Cours complet 06-07 UE7 Larcade
Sommaire
- 1 Histoire de la consommation à l'époque moderne
- 2 Les pratiques alimentaires de la première modernité
- 3 Le luxe dopant et stimulant
Histoire de la consommation à l'époque moderne
Ouvrage de référence:
- Roche (D.), Histoire des choses banales : naissance de la consommation dans les societés traditionnelles (XVIIe-XIXe siècle), Paris, Fayard, 1997, 329p.
On a affaire a quelque chose qui implique de réflechir sur l'historicité de ce qui fait la trame de la vie ordinaire. Le but est alors de rematérialiser les principes du processus de connaissance. Il s'agit de mieux comprendre la relation des individus avec les choses; de revoir la médiation aux objets et au monde.
Document ; Eventail de 1670
- Par son support comme par son contenu, il montre comment faire de l'histoire de la consommation. Notre document date des années 1670, c'est une peinture à la gouache avec des surpeintures en or (rehaut). Le support est du papier collé sur du carton ; c'est un prototype d'éventail qui appartient donc à la catégorie des arts décoratifs. C'est un objet de mode, de petite dimension (220 par 430mm) qui se trouve au musée Cardavalet à Paris. Ce musée se préoccupe de conserver des objets de la ville.
- L'éventail représente le quai des Augustins (rive droite) à Paris: marché aux pains et à la volaille. Depuis le règne de Louis XIII, les éventails peints connaissaient une très grande vogue qui ne se dément pas jusqu'au XVIIIe siècle. La création en 1678 de la corporation des éventaillistes traduit de l'importance de la diffusion, et de la production de masse.
- A la droite, on peut voir une femme s'éventer avec un éventail. C'est une représentation d'une espèce d'image-souvenir de Paris. Cet éventail présente l'un des endroits de Paris les plus animés: montre aux provinciaux que Paris est une ville de foule.
- Au second plan, on note des effets de raccourcissement pas très fidèles à la réalité topographique. On y voit le Pont Neuf (construit sous Henri IV) et la façade sur la Seine de la place Dauphine. C'est un exemple de l'urbanisme henricien.
Le commerce du pain
- Ce marché est l'un des 16 marchés aux pains de Paris au XVIe siècle.
- Le pain dans l'Ancienne France est l'élément clef, c'est la nourrriture du plus grand nombre, d'où une valorisation spirituelle du pain dans la liturgie catholique; on peut parler de quotidienneté ordinaire au plus haut point.
- Les 16 marchés correspondent aux 16 quartiers de la ville, leur nombre est ramené à 12 à la fin du XVIIe siècle.
- Viennent y vendre leur pain, les boulangers des faubourgs et les "boulangers forains": boulangers venus des bourgs et des villages situés autour de Paris, au delà de la banlieue.
- Ex: le village de Gonesse (XVIIe-XVIIIe siècles) a grand rôle dans l'approvisionnement de Paris.
- Les maîtres boulangers parisiens qui ont une boutique peuvent aussi vendre sur les marchés.
- Ce marché attire les acheteurs populaires alors que les boutiques fournissent surtout une clientèle aisée. On vend de gros pains: 3,6 ou 12 livres (1 livre= 489g). Les boulangers apportent en moyenne 2 ou 3 fournées, c'est à dire 900 ou 1000 livres de pain.
Contrôle et police
- Le marché est le lieu privilégié d'une police (une règlementation): le commerce du pain est très strictement surveillé par tout un monde d'inspecteurs, de jurés... Parmi eux certains ont un habit rouge avec une fleur de lys, c'est l'uniforme des jurés crieurs de la corporation des boulangers. Il y a aussi des uniformes noirs et bleus-rouges.
- Il y a trois types d'inspecteurs (jurés de la corporation, officiers de la halle et du marché) qui exercent une triple surveillance:
- Ils verifient que les boulangers venus sont bien autorisés à commercer. Les places sont concédées par les commissaires des marchés comme des biens patrimoniaux (places vénales)
- Ils notent les quantités et surveillent les prix pratiqués. Ils vérifient aussi les qualités.
- Ils veillent à ce que tout le pain apporté soir vendu: les boulangers forains ne doivent rien rapporter, ils doivent écouler le pain qui leur reste à plus bas prix.
- Cette règlementation stricte atteste la place centrale occupée par le pain et l'approvisionnement citadin. Pour la masse des citadins il constitue l'élément essentiel de l'alimentation.
- La hantise de l'émeute dans la perspective de l'enrichissement du pain (journées de mai 1588; Ligue)
- On craint que la qualité du pain se détériore, en particulier en cas de mauvaise récolte. La population parisienne est attachée au pain de froment: la couleur du pain ne doit pas être trop sombre. Les surveillances multiples montrent bien ce souci permanant du pain en abondance. Il s'agit de procurer du pain au "juste prix" et au "juste goût".
Approvisionnement urbain
- Si l'approvisionnement urbain est valorisé historiquement pour la fin de la période moderne, il y a encore beaucoup à faire pour la fin du XVIe et le XVIIe siècles.
