Cours complet M1 TC Jourdan 2005-2006
Sommaire
Qu'est ce que l'Histoire sociale ?
- Faire de l’histoire sociale c’est se poser 2 questions :
- question de la définition
- question des méthodes
- Aborder ces 2 questions c’est faire de l’historiographie.
3 moments :
-l’âge primitif = sorte de « préhistoire » de l’hist sociale.
-le moment de l’histoire structurale et quantitative.
-tendances actuelles de l’hist sociale.
I/ L'âge primitif (du XVIIème siècle à 1914)
- Depuis la naissance des Annales (1929), les historiens ont tendance à séparer l’histoire évènementielle, « historisante », qui était méprisée à ce moment, vue comme anecdotique et chronologique (=simple accumulation de dates et d’événements), de l’histoire structurale, la vraie Histoire, l’histoire « noble ». Cette histoire structurale a des racines anciennes, avant les annales.
- Certains intellectuels l’ont pratiqué sans avoir conscience d’en faire, par ex Bossuet, ou la relation climat/société dans la théorie du climat de Montesquieu (un peu comme Braudel, 2 siècles avant). Il y a aussi Jules Michelet. Pour lui l’hist des faits sociaux est la plus importante : il est auteur, entre autres de la sorcière (1862), qui est une histoire de la sorcellerie, et un important jalon dans l’histoire des mentalités (qualifiée ainsi il y a 30 ans, aj’h on dit histoire culturelle).
- Ensuite 2 historiens consacrés, membres de l’Institut : Monteil et Babeau.
- Monteil est mort dans les 1850’s, il est notamment l’auteur d’un ouvrage en plusieurs volumes, publiés entre 1828 et 1844, l’histoire des Français des divers états aux cinq derniers siècles. Dans les années 1870 parurent de lui une histoire de l’industrie en France, une histoire financière en France et une histoire de la magistrature en France. Néanmoins ces livres sont décevants car Monteil n’a pas une méthode sûre, il revient souvent à l’évènementiel.
- Babeau est plus jeune, il meurt en 1914. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages comme la vie rurale dans l’ancienne France, le village sous l’Ancien Régime, la ville sous l’Ancien Régime, les bourgeois d’autrefois, Artisans et domestiques d’autrefois…Comme Monteil ce qui lui manque c’est une approche systémique (=par le système) et une véritable méthode. Il leur manque le sens du quantitatif.
- En effet, l’avènement du quantitatif est dû indirectement à la théorie marxiste, en attirant l’attention sur l’étude des faits économiques, qui exige que l’on mesure précisément, quantitativement. Mais cette influence marxiste est tardive. Ainsi l’école « positiviste » (héritière du système de Frustel de Goulanger de la moitié du 19ème) avec Charles Langlois et Charles Seignobos, est demeurée orientée vers l’hist des institutions et des faits politiques. L’histoire de France d’Ernest Lavisse (début 20ème) est surtout une histoire politique et un récit évènementiel : il y a quelques chapitres sur la société dans les différents volumes, mais ils sont consacrés presque uniquement aux classes dirigeantes : la place accordée aux « masses » est très réduite.
- Mais à cette époque, au début du siècle, ce sont les vrais débuts de l’histoire sociale, avec Levasseur et d’Avesnel. Emile Levasseur à la fin du 2nd Empire publie Histoire des classes ouvrières et de l’industrie en France (du XVIIème à la moitié du XIXème). Les premières publications sur les salaires et l’histoire des prix sont apportées par d’Avesnel. Il est l’auteur de sept volumes de 1894 à 1926 intitulés histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix en général de 1200 à 1800. Il a mis 30 ans pour le faire, c’est le travail de toute une vie, qu’il a fait avec bcp de rigueur. Ainsi Pierre Chaunu dans les années 1970 a souligné l’intérêt que ce genre de travail « bénédictin » possédait, et les services qu’il a rendus aux historiens.
