Cours complet 10-11 UE7 Meyzie

De Univ-Bordeaux
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Sommaire

Histoire de la consommation (XVIe siècle-début XIXe siècle)

Programme :

  • 8 octobre : Consommation et histoire
  • 15 octobre : Les enjeux de l’histoire de l’alimentation
  • 29 octobre : Les enjeux de l’histoire de l’alimentation (suite)
  • 19 novembre : Consommation et paraître
  • 3 décembre : Consommation et échanges
  • 9 janvier : Consommation et échanges (suite)


Bibliographie sommaire

  • R. ABAD, Le grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris,

Fayard, 2002

  • P. ARIES et G. DUBY, sous dir. de, Histoire de la vie privée de la Renaissance aux Lumières, Paris,

1986

  • M. BERG et H. CLIFFORD, ed., Consumers and luxury. Consumer culture in Europe 1650-1850,

Manchester, Manchester University Press, 1999.

  • P. BOURDIEU, La distinction : critique sociale du jugement, Paris, éditions de Minuit, 1979
  • F. BRAUDEL, « Alimentation et catégories de l’histoire », Annales ESC, 1961, p. 723-728
  • F. BRAUDEL, Civilisation matérielle, économie et capitalisme XVe-XVIIIe siècles, T.I, Les

structures du quotidien, Paris, Armand Colin, 1979

  • J. BREWER, R. PORTER, ed, Consumption and the World of Goods, Londres, Routledge, 1997
  • J. BREWER, N. MACKENDRIC, J-H. PLUMB, The birth of a consumer society, the

commercialisation of eighteenth century England, Londres, 1982

  • M. BRUEGEL, sous dir. de, Profusion et Pénurie. Les Hommes face à leurs besoins alimentaires,

Collection « Tables des Hommes », Rennes, PUR-Presses Universitaires Fr. Rabelais, 2009

  • A. CAPATTI et M. MONTANARI, La cuisine italienne. Histoire d’une culture, Paris, Seuil, 2002
  • Y. CARBONNIER, Maisons parisiennes des Lumières, Paris, PUPS, 2006
  • N. COQUERY, L’hôtel aristocratique. Le marché du luxe à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Publication

de la Sorbonne, 1998

  • J. CORNETTE, « La Révolution des objets. Le Paris des inventaires après décès (XVIIe-XVIIIe

siècles) », RHMC, 1989, p. 476-486

  • N. ELIAS, La civilisation des moeurs, Paris, Flammarion, 1973
  • N. ELIAS, La société de cour, Paris, Flammarion, 1985
  • M. FERRIÈRES, Le bien des pauvres. La consommation populaire en Avignon (1600-1800), Paris,

Champ Vallon, 2004

  • M. FERRIÈRES, Nourritures canailles. Paris, Le Seuil, 2007
  • M. FIGEAC, La douceur des Lumières. Noblesse et art de vivre en Guyenne au XVIIIe siècle,

Bordeaux, Mollat, 2001

  • M. FIGEAC, Châteaux et vie quotidienne de la noblesse. De la Renaissance à la douceur des

Lumières, Paris, Armand Colin, 2006

  • M. FIGEAC, sous dir. de, L’ancienne France au quotidien. Vies et choses de la vie sous l’Ancien

Régime, Paris, Armand Colin, 2007

  • J-L. FLANDRIN, « Le goût et la nécessité : sur l'usage des graisses dans les cuisines d’Europe

occidentale (XIVe-XVIIIe siècles) », Annales ESC, mars-avril 1983, p. 369-401

  • J-L. FLANDRIN, « La diversité des goûts et des pratiques alimentaires en Europe du XVIe au XVIIIe

siècles », Revue d'histoire moderne et contemporaine, janvier 1983, p. 66-83

  • J-L. FLANDRIN et M. MONTANARI, sous dir. de, Histoire de l'alimentation, Paris, Fayard, 1996

2

  • C. JOUHAUD, « Des besoins et des goûts : la consommation d'une famille de notables bordelais dans

la première moitié du XVIIe siècle », RHMC, octobre-décembre 1980

  • B. GARNOT, La culture matérielle en France aux XVIe-XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Ophrys, 1995

« Histoire de la consommation », Annales ESC, mars-juin 1975 « La culture matérielle dans le Midi de la France à l’époque moderne », Annales du Midi, janviersmars 2003

  • C. LANOE, La poudre et le fard. Une histoire des cosmétiques de la Renaissance au Lumières,

Seyssel, Champ Vallon, 2008

  • J-P. LETHUILLIER, sous dir. de, Les costumes régionaux : entre mémoire et histoire, Presses

Universitaires de Rennes, Rennes, 2009

  • G. LEVI, « Comportements, ressources, procès : avant la « révolution » de la consommation », dans

Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Albin Michel, 1996, p. 187

  • P. MEYZIE, La table du Sud-Ouest et l’émergence des cuisines régionales (1700-1850), préface de

Daniel Roche, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2007

  • P. MEYZIE, « La noblesse provinciale à table : les dépenses alimentaires de Marie-Joséphine de

Galatheau (Bordeaux, 1754-1763) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 54-2, avril-juin 2007, p. 32-54

  • P. MEYZIE, L’alimentation en Europe à l’époque moderne, Collection U, Armand Colin, Paris,

2010

  • A. MONTENACH, Espaces et pratiques du commerce alimentaire à Lyon au XVIIe siècle, PU de

Grenoble, Grenoble, 2009

  • B. MUSSET, Vignobles de Champagne et vins mousseux. Histoire d’un mariage de raison 1650-1830,

Paris, Fayard, 2008

  • A. PARDAILHÉ-GALABRUN, La naissance de l’intime. 3000 foyers parisiens, XVIIe-XVIIIe siècles,

Paris, PUF, 1988

  • I. PARESYS, sous dir. de, Paraître et apparences en Europe occidentale du Moyen Âge à nos jours,

Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2008

  • J-M. PESEZ, « L’histoire de la culture matérielle », dans Jacques Le Goff, sous dir. de, La nouvelle

histoire, Paris, Editions Complexe, 1988, p. 191-227

  • S. PINKARD, A Revolution in Taste. The Rise of French Cuisine, Cambridge University Press, New-

York, 2009

  • D. POULOT, « Culture matérielle et consommation. Remarques sur une historiographie », dans R.

FAVIER, (sous dir. de), Terres et hommes du Sud-Est sous l’Ancien Régime. Mélanges offerts à Bernard Bonnin, Grenoble, PU de Grenoble, 1996, p. 231-248

  • F. QUELLIER, La Table des Français. Une histoire culturelle (XVe-début XIXe siècle), Rennes,

PUR, 2007

  • D. ROCHE, Le peuple de Paris. Essai sur la culture populaire au XVIIIe siècle, Paris, Aubier, 1981
  • D. ROCHE, La culture des apparences. Une histoire du vêtement XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard,

1989

  • D. ROCHE, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation dans les sociétés

traditionnelles (XVIIe-XIXe siècle), Paris, Fayard, 1997

  • J. SMETS, « A la table d’un seigneur languedocien en 1766 : les comptes du cuisinier », RHMC, octdéc

2001, p. 32-49

  • D. TERRIER, Histoire économique de la France d’Ancien Régime, Paris, Hachette, 1998
  • J. THIRSK, Food in Early Modern England. Phases, Fads, Fashions, 1500-1700, London, 2006
  • L. WEATHERILL, Consumer behaviour and Material Culture in Britain 1660-1760, Londres, 1996



D. TERRIER, Histoire économique de la France d’Ancien Régime, Paris, Hachette, 1998. Le premier chapitre est consacré à l’histoire des consommations à la différence des livres plus anciens qui auraient débuté par étudier la production. On trouve dans cet ouvrage une inversion de perspective.

Ce cours a pour but de comprendre les enjeux de l’histoire DES consommations. L’histoire des consommations appartient au champ de l’histoire économique. L’économie, par définition, va de la production à la consommation, bref du début à la fin d’un cheminement. L’histoire économique a beaucoup porté sur la production (agricole, textile). Les transports et le commerce ont fait l’objet de nombreuses études également. Finalement, le bout de la chaîne est un chantier au développement plus récent, même s’il est évident qu’il n’y a pas d’économie sans marché. L’histoire des consommations appartient aussi à l’histoire de la culture matérielle. C’est le rapport aux objets qui importe. Objet qu’on désire, qu’on utilise, qu’on veut montrer. L’histoire des consommations est au croisement de ces deux sous disciplines. L’histoire des consommations est une histoire globale. En effet, les dimensions sociale, culturelle, économique, forment un tout cohérent. Aucune abstraction ne peut en être faite. L’histoire des consommations passe par une analyse de la demande pas simplement au niveau économique mais aussi sociétal : les goûts, les modes (éléments socioculturels moteurs). L’histoire des consommations se rattache à la global history (qui se développe dans les années 1980). Cette dernière se base sur l’idée qu’un phénomène peut ne pas se dérouler en un endroit unique, mais il est possible qu’il ait lieu simultanément en différents endroits. Les études se placent donc à l’échelle du monde pour expliquer un phénomène. Par exemple, la production de porcelaine en Angleterre au XVIIIe siècle décolle. Localement, on peut expliquer cet élément par un orientalisme prononcé en vogue dans la société anglaise. Cela-étant, on remarque simultanément que les coûts de production de la porcelaine en Chine sont en très forte hausse. On parle aussi d’histoire connectée. Il faut tenir compte de ce qui se passe au point de départ.

Il s’agira ici d’étudier la France moderne des marchés et des consommateurs. L’objectif est d’en saisir les spécificités et les réalités et de comprendre comment les historiens ont abordé ces questions. On se place entre le XVIe et le XIXe siècle. On insistera sur le XVIIIe qui voit les prémisses d’une société de la consommation s’installer : circulation des produits, des modes qui ont désormais des effets très forts. Ceci est conjointement le fait d’une augmentation de la population, d’une amélioration des transports et de la circulation des informations. La Révolution Française ne marque pas dans ce cas de rupture : le XIXe siècle a des structures semblables à celles du XVIIIe (une économie basée sur l’agriculture, une très faible industrie).

I) Consommations et économie.

La description des mécanismes qui les gèrent se basent sur les réflexions économiques théoriques de l’époque. Le mot de consommation n’apparaît qu’en 1745 et est définit dans les dictionnaires de l’époque comme l’ « usage d’une chose que l’on fait pour satisfaire ses besoins ». L’aspect matériel est ici omniprésent (à la différence d’aujourd’hui où la consommation peut être celle des services, de l’économie virtuelle etc.). L’élément qui prévaut est alors la demande. Ce mot apparaît vers 1750 car il y a alors un remplacement de certains comportements au niveau de la demande. L’homo hierarchicus est remplacé par l’homo oeconomicus. Auparavant les comportements sont, en effet, dictés par l’appartenance sociale : ce qui compte c’est la hiérarchie, de se démarquer du niveau inférieur. L’homo oeconomicus fait, en revanche, des choix en fonction de ses envies, de son goût et aussi de ce qui lui est proposé. Ce sont des choix individuels, la liberté est plus grande. Ce bouleversement ouvre la voie à une diversification de la production donc de l’offre.

A) La prise en compte de la demande.

1) La prise en compte de la demande par les économistes.

En Angleterre, à la fin du XVIIe siècle, cette première prise en compte est l’œuvre d’auteurs comme Dudley North (1641-1691) ou Nicholas Barbon (1640-1698). Ils étudient l’impact de la demande sur l’économie. Barbon a d’ailleurs dit : « c’est grâce à la mode vestimentaire et à la vie urbaine que royaume s’est enrichi ». Il isole là un pôle de consommation : la ville. Il perçoit le marché du luxe comme un facteur de développement économique à la différence des écrits antérieurs qui y voient des dépenses inutiles. La consommation est ici dépeinte comme un moteur de l’économie ce qui est une nouveauté. Cette idée est reprise en France notamment par François Quesnay (1694-1774) qui au milieu du XVIIIe siècle écrit : « tout homme est profitable à l’Etat par sa consommation ». Il souligne ainsi le rôle de l’individu en tant que consommateur dans la stimulation de l’économie. Boisguilbert (1646-1714), un économiste français développe, le premier, l’idée de circuit économique dans lequel est prise en compte la demande. Il montre que dans ce circuit, le marché urbain représente un débouché pour l’agriculture et du coup inscrit cette dernière dans une perspective commerciale donc sa productivité s’améliore et permet ainsi une libération de main d’œuvre qui se déplace alors vers les villes faisant du même coup s’élargir le marché urbain. La boucle est bouclée.

2) La prise en compte de la demande chez les philosophes.

On trouve différentes réflexions à ce sujet. Les philosophes religieux condamnent moralement la consommation qui est perçue comme un signe d’excès (le luxe surtout). Mais au XVIIIe une autre conception voit le jour : Voltaire, dans Le mondain valorise la consommation du luxe. Les dépenses servent l’ensemble de la société : tout le monde en profite. Le luxe a un rôle de stimulateur. C’est la tendance dominante qui se révèle mais elle n’est pas unanime cependant. Certains condamnent cette consommation luxueuse. Rousseau critique la notion de propriété même donc évidemment le luxe. Mais c’est un discours qui tend à devenir minoritaire.

3) La demande réévaluée par les historiens anglo-saxons.

Maxine Berg et Helen Clifford qui publient en 1999, Consumers and luxury : consumer culture in Europe 1650-1850 ou John David Brewer, ont travaillé sur l’Angleterre du XVIIIe siècle et ont montré la mise en place d’un marché intérieur unifié (ce qui est possible à l’échelle d’un petit pays). La question qui s’est alors posée est celle de l’élément à l’origine de la révolution des consommations. Cette dernière précède-t-elle la révolution des productions ? Ou inversement ? C’est un débat qui a agité les années 1970-1980. La théorie classique veut que la modernisation de la production ait permis la mise en place d’une société de consommation. La réflexion inverse est celle de l’augmentation de la demande qui génère une adaptation du marché. S’y ajoute le rôle moteur des élites. Celles-ci stimulent l’innovation et entretiennent entre elles un processus d’émulation. Par exemple en France, les ports de commerce se sont enrichis. Les négociants souhaitent alors adopter un mode de vie qui les fera ressembler à ceux qui sont directement au dessus dans la hiérarchie d’Ancien Régime : la noblesse. La demande de la société est la source du dynamisme du marché intérieur. En Angleterre par exemple, le thé est consommé dès le XVIIe siècle. Il est alors importé d’Asie et est réservé à une élite. Au XVIIIe siècle, la population s’enrichit, la consommation de thé augmente, la production doit s’adapter. L’Inde n’est plus alors le seul producteur. Les colonies anglaises d’Amérique deviennent également productrices. On assiste là à la modification d’une économie locale par la demande. Le même mécanisme a été à l’œuvre pour le café avec le développement d’économies de plantation. On a là des exemples types de modèles économiques engendrés par une demande. Cela prouve bien que la prise en compte de cette dernière est indispensable à la compréhension de l’économie.