- L'approvisionnement des villes est un pari difficile à tenir. Vers 1560, Paris compte près de 300 000 habitants et dispute à Naples la première place des villes européennes au niveau démographique. Lyon compte 50 à 60 000 personnes : elle se situe juste après Venise, Londres, Séville et Lisbonne. Le réseau des villes moyennes transforme totalement les données du ravitaillement urbain. On ne peut plus se contenter d'une aire limitée d'approvisionnement et de techniques empiriques. Il y a des problèmes de plus en plus ardus dans un pays densément peuplé comme la France où les prix ne cessent d’augmenter. .
- Ce défi appelle forcément l'extension des aires de collecte et la mise en place de marchés. Le marché des grains entre mal dans les structures du grand commerce. Le commerce des céréales c'est d'abord un marché intérieur dont l'importance est à la mesure de l'énormité de la consommation urbaine. D'immenses surfaces sont nécessaires pour alimenter une ville et il ne faut pas ignorer les besoins des villages et petites villes autour. L'irrégularité de la production est liée au caractère très sommaire des techniques.
- Dès 1520, en réponse à l'accroissement démographique de la ville, Lyon donne l'exemple de coexistence de deux marchés de grain.
- Un marché de proximité alimenté par les paysans (ramasseurs), des grossistes et des particuliers possesseurs de rentes en grain.
- Un marché élargi à toute la France du sud-est approvisionné en grande quantité par les grands marchands de blé.
- Lyon ne peut nourrir sa capitale que trois à quatre mois dans l'année; les emblavures ont reculé au profit des vignes.
- La Bourgogne devient le grenier à blé de Lyon, tandis que la libre circulation sur la Saône devient la condition première de survie de la ville. Les autres provinces participent aussi au ravitaillement.
- Paris doit également aller chercher sa subsistance très loin et ce dès le début de l'époque moderne: Picardie, Vexin, Brie… Si la récolte est médiocre, ce sont toutes les régions périphériques au royaume qui sont sollicitées. On note une extension non négligeable de la partie nord.
- Au début du XVIIe siècle, les bêtes viennent de la Brie, du Vexin, du Nivernais… Les aires d'approvisionnement en lait sont forcément limitées (chaîne du froid).
- Les légumes, le vin, l’herbe, le bois n’échappent pas à cette règle.
Conclusion
- Face à la répétition des crises frumentaires (liées à l'apprivisionnement de céréales), la hantise de la disette gouverne les esprits. Ex : Tric à Lyon (1529-1531), famines de 1573…
- En période de pénurie et de cherté la spéculation sévit, les troubles sociaux menacent.
- Pour agir sur un marché complexe et instable, les gouvernements urbains se font inventifs: on parle de laboratoire politique. En garantissant les prix en cas de chute des cours, en délivrant des primes, en prévoyant des exemptions d'octrois... les municipalités cherchent à encourager les marchands en période de crise. On en vient à constituer des réserves municipales pour amortir de brusques variations des cours.
- L'ordonnance générale de la police de 1567 introduit l'idée d'un véritable maximum général des prix et des salaires.
Bibliographie/Historiographie
- Duby (G.), Chartier (R.), Le Roy Ladurie (E.), Histoire de la France urbaine. La ville classique : de la Renaissance aux révolutions, Tome 3, Paris, Seuil, 1985, 651p.
- Kaplan (S.), Le complot de famine : histoire d'une rumeur au XVIIIe siècle, Paris, Colin, 1982, 77 p.
- Reynald (A), Le grand marché : l'approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1999, 1030p.
- Zola (E.), Le ventre de Paris, Paris, Gallimard, 2002, 470p.
Bibliographie complétée par Mme Larcade
- Roche (Daniel), Histoire des choses banales, naissance de la consommation dans les sociétés traditionnnelles (XVIIe-XIXe siècles), Fayard, 1997.
- Kaplan (Steven), Boulongne (Sabine), Les ventres de Paris : pouvoir et approvisionnement dans la France d’Ancien Régime, Fayard, 1988.
- Kaplan (Steven), Le pain, le peuple et le roi : la bataille du libéralisme sous Louis XV, Paris, Perrin, 1986.
- Kaplan (Steven), Le meilleur pain du monde : les boulangers de Paris au XVIIIe siècle, Fayard, 1996.
- Abad (Reynald), Le grand marché : l’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2003..
Les pratiques alimentaires de la première modernité
Le XVe et le XVIe siècle ont correspondu à une transformation du goût et des pratiques alimentaires chez les européens : importance des épices, de l’agriculture… Les livres de cuisine permettent d’étudier les pratiques alimentaires : voir bibliographie en fin de cours.
I/ Inventaire des produits de base
A/ Le manger
1) Les céréales
- Nuances géographiques : d'une région à l’autre, le froment n’est pas toujours présent en abondance. Donc, les gens doivent rechercher des grains ou des aliments de substitution.
- Au N-E de l’Europe, le climat ne permet que la culture du sarrasin (considéré comme la céréale du pauvre). On en tire le Gruau ou la Polenta grise. Cette céréale se diffuse au XVe-XVIe siècle au Pays-Bas, en France, en Italie.
- En Italie du Nord, la pénurie de froment occasionne des prix tellement élevés que la céréale devient plus chère que la viande de porc.
- Nuances sociales : consommation différente entre les bourgeois les plus riches et les paysans.
