Le Mao UE1 5eme cours 24/10/08

De Univ-Bordeaux

Les sources de l'histoire judiciaire

Introduction

Les documents judiciaires sont très volumineux et rarement classés, souvent difficiles à lire. Ils exigent une connaissance approfondie du droit d’Ancien Régime : droit civil, criminel, institutionnel. Cela concerne toutes les catégories de la société. Les milieux populaires et le monde des marginaux ne sont abordés que par ce type de sources. Dans les années 1970, l’histoire sérielle s’est attaquée aux archives judiciaires, du XVIIIe siècle car plus nombreuses et plus faciles d’accès.

Parmi celles-ci, il y a surtout les sentences des tribunaux d’appel : séries statistiques qui s’intéressent aux crimes poursuivis, aux châtiments infligés, aux caractères des condamnés (âge, sexe, domicile…). Une évolution a lieu dans les types de violence : on serait passé de la violence au vol, c-à-d de l’atteinte aux personnes à l’atteinte aux biens. On a aussi constaté une surreprésentation des hommes jeunes et une tendance à la professionnalisation dans la carrière du crime, l’atténuation de la rigueur des châtiments judiciaires, plus précoce en ville que dans les campagnes. Cela résulterait d’un progrès de la civilisation des mœurs, société plus policée qui aboutit à un meilleur contrôle de soi, et l’image d’un enrichissement du plus grand nombre, opposé à la paupérisation et au déracinement des couches sociales les plus basses.

Ces conclusions ont été critiquées. D’abord pour un problème de sources : basées sur l’appel alors qu’un très grand nombre de poursuites ne dépassent pas le stade de l’information (l’enquête), et cela pour de multiples raisons : désistement de la partie civile, accord à l’amiable, procédures abandonnées faute de preuves, etc. Près de la moitié du volume d’affaires est perdue, cette interprétation est donc faussée, la violence ordinaire n’apparaissant pas. De plus, beaucoup de victimes ne portent pas plainte mais préfèrent s’arranger à l’amiable, pour une plus grande discrétion, une efficacité supérieure et un moindre coût. Toutefois, si ces enquêtes sont biaisées par l’étude de la criminalité, elles sont pertinentes pour une approche de la répression judiciaire.

On préfère donc une approche plus « qualitative » que quantitative et un élargissement chronologique (XVIe-XVIIIe siècle). Mais on s’intéresse toujours aux procédures criminelles et non civiles. On s’appuie non plus sur les sentences mais sur les interrogations des accusés et les dépositions des témoins. On peut cerner un rapport au monde : appréhension du temps, de l’espace et du corps. C’est une façon de mieux connaître les relations sociales, familiales, amoureuses, les conditions de vie matérielle (habillage, logement, alimentation), les croyances (sorcellerie, superstitions), les conditions de travail, etc. Les PV de levées de cadavres de suicidés renseignent sur les habits de tous les jours, des objets divers, etc. Les pistes actuelles sont :

  • justices inférieures ou petite délinquance, celle en tout cas qui fait l’objet de poursuites : laisser de côté les parlements, présidiaux, baillages et sénéchaussées, prévôtés, justices seigneuriales
  • étude de l’infra-justice et de la para-justice : beaucoup de conflits sont traités au sein des communautés car : manque d’argent, peur de la justice, discrétion (dans les cas de viol, adultère, séduction). Mais les accords oraux échappent à nos investigations. Les procédures d’accommodement passent souvent chez notaire. Il arrive que la justice entérine les décisions prises à l’amiable.
  • étude de la justice civile : elle représente 90% des affaires de l’époque, on ne distingue pas nettement le pénal et le civil
  • fonctionnement de la justice : organisation des tribunaux et problème des compétences, le travail des hommes de loi au quotidien, la perception de la justice par les justiciables, étude des stratégies de défense, étude du coût de la justice

I. Pour une étude de la structure : l’institution et ses hommes

A. L’étude de la norme et des institutions judiciaires

La 1ère source est constituée par les textes législatifs, la base est trop souvent négligée, elle est pourtant foisonnante. Le corpus juridique de base est très ancien. Les inventaires de bibliothèques des magistrats – véritables outils de travail – sont comparés à leur travail effectif. Les coutumes sont mises par écrit au cours du XVIe siècle. Les textes législatifs sont émis par les rois successifs, avec notamment une forte codification réalisée par Louis XIV. Isambert a réuni toutes les lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à 1789. Parmi les grands jurisconsultes, on peut nommer Bodin, Loyseau, Jousse ou Muyard de Vouglans. Ils commentent l’organisation et le fonctionnement de la justice.