B) Des consommations à forte dimensions sociale et culturelle.

1) La position de la consommation dans la société.

Celle-ci évolue au cours du temps. Bourdieu donne l’exemple du caviar, produit de luxe dans les années 1970-1980. Il explique que si les gens consomment alors du caviar ce n’est pas uniquement par goût mais souvent parce que c’est un met qui est cher. Cette consommation sert à montrer sa richesse, est un élément distinctif. Ce qui est paradoxal c’est qu’au XVIIe et XVIIIe siècles, cet aliment sert à nourrir les poules…

Texte1 : Daniel Roche a tenté de replacer l’histoire de la consommation à l’intérieur de l’histoire, de l’inscrire comme un fait social global. Il prend l’exemple des vêtements. Auparavant leur étude est purement technique. L’auteur donne une autre perspective en replaçant les consommations dans leurs contextes. Les biens matériels sont des indicateurs de rang. Grâce à l’objet que l’on étudie on peut placer l’individu qui le possède dans la société. La possession des biens s’opère selon le niveau de fortune et la position sociale. Les études de la population parisiennes à travers les inventaires après décès font apparaitre des tendances selon le rang. Fin du premier paragraphe : sont du seul modèle élitiste. Dans le second paragraphe l’idée est de voir toutes les implications de l’acte de consommation. Il est étudié dans un contexte. Daniel Roche met en avant l’importance des mécanismes : l’importance de la demande, la prise en compte de l’ensemble de la société, la nécessaire sortie de l’histoire anecdotique en replaçant l’objet dans son contexte (économique, social, culturel). En conséquence, se dégage une très grande complexité des modes de consommation. Tous les éléments se croisent : le noble pauvre a une consommation différente du noble riche ; la consommation du roturier riche se rapproche de celle du noble moyen etc. Le monde du commerce est en cela très significatif. Il est très divers et suivant la fréquence des contacts qu’ils entretiennent avec les élites nobiliaires et leur niveau de fortune, ils vont plus ou moins se rapprocher des modes de consommations de la noblesse. L’histoire de la consommation est une histoire en mouvement même si elle se mesure dans la longue durée. Les transformations ont des rythmes différents selon les pays et les groupes sociaux.

2) Les éléments moteurs de la consommation.

  • Notion de diffusion : un produit apparaît et se diffuse dans le reste de la société. On connaît notamment le modèle pyramidal dont Norbert Elias a décrit l’archétype même dans son analyse de la société de cour : les grands nobles de cours adoptent des modes de consommation qui par mimétisme social se transmettent à l’ensemble de la société. C’est un modèle qui a été nuancé depuis. Le phénomène est bien plus complexe. Les innovations peuvent aussi venir du peuple. Par exemple le maïs est consommé dans les campagnes espagnoles à la base et se diffuse ensuite vers le haut de la société. On rencontre également des mouvements de va et viens.
  • La notion d’innovation, qui ne signifie pas forcément objet nouveau, peut être celle de pratiques commerciales (par exemple les journaux d’annonce). Elle peut être multiple.
  • Métissage, acculturation, appropriation. Le métissage implique un processus de transformation, une réinterprétation. Il en est de même pour l’appropriation : on adapte un élément à sa propre culture. Par exemple, le chocolat est consommé avec des épices en Amérique du Sud, en Europe on le boit avec du sucre. On trouve parfois le terme de transfert culturel pour décrire l’influence d’une culture sur une autre. Il implique la réception donc également l’étude des intermédiaires entre les cultures.

L’histoire des consommations est marquée par des dynamiques. Rien n’est immuable.

II) Besoins et superflu : deux pôles extrêmes de fonctionnement de la consommation.

L’économie d’Ancien Régime est une économie de la rareté, du besoin. Elle est liée au rythme des saisons, à la lenteur des transports. La rareté est une notion présente à l’esprit de tous les contemporains, même si elle est variable selon les niveaux sociaux. C’est ainsi que s’explique des comportements de consommation excessifs (cf. tableaux de Bruegel). La rareté reste d’actualité au XVIIIe siècle même en France et en Angleterre malgré la multiplication des biens qui permet de répondre de mieux en mieux aux besoins. Moins ils sont rares, plus les biens deviennent indispensables.

A) Une économie de la rareté : XVIe-XVIIe siècles.

1) Les contraintes sur les consommations.

Le premier niveau de contrainte est celui qui pèse sur la production. Les rendements sont faibles, en effet. La production est fragile et subit les crises démographiques et les menaces climatiques. Le second niveau se situe au niveau de l’autoconsommation, très importante notamment dans les campagnes. Celle-ci est extrêmement sensible aux aléas climatiques. La lenteur des transports est également un poids pour les consommations.

Il faut faire attention à l’évolution de la conjoncture. La croissance n’est pas linéaire. De la fin du XVIème jusqu’aux années 1660 on observe une baisse de l’importance des rations alimentaires et notamment de la consommation de viande. Auparavant, aux XIVème et XVème siècles, cette dernière est importante. Ceci peut être expliqué par deux facteurs :

  • L’augmentation du prix du blé engendre la nécessité d’une production plus importante pour le faire diminuer. De ce fait la culture du blé utilise plus de terres, empiétant sur celles dédiées à l’élevage. Cette nécessité d’accroître la production a une raison simple qui est l’augmentation de la population.
  • La consommation de viande est élevée aux XIVème et XVème siècles car il y a peu de monde en Europe du fait notamment des pestes.

A partir des années 1660 se met en place une « culture alimentaire de la faim ». Les contemporains ont toujours à l’esprit le fait qu’ils peuvent souffrir de la faim. Cet élément est imprégné dans les mentalités.

2) L’exemple de l’eau.

L’eau a différents usages : elle est utilisée pour l’agriculture, pour se nourrir (boisson), dans le nettoyage des aliments, les faire cuire. Jusqu’au XVIIIème siècle c’est un temps de la rareté, non pas en termes de quantité mais de qualité. En ville elle est polluée par les déchets courants, par l’artisanat (bouchers, tanneurs, teinturiers…). L’eau est un produit marchand. Dans le même temps, on constate l’existence d’une eau de luxe : eau chaude, glace (on trouve des citernes dans les villes ou les châteaux pour conserver la glace), qui sert à une consommation de luxe pendant l’été. On a également les eaux minérales embouteillées, qui sont une rareté valorisée.

B) Dépenses et consommations.

Suit une réflexion sur la notion de budget.

1) Réflexion des contemporains sur le budget.

Gregory KING en 1688 publie Tableaux des revenus et dépenses des familles d’Angleterre. Il s’appuie sur des documents fiscaux et sur l’arithmétique politique. A partir de ces travaux, il dégage un modèle de la nécessité. Elle se situe en dessous de 5 £ et concerne les ouvriers, les petits paysans, le vagabond. L’approvisionnement est irrégulier, l’équilibre du budget est fragile.

Des travaux similaires ont été menés par VAUBAN (cf texte 2). Dans le quatrième paragraphe, celui-ci nous dit que ce qui compte sont les dépenses de nourriture dans un modèle de la nécessité. Plus les revenus sont faibles, plus la part de l’alimentation est importante et inversement.

Le modèle intermédiaire est celui de l’artisan notamment. Il est plus régulier mais reste sensible à la conjoncture.

Le modèle supérieur est celui de la consommation des notables. Prenons l’exemple d’une famille bordelaise les Surin entre 1604 et 1636. Ses achats sont réguliers, en petites quantités : épicerie, tissus, pâtisseries, matériaux pour la maison, pharmacie, cordonnerie. Cette consommation est différente de celle de la nécessité. L’alimentation n’y apparaît pas. On peut considérer ces achats comme des dépenses de plaisir teintées d’austérité.

C) Consommations et ostentation.

1) Quelques budgets.

G. KING a étudié les budgets supérieurs à 30 £ par personnes qui correspondent à ceux des chevaliers, des lords, de la gentry. La part alimentaire est en déclin alors que les dépenses pour la maison augmentent ainsi que celles pour l’habillement. Le duc d’Osuna consacre entre 1674 et 1694, 30% de ses dépenses à son train de vie : pour sa maison, ses domestiques etc. Phélipo de Pont Chartrain entre 1726 et 1733 débourse 30 000 livres pour ses menues dépenses uniquement. Au XVIIIème siècle, les objets sont de plus en plus divers, de plus en plus fins et de plus en plus nombreux.

2) Le superflu, une notion à géométrie variable.

Géométrie variable selon la fortune et selon le temps. Par exemple, le thé et le café sont des produits de luxe au XVIIème siècle. Aux XVIIIème et XIXème siècles pourtant, ils sont consommés quotidiennement par les paysans. On observe des déclinaisons dans le luxe. Le « demi luxe » concerne les poteries, les petits miroirs etc.

III) Les différents acteurs de ces consommations.

A)Producteurs et intermédiaires.

Dans le cadre d’une économie de l’échange, ils construisent l’offre.

1)Du paysan au négociant.

Le paysan a la possibilité de vendre le surplus de sa récolte sur le marché local. Certains vont même sur des marchés plus lointains et plus importants (par exemple à Lyon on peut se déplacer de 30 voire 40 km). Le négociant cherche à répondre à une demande. Par exemple, les maisons de Champagne prospectent les marchés étrangers. La maison Mouette envoie des commis voyageurs pour se renseigner sur les goûts locaux dans le but de s’adapter à la demande.

2) Le monde de la boutique et le petit commerce.

En ville, le rôle des boutiquiers a été souligné par N. Coquery : « les boutiquiers sont les chevilles ouvrières de la culture de la consommation ». Ils ont un rôle primordial dans l’élargissement de l’offre. Les contemporains ne s’y trompent pas et valorisent les marchands, notamment dans les écrits d’économistes comme Adam Smith ou Turgot.

B) Le rôle de l’Etat.

Il a à la fois un rôle d’incitateur et de contrôle.

1) Sur le marché des grains.

La nourriture est essentielle. Le roi est considéré comme nourricier. Il assure un « juste » prix, autrement les réactions peuvent être houleuses. Dans les villes, à l’échelon local (en Italie notamment) se met en place un système d’annonce : stockage des grains, redistribution en cas de pénurie.

2) Sur les consommations de luxe.

Elle est visible notamment avec les lois somptuaires des XVIème et XVIIème siècles, dont le but est la limite des dépenses pour faire respecter la hiérarchie. En 1515, en France, on trouve l’Edit des habits et ornements dans lequel il est précisé que le velours est réservé à la haute noblesse et le satin aux équillers. A travers cela transparaît la volonté de contrôle de l’Etat.

C) Le rôle des consommateurs ?

La question se pose de savoir s’ils existent vraiment à l’époque moderne. Dans de très nombreux ouvrages ils brillent par leur absence. En outre c’est une notion récente, élaborée au milieu du XIXème siècle. Ils n’apparaissent dans le droit qu’à la fin du XIXème. On parle avant tout de groupe.

Le « consommateur » est une notion multiscalaire. Il peut être un pays, une ville, une cellule familiale (famille et domestiques), un individu. Les comportements sont multiples selon l’âge, le moment etc.

Il n’existe pas de consommation de masse car il n’y a pas de standardisation de la production ni des circuits de distribution.

Conclusion.

Avant le XIXème siècle, on assiste à un progrès et une diversification des consommations mais on ne peut pas parler de révolution. Il n’y a pas de grand bouleversement technique, mais une évolution sociale et culturelle certaine du rapport à l’objet. Les consommations sont toujours marquées par le rang mais au XVIIIème siècle, la consommation devient un mécanisme économique en même temps qu’un indicateur social. Seule l’histoire globale permet de comprendre les consommations : la circulation, la production, l’image, l’utilisation des objets.

Les enjeux de l’histoire de l’alimentation à l’époque moderne.

Enormément de lieux communs circulent sur l’alimentation de l’époque moderne et du Moyen Âge. On peut se référer par exemple aux tableaux de Bruegel dans lesquels la nourriture est abondante. En revanche les représentations des repas paysans montrent toujours la misère : une miche de pain, une carafe d’eau… L’image qui en ressort est ainsi contrastée. Les représentations peuvent varier mais la réalité est plus nuancée que cette dichotomie misère/abondance. Pour le comprendre, il faut faire appel à d’autres sources que les tableaux. L’histoire de l’alimentation appartient à l’histoire des consommations. On trouve quatre formes de consommations alimentaires :

  • Approvisionnement (pas seulement celle des circuits économiques).
  • Stockage (conservation).
  • Préparation (cuisine).
  • Utilisation des aliments.

L’époque moderne ne connait pas de société de consommation, les liens entre offre et demande sont bien plus directs. Dans l’alimentation, ce qui domine ce sont des aspects socioculturels.

Brillat-Savarin, auteur français du XIXème siècle dans La physiologie du goût publié en 1826 remarque dans une formule célèbre « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es ». Il résume ainsi toutes les problématiques de l’histoire de l’alimentation. Le but de ce cours est de montrer les enjeux de l’histoire de l’alimentation, cette dernière étant selon l’expression de Marcel Mauss un « fait social total ». Ce sujet peut être qualifié de carrefour.

I)De l’histoire de la gastronomie à l’histoire des consommations alimentaires.

A)Une histoire anecdotique (fin XVIIIème – Deuxième Guerre Mondiale).

Aujourd’hui même il reste des traces de cette histoire.

1) Un intérêt précoce en France.

A la fin du XVIIIème siècle, on trouve des histoires de l’alimentation. La première est le fait de Le Grand d’Aussy, en 1782 : Une histoire de la vie privée des Français depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours. Il tente d’établir une continuité au fil du temps dans l’alimentation des Français. Il s’appuie pour cela sur des livres de cuisine des XVIIème et XVIIIème siècles et notamment sur la bibliothèque du marquis de Paulmy. Ce sont les grands personnages qui apparaissent dans cette histoire. L’autonomie de la cuisine française est en fait ce qu’il cherche à démontrer. Alfred FRANCLIN en 1889 publie La vie privée d’autrefois et garde la même démarche. C’est l’histoire vue d’en haut. Il utilise les mêmes documents : des menus de Louis XV servis à Choisy.