II/ Histoire structurale et histoire quantitative
- Au lendemain de la 1ère guerre mondiale sont publiées les recherches de François Simiand sur les cycles économiques et celles d’Ernest Labrousse sur l’économie à la fin de la Révolution française. Les travaux de Labrousse sont nourris par la réflexion marxiste, ce qui élargit les champs de l’Histoire. Cette influence explique le basculement, jusqu’aux années 1970-80, de l’hist sociale vers l’histoire économique et sociale. C’est dans ce contexte d’élargissement de l’histoire que Marc Bloch et Lucien Febvre crée les Annales, et la Revue historique (1876), qui participe à l’histoire positiviste (comme Lavisse), se place aussi dans cette approche. Dans le même temps l’histoire sociale s’ouvre à l’histoire quantitative, en 1924 Marc Bloch publie les rois thaumaturges, L. Febvre quant à lui travaille sur l’incroyance au XVIème siècle.
- Après la 2nde guerre mondiale et la disparition de Bloch en 1944, l’école des Annales avec Febvre devient le foyer de l’histoire structurale. Elle eu un succès considérable dans les 1950’s, grâce à Braudel surtout avec la Méditerranée à l’époque de Philippe II. Ce qui devient central c’est la structure sur laquelle se déroule « l’écume » des évènements. Durant 1950-1960’s les contacts entre l’histoire et les autres sciences humaines se multiplient : anthropologie notamment, sociologie, psychologie, ou même médecine. Faire de l’histoire ce n’est plus parler des événements, c’est devenu étudier la structure.
- Cela provoqua une grave crise de l’hist. à la fin des 1970’s-début 1980’s, car il n’y avait plus de chronologie. Ça a suscité des réactions. Par exemple Pierre Renouvin, normalien, historien des relations internationales, montre que l’évènement est créateur de phénomènes nouveaux et de tendances nouvelles. Ancien combattant de 1914, il montre l’exemple de la déclaration de guerre de 1914, un évènement qui bouleversa toutes les structures. Ainsi les historiens des institutions furent un des principaux pôles de résistance à l’école des Annales. Roland Mousnier explique que les sources de l’histoire des sociétés et des mentalités, cad les matériaux sur lesquels se base l’hist sociale et culturelle, sont des documents fournis par une administration, donc par le politique. Il est donc nécessaire de commencer par connaître les conditions de production de la source pour bien l’interpréter, en étudiant la législation et les institutions. Ainsi il y a un retour à l’évènement, mais en l’interprétant. L’aboutissement de ce processus c’est l’essor de la pluridisciplinarité (terme à la mode dans les années 1980). Exemple de renouveau : l’étude de l’action individuelle dans l’histoire primitive, comme au XVIIème siècle l’histoire de Louis XIV. C’est une vision politique et morale où les masses subissent l’histoire, passives.
- Néanmoins l’histoire structurale, avec l’hist. quantitative, est une histoire beaucoup plus sûre de la collectivité, des masses. Par exemple avec l’essor de la psychologie des foules, l’histoire sociale a rencontré la littérature. Des approches nouvelles sont nées de cette rencontre, par ex. l’emprunt de l’analyse des discours. Ce n’est pas sans risques car l’interdisciplinarité peut conduire à une sorte de magma dans lequel l’hist. perd son objet, se dilue. Ce risque menace plus particulièrement l’hist. sociale et des mentalités.
Dans ces conditions il est difficile de saisir ce qu’est vraiment l’histoire sociale. Les historiens du social sont des empiristes, à trop conceptualiser l’histoire risque de se confondre dans un magma de sc. humaines. L’hist sociale s’est pendant longtemps intéressée au collectif, à l’étude des groupes (=les grandes classes sociales), ex. A. Daumard a fait sa thèse sur la bourgeoisie. Ainsi ce n’est plus la même perspective, même dans la biographie. Parallèlement, progression de la méthode prosopographique (=étude d’un groupe restreint), par ex. sur les notaires, les avocats, les préfets, le milieu médical…
III/ Les tendances actuelles
- Le marxisme a développé un certain nombre d’idées qui rendent possible la généralisation fondée sur les mécanismes économiques & sociaux, que l’on concevait comme bien huilés : dans le temps on voyait tjrs le schéma bourgeoisie/ prolétaires/ paysans. Ainsi la notion de « groupes sociaux » que l’on pensait la plus appropriée pour appréhender l’hist sociale, a engendré beaucoup de thèses remarquables sur le thème de la lutte des classes, une grille d’approche courante en hist sociale.