- Les citadins aisés peuvent grâce à des réserves faire du pain blanc qu’ils font cuire chez le boulanger.
- Les paysans ont de l’orge, de l’avoine, du seigle, du méteil, éventuellement du froment pour préparer du pain cuit une fois par semaine, et consommé dur et rassis avec des soupes d’herbes potagères.
2) XVe/ XVIe : diversification en cours
La promotion des légumes indigènes
- Les espèces de légume ont été importées d’Asie au cours du Moyen-âge :
- L’artichaut (mangé en dessert) : légume associé à la réussite commerciale. Il se manifeste jusque dans l’architecture Renaissance. Exemple : dans l’Hôtel Bernuy à Toulouse, la cour d’honneur est remplie de motifs représentant des artichauts (= signe de richesse, de luxe).
- L’asperge est très prisée
- Le melon (source de mortalité en Italie pendant les guerres de religion : indigestion)
- Les courges
- Les choux-fleurs
- Les endives
- Dans les livres de cuisine, on observe la progression de la consommation de racines (carottes, salsifis, panais, crosnes) au détriment des légumineuses (pois chiches, fèves, haricots).
Les nouvelles plantes
- Le riz asiatique se sédentarise dans la vallée du Pau dès le XVe siècle.
- Bientôt suivi par le maïs : voyage de Christophe Colomb aux Indes occidentales en 1493, l’introduit en Espagne puis au Portugal en 1520, en France de l’Ouest en 1530, en Italie du Nord en 1540. Au XVIe siècle, le maïs état utilisé comme plante fourragère et n’est consommé qu’à partir du XVIIe siècle.
- La tomate (on s’en méfie moins) se répand au XVIe siècle en Italie, en Espagne, en Provence. Elle est consommée en salade.
- Le haricot américain remplace la faséole.
les fruits
- Considérés comme des compléments alimentaires par les paysans, ils progressent dans l’alimentation.
- Il y a une multiplication des vergers destinés à approvisionner les tables de riches. Les fruits sont consommés frais ou séchés : figues, dattes, raisins…
- Par ailleurs, les espèces évoluent grâce aux jardiniers agronomes, surtout en Italie (dès XVe siècle, mais surtout au XVIe). En Italie, il y a de véritables laboratoires qui se lancent dans une entreprise délibérée de sélection des espèces : poires de Milan, pêches de Pavie (aresto), reines-claudes, citrons et oranges de la méditerranée (pour préparation de plats chauds ou salés).
B/ Le Boire
C'est un apport énergétique
1) Le vin : la boisson la plus répandue
- Répandu dès l’Antiquité, il y a des vignobles dans les pays méditerranéens.
- Au XVe-XVIe siècle, il y a de nombreuses zones de culture extensives : Touraine, Pays Nantais, Bordelais, Sicile, Andalousie, région rhénane, le Frioul (1/3 du N.E. de l’actuelle Italie) et la Tyrol. On y fabrique des vins clairets destinés à l’exportation. La vigne est cultivée partout au Sud de la ligne Loire / Crimée.
- Selon Marcel Lachivier, la piquette s’appelle le « ginglet » en région Pontoise.
- Selon J.L Flandrin, les paysans boivent du vin car son prix est modique.
- Le vin est un aliment symbolique des chrétiens qui convient bien aux travailleurs de force compte tenu des calories.
- Selon Thomas Platter (humaniste de Bâle du début du XVIe siècle), dans son journal, le vin est la seule boisson excitante que l’on connaisse à la Renaissance (le café et le cacao ne sont connus en Europe que sous l’angle de la curiosité).
2) Les autres boissons
- Les eaux de vie
Le XVIe siècle voit naître les premières eaux de vie, vendues dans les tavernes ( En Russie et en Pologne, c’est le premier âge de la vodka). Le vin est importé dans les zones nordiques, mais ils ont des produits de remplacement (Russie, Pologne, Lituanie : hydromel grâce à l’abondance de miel sauvage).
- Le cidre
Au Pays Basque, en Galice, en Normandie, en Bretagne, dans le Devon (partie S-O de la Grande-Bretagne), on cultive des pommiers. Selon le Journal de Blaise de Monluc, les soldats se nourrissent chichement ; contents de trouver de la « pommade » (sorte de cidre). D’après le Journal de seigneur de Gouberville (campagnard du Cotentin), on apprend qu’il fait des greffes de pommes.
- Le poiré
Il est obtenu à partir de la poire.
- La bière
En Europe de l’Est et du Nord (Alsace, Écosse, Flandres, Irlande, Angleterre, Pologne), il y a des boissons à base de céréales fermentées : la bière. Lorsqu’il n’y a pas de houblon c’est de la cervoise
Le problème de l’ivresse au XVIe siècle attend encore des études poussées. Félix Platter dans son Journal (qui fait des études de médecine à Montpellier) daté de 1556, fait référence aux « sacs à vins », très nombreux et tous d’origine allemande.