2) Les érudits locaux.

Leur démarche est totalement différente, notamment au XIXème siècle. Ils s’intéressent à la valorisation du terroir (surtout des années 1860 aux années 1880). Ils participent à un processus de patrimonialisation des cuisines régionales. On trouve une multitude d’études qui s’y intéresse. Les repas du passé sont décrits dans le Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord par exemple, dans lequel on retrace l’histoire de certains produits (la terrine aux truffes notamment), qu’on valorise de cette façon. Ils se basent sur les menus du marquis d’Arlot de la Roque, à simplement cent ans d’écart une grande incompréhension se fait jour. Sur la facture du traiteur, ils trouvent que 70 à 80 plats ont été servis. Les auteurs concluent à la démesure de l’alimentation de leurs ancêtres. Ils oublient un élément important, cependant. Les repas sont alors servis selon les règles du service à la française qui est en fait plus ou moins un buffet divisé en trois ou quatre temps. Tous les plats sont disposés en même temps sur la table de manière symétrique. Chacun choisit alors du plat qu’il veut. Par exemple on peut servir 12 entrées mais tout le monde ne prend pas de chaque plat. Dès le XIXème siècle, les auteurs ne comprennent plus ces mécanismes. On observe de cette façon un changement des codes en l’espace de cent ans à peine.

Les produits sont valorisés par leur association avec de grands personnages. Par exemple, le vin de Bordeaux est associé au cardinal de Richelieu, la terrine de Nérac à Schopenhauer qui visite la Guyenne au début du XIXème siècle et les évoque dans ses récits. On construit des légendes. L’histoire du camembert par exemple, se développe dans le pays d’Auge au XVIIIème siècle. Dans les années 1920 on construit le mythe d’une fermière normande, Marie Harel qui, en 1791, aurait eu l’idée de laisser pourrir le fromage. Cette légende se développe dans les années vingt suite à l’émergence d’une concurrence de « camemberts » d’autres régions. On l’inscrit dans le passé pour lui donner une légitimité. C’est dans les années 1920 que les premières AOC sont données.

3) Maintien d’une histoire légendaire jusqu’à nos jours.

Celui-ci est visible dans le marketing actuel qui insiste sur les produits du « terroir », de « tradition »… On valorise les légendes car elles ont un sens économique.

Dans le tourisme, la grande distribution, l’agriculture on constate une mise en avant de produits inscrits dans le passé (par exemple le cassoulet qui pourtant n’est pas si traditionnel : les tomates et les haricots viennent d’Amérique).

Cette histoire légendaire est un outil de communication. C’est dans cela que s’inscrit le classement à l’UNESCO de la cuisine française. L’histoire de l’alimentation est toujours le fruit de son époque. Cf JP POULAIN et JP CORBEAU (sociologues).

B) Les premières tentatives d’histoire de l’alimentation.

Elles datent des années 1950-1970 et sont mises en œuvre par des universitaires.

1) L’impulsion de l’Ecole des Annales.

L. Febvre et M. Bloch y ont réfléchi, le premier dès 1938 dans Répartition géographique des fonds de cuisine. Il distingue au Nord la France du beurre et au Sud la France de l’huile et du saindoux. Marc Bloch publie en 1954 Les aliments de l’ancienne France. Ces ouvrages restent des initiatives isolées. Dans les années 1960-1970, l’histoire de l’alimentation prend plus d’ampleur sous l’impulsion de F. BRAUDEL qui mène une enquête de l’EHESS sur la vie matérielle et les comportements biologiques. Il justifie et légitime l’histoire de l’alimentation et lui donne sa première impulsion. Doivent y être appliquées les mêmes méthodes, les mêmes interrogations, la même rigueur. En 1970, les Annales sortent un numéro spécial intitulé « Pour une histoire de l’alimentation ». Ce qui les intéresse en premier lieu est le rapport production/consommation : mauvaise alimentation et crises démographiques, rations alimentaires, consommation de subsistance. C’est une histoire quantitative qui prend le contrepied de tout ce qui a été fait auparavant. C’est l’alimentation vue d’en bas. On délaisse les grands. On privilégie de ce fait les sources fiscales.

2) Des recherches ponctuelles liées à d’autres thèmes.

Ces thèmes peuvent être nombreux :

  • Toutes les grandes thèses d’histoire rurale comportent un passage sur l’alimentation. Par exemple celle de JM BOEHLER sur la plaine d’Alsace a un chapitre intitulé « Se nourrir ».
  • Dans l’histoire sociale : Jean MEYER dans sa thèse sur la noblesse bretonne en 1966 observe une consommation importante de beurre, de sel et de coquillages dans l’alimentation des nobles. On trouve dans toutes les études sociales un passage sur la vie matérielle et l’alimentation.
  • Dans l’histoire urbaine : JC PERROT, Caen, genèse d’une ville moderne, 1975. Dans cette étude on trouve tout un développement sur les aires d’approvisionnement. Il explique qu’il existe des aires concentriques (à l’inspiration du schéma de Von Thünen) : une aire maraichère qui est la plus proche de la ville et dont les produits se conservent peu ; une aire céréales : aliment de base ; l’aire du cidre : celle de la boisson ; l’aire du bétail : notamment bovin, qui se transporte tout seul, en troupeau (le coût de la démarche est ainsi moindre) ; l’aire des produits d’épicerie (épices, café, thé, fromages…) qui a une bonne capacité de conservation, une forte valeur ajoutée et donc peuvent venir de loin. Ces aires sont valables pour Caen et on y trouve deux éléments de variation : les conditions naturelles (l’aire des céréales peut s’étendre) ; une variation sociale (plus on est riche, plus les aires peuvent être éloignées).

Donc jusqu’aux années 1980 l’histoire de l’alimentation n’est pas un champ propre.

C) Un champ de recherche à part entière.

L’histoire de l’alimentation gagne sa légitimité académique, une reconnaissance scientifique et son autonomie (une réflexion propre) à la fin des années 1970 et dans les années 1980.

1) L’apport d’autres disciplines.

  • Les influences viennent de l’ethnologie et de l’anthropologie.

Claude Levi Strauss élabore le principe d’incorporation. Ce que l’on mange devient une partie de soi-même, on incorpore une symbolique. Cette approche structuraliste est à nuancer cependant. On parle de triangle culinaire : Cru/Cuit Nature/Culture On distingue les différentes cuisines en fonction de ce schéma.

  • Importance de la géographie : l’espace est mis en avant. Cette discipline établit un rapport entre le phénomène alimentaire et les espaces, notamment à travers l’exemple des zones de frontières. Certains aliments structurent un espace, par exemple la châtaigne dans le Massif Central (cf Robert Pitte).
  • Dans la sociologie, notamment Pierre BOURDIEU qui étudie la distinction sociale : « le repas est une cérémonie sociale ». Selon lui les choix alimentaires ne se font pas librement, les goûts sont déterminés socialement et renforcent la notion de groupe. N.ELIAS (cf biblio) écrit deux ouvrages qui sont des approches sociologiques appliquées à l’histoire. Il note un meilleur contrôle du corps et de soi qui se met en place à la cour. Cette transformation a lieu dans les milieux de cour et se diffuse au reste de la société.
  • La linguistique et notamment Roland BARTHES qui décrit l’alimentation comme un « métalangage ». Il parle de symbolique dans l’alimentation qui est un fait culturel riche de sens et peut s’analyser en conséquence comme un langage.

Ces disciplines ont posé les bases pour l’histoire de l’alimentation.

2) Deux directions pour l’histoire de l’alimentation dans les années 1980.

  • L’histoire des goûts alimentaires, voir notamment JL FLANDRIN (cf biblio). Ceux-ci évoluent au fil du temps et donc sont objets d’histoire. L’alimentation est au cœur de l’étude d’une société avec des variations, des modes (exemple du caviar). Il utilise pour cette histoire deux sources principales : les livres de cuisine et les récits de voyages. Alors qu’il étudie les recettes, il remarque le vocabulaire des modes de cuisson, la présence d’ingrédients spécifiques. Il en tire des conclusions : une séparation de plus en plus importante sucré/salé au XVIIème siècle, une progression des légumes verts à la même époque. Il publie deux articles fondateurs (cf biblio) dans lesquels il montre la dimension culturelle de l’histoire de l’alimentation. Le deuxième article a trait à la consommation alimentaire polonaise vue à partir des récits de voyageurs français. La plupart s’en plaignent et la trouvent trop épicée, trop grasse, avec trop de boissons. Or c’est à ce moment là que la cuisine française est en pleine mutation. On voit un décalage apparaitre. La manière de consommer les boissons est différente. En France c’est au cours du repas, en Pologne tout est consommé après.
  • La deuxième approche est l’histoire de la culture matérielle. Celle-ci fait une plus large part à l’histoire de l’alimentation à partir des années 1980. Les sources sont différentes : on s’intéresse à un objet. Michel VOVELLE parle « d’histoire de la cave au grenier ». S'intéresser aux objets c'est s'intéresser aux batteries de cuisine, à la vaisselle, aux meubles, avec l'appui essentiel des inventaires après décès. L'exemple ce celui de Marie Bordier en 1777 montre la pratique de la cuisine en cheminée, de la soupe comme plat de base, mais il y a une diversité de manières de faire la cuisine. Les sources sont les inventaires après décès qui sont mis en série. C’est ce qu’a fait notamment Daniel ROCHE dans son étude du peuple de Paris (cf Biblio). Par exemple dans le Sud-ouest de la France au XVIIIème siècle on voit des évolutions significatives : de nouveaux objets apparaissent.

Les manières de tables évoluent également. On trouve des sucriers dans 14% des cas dans la première moitié du XVIIIème siècle puis à hauteur de 42 % dans la seconde moitié de ce même siècle. Le panel social donné par les inventaires après décès est plus large et permet la comparaison entre groupes sociaux. Daniel Roche met en évidence une « topographie sociale » : présence ou non de tel ou tel objet en fonction du niveau social. Pour D. Roche, l'histoire de la culture matérielle est « la confrontation des coutumes et des novations selon des pratiques socialement différenciées ».

Il est nécessaire aujourd'hui de croiser les deux approches, histoire des goûts alimentaires et l'histoire de la culture matérielle. L’histoire des consommations alimentaires doit aller de l’archéologie aux livres de cuisine. C'est bien grâce à cette histoire que l'alimentation est devenue un terrain d'histoire à part entière. En 1996, dans la bibliographie annuelle de l'histoire de France apparaît une rubrique gastronomie.

II) l’histoire de l’alimentation : une histoire globale.

C’est un sujet carrefour, un point nodal. L’alimentation sert de prisme pour comprendre la société, l’économie, la politique et la culture de l’époque moderne.

A)alimentation et économie.

C’est un lien traditionnel et ancien qui l’on peut faire remonter aux premières études.

1)étude des produits.

L’alimentation est indissociable de l’agriculture. Cet élément est particulièrement vrai pour l’histoire de l’élevage. Les travaux de JM Maurissot sur le développement de la production fromagère ont montré qu’il impliquait le couchage en herbe (mise en prairie) du pays d’Auge pour répondre à la demande urbaine. La qualité du produit est une chose déterminante. L’exemple type est celui de la pomme de terre qui suscite des réticences lors de son introduction en Europe car les tubercules importés sont de mauvaise qualité.

2) L’étude du marché.

Le rapport entre l’autoconsommation et le marché a beaucoup intéressé les historiens. L’alimentation est au cœur de l’autoconsommation à travers le potager, la chasse, la pêche, la cueillette. La circulation des produits se fait bien souvent en dehors du marché. Le métayage, de même que les droits seigneuriaux, favorisent cette circulation. Le débat porte sur l’autoconsommation en tant que nécessité ou en tant que choix. Les élites cumulent une position dominante dans l’autoconsommation et dans le marché. Des travaux récents ont montré que cette autre forme de consommation était un choix. Pour les nobles elle représente même un idéal de consommation. Les produits de la chasse montrent l’enracinement du noble dans sa terre. La pratique du don alimentaire est courante et existe entre les élites (gibiers), voisins, amis etc. En ce qui concerne les mécanismes du marché, celui du luxe est celui qui a reçu le plus d’attentions de la part des historiens, notamment anglo-saxons. Il y a une très grande réactivité. Les premières publicités apparaissent en Angleterre. On voit que dans l'histoire économique, l'histoire de l'alimentation est au cœur des débats. On peut offrir une relecture socio-culturelle de l'économie d'ancien régime.

B) Alimentation, culture et société.

C’est là une tendance forte de l’historiographie française.

1) Livres de cuisine et évolution de la gastronomie.

La gastronomie est un néologisme d’inspiration antique qui apparaît en 1901 et désigne une « consommation alimentaire distinguée ». On a ici un champ de l’histoire culturelle et intellectuelle. Il s’agit d’étudier les formes et le discours que l’on trouve dans les livres de cuisine. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, ils sont rédigés par et pour des professionnels. Aucune quantité n’est indiquée sur les livres français. En Angleterre, la situation est différente. Au XVIIIème siècle ils sont écrits par et pour des ménagères, de ce fait les quantités sont indiquées. On y note le recul des épices aux XVIIème-XVIIIème siècles, remplacées par des aromates indigènes. Les modes de cuisson indiqués respectent mieux le goût des aliments. Ce sont des processus d’acculturation qui apparaissent dans ces livres. On le voit à travers l’ouvrage de PLATINE publié à la fin du XVème, De honesta voluptate et valetudine, en Italie. Le processus d’acculturation est visible au travers des traductions : au début du XVIème en Italien avec un abandon du langage lié à la médecine, un vocabulaire plus pratique ; il est traduit en français en 1505 et y apparaissent des éléments de diététique ainsi qu’une certaine influence de la culture alimentaire française. Ces traductions sont des adaptations au contexte de réception.

2) Histoire des représentations.

Les représentations sont au cœur des habitudes alimentaires. Il existe de nombreux stéréotypes : les buveurs polonais, la consommation d’ail… La culture alimentaire regroupe l’ensemble des pratiques et des valeurs liées à l’alimentation. Schopenhauer et sa mère visitent la Gascogne et en produisent des récits séparés. La première remarque de sa mère est « les Gascons sentent l’ail ». Lors d’un carnaval son fils décrit une « odeur d’ail » etc. Tous deux viennent du Nord de l’Europe et ne sont pas habitués à l’ail qui n’est d’ailleurs pas plus présent que les oignons dans la région. Mais ils ne sont pas sensibles à ce second aliment et ne retiennent qu’un seul aspect des habitudes alimentaires de la contrée qu’ils visitent. En prisme on constate que la cuisine de leur région d’origine est caractérisée par une absence d’ail.