On est du côté de l’histoire des normes et non du côté de celle de la pratique. Le système judiciaire est organisé selon un mode pyramidal : au sommet, le roi source de toute justice mais qui ne peut rendre toute la justice, ce qui légitime le fait qu’il en délègue l’exercice. Ensuite viennent les parlements qui reçoivent les appels des juridictions inférieures (6 en 1500, 13 en 1789). Sur le même plan se situent les conseils supérieurs. Leur pouvoir s’exerce sur un ressort plus ou moins grand. La Cour la plus importante est le parlement de Paris. Les parlements, avant d’être des lieux de contestation de l’absolutisme, sont d’abord des cours de justice. En-dessous se trouvent les justices moyennes et inférieures : présidiaux, baillages et sénéchaussées, prévôtés, chancellerie, vicomté/viguerie. Ce sont toujours des juridictions royales. Enfin, les justices seigneuriales, les plus nombreuses, elles continuent à fonctionner, en particulier à la campagne mais aussi dans de nombreuses villes. Leur avantage est d’être rapide et proche. En parallèle, il y a des cours extraordinaires : maîtrise des eaux ou forêts (table de marbre), les Amirautés, les greniers à sel.

Ces institutions peuvent être étudiées à partir de 3 types de sources :

  • documents de nature législative qui émanent du pouvoir royal, et qui organisent et modifient le fonctionnement de ces institutions
  • documents qui émanent des institutions judiciaires elles-mêmes : textes d’ordre pratique qui précisent le fonctionnement réel : arrêts de règlement
  • commentaires fait sur le fonctionnement de ces institutions, qui peuvent venir de l’intérieur de l’organisation judiciaire (jurisconsultes) ou de l’extérieur (moralistes) : Dictionnaire de Furetière

B. Personnel judiciaire

Le personnel judiciaire regroupe les juges et les auxiliaires de justice (greffiers, huissiers, procureurs, avocats). En 1665, on recense 70 000 juges et au moins autant d’auxiliaires de justice, qui se trouvent essentiellement dans les villes. A l’exception des avocats, ils sont quasiment tous officiers, soit royaux, soit seigneuriaux. Les charges sont soumises au système de l’achat/vente ; ce sont des contrats notariés qui peuvent faire l’objet d’un traitement en série, pour voir l’évolution du prix des charges, comparer les types de charges, constater la circulation de ces charges. Mais beaucoup de charges sont transmises de père à fils ou d’oncle à neveu et échappent à l’estimation de valeur que permettent les transactions.

Cette question de la vénalité des offices a fait l’objet de débats théoriques pour comprendre la façon dont on conçoit la justice et sa place dans la société. Sur le plan théorique, il appartient au roi de désigner des agents de la monarchie. Mais, dès la fin du Moyen âge, il y a une vénalité accrue des offices : le roi vend une parcelle de l’autorité royale. Cet achat en rend l’officier propriétaire de la charge, à la différence d’un commissaire nommé et révocable par le roi (intendant). Le roi n’a pas les moyens de racheter les offices, aussi cherche-t-il à créer un cours officiel. La vénalité s’est donc inscrite comme un mode de fonctionnement, d’où les polémiques autour de la confusion entre service public et propriété privée. Beaucoup critiquent la victoire de la richesse sur le mérité. Ainsi de Loyseau dans son Traité des officiers. Au XVIIIe siècle, les philosophes mènent une réflexion sur le sujet, ils sont partagés : s’ensuit une polémique entre Montesquieu et Voltaire, ce-dernier l’accusant d’être partial en tant que parlementaire et précisant qu’il est inconcevable que l’autorité royale soit vendue.