II/ Les formes de la consommation alimentaire
A/ Eléments de continuité
1) L’épicé
- Déjà au Moyen-âge, on mangeait épicé. La renaissance accroît la consommation d’épices. L’Europe commerce avec l’Orient : poivre, gingembre, clous de girofle, noix de muscade. Au XVe siècle, les républiques de Venise et Gênes assurent leur fortune grâce à ce type de commerce. Voir Lisa Jardine (historienne). Le poivre est considéré comme de l’or noir (instrument de mesure). Au XVe siècle, il a un peu perdu de sa prééminence au profit du gingembre. Il revient en force et se diffuse au XVIe siècle. Selon Noël Du Fail, conteur français du XVIe siècle (style Rabelais), même le petit peuple se met à consommer du poivre.
- Beaucoup d’explications erronées à cet engouement ont été données :
- Dire que les épices couvrent le goût de la viande avariée. C’est faux car on ne peut pas garder les viandes pourries : on mange frais. Aucune recette n’associe la salaison (méthode de conservation) aux épices.
- Dire que la rareté des épices serait un signe de distinction social. C’est faux, puisqu’il en serait de même pour la bière or ce n’est pas le cas. La volonté d’apparaître plus riche que ses voisins n’est pas une raison suffisante.
- Dire que la cuisine épicée viendrait de la rencontre avec le monde arabe au temps des Croisades. C’est faux car des livres de cuisine de l’antiquité romaine font déjà référence aux épices. Apicius (25 av - 37 ap J-C) utilisait beaucoup d’épices dans ses recettes.
- Selon J.L Flandin, l’explication est essentiellement diététique : on attribue aux épices des qualités médicales particulières. Exemple : on préconise l’emploi de la cannelle pour la santé du foie et de l’estomac. Pour les médecins, les épices servent à rendre les aliments plus digestes. On applique toujours la médecine de Galien et sa théorie des humeurs : à chaque tempérament son régime alimentaire. Les saveurs : âcres, amères, salées, acides, grasses, douces, insipides, acerbes… servent à réguler des diètes. Exemple :
- La chair de l’oie est considérée comme excrémenteuse, froide et humide. Les médecins préconisent de la consommer farcie avec du pain trempé dans du bouillon avec du poivre, de l’ail, de la sauge et du gingembre.
- Pour les viandes quadrupèdes (considérées comme plus sèches) : clous de girofle, gingembre, cannelle, poivre, graines de paradis.
- Pour les poires: « fort venteuses » (Ambroise Paré) : clous de girofle cuites avec du vin rouge, saupoudrer la poire de sucre et de cannelle.
2) Le "visualisé"
- C’est le goût des couleurs. Au Moyen-âge, on parle d’appétit « chromatique » qui perdure au XVIe siècle. On recherche des effets de couleurs :
- Pour le jaune : jaune d’œuf ajouté à du safran
- Pour le vert : tournesol + safran
- Durant les banquets, on servait de la nourriture qui rappelait les armoiries : ce sont les écartelés. Henri VIII d’Angleterre avait pour tradition « le blanc manger » (esthétique + diététique) : viandes blanches, sauces blanches, desserts au lait d’amande.
B/ Des faits nouveaux
1) Le sucré
- Il commence à conquérir les rives septentrionales de la Méditerranée à partir du monde arabe durant les croisades. En 1453 avec la prise de Constantinople, les difficultés de commerce et de circulation avec l’Orient ne font pas baisser la consommation, mais incite la Sicile, l’Espagne, Madère, et les Îles canaries à planter de la canne. L’exploration de l’Atlantique élargie la zone de plantation.
- Dès son deuxième voyage vers les Amériques, Christophe Colomb apporte des plants que l’on acclimate à Saint Domingue (Hispaniola). En 1505, on institue au Mexique la première fabrique de pains de sucre. Les portugais organisent la production au Brésil. Vers 1560, plus de 2000 tonnes de sucre par an transitent par Lisbonne et se destinent aux épiceries et aux boutiques d’apothicaires.
- Parallèlement, la proportion de recettes sucrées augmente. 18% des plats du Viandier mélangent sucré et salé. Le pourcentage va jusqu’à 31% dans le Livre fort excellent. Les desserts et confiseries ont un immense succès (laits d’amande, massepains, pièces montées en sucre). A la moitié du XVIe, il y a la publication de plusieurs traités de confiture: Façons et manières de faire les confitures par Nostradamus (1555).
2) Le gras
- A la fin du XVe siècle, la cuisine au beurre et la cuisine à l’huile d’olive ou de noix s’opposent. Même la Sicile utilise du beurre au moment du carême. Au XVIe siècle, c’est l’essor des sauces grasses.
- Il y a une diversité des types de graisse : le lard, le saindoux, la moëlle. Au Moyen-âge, on était plutôt amateur de sauces acides ; la tendance se maintient en 1500 : on met beaucoup de vinaigre, de jus d’agrume. Les anglais de la Renaissance, eux, en sont moins friands : ils préfèrent les saveurs plus sucrées.
- La proportion de gras est de 70% dans le Viandier et 45 à 68% dans le Livre fort excellent. Le verjus (vinaigre + herbes) est davantage utilisé avec les volailles. Pour les quadrupèdes, on utilisait des herbes et du gingembre. Pour les poissons, on se servait de sauces modérément aigrelettes : la « jance » à base de vin blanc. Pour les abats, on préférait le vinaigre.