3)Lien entre alimentation et religion.

Ce lien permet de voir le respect ou non du Carême et des jours maigres (140 dans l’année). L’étude de Reynald Abad sur le marché de la viande à Paris montre la multiplication des dépenses pendant Carême avec une accélération de cette tendance à partir de 1760-1770. C’est un indice de déchristianisation. La consommation individuelle peut être décelée grâce aux livres de compte. On y constate en revanche, le respect des contraintes religieuses.

4) L’alimentation conduit à une histoire sociale des consommations.

L’alimentation est un outil de distinction. Les élites françaises développent le « bon goût » qui leur sert à se démarquer du passé et des autres groupes sociaux. Ils font le choix de la qualité de l’objet : la vaisselle est d’abord en faïence puis remplacée par de la porcelaine. C’est une lutte permanente.

C) Alimentation et politique.

L’organisation de banquets, par toutes les institutions d’Ancien Régime, permet une affirmation de la puissance, une mise en scène de la hiérarchie politique (certains plats sont présents à certaines tables et pas à d’autres et sont des marqueurs d’une qualité des hôtes). Le cadeau alimentaire est une pratique très courante et très importante. Les cadeaux servent à entretenir le réseau politique. En 1774, Bordeaux dépense plus de 10 000 livres pour des cadeaux alimentaires. Le nombre de caisses de vin dépend de l’importance dans la hiérarchie de celui qui les reçoit. Pour certains s’y ajoutent des jambons et des cuisses d’oie. Celui qui en reçoit le plus est le contrôleur général des finances. L’objectif est clairement d’obtenir des avantages en termes de fiscalité. C’est en fait un système de lobbying. Les villes cherchent des protecteurs. Ces cadeaux mettent en lumière les réseaux politiques de la France d’Ancien Régime.

L’alimentation du passé reste encore à découvrir notamment dans sa version quotidienne, celle du peuple, du monde des campagnes et du petit commerce alimentaire.

III) Les chantiers de l’histoire de l’alimentation à l’époque moderne.

A)Les consommations urbaines.

Les consommations urbaines sont celles qui ont été le mieux éclairées par les sources, même si elles ne concernent qu’une minorité de la population de l’époque moderne. La ville joue un rôle novateur, elle est un lieu d’innovation. Deux thèmes ont connu un renouveau profond.

1) L’approvisionnement des villes.

Acteurs, réseaux, circuits, aires. La plupart des études s’intéressent aux produits de base, surtout les céréales comme Steven Kaplan. D’autres produits sont ainsi négligés.

Paris, par exemple, représente une très vaste échelle d’approvisionnement. Dans son étude Reynald Abad s’intéresse à l’ensemble des produits. Ses travaux montrent que l’ensemble du royaume est mis à contribution. C’est un marché national qui fournit Paris. Abad prend en compte les provenances, les relais, les intermédiaires, les quantités, l’intervention publique (il n’y a pas de production en ville, la régulation du marché est nécessaire pour éviter les soulèvements en cas de problème). Il étudie notamment le cas du poisson. Plusieurs niveaux d’approvisionnement existent. Le poisson frais provient de la mer et transite dans des bateaux spécialisés, des chevaux rapides que l’on appelle des « chasse-marée ». L’aire d’approvisionnement s’étend vers l’ouest. Les poissons sont transportés vivants. Les poissons de conserve, séchés, fumés, marinés, salés, (sardines, harengs, morues) sont ceux que l’on trouve en plus grand nombre à Paris. Ils peuvent venir de plus loin. En ce qui concerne le marché des élites, on trouve aussi des poissons d’eau douce qui peuvent venir de beaucoup plus loin, les carpes (poisson très résistant) de l’étang de la Dombe par exemple. La gamme est très diversifiée à Paris. La diversité est d’une manière générale plus importante en ville. Le rythme de la consommation du poisson est annuel et suit les saisons. On trouve un accroissement de la consommation durant carême qui est d’ailleurs concomitante avec une période de facilité d’approvisionnement. Ces circuits d’approvisionnement sont de taille variable. Abad s’intéresse également aux « menues denrées ». Il constate une augmentation de la consommation de lait au XVIIIème siècle qu’il explique par la consommation de café. En outre, un nombre important de fromages est disponible à Paris (notamment le Brie). Du coup, pour faire face à cette demande, une spécialisation régionale se met en place. Le pays d’Auge développe le camembert. Dans le Jura se mettent en place des fruitiers pour les fromages à pâte cuite qui se conservent plus longtemps pour le marché parisien. Ce fromage peut venir de très loin comme le parmesan. Tableau de l'approvisionnement de Paris (travaux de R. Abad, et de Lavoisier en 1788) La liste des aliments est très importante. Toutes les viandes sont disponibles, les poissons sont très diversifiés. Tous les produits sont disponibles dans une grande capitale comme Paris.

Londres comte en 1700 environ 575 000 habitants. A la fin de ce siècle la ville en regroupe 900 000. Le pays est, en outre bien plus petit que la France. Londres a un rôle unificateur du marché anglais et stimule l’ensemble de l’économie du pays. Le réseau est beaucoup plus organisé que celui que l’on peut trouver en France. On voit une spécialisation des marchés : la viande à Bedford, les céréales à Farnham. On peut considérer que Londres a un hinterland à l’échelle de l’ensemble de l’Angleterre. Certaines provinces se spécialisent dans certaines productions alimentaires : l’engraissement du bétail dans les Midlands, les vergers dans le Kent, l’élevage des dindes dans le Norfolk (150 000 dindes se déplacent jusqu’à Londres tous les ans). De ce fait, Londres possède des marchés spécialisés : le bétail à Smithfield, les légumes à Coventgarden. La spécialisation est une forme d’innovation commerciale. Parfois celle-ci va encore plus loin. Certains marchés ne vendent que des cerises ou des pommes de terre. La mise en place précoce d’un marché alimentaire national est un puissant stimulant pour le reste de l’économie.

2) Les métiers de l’alimentation.

Ils sont nombreux en ville. Jérôme Lippomano, ambassadeur vénitien, décrit le marché parisien en 1577 : une très grande diversité des métiers de bouche, des métiers très spécialisés. En fonction de sa fortune, de ses besoins, de ses envies, on peut y trouver ce que l’on veut. Le réseau des métiers de bouche est déjà très dense. C’est une histoire qui reste longtemps anecdotique. Ils peuvent pourtant faire l’objet d’une étude prosopographique, leur production peut être également étudiée.

Dans une ville comme Bordeaux on trouve tous les métiers possibles et on peut en retracer le paysage social : traiteurs, 88 hôteliers, 65 pâtissiers en 1762 (nombres retrouvés grâce à la capitation). Dans les années 1780-1790, on compte un pâtissier pour 1600/1800 habitants. La répartition est concentrée dans le centre historique de Bordeaux. Les métiers traditionnels se retrouvent vers la porte Dijeaux (hôteliers) ou dans le quartier Saint Pierre (traiteurs). Les plus modernes (cafetiers, limonadiers) en revanche se situent dans les nouveaux quartiers. Ce sont les quartiers les plus riches, et les lieux à la mode. La spécialisation se fait par rue (comme dans la rue Saint Rémi). Il existe une hiérarchie parmi ces métiers. Au sommet, les hôtels prestigieux attirent une clientèle locale aisée et des voyageurs illustres. Ils accueillent des traiteurs renommés comme à l’hôtel d’Angleterre par exemple (à côté du Grand Théâtre). Les auberges fréquentées par une clientèle moins aisée sont beaucoup plus sobres et rustiques. Les gens se rendent dans ces endroits parce qu’en ville tout le monde n’a pas forcément de four, ces établissements oui. Parfois ils proposent des repas, des plats à emporter. Il est aussi possible d’arriver avec sa propre nourriture à faire cuire.

On analyse les goûts urbains à travers les savoir-faire. Une annonce du 18 septembre 1777, dans le journal de Guyenne, présente des viandes préparées, des charcuteries. C'est une publicité avant l'heure. Les métiers de bouche proposent des annonces. Ils sont les premiers à être innovants dans ce domaine là. La maîtrise technique est également une chose primordiale. Les métiers sont régis par des corporations. A Limoge, l’apprentissage est de trois ans pour les pâtissiers. Pour devenir maître il faut avoir réalisé un chef d’œuvre. Dans ce genre de cas, les corporations garantissent la qualité. Au-delà de l’apprentissage c’est tout un système de contrôle qui est pratiqué (sanitaire et qualitatif).

Chez les maîtres hôteliers, la viande prédomine dans les chefs d’œuvre entre 1758 et 1789. Le plat le plus fréquent est la longe de veau à l’estragon. Le pigeon revient fréquemment aussi (en tourtes). Est visée une clientèle intermédiaire. A partir des années 1780 les chefs d’œuvre deviennent de plus en plus souvent des plats sucrés. On constate une évolution. Les corporations ne sont pas forcément des structures rigides. Les métiers ne sont pas immobiles. Les règles et les normes évoluent. Chez les pâtissiers, par exemple, prédominait la conception de pâtés salés. Entre 1780 et 1820-1830 une modification s’opère vers la spécialisation dans les plats sucrés. Dans la production de ces métiers, certains sont nouveaux comme les cafetiers. C’est en Angleterre que naissent les coffee-houses aux alentours de 1650. Le premier français, le café Procope, s’installe à Paris en 1686. A Bordeaux, le premier date du début du XVIIIème siècle. On y sert du café, de la bière, des limonades etc. Ce sont des établissements de luxe (décoration riche, présence de billards) fréquentés par les élites. Dans les cafés c’est la sociabilité qui prévaut. Ils sont des pôles d’innovation. Le marché est sous l’influence de la demande. Les métiers de bouche sont des intermédiaires culturels. Petit à petit le café est consommé chez soi. On note l’utilisation précoce de la fourchette. La clientèle s’accoutume rapidement à cette innovation technique. C’est le même principe pour la casserole. Ce nouvel ustensile se développe en premier lieu parmi les métiers de bouche. La casserole est également une innovation en termes de goûts. Les sauces sont plus aisées à préparer.

B) Alimentation et innovation.

L’alimentation est tout sauf immobile et subit des transformations plus ou moins rapides. Il existe différents niveaux d’innovation décrits par Joseph Aloïs. Les processus de diffusion entrent dans le cadre de l’innovation. Les formes d’innovations dans l’alimentation sont surtout socioculturelles. Deux champs d’études sont étroitement liés : le goût et les techniques. L’innovation n’est jamais linéaire. Elle connait des arrêts, des échecs. Il n’existe pas d’innovation qui ait lieu à un seul endroit à un seul moment. Les pôles d’innovations sont multiples.

1) De nouveaux goûts entre le XVIème et le début du XIXème siècle.

L’innovation principale est celle de la Nouvelle Cuisine du XVIIème siècle, qui est en fait l’aboutissement d’une lente évolution. En 1746, parait le livre de cuisine de Menon, La cuisinière bourgeoise. Sa caractéristique principale est l’abandon total des principes de la cuisine médiévale des théories humorales. On y constate un très net recul des épices, une séparation sucré/salé. Dans la Nouvelle Cuisine on trouve une volonté de préservation des saveurs alimentaires. Du coup on réduit les temps de cuisson, on utilise le beurre de manière croissante, auparavant perçu comme une graisse rustique, désormais valorisée car elle permet une cuisine plus onctueuse. On valorise les aromates indigènes (oignons, persil…), les viandes de boucherie, les légumes verts sont à la mode. Ces transformations sont d’abord enregistrées à Versailles dans la seconde moitié du XVIIème siècle, puis se diffusent dans les élites nobiliaires puis par étape à l’ensemble de la société. Lorsqu’en 1746, Menon parle de « bourgeoise » on constate bien que le milieu social de ce type nouveau d’alimentation s’est élargi. La diffusion s’opère également à l’étranger. La France est le modèle de l’Europe, à l’exception notable de l’Angleterre où persiste une cuisine à fortes tonalités médiévales. Ces transformations se retrouvent dans les menus. Nous pouvons prendre des exemples de menus plus concrets. Le menu des Jurats de Bordeaux en 1745 était un menu maigre, avec uniquement du poisson, mais aussi des produits à la mode : légumes, beurre, haricots. Les menus maigres correspondent aux périodes de Carême, les menus gras aux périodes de charnage. Les innovations sont multiples. Les innovations en termes de goûts passent aussi par l’adoption de nouveaux produits. L’élément caractéristique de l’époque moderne est l’ouverture aux nouvelles saveurs. Les produits venus d’ailleurs deviennent des emblèmes locaux. La dinde, par exemple, venue d’Amérique au XVIème siècle est introduite du Sud au Nord de l’Europe. Chez Rabelais, Gargantua en parle déjà. Elle est adoptée par les tables élitaires puis par les couches populaires. La raison majeure est l’existence d’un espace d’accueil important qui servait autrefois à l’élevage des oies, quasiment identique. La façon de cuisiner ces deux volatiles se rapproche également. On parle de « niche alimentaire ». De ce fait, on a une omniprésence des dindes dès le XVIIème siècle. Ce plat devient très à la mode et chasse l’oie qui tombe dans la consommation populaire. Au XVIIIème siècle, la dinde aux truffes est devenue l’emblème gastronomique de Périgueux. Les nouveaux produits sont adaptés aux codes propres des populations d’accueil. Autre produit : lorsque le haricot arrive dans le Languedoc au XVIème siècle, l’innovation se fait ici par le bas. La niche alimentaire est celle des poids et des fèves. Le peuple est capable d'innovation. Le sucre, connu dès le MA était considéré comme une épice et utilisé en faibles quantités. Originaire du Maghreb, il est implanté aux Antilles et voit une explosion de sa production/demande. Au XVIIIème siècle une accélération se produit encore du fait de la vogue pour les boissons exotiques. Le café a une trajectoire qui part des élites. Son origine est le Yémen et plus largement la péninsule arabique. Il se diffuse dans l’Ancien Monde et y connait un très grand succès. Le thé a un succès plus limité, en Angleterre, en Hollande, au Portugal (dont les liens commerciaux avec l’Angleterre sont très forts marqués par des alliances avec la famille royale anglaise). Il existe peu de concomitance entre les trois boissons : thé, café, chocolat. Ce dernier est surtout consommé en Espagne. Il connait un succès moindre car il est avant tout considéré comme une boisson à usage médical. Sa diffusion est ainsi freinée. Le chocolat connait un phénomène d’appropriation : en Europe il est consommé sucré à la différence de ce qui est pratiqué dans le Nouveau Monde.