On attend beaucoup de ces personnels, d’où les discours sur les qualités professionnelles et morales exigées : harangues ou mercuriales sont des sources précieuses pour cerner ces attentes, prononcées à la rentrée des cours de justice (saint Martin d’hiver : 11 novembre). Les attentes évoluent : l’institution a édité elle-même des exigences en matière de recrutement et de formation, d’âge et de parenté. Exigences qu’il est possible de contourner. Les textes législatifs posent des obligations, on demande aux candidats des pièces justificatives : extraits de baptêmes pour l’âge, diplôme (licence de droit et une année au barreau), enquêtes de bonne vie et mœurs. Des dispenses peuvent être amenées par le magistrat : dispenses d’études relativement rares, dispenses de parenté plus fréquentes pour reconstituer les noyaux familiaux dans les cours de justice, dispenses de services. Ces magistrats sont contrôlés par le procureur général (un homme du roi), l’intendant et en dernière instance par le roi : tout particulier peut s’adresser directement à lui pour réclamer une justice équitable ; l’intermédiaire important étant dans ce cas le chancelier qui s’adresse au premier président de la compagnie (ensembles des officiers d’une institution) pour veiller au règlement du problème). Il y a plusieurs types de sources :

  • notes secrètes (enquête sur la justice commandée par Colbert dans les années 1660) : pour avoir un panorama de la justice et des rapports entre le parlement et l’intendant
  • les rapports des intendants donnent un état des lieux des cours de justice
  • correspondance du chancelier avec le 1er président d’une Cour
  • littérature généralement hostile à la magistrature qui constitue une source précieuse mais à utiliser avec précaution car on y use beaucoup de stéréotypes

Ces rapports émanent souvent d’adversaires plus ou moins hostiles aux officiers. La nature même de ces sources les portent à insister sur les défauts sans jamais évoquer les qualités.

Tous les officiers du royaume sont pourvus en leur charge par lettres de provision émanant du roi. Cela concerne les magistrats, huissiers, gendarmes, notaires et même les bourreaux. C’est à partir de ces pièces qu’on peut reconstituer le personnel judiciaire. Contrairement aux lettres de commission longues et personnalisées, celles-ci sont stéréotypées. On trouve cependant parfois des éléments sur la carrière antérieure du magistrat, sur les services rendus, parfois un éloge de la famille (généalogie). Ces lettres de provision font également mention des dispenses demandées.

Après vingt ans de charge, il y a les lettres d’honorariat. Cela permet un rappel sur certains éléments de la carrière.

Il est difficile de connaître le temps du magistrat au quotidien. Certains se sont toutefois exprimés sur leur travail : ainsi de Labat de Savignac, conseiller au parlement de Bordeaux, qui a laissé un document où il a écrit tous les jours de 1708 à 1720 ce qu’il a fait dans la journée. Cela permet de savoir le travail qui est effectué. Il peut aussi y avoir des papiers laissés par un juge (fonds personnel) ou des papiers publics (procédures judiciaires : nombre et fréquence des procès, temps consacré à chaque affaire, façon de procéder, spécialisation éventuelle)

Le monde judiciaire est celui de la diversité, il y a loin du riche parlementaire au petit huissier : il faut mobiliser les ressources classiques pour l’étude des groupes sociaux. C’est une approche largement menée pour le XVIIIe siècle, plus rare pour le XVIIe. Cela reste à faire pour les cours subalternes. Pour cela, on utilise :

  • les contrats de mariage : réseaux familiaux, niveaux économiques, comportements démographiques, structure des fortunes
  • testaments : partages successoraux, pratiques religieuses (nombre de messes demandé, honneur funèbre, choix de la sépulture, pratique de l’assistance aux pauvres), étude des descendances, des relations familiales (mari/femme, parents/enfants), des choix d’exécuteurs
  • inventaires après décès : cadre de vie, niveau culturel et pratique professionnelle (inventaires de bibliothèque, caisse de papiers conservés, inventaires des papiers – achat d’office, carrière).

Les résultats peuvent être contrastés, mais il y a des solidarités institutionnelles, économiques, sociales et culturelles.