- Les présupposés marxistes sont mis en doute depuis une dizaine d’années, pour voir une société beaucoup plus complexe, avec des groupes plus nombreux. Depuis les 1950’s l’évolution des sociétés post-industrielles montre que ce schéma social peut ne pas forcément être valable, entre les possédants/ non-possédants. Les salariés aj’h sont très nombreux et leur situation s’est beaucoup améliorée, leur statut a monté. En France par ex. près de 90% de la population active est salariée, donc on ne peut limiter l’histoire sociale à l’hist des conflits entre groupes sociaux. La tendance actuelle en histoire sociale est d’étudier les hommes dans leur globalité, pas juste en fonction de leur appartenance à une catégorie sociale. A côté existent des solidarités que l’histoire sociale a oublié avant et qu’elle étudie aj’h.
- L’évolution majeure est la réhabilitation de l’individu, en tant qu’acteur de sa propre existence. Il est doté d’une autonomie de plus en plus large, il ne se résume plus à une partie d’un groupe social. Cela s’apparente plus à des « histoires de vie » connues par les sociologues, il y a une réhabilitation du « qualitatif », du particulier et du singulier. On approche ainsi la micro-histoire.
Le risque de cette micro-histoire est celui de la généralisation abusive, mais grâce à cette approche, avec le renouveau de la biographie et la prosopographie, l’histoire sociale a progressé, car se développent une méthode et une étude plus détaillée de la société, donc l’analyse est bcp plus précise et plus nuancée. Différents exemples illustrent ce propos :
- l’histoire de la consommation, un champ nouveau qui identifie des modes de vie, aristocrate par ex, caractérisé par une propension à la consommation débridée, ostentatoire, dont le but est de se montrer. Sinon il y a une consommation « bourgeoise », dont un des ressors est le souci de l’épargne, ou une consommation populaire dont l’austérité est liée à l’insuffisance (schéma d’analyse ancien).
- l’histoire de la médecine : montre les risques communs à tous les groupes sociaux.
Cette conception de l’histoire sociale est englobante, elle s’ouvre à tous les champs, politique, économique… Tous ont une partie sociale. Néanmoins il y a des bornes que l’on peut mettre à l’histoire sociale par rapports à d’autres champs historiques :
- l’histoire culturelle, exemple l’histoire sociale des acteurs culturels.
- l’hist politique : la participation politique, l’engagement militant ou le personnel politique peuvent être des champs de l’hist sociale, mais pas les décisions politiques.
Cf André Corvisier, Sources et méthodes de l’histoire sociale, 1980.
Les sources de l'Histoire démographique de la France du XIXème siècle
- Les sources démographiques sont souvent des sources sérielles, cad des documents qui contiennent des informations à caractère répétitif et formant des séries continues. Dans ce type de document il y a aussi les listes électorales (1815-1948), les minutes notariales, les relevés de prix (=mercuriales des prix), les déclarations de succession au moment du décès, etc. L’avantage des sources sérielles est que, comme ce sont des séries continues, on peut en déceler les lacunes dans les archives, et en mesurer l’importance (= normalement on devrait avoir des séries entières et complètes). Ce n’est pas le cas de toutes les sources de l’historien, qui est souvent incapable de mesurer les limites de ses sources (ex. la correspondance, on ne sait pas forcément s’il n’y a pas de lettres perdues).Un certain nombre de ces sources ont été imprimées, mais la plupart sont des sources manuscrites.