Il existe des échecs. La tomate est rapportée en Europe dès le XVIème siècle mais n’entre vraiment dans la consommation courante qu’à la toute fin du XVIIIème siècle et au XIXème. Elles servent surtout à la décoration. La tomate subit la difficulté de son classement (fruit ou légume ?). Il n’existe aucun produit équivalent ni pour la culture, la cuisine ou la couleur, donc pas de niche d’accueil. La pomme de terre n’a une implantation européenne que très progressive. Les premiers plans sont de mauvaise qualité. C’est une nourriture destinée aux animaux (cochons notamment), d’où leur mauvaise réputation. Au XVIIIème siècle leur implantation est populaire. C’est une innovation de la misère. Frédéric II encourage son implantation en Allemagne pendant la Guerre de Sept Ans. La pomme de terre est un aliment de la famine. Ce n’est qu’au XIXème siècle qu’elle entre dans les livres de cuisine.

2) Transformations techniques.

On assiste à l’apparition de pièces spécialisées. Les cuisines sont de plus en plus nombreuses. Les salles à manger se multiplient aux XVIIème et XVIIIème siècles. Leur diffusion reste cependant limitée. A Paris au XVIIIème on en compte seulement dans 14 % des cas. Souvent, on trouve le même ameublement : des tables sur des traiteaux, des buffets, des vaisseliers. Ce sont des pièces de confort qui servent à la valorisation de ce moment qu’est le repas. Des transformations techniques sont également observables dans les modes de cuisson. C’est l’invention du réchaud. On peut désormais cuisiner debout, avec un feu varié ce qui permet une diversification des modes de cuisson. Le potager rend possible la variation de la température, une innovation technique qui a une répercussion en termes de cuisine, avec la création des sauces. Le verre et les manières de boire. Le matériau devient plus résistant, plus malléable et moins cher. Au XVIIIème siècle le vin est de plus en plus fréquemment mis en bouteille. Cela permet la naissance des grands crus que sont les champagnes et les new french clarets, destinés à l’exportation. Les verres à boire se multiplient. Dans le Sud-ouest entre 1700 et 1750 seulement 13 % des maisons en possède. Entre 1800 et 1850 elles sont 68 %. Une large diffusion s’est opérée. Tout ceci change le rapport au vin. On peut penser au tableau de N. Lancret, Le déjeuner de jambon. Une nouvelle forme de consommation du vin voit le jour. Des amateurs éclairés de vins qui constituent des caves, comme l’évêque de Limoge en 1786. Sa cave est constituée de bouteilles uniquement, le vin est conservé plus longtemps, les capacités de vieillissement sont étudiées. Trois éléments sont indispensables à la dégustation : la bouteille, le verre et le tire-bouchon. C’est la naissance des prémices de l’œnologie et de l’art de la dégustation avec l’invention des tasses à vin ou tastevins.

C) le lien entre alimentation et identité.

C’est un champ de recherche très fécond. L’identité tient beaucoup aussi au regard extérieur. Une identité peut être plurielle.

1) Identité sociale.

L’alimentation peut servir à la délimitation d’un groupe social. On peut prendre l’exemple des goûts alimentaires du clergé. Les clercs sont soumis aux contraintes de leur état : jours maigres, vœux de pauvreté, vie en communauté. On trouve donc chez eux une prédominance de la consommation de fromage, d’œufs, de poissons, de fruits secs (conservation facile, riches). Il existe cela dit de nombreux écarts à la règle. Le couvent des Feuillants à Bordeaux fait appel à des traiteurs et peut être considéré comme un véritable ordre gourmand. Dans le couvent des chartreux à Bordeaux les moines sont d’excellents cuisiniers. Dans les Landes les moines pratiquent la chasse. Les évêques ont une consommation alimentaire élitaire, luxueuse. A côté de cela les curés de campagne ont les goûts du peuple. On observe une très grande diversité au sein d’un même ordre.

La noblesse cultive le souci de la distinction sociale. La nourriture est l’un des fondements de l’identité nobiliaire. L’art de recevoir est mis en exergue. Il passe par l’accumulation d’objets. Au XVIIIème siècle, le président du Parlement de Toulouse possède 1526 assiettes, 154 verres, 1200 serviettes. On se doit d’avoir des objets à la mode, signes de modernité. Les objets sont plus fréquents chez les élites, et beaucoup plus nombreux. Il faut adopter les objets les plus raffinés, les plus à la mode.

La distinction sociale passe aussi par la symbolique pour la noblesse. Le gibier, symbole de la chasse, est très prisé par les nobles. Les plus valorisés sont les gibiers à plumes car ils sont l’aliment le plus éloigné du sol (il y a une proximité avec Dieu). On valorise les ortolans, les tourterelles. Ils sont ainsi très consommés. A l’intérieur de la noblesse les mangeurs sont pluriels. Les repas quotidiens peuvent être très différents. (Article de la Revue d'histoire moderne et contemporaine, 54-2, avril-juin 2007). Chez le noble du Périgord l’aliment le plus consommé est la carotte, en soupe. La morue est le premier poisson. Tous deux correspondent aux repas quotidiens très différents des représentations de l’alimentation nobiliaire.

2) Identité culturelle.

La culture alimentaire nationale ou régionale est l’ensemble des pratiques et des valeurs en rapport à l’alimentation. Il y a une tension entre réalité et imaginaire : ce que l’on fait et ce que l’on pense. La question de l’originalité des consommations se pose.

En Italie, Capatti et Montanari étudient la cuisine italienne. La cuisine se construit dans les villes. Elle est marquée par le goût du veau et des pâtes au XVIIIème siècle. Les tomates ne s’installent qu’à la fin du XVIIIème siècle. La cuisine y est une synthèse des particularismes locaux. Finalement, l’identité de la cuisine italienne se construit à travers sa délocalisation, face au regard extérieur.

Dans le Sud-ouest de la France la question se pose de la réalité des fondements historiques de sa cuisine. Les consommations ne sont pas rattachées à un groupe social spécifique. On trouve un mélange entre enracinement et ouverture. L’enracinement se fait dans les capitales de provinces qui valorisent les produits locaux. On note une large présence des fruits, oignons, poissons. Les consommations sont aussi liées à des savoir-faire : friture, salaison, pâtisseries salées, confits. L’ouverture et les capacités d’appropriation se retrouvent à travers les consommations de maïs, de sucre, de café. La culture alimentaire se mesure aussi par l’absence de certains produits comme les laitages. A l’époque la conscience de l’identité n’existe pas mais certains produits sont quand même des emblèmes, valorisés par les habitants du Sud-ouest, notamment dans les cadeaux alimentaires (Bayonne : jambon et chocolats ; Bordeaux : sucre, car capitale coloniale, puis vin à partir de la deuxième moitié du XVIIIème siècle ; à Périgueux, le pâté de perdrix aux truffes, la dinde truffée ; dans les Landes, les cruchades). L’identité se mesure aussi à travers la perception des voyageurs. Celle-ci ne concerne pas uniquement la haute cuisine. Des lieux communs se gravent dans les consciences. LA cuisine du SO se crée dans le regard extérieur. En réalité il y a DES cuisines locales. En 1809, Cadet de Gassicourt établit une carte gastronomique. La représentation est restrictive à travers les emblèmes.

Conclusion : Les consommations alimentaires sont beaucoup plus complexes que le simple acte de se nourrir. Elles sont un fait social total, à dimension économique, marqueuses d’une construction identitaire, d’une dimension culturelle. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, une ampleur nouvelle est prise par ces processus : produits du Nouveau Monde, marché du luxe qui se développe ainsi que la multiplication des échanges. Le dynamisme du XVIIIème siècle est marqué par les transformations. L’idée essentielle est que l’Ancien Régime connait une économie en mouvement. Les consommations, notamment alimentaires, sont un terrain privilégié de l’échange.


Consommations et Paraître.

Par le jeu des apparences (D. Roche) on peut comprendre l’ensemble des mécanismes de la consommation et des choix de consommation et ce pour tous les types de consommations. Dans toutes les études sur les groupes sociaux on trouve toujours un passage sur les apparences et leur jeu. Consommer est une forme de communication au travers des objets que l’on acquiert, selon son rang, sa fortune, son statut. Par exemple, dans les consommations de la noblesse pauvre, qui pourtant a des revenus faibles, les apparences restent primordiales. L’évolution la plus importante a lieu entre le XVIème et le XVIIIème siècle. Une sorte de brouillage se met en place. Les lois somptuaires du XVIème siècle ont un ordre de discours qui met en lumière cette idée. La querelle du luxe au XVIIIème siècle également, lors de laquelle l’étalage du luxe est dénoncé. Il irait à l’encontre des valeurs nobiliaires. La dimension sociale est indissociable du fonctionnement économique de l’époque. Il n’existe pas de marché parfait. Il n’est pas possible de réfléchir uniquement en termes économiques. Ces consommations impliquent des innovations, engendrées en partir par la signification sociale des consommations et le jeu des apparences. Il faut suivre un parcours des supports des apparences de façon dynamique. La culture des apparences est génératrice d'une économie de la consommation et on pose les limites. On a deux secteurs clés : l’habitat et le vêtement. Ceux-ci subissent les transformations les plus significatives aux XVIIème et XVIIIème siècles. Les notions de mode, de luxe, de confort, de goût des loisirs se mettent en place.

I) L’habitat : de la fonctionnalité au prestige social.

La consommation revêt ici divers aspects : construire, louer, aménager. Elle est l’objet de contraintes et de choix. Pendant longtemps, l’historiographie pour l’habitat se situe dans l’histoire de l’art, dans l’architecture (les éléments techniques sont mis en avant), ou bien dans des descriptions immobiles. Depuis quinze ans on assiste à un renouveau. Les fonctions et usages de l’habitat sont pris en considération. Grâce à l’archéologie on a pu avoir accès à l’habitat populaire. Les actes notariés ont été mobilisés et permettent une approche beaucoup plus globale, replaçant l’habitat dans son environnement économique, politique et social. Une meilleure compréhension de la consommation de l’espace a été opérée.

A) Répartition de l’habitat dans l’espace.

1) Dans la ville.

L’endroit et les conditions dans lesquels l’installation est effectuée sont l’objet d’un choix. La ville est un pôle de transformations, lieu dont la taille s’accroit pendant notre période. Elle voit de nouveaux aménagements, une transformation et une densification de l’habitat. A partir de sources fiscales (vingtième, centième denier), on constate que, dans la ville moderne, il n'y a pas de ségrégation urbaine horizontale. La logique est plutôt au niveau de la rue. Au point de vu social et économique nous ne sommes pas dans la logique de l’entre-soi. On constate un véritable brassage social. La ségrégation s’opère au sein des immeubles, par niveaux. A Lyon, par exemple, en 1796 on trouve dans une grande maison 36 appartements. Le rez-de-chaussée est occupé par un cabaretier et une boutique de fripier. L’entresol est le logement du propriétaire (il occupe tout l’étage). Au premier étage il y a un bourgeois et un voiturier, au deuxième un journalier, au troisième un coiffeur et un ébéniste, au quatrième un maçon et un marchand forain, au cinquième un fabriquant de bas et deux ouvriers chapeliers. On trouve l’ensemble de la société urbaine regroupée en un même endroit. L’espace est partagé. Aux premiers niveaux on trouve l’élite et plus on monte, plus le niveau social se dégrade.

2) Une variation selon le profil des villes.

Le choix de l’habitat est contraint par le profil des villes, notamment en fonction de son activité dominante : ville portuaire, balnéaire (Bath) ou ville dominée par les activités rurales. Prenons les exemples d’Aix en Provence et de Marseille. A Marseille les élites sociales sont les négociants. L’habitat y est donc marqué par la fonction économique, le commerce domine à tous les niveaux. A Aix, l’élite est constituée par la noblesse parlementaire car la ville est le siège du Parlement. La fonction administrative domine. Les aspects commerciaux sont nettement moins présents dans l’habitat marqué, en revanche, par les métiers du droit. On trouve donc dans ces deux villes deux habitats très différents en fonction de l’activité dominante respective. On trouve des variations architecturales selon que l’on est au Nord ou au Sud de l’Europe. Le Nord est dominé par la brique, le Sud par la pierre. Ceci représente des contraintes sur l’aspect physique de l’habitat.

3) L’importance des espaces publics.

Dans la ville moderne, on vit beaucoup en dehors de chez soi. Le premier espace consommé est la rue. Elle est le cadre du jeu des apparences. On y trouve un habitat provisoire en bois. Même les ponts sont occupés par des habitations (boutiques etc.). Les édifices publics marquent le paysage : l’hôtel de ville (beffroi au Nord), les palais épiscopaux, l’hôtel de la bourse (comme à Bordeaux). On a une consommation de l'espace manifeste, exprimant la culture des apparences qui s’exprime dans la pierre.

B) Les hôtels particuliers et châteaux.

Les hôtels particuliers et les châteaux sont un habitat de prestige à la dimension sociale très forte. Ils représentent une consommation ostentatoire et une économie extrêmement spécialisée en termes de construction. Une dynamique économique est entièrement créée par ces besoins d’habitat de prestige. A Bordeaux, les métiers du bâtiment sont stimulés par cette demande et l’impulsion économique est très forte pour la ville.

1) La maison du négociant.

La maison du négociant est à la fois un lieu de vie et de travail. A Bordeaux elle comprend un comptoir et sert en même temps à afficher une réussite sociale. Se développe le quartier des Chartrons, dont le nom vient des Chartreux, propriétaires des terres. Ils sont en quelque sorte les « promoteurs » du quartier et ont initié le drainage des terres. Aux XVIIème et XVIIIème s'implantent des maisons de négociants. Elles sont construites en pierre de taille en provenance de Bourg-sur-Gironde. Sur ces maisons sont affichées les armoiries, etc. On ne délaisse pas pour autant la fonction économique. La maison typique donne sur les quais et comporte deux ou trois étages. Au rez-de-chaussée, on trouve le comptoir et les chais. Au premier étage, le cabinet de travail et les bureaux. Au deuxième étage, les espaces privés. La façade affiche le prestige. Les deux fonctions cohabitent. Chez les armateurs qui sont plus riches, les maisons sont aussi de deux ou trois étages mais les comptoirs sont plus petits et les pièces privées plus nombreuses. La logique est donc la suivante : il y a une association entre espace de vie et espace de travail, mais aussi entre prestige et fonctionnalité.

