des sociétés mutuelles existe toujours. Le statut mutualiste est particulièrement intéressant : c’est ce qui a permis à la Mutuelle de la Seine inférieure (créée en 1818) de devenir Axa, en restant à l’abri du marché. Les sociétés mutuelles, qui ont longtemps survécu en marge du marché, sont à la fois extérieure et soumise à celui-ci, et l’ambiguïté n’est toujours pas tranchée.
D. PINSOLLE