- Pour la démographie on a deux sources surtout :
- les recensements de populations (ou listes nominatives)
- autres sources, parmi lesquelles l’état civil, « les relevés du mouvement naturel », les enquêtes de populations.
I/ Les recensements
A/ La naissance du document
- Recensement ≠ dénombrement
- Dénombrement : simple comptage de la population. C’est une pratique ancienne, auparavant ils portaient surtout sur des « feux » (= foyers, familles…), et très rarement sur des individus.
- Recensement : il fournit des données sociodémographiques pour chaque individu : naissance, profession, état matrimonial, nationalité,… Ces indications varient selon les pays.
- En Europe les premiers recensements datent du XVIIIème siècle, le premier moderne fut effectué en Suède en 1749, et les recensements suédois devinrent triennaux, puis quinquennaux à partir de 1775. Il y en a aussi dans l’Europe des Habsbourg et aux Etats-Unis : le premier recensement américain date de 1790 (recensements décennaux).
- La France entre tardivement dans l’âge du recensement, car ce qui intéressait les gouvernements d’AR c’était de savoir le volume global de la population, donc les dénombrements suffisaient. A la Révolution française la population française montre beaucoup de velléités et beaucoup d’hésitations face à cela. En 1791 on sort un décret sur la police qui exige de tenir des registres dans presque chaque commune (44000 communes à l’époque), sur lesquels figureraient les noms, âges, lieux de naissance, domiciles et moyens de subsistance des habitants. Mais il n’y a pas de perspective démographique et il reste très peu de traces de ce recensement dans les archives. Ce premier essai est suivi d’autres, dans un cadre plus large. Entre 1791 et 1795 de nombreuses enquêtes sur la population sont lancées par les gouvernements, dans différents cadres : dans les communes, les cantons, etc, mais toujours dans l’optique de dénombrements plus que de recensements. Ces données sont aj’h très inégales, souvent faites sans rigueur véritable, parfois les chiffres ne concordent pas entre séries. La révolution française est une période désastreuse pour les archives, pour beaucoup de petites communes. Avec la convention thermidorienne (1791-95) puis le directoire (1795-99) on revient à plus d’ordre mais on reste dans la perspective du dénombrement. Par exemple le décret du 10 vendémiaire an 4 (2/10/1795) est un décret de police qui exige que soit dressée dans chaque commune une liste nominative des habitants (=recensement), mais seulement des hommes de plus de 12 ans.
- Les choses changent avec le consulat et l’Empire. Quelques étapes : le dénombrement de l’an 8 (1800). On demande aux maires un état de la population de leur commune (=le nombre d’habitants), le nombre d’hommes mariés / femmes mariées, de veuf(ve)s et de « garçons & filles » (enfants et célibataires). Quelques communes ont donc dressé des listes nominatives (à leur initiative), d’autres ont dressé des registres de population normalement obligatoires depuis 1791, et d’autres ont donné des estimations : ce sont donc des docs très différents. Ces chiffres présentent des faiblesses visibles, donc il y a un nouveau recensement en 1806, assez proche encore du dénombrement. Il demande le sexe, l’état matrimonial des Français et quelquefois on a des listes nominatives, à Paris par ex on en a une. Celui de 1811 est un pseudo recensement : on ajoute aux chiffres de 1806 les naissances des communes et on soustrait les décès, sans prendre en compte les mouvements de population. Les chiffres sont donc faussés, ils ne valent rien.
- Un pas décisif est franchi à la Restauration. Il y a deux éléments sur lesquels on peut s’arrêter :
- dans le cadre de la loi sur les finances d’avril 1816 sur les boissons on a été amené à préciser les chiffres de la commune, car cette loi fixe les taux des droits d’entrée des boissons dans les villes en fonction de leur population. Une vaste opération de recensement, de qualité pour la 1ère fois, se déroule en 1817-19.