C/ La naissance de la gastronomie
- A la Renaissance, on sélectionne les plats consommés. Les hérons, les cygnes et les paons n’intéressent plus les cuisiniers ; idem pour les grands mammifères marins : les baleines, les phoques, les marsouins sont moins consommés, mais ils sont toujours chassés pour leur huile (utilisée dans le textile et l’éclairage).
- Par contre, la dinde importée d’Orient connaît du succès. C’est aussi la promotion du bœuf et du veau. On consomme les abats (le foi), conseillés par la médecine et les livres de cuisine.
- Pour la cuisson de la viande, il y a une continuité avec le Moyen-âge : on fait rôtir uniquement les animaux de petite taille (volailles, lapins et lièvres, porcs, moutons). Les plus gros animaux sont destinés au pâté : tourtes; ou alors on les fait bouillir. Un bœuf peut être rôti puis bouilli et consommé avec des épices. La double cuisson n’est pas rare. Ce n’est qu’au XVIIe siècle qu’on commence à se préoccuper de préserver les saveurs.
Conclusion:
- Peut-on parler de Renaissance gastronomique ? C’est une affirmation exagérée. Il est difficile de démontrer une transformation majeure par rapport au Moyen-âge. C’est plutôt au XVIIe siècle que s’opère une révolution en matière de cuisine.
- La Renaissance voit l’avènement d’une société de consommation, mais pour la majorité de la population on reste dans le cadre d’une société de pénurie. Dans son Livre de raison, maître Nicolas Versoris (avocat bourgeois de Paris) note en 1515 ou 1516 qu’une grande partie du blé a gelé en terre. Même lorsqu’on est riche et habitant en ville, on craint de ne pas avoir à manger. Les céréales sont la base de l’alimentation. L’alimentation est peu variée pour la majorité de la population. La production ne couvre pas la demande en raison des faibles rendements de l’agriculture et des conditions météorologiques. Les meuniers et les boulangers spéculent dès que la récolte est mauvaise : en 1526 à Paris. Les disettes sont fréquentes :
- 1480-1483 : du Quercy jusqu’à Lyon
- 1529 : très grave disette, particulièrement sensible en milanais.
La période la plus difficile se situe au moment de la soudure car les réserves sont épuisées. Même lorsque la récolte est bonne, la majorité de la population reste sous-alimentée.
- Le repas le plus copieux est celui du soir et se constitue de farines de céréales, de bouillie, de soupes d’herbes potagères (choux, raves, fèves, légumes secs, oignons, poireaux et corps gras), de fruits. Les paysans ont rarement de la viande dans leur assiette. Ils se contentent de leurs œufs et de porc fumé. En règle générale, la population manque de protéines. Le sel pour la conservation est cher à cause de la gabelle. Même le lait reste cher. En conséquence de quoi, la boisson (vin, bière, cidre) est nécessaire pour l’apport calorique.
- Cela a pour conséquences concrètes : le régime alimentaire est caractérisé par une abondance en féculents donc un déficit général en protéines et en vitamines. Les maladies liées à ces carences sont : le rachitisme, le scorbut, et une sensibilité accrue aux épidémies. Le sort des femmes est moins enviable encore, puisqu’elles mangent après les hommes.
- Les sources concrètes sur ce thème sont les revues de recrutement des soldats (montres) qui donnent une idée de la faiblesse des corps : décrivent des combattants de petite taille, les bras noueux, les genoux cagneux, alors même que ne sont recrutés que les plus robustes.
- Cela dit, la frugalité ne concerne pas toute la population bien que ce soit la majorité. Les riches et les bourgeois peuvent faire bombance ; ils ont une nourriture abusivement carnée sans parler du vin; c’est à l’origine d’une nouvelle pathologie: la Goutte (dépôt d’acide urique dans les articulations) ; due à une surconsommation de gibiers et de sauces acides.
Bibliographie
- Sources :
- Taillevent, Viandier (XVe siècle)
- Anonyme, Livre fort excellent (XVIe siècle)
- Ruperto de Nolla, Lybre dei Coch (1520)
- Platine, De honesta voluptate (1470)
- Harlean Manuscripts, Cookery books (1440)
- Sabrina Welserin (1553)
- Ouvrages de base
- Flandrin (J.-L.) et Montanari (M.), Histoire de l’alimentation, Fayard, Paris, 1996.
- Jardine (L.), Wordly Goods : a new history of the Renaissance, Mac Millan, London, 1996.
- Braudel (F.), Civilisation matérielle, économie et capitalisme, A. Colin, 1979.
Le luxe dopant et stimulant
- Pour ce domaine il faut réfléchir sur l’utilisation de sources originales, en particulier les tableaux de genre (scène d’intérieur, évocation de la vie quotidienne) peints par et pour des catégories privilégiées. Ils sont les témoins probants de la vogue et de la mode.
- Les tableaux peuvent nous donner des informations sur la consommation de luxe notamment par les tapis qu’ils contiennent tels ceux de la première Renaissance. Exemples :
- Fra Angelico : La Vierge et l’enfant sur un trône entourés de saint Pierre, Paul, Jean-Baptiste, Dominique et un donateur (1325-1335) (tapis disposé de façon décorative)
- Crivelli : L’Annonciation (1486)
- Antonello de Messine
- Holbein, Les Ambassadeurs (1533) Erreur lors de la création de la miniature : Impossible d'enregistrer la vignette sur la destination= le seul a vraiment retenir ; il montre un tapis à motifs géométriques. Ce type de tapis est presque dans tous ces tableaux on parle de « tapis Holbein »
- Analyse d’un tapis : type turco-cocasien, milieu du XVIe siècle, représente des marchandises précieuses, chères. Ils intéressent également des spécialistes de la médecine car les tapis sont pleins de puce, ils ont souvent été vecteurs de maladies comme la peste.