A Cadix, on trouve des cas similaires. La ville prend son essor aux XVIème et XVIIème siècles alors qu’arrivent les métaux précieux du Nouveau Monde. Il n’y existe pas de répartition par quartier, à la différence de Bordeaux. Cadix est beaucoup plus marquée par la verticalité mais on retrouve les mêmes fonctions : économique avec le comptoir (escritario), le prestige social avec l’organisation de la maison autour d’un patio entouré de grilles sculptées, à travers les tours miradors de style baroque qui marquent visuellement le prestige d’une famille.

2) Les hôtels particuliers.

Ce sont de belles demeures urbaines entre maison bourgeoise et palais princier. Ils servent avant tout à afficher son rang. Son aménagement et ses détails montrent le prestige. Le portail porte le blason familial. Une cour est aménagée devant l’entrée pour l’accueil des carrosses. Les escaliers et les perrons sont prestigieux. On y trouve des jardins d’apparat. Pour ce qui est de l’aménagement intérieur, on décore des portraits de famille, notamment les pièces de réception et les premières pièces dans lesquelles passe le visiteur. Le modèle le plus développé est celui de l’hôtel particulier entre cour et jardin (par exemple le palais de l’Elysée à Paris). Ces bâtisses continuent d’avoir une fonction professionnelle même si elle est moins importante qu’auparavant. Les magistrats, les grands négociants y ont leur bureau. Les hôtels particuliers sont souvent loués. La pratique de la location est très répandue. Les déménagements sont fréquents. Quand on grimpe dans l’échelle parlementaire par exemple on change d’HP, de plus en plus prestigieux. A Grenoble au XVIIIème siècle, l'essentiel des parlementaires sont locataires. L’HP est caractérisé par une taille beaucoup plus importante. A Toulouse par exemple l’hôtel d’Ulmo fait 4000 m². Le soin apporté à leur construction est bien supérieur à celui des maisons mais il est concentré sur les façades car c’est ce qui est visible. Les ailes sont de confection plus simple.

3) Le château.

Dans ce cas-là, ceux qui possèdent sont ceux qui y vivent. On peut se référer aux travaux de Michel Figeac (2006) sur ce point. Très progressivement on se détache dans l’aménagement du modèle médiéval. La fonction défensive et militaire disparait. Au XVIIIème siècle la vogue de la construction de châteaux autour des villes se développe. Ce sont plus des maisons de plaisance d’ailleurs. A Bordeaux on les appelle les « chartreuses », à Paris les « Folies ». Le style de construction est néoclassique. Un nouveau rapport à la campagne s’installe. Le lieu doit être agréable, pour des activités de repos et de plaisance. La notion de confort apparait. L’enracinement du lignage devient moins important. On assiste à une superposition des styles qui deviennent composites. A l’intérieur, la magnificence passe par le mobilier. Les châteaux incarnent le pouvoir. Le château de La Force en Périgord frappe par l'abondance du mobilier : 200 chaises, 64 fauteuils, 32 lits. On trouve aussi de grandes cheminées, des tapisseries, des tableaux qui marquent le prestige de la lignée. Les valeurs nobiliaires sont ainsi mises en avant à travers cette consommation. Leur fonctionnement nécessite une domesticité abondante qui donne vie à ces demeures de prestige. En Pologne, dans les châteaux des magnats, la domesticité est particulièrement présente, à travers ses fonctions classiques mais également des fonctions de plus en plus spécialisées : médecin, fleuriste, géomètre. Cette spécialisation permet d’afficher le niveau de fortune. Le château est un lieu de consommation en lui-même. S’y concentrent différents circuits d’approvisionnement. Ils vont de la ville la plus proche jusqu’à des destinations bien plus lointaine pour les produits exotiques notamment. Dans les châteaux aquitains, les livres de comptes montrent que le chocolat est acheté à Bayonne, pour aller jusqu’en Périgord. Le château est le centre du système de métayage. Le paiement des loyers se fait en nature ainsi que le prélèvement des droits seigneuriaux (chasse, pêche…). Le château oscille entre enracinement et ouverture. Les produits peuvent venir de loin mais l’idéal reste l’autoconsommation. Les stocks alimentaires y sont très importants (à la différence de l’HP). Naît la mode des confitures pour conserver les fruits. Ces bâtisses sont des lieux de sociabilité. On y organise fréquemment des réceptions. Ils sont à la fois des cellules de consommation et de production. Deux tendances différentes de consommations sont présentes dans les châteaux : l’une enracinée et localisée, l’autre ostentatoire qui passe par d’autres circuits. Ils peuvent être considérés comme des interfaces entre la ville et la campagne.

C) L’habitat populaire.

Il est soumis à des contraintes différentes, beaucoup plus fortes que sont les niveaux de vie et professionnel.

1) La maison urbaine.

L’étroitesse domine. Souvent c’est une pièce unique à fonctions multiples. La verticalité est très marquée (jusqu’à sept étages). Au XVIIIème siècle à Paris la moyenne est de trois étages au dessus du RDC. Les maisons de bois sont en très net recul du fait du danger et de l’augmentation des prix de ce matériau lié à sa raréfaction. L’aménagement et le remplacement étaient pourtant plus faciles avec le bois. On trouve le maintien d’éléments ruraux comme la présence d’écuries ou d’étables. L’élevage de porcs se pratique à l’intérieur même de la ville. Le logement est extrêmement couteux et est la première cause d’endettement (D. ROCHE, Le peuple de Paris). C’est un logement de locataires qui domine aux XVIIème et XVIIIème siècles.

2) La maison rurale.

Les fonctions de la maison rurale sont plus complexes. Le lien est très fort entre la résidence et l’exploitation. L’habitat est très varié en fonction des régions. Les bâtiments d’exploitation (bétail, transformation, production) cohabitent avec le logement. Ce dernier a une position centrale avec nécessairement une cheminée qui a une fonction de lutte contre le froid et l’humidité et d’éclairage. Une évolution est observable avec le recul du toit en chaume : de plus en plus de tuiles. Le bois reste dominant dans la construction. La taille de l’habitat est déterminée par des éléments locaux. Plusieurs régions ont un modèle de communautés familiales, les frérèches dans le milieu de la France : chaque habitation compte 5 à 6 couples. Les maisons rurales comportent 3, 4, 5 étages. Il y a quelques variations dans la construction : des roches volcaniques dans le Cantal, du granit en Bretagne. Une hiérarchie sociale est observable. Les paysans misérables de Bretagne vivent dans des loques, des cabanes de bois tandis que les riches fermiers d’Ile de France habitent des maisons de pierre séparées des bâtiments d’exploitation. La distinction est de plus en plus marquée entre le logement des Hommes et celui des animaux. Mais ce qui prime est l’immobilité pour les maisons rurales. En Galice au XVIIIème siècle on trouve toujours de la paille pour le toit, des constructions en bois, basses, avec peu de mobilier, une cohabitation avec les animaux et construites par les paysans eux-mêmes.

L’habitat et le cadre de vie servent à l’affichage du rang et sont un poste de dépense important. La maison montre la place dans la hiérarchie sociale et revêt une importance considérable pour la définition de l’identité.

II) Vêtement et identité.

L’historiographie française y a beaucoup réfléchit. A l’époque moderne on parle de « vêture ». Le vêtement est un support matériel de communication. Au XVIIIème siècle la liberté de choix prévaut. On assiste à une multiplication des couleurs, une variation des supports de la perception.

A) L’économie du vêtement.

1) Différents circuits économiques.

Les différents circuits économiques vont de la production artisanale à la manufacture. Il y a une importance de la confection familiale. Le Domestic system reste encore prépondérant. Dans les campagnes de Brie, 60 % des ménages sont en autoproduction aux XVIIème et XVIIIème siècles. Les centres de production importants sont Lyon, Rouen, Amiens, le Languedoc. Le marché de l’occasion est particulièrement dynamique à l’époque moderne avec tout un réseau de fripiers et de revendeurs. Le vol touche, en outre, beaucoup les vêtements. A Paris, entre 1710 et 1735, un quart des procès jugés concerne le vol de vêtements. Ce chiffre monte jusqu’à 37 % en 1790. Ceci dénote une volonté de consommation mais une absence de moyens d’où le recours au vol. Le vêtement est aussi une forme d’ « anti-consommation ». Dans les inventaires après décès la notion d’usure est très présente avec un vocabulaire très varié. Les habits ont un double usage : endroit et envers, les vêtements d’adultes sont découpés pour les enfants, on les revend. La mode ne concerne que très peu de gens. Le renouvellement est permanent. On fait durer les objets le plus longtemps possible.

2) La diversification de l’offre.

Elle est liée aux progrès techniques, à la multiplication de la demande. La qualité s’améliore. On assiste au développement d’un corps de métier particulier qui veille à la qualité des vêtements : les inspecteurs des manufactures, mis en place à l’initiative de Colbert et désignés par le Roi. On voit le développement d’une industrie textile à Paris avec des teintes plus claires, la multiplication des couleurs et des vêtements plus souples. On entre dans une économie du demi-luxe, une valeur qui n'est pas importante mais non négligeable. Les indiennes sont copiées en France, et sont moins chères à l'achat. La garde-robe prend une importance considérable dans le patrimoine des familles. Elle représente 26% du patrimoine des boutiquiers, 20% de celui des domestiques, 8% de celui du salariat. Les matériaux se diversifient, avec notamment le développement du coton, du lin, des soieries. La possibilité de choix personnel est plus importante. On a un art du paraître.

B) Vêtements et distinction.

1) Une identité sexuée.

Dans la noblesse parisienne la valeur des garde-robes féminines est deux fois plus importante que celle des hommes. Le vêtement des femmes comprend cinq pièces principales : jupe, jupon, manteau, tablier, cape. Pour l’homme on a la chemise, la culotte, la veste et les bas. Ce dimorphisme s’accentue au fil du temps.

2) Le costume « professionnel ».

Il s’agit d’un uniforme, notamment pour l’armée de terre qui apparait sous Louis XIV (donc une invention récente). On se distingue par les couleurs : le bleu pour la garde française, le gris clair pour l'infanterie. Il faut attendre les années 1750 pour que la distinction soit véritablement marquée entre les unités. Elle peut être subtile et discrète (boutons, poches). Pour l’habit ecclésiastique on peut se demander si on a une contrainte plus marquée que la liberté. La réponse n’est pas simple. La soutane se maintien mais on voir apparaitre d’autres vêtements comme la soutanelle qui arrive au dessus des genoux, des poches plus grandes… Les curés ruraux ont des costumes qui ressemblent à l’habillement populaire. Il existe des contrastes importants. Des curés bretons portent du linge de corps, des perruques, des couleurs diversifiées. Dans la hiérarchie, celle des couleurs se maintien : le noir pour le curé, le violet pour l'évêque, le rouge pour le cardinal.

3) Elites et culture des apparences.

Il s’agit de marquer une hiérarchie et de montrer son propre choix. C’est un objet de critique mais sert à la distinction élitaire. Les matières se multiplient, l’investissement se fait plus important. Dans l’aristocratie, la duchesse de Fitz James achète entre 1781 et 1783 cinquante paires de chaussures. Le même phénomène est à l’œuvre en province à une échelle moindre. En 1781, Madame de Lacassagne à Agen, possède une garde-robe très imposante et diversifiée : 26 jupes, 12 robes, 16 coiffes, de la soie, du coton. Le XVIIIème siècle voit le plaisir des sens se développer. Il y a une volonté d'afficher ce que l'on possède.

4) Variation nationale et régionale.

La noblesse polonaise est à la croisée de plusieurs influences. Le modèle français est très présent : importation de mannequins, 39 % des garde-robes féminines sont composées de vêtements français à Varsovie. S’habiller comme tel est un signe de supériorité sociale. On trouve aussi la culture Sarmate qui rappelle le passé. La consommation est figée et les vêtements de ce style sont plus présents dans les garde-robes masculines. Cela sert à l’affirmation d’une identité nationale : vêtements verts et noirs, chapeaux bordés de fourrure. On se fait représenter avec un sabre en or. Mais de plus en plus souvent des perruques françaises apparaissent dans les tableaux polonais. Les rois de Pologne ressemblent de plus en plus aux rois de France dans leur choix de vêtements. C’est un choix qui est plus politique qu’esthétique. Marquer son identité régionale doit plus à la modernité qu’à la tradition. Même le costume traditionnel montre l’entrée dans la modernité économique. Le costume régional montre la sensibilité des campagnes aux nouvelles formes de consommation. C'est un signe de modernité économique, avec un accès à des vastes circuits d'approvisionnement. Il y a une réappropriation des modes parisiennes et urbaines (J.-P. Lethuillier, 2009).

Le vêtement est un marqueur social et culturel. La consommation de vêtement est une nécessité dans la lutte contre la nudité, le froid, les intempéries. Mais elle sert à marquer le rang. La liberté de choix s'accroît, avec une diversification. Les choix deviennent individuels, se détachant du rang. De nouveaux mécanismes apparaissent, comme l'hygiène, le confort.

III) De nouveaux mécanismes : hygiène et confort. Des apparences en mouvement.

Il faut voir les éléments moteurs du développement des consommations. Les consommations, avec lenteur, contribuent à la valorisation de l'individu.

A) confort et hygiène.

On assiste à une évolution du mot « confort » qui, jusqu’au XVIIIème siècle est un synonyme de consolation. Il devient équivalent au bien être matériel. On passe par plus d’intimité.

1) Le chauffage.

La sensibilité au froid de l’époque est différente de la notre. Les hommes de l’époque moderne sont plus tolérants. Les températures sont plus basses. On utilise la paille, les tentures, les tapisseries, les cheminées ou encore les animaux pour se protéger du froid. Les cheminées voient des améliorations de leur efficacité grâce aux plaques de fonte, à un meilleur tirage. Se développent aussi les poêles en fer ou en faïence.

2) L’éclairage.

L'éclairage a longtemps été réservé à la fête, à l'exceptionnel. L'éclairage public apparaît, tout comme à l'intérieur des maisons : les vitres et fenêtres apparaissent ou s'agrandissent, les appareils portatifs se développent, on abaisse l'appui des fenêtres.

3) L’organisation de l’habitat.