- le 16 janvier 1822 une ordonnance royale prescrit des opérations sérieuses de recensement tous les 5 ans. Mais en réalité cette mesure n’est pas immédiate, sauf dans certains départements à l’initiative des préfets, en 1826, en 1831, par ex on a une liste nominative de la Gironde en 1831, le 1er doc. solide pour Bordeaux, qui porte en outre le lieu de naissance des habitants, ce qui permet des études selon les lieux de naissance et selon la date d’arrivée des non bordelais, très utile pour l’étude de l’immigration.
B/ Une source de plus en assurée et riche
- Il se produit plusieurs éléments d’amélioration.
- D’abord l’amélioration des méthodes de recensements ; dès 1831, on utilise des bulletins individuels par individu recensé, dont on reporte les informations sur un registre en double exemplaire (un pour la commune et l’autre pour la préfecture). Ce bulletin individuel n’est cependant pas toujours utilisé, il ne devient obligatoire qu’à partir de 1876. Dessus on indique les nom, âge, lieu de naissance, profession, état matrimonial, infirmité même… En 1881 toute la population française est recensée le même jour, et ensuite tous les 5 ans. De plus à partir de 1901 on a recours à l’exploitation mécanographique des données intégrales.
- Une question se pose : qui recenser ? En 1836 on recense les résidants en droit de la commune (=ceux qui ont une adresse dans la commune), y compris les absents au moment du recensement, mais on exclue de la liste les résidents de fait mais pas de droit, ex enfants trouvés, vagabonds,… En 1841 on décide de recenser la population résidant de fait ds la commune, comme la population des bâtiments publics (Assistance publique, asiles de vieillards, collèges, hospices…) mais on laisse de côté les personnes de passage comme les commerçants ambulants, les marins… A partir de 1846 on compte aussi à part la population comptée en bloc, comme les prisonniers, les écoliers, etc, pour qu’elle ne pèse pas sur le calcul de charge fiscale de la municipalité (population municipale ≠ population communale, cad les habitants).
- On a un trou entre 1836 et les années 1870, pour des informations comme les lieux de naissance, la religion… A partir de 1891 apparaissent le nombre des années de mariage, le nombre d’enfants vivants et décédés (ce qui permet de voir comment marchent les familles, la fécondité, ceux qui sont partis,…), des indications sur le chômage, la profession, si l’individu travaille à façon ou s’il est patron combien d’employés, etc.
- On a donc un matériau plus riche et plus solide, cad plus fiable, mais il y a toujours des erreurs possibles, il faut signaler aussi l’existence de faux recensements. Par ex en 1901 Lyon affiche 459000 habitants, ce qui signifie qu’elle perd environ 7000 hab. au profit de Marseille, qui devient la 2ème ville de France devant Lyon. Donc pour retrouver son rang les recensements de 1906 et 1911 indiquent l’arrivée d’environ 58 000 nouveaux lyonnais. A Toulouse au contraire on s’arrange pour ne pas dépasser 150 000 habitants, pour ne pas perdre certains financements, donc des rues entières ne sont pas recensées.
- A la fin du XIXème début XXème siècle les recensements mentionnent donc d’abord l’adresse (par rue, pâté de maisons, puis par immeuble ou maison), nom, lieu de naissance, état matrimonial et profession.
C/ Les tableaux ou états récapitulatifs
- En aval des recensements apparaissent des tableaux à partir de 1851, qui disparaissent après 1891. Ces états récapitulatifs se font pour chaque commune après chaque recensement. Il existe aussi des tableaux par arrondissement ou par département. La nature de ces tableaux varie d’un recensement à l’autre : informations sur les pièces des maisons, sur le nombre de personnes dans les ménages, tableaux sur les origines de naissance, sur les cultes, sur les professions, le degré d’instruction, etc. Quelquefois on s’intéresse aussi à l’activité de l’ind. et au nombre de personnes qui vivent de cette activité.