Les inventaires après décès complètent les sources sur la consommation de luxe.
- La consommation de luxe fait le lien avec la séance précédente : l’alimentation qui est un moyen de distinction. La forme la plus caractéristique est la consommation de produits dopants aux XVIIe et XVIIIe siècles.
- Ces dopants sont des denrées tels que le café, le thé et le chocolat que l’on retrouve dans les peintures. Après 1738 ces tableaux font massivement référence à ces produits. Exemples :
- Illustration dans Figeac (M.), La douceur des Lumières : noblesse et art de vivre en Guyenne au XVIIIe siècle, Bordeaux, Mollat, 2001, 311 p.
- Hogarth, peintre anglais spécialisé dans la peinture à visée morale.
- 1738 : tableau de la famille Strode autour de la table de thé
- 1743 : tableau d’une jeune mariée après sa nuit de noce qui prend son petit déjeuner avec une théière.
- Boucher, peintre français : Le Déjeuner (1739) où il y a une cafetière.
- Chardin, peintre français : Femme prenant le thé (1735) où il y a une dame assise à une table rouge.
- Ollivier, (celui qui avait peint Le jeune Mozart au piano) : Le Thé anglais de la princesse de Contis (1776)
- Autres sources :
- La musique. Exemples :
- Cantate de JS Bach, n° BWB 211, Schweiget still, plaudert nicht dédiée à la gloire du café.
- Mozart dans Don Giovanni met en scène un noce paysanne dans laquelle sont présents le lait, le café, du jambon.
- La littérature. Exemples :
- Goldoni, dramaturge spécialisé dans les comédies telle que Bottega del caffè qu’il fait jouer en 1750.
- Dans ses Mémoires, Casanova décrit sa jeunesse à Venise où la consommation de café est répandue.
- La première œuvre de Voltaire lorsqu’il était collégien chez les jésuites. Après la confiscation de sa tabatière il écrit un poème de contestation.
- Molière dans Don Juan fait dire à Sganarelle : « Je ne connais rien de mieux au monde que le tabac »
- La musique. Exemples :
I/ Phénomène de « masse »
Les excitants et les dopants font partie de la vie quotidienne. Dès le XVIIe siècle le tabac est répandu. Les nouvelles boissons, thé et café, apparaissent surtout au XVIIIe siècle. Ils représentent un engouement certain : la révolution vendéenne a en partie été causée par l’arrêt de l’approvisionnement en sucre. Tous ces produits provoquent un important mouvement commercial : à la veille de 1789 à Paris.
Produits par individu | Consommation totale par an | Consommation par an |
---|---|---|
Chocolat | 122 t. = 500000 livres | 170 g. |
Café | 1225 t. = + 3 millions de livres | 1800 g. |
Après une progression lente au XVIIe siècle les dopants liquides font une percée au XVIIIe siècle grâce au phénomène de mode par des faits pré-publicitaires surtout à la cour. Le tabac est un prototype de ce type de consommation qui devient presque universel, socialement égalitaire ce qui est différent des breuvages exotiques. Les XVIIe et XVIIIe siècles sont des périodes de mutation des goûts, des saveurs.
A/ Le thé
L’analyse de cette consommation est la plus complexe. Le thé est appelé « la petite herbe » par Voltaire notamment.
1) Les aires de diffusion
A partir de la Chine du Sud diffusion en Europe par 2 voix différentes :
- la voix continentale à travers la Sibérie, les steps russes et au XVIIe siècle au Pacifique. En 1689 le traité de Nertchinsk entre la Chine et la Russie met en place des caravanes régulières à partir de 1698.
- la « route du thé » (celle des clippers du XIXe siècle). Elle est maritime : océan Indien puis Atlantique. Elle est la principale voie et est à l’origine de l’empire anglo-saxon du thé.
Le thé est à l’origine de la guerre américaine : la Boston tea party (1773).
2) La consommation de thé
A l’origine la consommation du thé en Europe est hollandaise. Associé au café, il est consommé dans le cadre de clubs : « les sociétés de buveurs de thé et de café » (sociétés différentes des tavernes car le personnel y est exclusivement féminin). Il se diffuse ensuite par la vallée du Rhin jusqu’en Suisse. Le thé reste une boisson réservée à l’élite, quasi aristocratique. La compagnie française des Indes est obligée de revendre la majeure partie du thé importée d’Orient en Angleterre. Ils n’y arrivent qu’au prix d’une double concession :
- par « coupage » avec des herbes locales pour abaisser le coût de la boisson donc elle se démocratise dans les sociétés anglaises.
- la contrebande à Roscoff, Gersey, l’île de Man.