On assiste à la croissance de la spécialisation des pièces et à la rationalisation de l’intérieur de l’habitat. Ceci facilite la recherche de l’intimité (Pardailhé-Galabrun, 1988). De nouvelles pièces apparaissent également : la salle à manger, le salon, le cabinet de toilette. A l’hôtel de Verges à Paris en 1782, on trouve dans le cabinet de toilette une baignoire avec un système hydraulique complexe permettant d'avoir de l'eau froide et de l'eau chaude. Les cuisines s'éloignent des pièces privées.

4) Le soin du corps.

Le linge de corps se développe et se renouvelle. Le seuil de tolérance pour les odeurs s’abaisse. La propreté devient un critère de distinction. Les bains reviennent à la mode avec une revalorisation de l’eau portée notamment par Rousseau. Les bains publics se développent. Ces progrès engendrent des modes.

B)Les modes.

1) Un élargissement du paraître, un goût du changement.

La mode est une nouvelle donne pour les consommations. Elle conduit au renouvellement des objets. Dans le dictionnaire de Furetière, « la mode se dit de tout ce qui change selon les temps et les lieux ». Une émulation se crée pour le renouvellement des objets.

2) Les cosmétiques.

Les transformations essentielles sont liées à l’innovation technique et médicale, de même qu’aux pratiques sociales (C. Lanoe, 2008). Dès la Renaissance, on pratique le blanchissement de la peau. La blancheur est valorisée, le bronzage correspond au travail de la terre. La poudre des fards est faite à base de jus de citron, de mercure, de plomb jusqu'au XVIIème siècle. A partir du XVIème siècle on développe le fard à joue (de couleur rouge). A partir des années 1760 les substances végétales sont à la mode. Les couleurs du maquillage se font plus discrètes. Les hommes, autant que les femmes, utilisent ces cosmétiques. On constate un élargissement social au XVIIIème siècle : les milieux du commerce et de l’artisanat commencent à porter eux aussi du maquillage.

C) Le goût des loisirs.

Le lien est direct. Le shopping est une notion qui se diffuse au cours de la deuxième moitié du XVIIIème, à Paris dans le Faubourg Saint-Honoré.

1) Les villes balnéaires et les villes d’eau.

Elles représentent une nouvelle forme de consommation en lien avec des principes médicaux. Les bains de mer sont recommandés par des médecins. Brighton et Bath notamment, connaissent un certain succès grâce à Catherine de Bragance. C'est l'apanage de la cour, puis des gentilshommes provinciaux. De 3000 habitants au début du XVIIIème siècle, Bath passe à 35 000 en 1901. En France, on trouve des stations comme Vichy ou Cauterêts.

2) La pratique du jeu.

On joue aux échecs, aux cartes, aux dames, au billard, au trictrac. Ils sont une nouvelle forme de consommation dans des moments de distraction.

3) Les cabinets de curiosité.

Ils renferment des collections d’objets variés et représentent une forme de consommation de l’objet. Le goût de la collection se développe au XVIIIème siècle dans une culture des apparences. Les objets scientifiques servent à la distinction. On retrouve un aspect taxinomique avec la volonté de montrer. Une spécialisation croissante de ces cabinets de curiosité marque le XVIIIème siècle. Ils sont au croisement entre l’art et la science.

Conclusion.

Du XVIème au XVIIIème siècle, on a une prégnance de la culture des apparences. Cependant elle n’a pas le même sens au fil du temps. On assiste à un développement de la place prise par l’individu. Toutefois, on a le maintien de consommations en fonction de son état. Mais à la fin du XVIIIème siècle, paraître est aussi un choix individuel. La culture des apparences opère un changement dans les consommations. On a plus de choix et une évolution culturelle du rapport à l’objet s’établit. Ce dernier devient de plus en plus éphémère. On assiste à une accélération des consommations stimulant l’économie et propice aux échanges qui alors se multiplient.


Consommations et échanges à l’époque moderne.

La notion d’échange renvoie à la circulation des objets, des personnes, des modes qui est au cœur du fonctionnement des consommations. Pour la France et pour l’Angleterre on ne peut pas parler d’économie fermée et immobile pour l’époque moderne. Les consommations connaissent des bouleversements : les échanges et les rencontres sont déterminants. Pour comprendre les éléments moteurs de l’accroissement des échanges il faut réfléchir sur les mécanismes de ces derniers. Il existe différents niveaux d’analyse :

  • Echanges entre différents espaces (ville et campagne par exemple).
  • Echanges entre différentes cultures (espaces et culture peuvent se rencontrer : Nouveau et Ancien Monde, France/reste de l’Europe.
  • Echanges à l’intérieur de la société : entre les différentes élites, élites/peuple (dans les deux sens).

C’est une idée transversale qui recoupe l'ensemble du programme. La question des intermédiaires de l’échange se pose alors : individus, groupes, lieux. Deux ouvrages sont fondamentaux pour appréhender ces questions : D. Roche, Histoire des choses banales qui étudie les transferts ; J. Brewer, N. Mackendric, J.-H. Plumb (1982) parlent d'une intensification des échanges, dans la circulation des produits et dans la circulation dans la société.

I) La mise en place d’une nouvelle société de consommation.

En France et en Angleterre on trouve deux sociétés où les consommations jouent un rôle essentiel dans les échanges économiques.

A) L’amélioration de la circulation des marchandises au XVIIIème siècle.

Nous sommes dans une phase intermédiaire. Les transports doivent désormais permettre la circulation à travers les pays.

1) Les progrès dans les transports routiers.

Au début du XVIIIème siècle on peut considérer que l’on est encore dans une perspective d’horizon bloqué. Des travaux sur la ville d'Ussel montrent un espace réduit, fermé sur lui-même. En outre, l’aller-retour Paris-Toulouse peut prendre un mois. Le réseau de la France d’Ancien Régime est faible en termes de densité. C’est à partir des années 1770 que les améliorations sont les plus nettes, grâce notamment à la création de l’école des Ponts et Chaussées (1756) et à la mise en place par l’Etat d’une politique de transport. L’augmentation de la part du budget consacré est conséquente : 0,86 % en 1700 est alloué aux transports, grimpant à 4,16 % en 1789. Le réseau reste quand même limité. En 1789 on compte 50 000 km de grands chemins seulement. Cependant, sur les grands axes le temps de trajet est divisé par deux : de Paris à Lyon on met désormais 5 jours, entre Paris et Marseille 9. En outre, de nouveaux systèmes voient le jour. Celui des postes et messageries permet une grande amélioration dans la circulation des produits grâce à des relais et des points d’appui. Le réseau se tisse grâce aux maîtres de poste. Les progrès se mesurent avec l'augmentation de la rapidité, de la sûreté, de l'efficacité. C’est un réseau qui se mesure dorénavant à l’échelle européenne : des diligences relient les capitales. Les produits de luxe empruntent ces routes, notamment le champagne et les vins, transitant par voies fluviales jusqu’à Amsterdam.

2) Le développement du trafic maritime.

Les villes portuaires ont un rôle de plus en plus important. Rouen est la 4ème ville de France au début du XVIIIème siècle. Bordeaux, Marseille, Nantes en France, Bristol, Liverpool en Angleterre, servent de relais dans la diffusion de nouvelles formes de consommation car ces villes ont des positions d’interfaces. Tout un système d’hinterland et d’avant-port comme à l’échelle mondialisé se met en place. Entre 1715 et 1789 le commerce extérieur français est multiplié par 5, le commerce entre les pays européen augmente de 412 % et le commerce colonial de 1310 %. Tout ceci est concomitant de l’amélioration des conditions de navigation. La capacité des navires augmente et ils sont plus rapides. Les voies d'eau fluviales se développent également. Elles deviennent des axes de circulation essentiels. E. Leroy Ladurie parle de « lubrification des échanges ».

B) Villes et campagnes : des consommations imbriquées.

1) Des campagnes au service des consommations urbaines.

Les villes augmentent au XVIIIème, tant en termes d’hommes, d’argent, de biens, de taille, même si le phénomène reste encore minoritaire. La croissance des villes s’appuie sur la population venue des campagnes. La demande urbaine stimule le dynamisme des zones rurales. Beaucoup de propriétaires vivent à la campagne. Ils s'appuient sur le métayage, les droits seigneuriaux. On utilise les circuits commerciaux ordinaires. Les marchés servent à l'approvisionnement des villes. Le pays d'Auge approvisionne Paris en bétail, le Norfolk approvisionne le marché londonien. Le tout est agrémenté de villes intermédiaires qui servent de relais.

2) La diffusion des modes urbaines dans les campagnes.

Elle se fait grâce à toute une série d’intermédiaires et de relais. Le réseau des foires et marchés accroît son importance (les archives montrent une augmentation des demandes d’autorisation de création de foires et de marchés). Dans 9 000 agglomérations françaises à la fin du XVIIIème siècle on compte 160 000 jours de marché et 16 000 jours de foire (qui est un évènement annuel). Le maillage est serré et facilite ainsi la circulation. Si les foires sont moins fréquentes elles regroupent une plus grande diversité de produits. Le marché à lieu plus souvent et se spécialise de plus en plus. Il est le lieu où l’on trouve les produits frais car on a là un lieu de proximité dans la distribution. Ils permettent d’assurer une complémentarité. Bien souvent ils sont situés entre montagne et plaine, assurant la jonction. On retrouve les mêmes processus en Angleterre avec le système des market towns dont le réseau est extrêmement dense. On en compte une pour un rayon de 8 km. Elles servent à la mise en place d’un marché national. En France on y tend. Un des personnages primordiaux dans ces diffusions est le colporteur, étudié par Louis Fontaine. Ils tiennent un rôle de prescripteurs : ils font découvrir les produits et leurs usages (par exemple pour le thé).

Quelques indices pour mesurer la diffusion : On voit une pénétration des produits alimentaires commerciaux dans les campagnes. Par exemple, dans le Sud-ouest de la France, au XVIIIème siècle, la pénétration des produits exotiques est en augmentation : on a la mention de café, la présence de cafetières pour un tiers des inventaires après décès dans les zones rurales. Pour ce dernier élément, la progression est très nette : entre 1700 et 1750 seulement 7,5 % des foyers campagnards en sont équipé ; entre 1750 et 1800 ils sont 38 %. Dans les villes ce chiffre monte à 65 %, l’écart reste encore très marqué. On assiste aussi à la pénétration des épices et du sucre. Dans les contrats de métayage en agenais, la fourniture de sucre est réclamée. A la fin du XVIIIème siècle le métayer doit en faire l’achat. Cela signifie donc que le sucre est disponible sur le marché rural. Même dans les Landes l’alimentation est très loin de l’autoconsommation : ceux-ci achètent des sardines séchées en provenance de Bretagne ou de Galice, ainsi que du beurre salé de Bretagne ou d’Irlande. Ces produits transitent par les villes. Le thé figure dans les campagnes hollandaises au XVIIIème siècle, à Liège aussi. Le chevalier de Chablan, périgourdin de Brantôme, achète vers 1780 du sucre, du vin de Malaga, du thé, du café de Martinique. Dans la mode vestimentaire également on constate une diffusion. Les campagnes voient elles aussi une diversification dans l’habillement, avec néanmoins un décalage chronologique par rapport à la ville. L’achat se fait dans le cadre des foires et des marchés. La part du budget qui y est consacré augmente : les pièces féminines se multiplient, le coton et des indiennes apparaissent dans les garde-robes. Le livre de raison de Louis Simon, dans les années 1770, montre sa vie entre Paris et Le Mans. Les élites sont un intermédiaire en servant de modèle. Le budget consacré aux vêtements augmente. La famille de Raymond en Agenais consacrait 5500 livres aux vêtements. Une partie était consacrée à des tailleurs, des modistes de Paris, Bordeaux, Agen. La sensibilité est plus grande aux modes vestimentaires urbaines. La presse et la publicité jouent un rôle intermédiaire important. Le Cabinet des modes, journal parisien, se retrouve dans les bibliothèques provinciales. Le développement des consommations ne peut être séparé de la diffusion de l’information. Celle-ci est particulièrement importante pour apprendre l’usage d’un objet. Les consommations sont façonnées par la croissance des échanges. Le rythme de changement s’accélère par la multiplication des échanges et des contacts.

II) Echanges, intermédiaires et processus d’appropriation : un élargissement des consommations.

A) L’adoption des produits du Nouveau Monde en Europe : une réussite.

1) Le succès des plantes américaines.

Le maïs a un itinéraire varié. Il apparait en Europe par deux voies. Il entre par la péninsule ibérique dès les années 1520, et est utilisé comme une plante fourragère. Il pénètre également par l’Italie et les Balkans. C’est une même innovation qui suit deux chemins différents. Par l’Espagne, le maïs remonte au Sud et au Sud-ouest de la France au XVIIème siècle. Par l’Italie il arrive à l’Est de l’Hexagone. A partir du XVIIème siècle, cette plante devient un élément de l’alimentation humaine (bouillie, galettes). Arthur Young remarque que le maïs est largement implanté dans les campagnes aquitaines. C’est une plante qui a un bon rendement et se substitue au millet. Elle permet la libération d’espaces de culture pour le blé, notamment le froment cultivé pour le marché des colonies et sert donc l’économie de l’échange (via le port de Bordeaux notamment). Dans l’arrière-pays marseillais le blé est de très bonne qualité et est exporté. Il leur est nécessaire d’importer du blé de moins bonne qualité du Nord de l’Europe pour la consommation courante. On assiste à une acculturation du maïs.

Le haricot entre en Europe en 1542 et est cultivé de manière croissante entre le XVIème et le XVIIème siècle. Il remplace les fèves et les doliques. La pomme de terre a un parcours plus difficile. Alors qu’elle est connue à la même époque, elle reste cantonnée à l’alimentation animale (malgré les tentatives de Frédéric II de Prusse). Elle ne se diffuse qu’en période de crise : guerres de Succession d’Autriche et de Sept Ans. Une capacité d’accueil de la culture réceptrice est nécessaire à l’adoption de nouvelles plantes. S’il n’y pas un besoin immédiat de la plante l’assimilation est forcément plus lente. La réception ne signifie pas une consommation identique. C’est le cas notamment pour le chocolat (salé en Amérique, sucré et avec du lait en Europe). Le tabac connait un très grand succès en Europe. A la fin du XVIème siècle, il est encore consommé dans des milieux restreints (gens de mer notamment) puis sa consommation s’élargit : les filles de Louis XIV, selon Saint-Simon, fumaient la pipe. Le processus d’adoption de cette plante montre que l’innovation ne part pas toujours des élites. La plante subit la critique de l’Eglise et de la médecine car souvent assimilé à une drogue. Pourtant, il devient à la mode et se transforme en un produit de luxe. Ainsi, la culture du tabac se développe en Europe au milieu du XVIIème. En 1665 la culture du tabac devient un monopole d’Etat qui en favorise l’implantation aux Antilles pour la France, dans la baie de Cheaspeake (Virginie) pour l'Angleterre. C’est une réponse à une demande européenne. Il y a un phénomène de retour du tabac vers l'Amérique, mais en économie de plantation, à partir d'une plante sauvage.