II/ Les autres sources de l'Histoire démographique
A/ Les sources principales
- Les autres sources sont surtout :
- l’état civil
- les entrées d’impôts
- L’état civil a remplacé les registres paroissiaux le 20 septembre 1792. L’Etat est laïcisé, donc les registres paroissiaux (naissances, mariages, décès) deviennent civils don reviennent à la mairie. Cette laïcisation de 1792 est décidée trop vite car trop de maires ne savent pas bien lire. La révolution française provoque une totale désorganisation de l’administration, même dans les villages.
- Le retour à la normale se produit en 1804-05 (avec le consulat et l’Empire) et surtout sous la Restauration. A ce moment on demande aux procureurs des tribunaux de vérifier tous les ans la tenue du registre, et leurs rapports sont conservés aux archives. A partir des années 1840 les statistiques se développent et celles des naissances, mariages et décès deviennent vraiment fiables et correctes. Néanmoins à la campagne on a toujours une fange de population jamais enregistrée, car très marginale, comme les vagabonds. A partir de 1850 l’acte de mariage indique, s’il y en a un, quel type de contrat de mariage est choisi, la date a laquelle il a été pris et devant quel notaire. Avec la légalisation du divorce en 1884 (loi Naquet), on a éventuellement en marge la mention divorce. A partir de 1897 est écrit sur l’acte de naissance en marge les dates de mariage et de décès.
- On a également les registres de baptêmes (ils sont dans les registres de catholicité qui relèvent des archives paroissiales), source utile pour étudier les religions des individus. Ils sont aussi utiles pour reconstituer l’état civil quand les registres sont détruits. Par ex. dans la Manche à saint Lô une partie des archives publiques ont brûlées en 1944, mais les archives paroissiales sont intactes.
- On a une pratique annuelle du comptage des actes de chaque commune jusqu’à la Révolution française (établie par l’abbé Ferey en 1772). Au XIXème siècle la périodicité de ce comptage devient quinquennale puis décennale. Il faut signaler aussi l’entreprise originale des Mormons (une secte des USA née à la moitié du XIXème s), qui pratique le baptême des ancêtres. Pour assurer le salut de leurs âmes ils ont donc fait microfilmer les Etats civils de toute l’Europe, en accord avec les pays (ils laissent un double à chaque pays en échange).
B/ Les enquêtes sur la population urbaine
- En 1809 il y a une enquête sur les communes de plus de 2000 habitants, à l’initiative des bureaux administratifs du ministère de l’Intérieur. Elles sont effectuées par les mille bureaux de statistiques créés par Chaptal, qui reprend une initiative de Neufchâteau à l’époque du Directoire. Ce sont les débuts de la statistique administrative. C’est une action rationnelle du gouvernement, car la statistique est considérée à l’époque comme la science de l’Etat. La définition de la ville arrêtée en 1846 comprend des éléments quantitatifs, qualitatifs et subjectifs ; ville : « toute commune de plus de 2000 habitants agglomérés au chef-lieu avec la population alentours est considérée comme urbaine ».
III/ L'exploitation des sources démographiques
A/ L’accès à ces sources
- Les registres d’états civils sont tenus en double exemplaire à partir du XIXème : une collection est destinée à la mairie qui en est propriétaire (mais aujourd’hui bcp sont en dépôt dans les archives départementales), l’autre est destinée au greffe du tribunal (bcp sont aux mêmes archives, surtout celles de plus de cent ans). D’ailleurs toutes les données démographiques de moins de 100 ans comme les recensements ou états civils, ne sont pas accessibles selon la loi des archives de 1979.
- Recensements : série M de la préfecture (stats départementales), « cabinet du préfet », en mairie le 2ème exemplaire série F. Comme bcp de docs seulement la moitié des recensements de 1861 ou 1866 ont été conservés. Par ex. à Bordeaux on n’a du recensement de 1861 que des « épaves » (=des parties). L’intérêt pour cette source est tardif chez les historiens, ce n’est qu’à partir des années 1960 qu’on les utilise, avec l’affirmation de l’histoire structurale.