B/ L’Europe du café
- Il s’agit de la France, des pays germaniques et méditerranéens. Le café est considéré comme une « boisson révolutionnaire ». Il est une partie intégrante de la sociabilité. Il est consommé avec des sorbets (« gelati » en Italie) et est devenu une institution sociale largement répandu au XVIIIe siècle au point de contaminer les tavernes (« bistrots ») qu’au XIXe siècle on nomme des « cafés ».
- Le café porte également des titres, des revendications avant-gardistes comme par exemple « le Café de l’avenir ». De plus les Lumières en font un de leurs symboles. Dès 1785 à Quimper un « Café de la comédie » copiant le « Procope » est créé par un des notables de la ville.
C/ Le cacao
Il a un rôle plus modeste (sauf en Espagne).
1) Les conditions de diffusion
La première diffusion extra ibérique a lieu lors des mariages princiers espagnols en Europe. Au milieu du XVIIe siècle, il est en Angleterre et en Hollande. Cependant, il est rare est réservé aux milieux huppés. En France, en 1705 est créée à la cours une charge de chocolatière de la reine.
2) La géographie de la production
- Une des raisons principales du succès réside dans le fait de l’adoption pose moins de problème qu’il y a usage ancien dans le pays d’origine. Par exemple le chocolat était de consommation courante au Mexique avant l’arrivée des espagnols. De même que le thé qui est une philosophie Taoïste depuis IVe siècle avant J.C. en Chine. Au Japon aussi, le thé est connu avec le mouvement zen : cérémonie du thé depuis le VIIIe siècle après J.-C. Donc ces produits sont bien connus.
- Pour le café la culture vient du Yémen (« l’Arabie heureuse »), patrie du Mokka. Le café s’est diffusé de l’Arabie à l’Egypte puis en Turquie au XVe siècle. Il a été apporté en France par l’ambassadeur turc Soliman Pacha en 1669 mais il est connu à Marseille avant l’introduction dans le centre de l’Europe.
Le café provient de l’ancien monde tandis que le thé et le cacao viennent du nouveau monde.
D/ Le tabac
1) Origine
C’est un produit indien = Arawaks. La plante a conquis l’Europe en moins de 2 siècles à partir de 1492. Les colonies anglaise d’Amérique (Chesapeake) était presque en faillite mais grâce à l’arrivée du tabac, la croissance reprend. Les principales étapes sont l’adoption par l’Europe de rituels de consommation.
2) Les rituels
- Les aztèques le consommaient à la fin du repas avec une grosse pipe cylindrique en roseau et un mélange embrasé. C’est un rituel social autant qu’une consommation d’agrément. Il relève également d’offrande religieuse et de distinction sociale. Il est enfin considéré comme un médicament.
- Dès la fin du XVIe siècle, l’Europe s’y met comme l’attestent les peintures de genre. Un des premiers tableaux est celui de Willem Claes Heda. C’est une nature morte de 1594, Le vin, le tabac et la montre. Autre exemple : Chardin, Les instruments du fumeur
- Il faut associer cette pratique à Nicot (d’où le terme de nicotine). C’est un ambassadeur de France à Lisbonne. Le tabac sert d’instrument de troc et d’échanges en Asie. Vers 1650 la pipe fait partie du mobilier des campagnes chinoises. Le tabac donne lieu au développement d’art décoratif comme par exemple les pipes en porcelaine en Allemagne.
- Saint-Simon atteste dans ses Mémoires de l’engouement du tabac en France : les filles de Louis XIV allaient fumer la pipe avec les corps de garde.
3) Une bonne affaire fiscale
Très tôt les Etats flairent les bénéfices fiscaux. Entre 1629 et 1700, la monarchie française promulgue 207 textes sur le tabac. La législation fiscale sur le tabac permet de tracer sa progression. Exemples :
- le 17 novembre 1629 par une déclaration royale, il y a une mise en place de taxes douanières sauf pour les Barbade et Saint Christophe.
- 1674 : nouveau texte qui témoigne des progrès du tabac : le monopole de la vente du tabac par l’Etat touche durement la colonie de Saint Domingue.
- 1676 : le royaume de France est l’empereur de tabac : la déclaration du 14 mars établit des dépôts de tabac à Bordeaux, Montauban, Saint Mexan, Metz et Lery. Une « ferme des tabacs » veillera aux limitations des ventes et des cultures.
- 14 août 1680 : acte qui donne un droit de visite aux fermiers dans les châteaux, les maisons royales pour limiter la contrebande.
E/ Relation entre les dopants, les excitants et la société
1) Phénomène de mode
- Exemples :
- texte rédigé par le roi Jacques Ier d’Angleterre un traité pour dénoncer la consommation de tabac : Miso Capnos (= celui qui n’aime pas le tabac)
- Urbain VIII (1623-1644) a excommunié le tabac car le tabac est un péché.
- Ces produits sont considérés comme des drogues au pouvoir potentiellement dangereux même s’ils ont des effets pharmaceutiques. L’acceptation par la société de ces denrées alimentaires est associée à la consommation du luxe. Thé, café, chocolat et tabac sont les premiers phénomènes de surconsommation. Parmi ses lettres, la Marquise de Sévigné en a écrit une douzaine sur les breuvages exotiques. Ses propos sont le reflet de la poussée triomphale du café à partir de 1670.