2) Des échanges à double sens.

Les échanges se font à double sens. Les chevaux par exemple sont introduits au Nouveau Monde. Des plantes européennes comme le froment sont implantées en Amérique. La canne à sucre et le café font partie de l’économie de plantation mais sont originellement des produit d’Orient. Les Européens les introduisent dans les colonies dans le but ensuite d’inonder le Vieux Continent. Les contacts entre les deux mondes s’intensifient, avec des impacts différents. Un des éléments clés, des éléments moteurs, est la consommation. Il faut que les produits soient appréciés.

B) Consommations et zones frontières.

Les frontières sont des zones de séparation en même temps que des lieux d’échange.

1) Entre la France méridionale et l’Espagne.

Il y existe une très grande perméabilité des consommations. Elle s’évalue sur plusieurs critères.

  • La présence de certains produits : dans le SO de la France on note une grande présente de vins espagnols chez les élites, de sardines de Galice ou d’huile d’olive dans les milieux populaires.
  • Les goûts partagés : la cuisine à l’huile d’olive, une consommation limitée de fromage.
  • Des savoir-faire communs : salaison, cuisine faisant appel à la friture et aux grillades, cuisine relevée (épices et aromates).

Cette perméabilité se fait par gradients : plus on s’éloigne de la frontière plus le phénomène est atténué. Le contact et les échanges les plus nets se font dans la région de Bayonne. Le commerce y est très tourné vers l'Espagne. Dans la première moitié du XVIIème siècle Marie-Anne de Neubourg et sa cour, faisant partie de la famille royale espagnole, séjourne à Bayonne laissant une trace de l’influence ibérique très nette : présence de chocolat (on retrouve des chocolatières dans la région dans 51 % des inventaires après décès alors qu’ailleurs ce taux est seulement de 7 %). Bayonne est un îlot de culture ibérique, élément renforcé par la forte présence de Juifs expulsés d’Espagne. Les achats se font directement en Espagne. Dans les menus bayonnais, on note une large présence des olives et des agrumes. Entre Bayonne et l'Espagne, il n'y a que des taxes légères. La consommation de cidre est importante de part et d'autre de la frontière. Les influences fonctionnent autour d'une frontière. C'est une zone qui n'est pas répulsive aux échanges.

2) Les relations entre colons et Indiens en Nouvelle France.

Les zones frontières sont le théâtre de processus de métissage en termes de consommations. On a parlé péjorativement en métropole d’un « ensauvagement » des Canadiens. Les populations sont réduites et les conditions de vie difficiles incitent au rapprochement d’autant que les conditions climatiques sont rudes et les espaces immenses. En outre, le commerce des fourrures induit un contact. Ainsi, des pratiques venues de la culture indienne (cf G. Havard, C. Vidal, Histoire de l’Amérique française, 2007) sont adoptées par les colons : ils portent des mocassins, des peaux de bêtes, se déplacent en raquettes, utilisent des canaux de confection indienne pour se déplacer sur les cours d’eau. Dans l’alimentation on note l’adoption du sagamité, un potage à base de maïs, de riz sauvage, de viande locale, d’huile d’ours… On retrouve le processus dans les pratiques médicales également avec l’adoption de plantes curatives. Ce métissage culturel est à l’origine de la naissance d’une culture nouvelle. Les espaces de contacts sont des espaces de création de nouvelles pratiques, de nouvelles consommations. L’influence se fait aussi dans l’autre sens : des Européens aux Indiens. Ces derniers adoptent le chaudron en cuivre qui transforme leur façon de cuire les aliments, l’eau de vie ou encore les armes à feu.

C) le rayonnement français dans l’Europe des Lumières.

Depuis très longtemps, le XVIIIème siècle est considéré comme un siècle français par l’historiographie : l’Europe est française. On doit ce type de réflexion à Louis Réau, L'Europe française au siècle des Lumières, 1938. Le mythe est remis en cause par Pierre-Yves Beaurepaire. Il y a une logique d'influence. Le modèle français est bien copié par les élites européennes. C'est une acculturation. Le modèle n'est jamais repris à l'identique. Il est adapté aux espaces, aux cultures locales. L'échange crée quelque chose de nouveau, entraîne la réinterprétation. Le rejet du modèle français est aussi générateur de nouvelles formes de consommation.

1) Le succès des modes françaises en Europe.

C’est autour du vêtement que ce succès est le plus net. On a vu que la noblesse polonaise était avide d’habits parisiens. De ce fait, un réseau de diffusion bien construit est en place au XVIIIème siècle (échantillons et mannequins sont expédiés). Les élites se déplacent à Paris qui devient le centre de la mode au XVIIIème siècle. Pour ce qui est de la cuisine, la vogue est également importante. Le goût pour la cuisine française se développe lors de séjours à Paris comme celui du roi Christian VII du Danemark en 1756. A son retour à Copenhague, il fait venir de la vaisselle française et adopter le service à la française à sa cour. En outre, les cuisiniers se déplacent à travers l’Europe. Par exemple Vincent de la Chapelle est au service du prince d’Orange vers la fin du XVIIème-début du XVIIIème, puis se rend en Angleterre et en Lorraine à la cour de Stanislas Leszczinsky. Par ailleurs, les produits français se déplacent aussi, notamment les vins et les champagnes. Ces modes culinaires suscitent des réactions. Elles sont très vives en Angleterre et prennent une dimension politique. Les Wigs, proches de Jack II, introduisent les modes françaises. La gentry réagit en mettant en avant une cuisine plus simple, moins raffinée. Ces réactions induisent des transformations face à la cuisine française mais cette fois en négatif.

2) La cuisine française en Europe centrale.

Quelle est la pénétration de la cuisine française en Europe centrale ? Comment peut-on mesurer la pénétration ? Différents indicateurs s'offrent à nous. Les voyageurs agissent comme des révélateurs dans leur réaction face à la cuisine qu’ils rencontrent et les commentaires qu’ils en font : présence trop importante d’épices, consommation excessive de boisson en Pologne par exemple. En même temps, les récits soulignent que la noblesse polonaise cherche à imiter la cuisine française. La présence de produits français est le deuxième indice. On retrouve très souvent du champagne aux tables étrangères. Pour le port de Dantzig par exemple, 80 % des vins qui y pénètrent proviennent de France. Les produits que l’on retrouve à l’étranger sont très variés : vin, eau de vie, prunes, amendes, huitres (séchées), café… Le troisième indice est la présence des métiers de bouche. De nombreux professionnels de la cuisine française travaillent pour des maisons aristocratiques polonaises, ou en Hongrie (plus limité), ou encore à Vienne (des traiteurs notamment) et à Varsovie où l’on trouve des restaurants d’inspiration française. Les livres de cuisine française ont une présence limitée dans les bibliothèques d’Europe centrale. Certains sont traduits en polonais. En pratique, donc, la cuisine française a une diffusion limitée mais les références qui y sont faites sont nombreuses. La cuisine française devient synonyme de luxe. On observe un élargissement des horizons de consommations grâce aux échanges avec le Nouveau Monde et au progrès économique. La diffusion s’intensifie. Les succès du café et du sucre montrent que la culture européenne peut adopter de nouveaux produits et usages.

3) Le commerce du vin.

C’est un secteur très dynamique. L’échelle est importante et les intermédiaires sont multiples. La nécessité d’un contrôle se fait jour, notamment sur la qualité, la nature et la valeur. On met en place un contrôle de la qualité. La couleur du vin acquiert une certaine importance. On lutte contre la falsification, le frelatage, l'ajout d'eau, d'eau de vie, de plomb. Une garantie est offerte pour les échanges même si elle reste quelque peu empirique. L’une des limites à la multiplication des échanges est le décalage qui existe entre le développement des échanges et le développement du contrôle et de la maîtrise ; la notion de confiance est très importante. Cette limite se maintien tout au long du XVIIIème siècle. Elle laisse du coup la place à la contrebande et à la contrefaçon, signalées par la multiplication des affaires judiciaires.

III)les dynamiques sociales de la consommation.

Dans l’alimentation des élites, le processus de distinction est prévalent dans le comportement de consommation. Les élites ont un rôle de modèle social et induisent une volonté d’imitation. Or les progrès économiques engendrent une diffusion plus forte des consommations. Les échanges se font dans les deux sens et se multiplient. La société est parcourue de dynamiques multiples, elle n’est pas immobile.

A) Diffusion et imitation.

1) Le marché de l’occasion.

Il touche tous les produits. La pratique de vente d’objets d’occasion est extrêmement fréquente jusque dans l’aristocratie. Pour la vente d’habit l’intensité est particulièrement importante. Les merciers récupèrent des produits, revendus à moindres frais à d'autres catégories sociales. Pour l’alimentation c’est le système du « regrat » : on a là un marché très organisé pour l’achat des restes des maisons aristocratiques. C’est une pratique très courante. Les domestiques ont le droit de revendre les restes des repas aux regratières qui les reconditionnent pour les revendre à une clientèle populaire. Ce système renvoie à l’idée de longue vie des produits valable même pour les aliments. Pour les vêtements la revente se fait dans les friperies.

2) Le mont-de-piété : un lieu d’échanges.

Etude de Madeleine Ferrières, 2004. Le système du mont-de-piété permet aux individus de déposer un objet, pour récupérer la somme équivalente. C'est un établissement de crédit, du type crédit municipal. M. Ferrières étudie le dépôt de 58000 objets. On retrouve du linge de maison, de l'argenterie, de la vaisselle. Ils illustrent un « luxe de l'ordinaire ». C'est une source de crédit, permettant d'assouvir un désir de consommation. La population qui fréquente cet endroit se situe dans un entre-deux social. Certains sont à la limite de la pauvreté. Des femmes y déposent un certain nombre d'objets. Au XVIIIème siècle, on observe une hausse de la fréquentation. On dépose des objets dont on peut se passer. On peut mesurer ces formes de consommation, qui ne sont pas nécessaires, comme les robes de coton blanches. Il y a une très grande diversité : bijoux, argenterie, équipement domestique, habits. C'est une voie d'accès au superflu pour les catégories populaires. Il y a une modification du champ des besoins.

B) Les intermédiaires sociaux et culturels.

1) Les populations migrantes.

Elles sont les mieux placées pour permettre les échanges culturels. Par exemple les 6000 maçons du Massif Central vivant à Paris favorisent les échanges entre la capitale et la province. La présence de colonies anglaises à Bordeaux a une influence non négligeable sur la consommation du thé. On relève très souvent des théières dans les inventaires après décès de la région. Chez les élites bordelaises on note la consommation de bière, là aussi sous l’influence anglo-saxonne. C’est une région de vin où la distinction se fait par la bière (importée). A l’inverse les élites lilloises consomment du vin. Les pouvoirs locaux sont réticents à l'élargissement de la consommation. La notion de distinction fonctionne de manière significative.

2) Le clergé.

Le clergé est une catégorie intermédiaire entre les élites et le peuple. Ils favorisent une pénétration de la modernité au cœur des campagnes. Ils sont à la limite entre les élites et le peuple. Les curés polonais possèdent des verres à pied, des théières. En 1749, un prêtre d'Agen est réputé pour se parfumer au jasmin, porter des perruques et posséder une dizaine de chemises…

3) Les domestiques.

Ils représentent 5 à 7 % de la population citadine. Ils fonctionnent par capillarité sociale car si leur origine est populaire, ils fréquentent les élites de près de par leur fonction. Daniel Roche parle d’un rôle de « vulgarisation des micro-progrès ». Dans l'inventaire d'un domestique de Brantôme au XVIIIème siècle on retrouve une théière, donnée par le comte qu'il sert. Ce rôle se manifeste particulièrement au niveau du luxe vestimentaire. C'est un poste de dépense très important. Un ménage de domestiques peut dépenser jusqu'à 50 livres pour son ménage, soit le double des dépenses de la population salariée. Le revenu ne détermine pas seul le niveau de consommation.

Conclusion :

L’histoire des consommations au cours de XVIIIème siècle montre leur accélération qui doit beaucoup à la multiplication des échanges. On a pu sortir de l’histoire sérielle ou anecdotique de l’objet. On a pris en compte la relation entre l’objet et l’individu et associé économie et culture, production et consommation, qui sont variables selon les groupes sociaux. La demande joue un rôle fondamental.

CONCLUSION GENERALE :

  • Pour étudier les consommations, il est indispensable de prendre en compte leur diversité aussi bien entre les pays et les régions qu’entre les différentes sortes d’espaces. Il faut également regarder la diversité sociale. Le luxe, l’ostentation et la distinction jouent un rôle crucial chez les élites. Le peuple reste encore dans des consommations liées aux besoins. Mais tous les milieux intermédiaires sont marqués par ce phénomène. C’est d’ailleurs dans ce groupe là que se construit la société de consommation, au moment où ils se détachent de la nécessité. Ils jouent un rôle de passerelle. D’un point de vue numérique, ils représentent des milliers de personnes. Leur demande amène une réponse adaptée et implique la formation de l’industrie (textile notamment).
  • L’histoire des consommations est une histoire en mouvement qui n’est pas détachée de son environnement : les progrès agricoles, le développement des transports, du commerce maritime, une offre plus importante… Mais ce qui prime est l’accroissement de la demande. La population s’enrichit ce qui entraine une évolution culturelle en termes de rapport à l’objet. Des attentes nouvelles apparaissent (confort, hygiène). Les consommations deviennent de plus en plus des choix individuels.
  • Il n’y a pas de révolution dans les consommations. Leur changement est un processus très lent qui ne peut être mesuré que dans la durée. Les pesanteurs persistent jusqu’aux années 1830. La Monarchie de Juillet marque l’entrée dans une nouvelle ère, surtout au niveau des transports : conservation par le froid, développement de l’industrie textile, standardisation, le développement des villes, entrainent une consommation de masse. C’est seulement à ce moment là que l’on peut commencer à considérer une histoire de LA consommation.