- Heureusement il reste des sources imprimées, les résultats des recensements publiés dans les bulletins de lois à partir de 1831, car on leur donne à cette époque une valeur officielle pour mesurer la population (important sur les plans fiscal et administratif). Cela s’est enrichi les années passant : publication des chiffres des mairies, des départements, arrondissement, cantons, puis population des villes les plus importantes en distinguant population agglomérée et population éparse, puis sous le second Empire la population de toutes les communes sont publiées. Ce sont des chiffres utilisés par G. Dupeux dans son atlas des villes de France aux XIXème et XXème siècles, qui contient des statistiques et des cartes. Ils sont aussi publiés par la bibliothèque administrative, qui possède les actes administratifs du préfet (série 1M). Ils sont aussi utilisés dans les statistiques du département de la Gironde de 1837 à 1843 de François Jouanet (3 volumes, avec beaucoup de choses sur les domaines viticoles, etc.). Sinon Charles Picanilla, les statistiques du département des Basses-Pyrénées sous le second Empire. Les sources imprimées sont le fait de la SGF (statistique générale de la France), un organisme né au début de la monarchie de Juillet, ancêtre de l’INSEE. La SGF publie au fur et à mesure les résultats mais fait également un travail rétrospectif, puisqu’elle publie aussi les chiffres des recensements et dénombrements antérieurs au XIXème siècle et les « statistiques des mouvement de population » cad des mariages, naissances et décès par département et arrondissement (par exemple les chiffres sur les jumeaux, les triplés ou les enfants malformés et « monstrueux », infos sur l’âge des conjoints,…). A partir de 1878 la SGF a publié annuellement un annuaire de statistique générale de la France.
B/ Exploitation des sources démographiques
- Elle pose plusieurs problèmes :
1) Problème général
- C’est le caractère massif de ces sources qui peut apparaître comme un obstacle insurmontable, par ex. pour étudier le mouvement naturel de la population sur le long terme.
2) problèmes particuliers à chaque source :
L’état civil : que peut on en faire ?
- Il permet surtout de traiter la question de la formation de la population, cad son mouvement naturel, on peut connaître ainsi la part du mouvement migratoire dans une étude de l’immigration. On peut déterminer le poids de la population qui n’est pas de souche dans la population totale de la commune, et voir ainsi les zones d’émigration et d’accueil. La mention parfois de la profession permet l’étude de la structure sociale française. On s’en sert aussi pour l’étude des comportements démographiques :
-la nuptialité : on peut connaître les modalités du mariage, par ex. pour le rythme des mariages à Bordeaux au XIXème siècle on a un maximum en février et un minimum en mars (incidence du Carême en mars). -en histoire des mentalités, hist. culturelle : par ex. pour l’étude des modalités du remariage, sur le choix du conjoint, sur le mariage par catégories sociales… -la natalité : pour l’étude de la fécondité des couples, l’étude des familles… Il existe une méthode Henri-Fleury, du nom des auteurs d’un manuel de dépouillement des registres paroissiaux d’ancien régime. Il s’agit de reporter sur des fiches tous les renseignements sur une famille (ils commencent par un mariage). Cela permet la constitution de fiches de familles sur le long terme. Mais pour mener cette étude à bien il faut que les familles restent stables géographiquement, si on a une migration on perd les informations. -la mortalité : pour des études classiques, comme l’âge moyen de décès, afin de mesurer l’espérance de vie, l’étude du rythme mensuel des décès, le classement par catégories sociodémographiques, géographiques, etc.
- -les recensements, exemples d’exploitation :
- On les utilise pour étudier la structure et la taille des ménages, de la domesticité,…par ex. l’étude de l’origine géographique des fonctionnaires des préfectures et sous-préfectures d’Aquitaine montre qu’ils viennent de tous les départements du sud-ouest notamment. On peut établir aussi une cartographie des adresses précises par ex. autour de la manufacture de tabac de Bordeaux depuis 1811 on fait une étude géographique des adresses des ouvriers cigarettiers dans la ville.