- Les facultés de médecine entre 1676 et 1679 dénoncent le café comme dangereux. Son sort semble compromis. Mais vers 1686-1687 la cour de France relance la consommation du café qui connaît cependant en 1688 un nouveau recul. Ce qui le sauve en 1690 c’est que l’on trouve le moyen d’atténuer les effets toxiques médicaux. Le médecin grenoblois Monin découvre le café au lait sucré. Les pays germaniques le consomment sucré ou avec des viennoiseries pendant l’après-midi ou après le repas ; les français le consomment plutôt le matin.
- De la même façon le chocolat subit des effets de mode. Exemple :
- la Marquise de Sévigné en 1671 recommande à sa fille d’en consommer mais quelques mois après elle le lui déconseille.
2) Une importance thérapeutique authentique
- C’est l’époque de la vogue de l’infusion. Le thé, le café et le chocolat nécessitent de l’eau bouillie. C’est une vertu préventive car l’eau est un vecteur de nombreux maux. La faire bouillir contribue à l’amélioration de la santé des populations urbaines : destruction des bactéries. Exemple : au XVIIIe siècle, en Angleterre, le typhus baisse alors que la consommation de thé augmente.
- De nouvelles habitudes alimentaires dans les couches moyennes : à côté de l’alcool sont consommés ces nouveaux produits : changement de sociabilité européenne. Parallèlement il y a une remise en cause des tavernes.
II/ Un lieu de consommation : la taverne
A/ Un phénomène de société
- Dans le moindre village ce genre de lieu existe.
La taverne est une auberge plus ou moins vaste où l’on loge. Elle se différencie en plusieurs types : auberge, cabaret (pas de logement), cabaret « à assiette », taverne à « pots » où les vignerons proposent les vins à emporter ou à consommer sur place.
- Quelque soit son type, la taverne est un élément du paysage. A Paris, on dénombre entre 1500 et 2000 débits de boissons. Toute bonne ville de province en aligne entre 100 et 200. Dans la plupart des grosses paroisses rurales, il y a 2 ou 3 tavernes. Dans la France de Louis XIV on compte environ 80 000 taverniers soit 1 pour 250 habitants. Vauban estime la consommation de vin à plus de 2 millions d’hectolitres par an.
La taverne est une institution de regroupement avec connotation sociale, de mentalité.
- A leur égard, les autorités doivent les contrôler : les tavernes sont des lieux d’agitation. Mais il faut respecter les traditions car c’est un élément de stabilité. La taverne est également une source de revenus fiscaux. Le budget des villes surtout les hôpitaux et les frais de voiries dépendent des octrois. Exemple : à Alençon, les droits sur le vin et le cidre servent de rente pour le collège des jésuites.
- Les tavernes ont également un rôle utilitaire. On y recrute des ouvriers (comme à Paris sur la place de grève), on y signe des actes notariés, elle peut servir de tribunal. C’est également le lieu de prolongement des grandes fêtes comme par exemple en Flandre, en Savoie pour les fiançailles, les noces, les enterrements.
B/ Subversion
- La taverne renvoie une connotation subversive. Les taverniers sont à la limite du marginal, ils incarnent l’argent, le risque. C’est un univers mercantile. A côté des habitués se trouvent d’étranges présences comme par exemple des déserteurs, des coquillards de Saint Jacques, des montreurs de lanternes magiques, des colporteurs … .
- La prolifération des débits de boissons affecte à plusieurs niveaux l’équilibre de la ville car les tavernes sont des « anti-églises ». C’est un foyer de contact purement profane surtout dans la logique de la contre réforme catholique à partir du milieu du XVIIIe siècle.
- La taverne est un lieu où la vie est déréglée : à toute heure on peut y entrer pour boire ou manger. On peut même y apporter son repas.
- L’Eglise catholique n’est pas la seule à s’en méfier. Exemple :
- à Genève, la réglementation est stricte. En 1530, la taverne réputée de « La Croix d’Or », où s’est installé Antoine Froment, se transforme en une annexe du temple où on apprend à lire et écrire en Français en 1 mois.
- L’auberge de « La Tour Perse », Guillaume Farel le transforme en lieu protestant.
Les auberges sont un objet de réhabilitation par les protestants.
- Les auberges sont durablement marquées par les pratiques en rupture avec l’ordre établi. Sous Louis XIV, dans la province du Brie, les auberges sont investies par les bergers sorciers. Ils complotent, composent des charges (= sortilèges pour faire mourir les troupeaux de leurs maîtres).
- Les archives des forces de l’ordre, prévotées et judiciaires montrent que les auberges sont liées aux manifestations de désordres. Exemple :
- à Paris, le dimanche 16 avril 1677, au moment de la messe 49 buveurs sont trouvés dans 12 cabarets. Ils sont mis à l’amende.
- Paris, un autre dimanche 50 buveurs et 8 taverniers sont épinglés au « Jardin du roi », « La Rose Blanche », « La Galère » et « L’Image de Saint Pierre »
Même s’ils trouvent le chemin de la messe, les curés ont une peur constante de les voir entrer saouls. Le curé de Montmort dénonce ces buveurs car le tabac et le vin du dimanche échauffent les esprits.
Larcade UE7 7ème cours 23/11/06
Larcade UE7 9ème cours 07/12/06
Larcade UE7 10ème cours 14/12/06