Coste UE2 1er cours 25/09/08

De Univ-Bordeaux
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La Renaissance: le savoir et la science en question

Introduction

Jusqu’au XVe siècle, les milieux savants s’appuyaient sur des systèmes de classification inspirés d’Aristote. A la Renaissance, ce système bouleversé par trois faits majeurs : élargissement du monde connu (nouveaux continent, peuples, faune, flore) découverte de textes oubliés : manuscrits réécrits (sous une première couche d’écriture), arrivée de textes provenant de Constantinople après son invasion en 1453 (textes néoplatoniciens et hermétiques) découverte de nouvelles applications (pratiques) en mathématiques

I. Les classements traditionnels

A. L’opposition entre ars et scientia

La scientia était la science théorique, l’ars un savoir pratique, avec une supériorité accordée à la scientia et un mépris de tout ce qui est mécanique. Echelle de valeurs tout droites venue d’Aristote, et qu’on trouve chez Platon.

Pour beaucoup, ce sont deux mondes séparés, pour d’autres en revanche l’ars a besoin de la scientia, mais non l’inverse. D’autres enfin combattent la primauté de la scientia sur l’ars.

B. Opposition entre le savoir spécialisé et le savoir universel

Jusqu’au XVIe siècle [et surtout l’arrivée de Descartes] on privilégie le savoir universel sur le savoir spécialisé : ainsi avec Ange Politien (1454-1492) et Pic de la Mirandole (1463-1494). Dans le Gargantua de Rabelais, on rencontre l’écho de cette volonté de savoir universel.

C. Opposition entre savoir public et savoir privé

Il y a des savoirs secrets qu’il est dangereux de diffuser : secrets d’Etat, secrets de la nature –secrets alchimiques)

Certains savoirs doivent être réservés à une élite, des initiés : il y a ainsi les gnostiques (textes sacrés) et le savoir hermétique (« hermétisme » : savoirs secrets révélés pas Hermès, qui ne doivent pas être divulgués au commun des mortels).

Le paradoxe de cette volonté de secret se fait jour avec l’apparition de l’imprimerie qui favorise la diffusion des savoirs : savoirs pseudo-scientifiques, alchimiques, ésotériques. Le plus célèbre ouvrage en la matière est le Corpus hermeticus, élaboré au IIe siècle dans les milieux gnostiques, traduit et commenté notamment par Marsile Ficin (1453-1499) en 1464. Beaucoup de médecine et de pharmacopée sont concernés par cette diffusion plus large.

D. Les savoirs légitimes et les savoirs interdits

Les savoirs légitimes sont autorisés : issus de la pratique (paysans…), présents dans les collèges et universités. Il y a également des savoirs interdits, qui doivent échapper à la curiosité, étant l’affaire de Dieu : l’astrologie et la magie.

L’astrologie est à la charnière, car astronomie et astrologie ne sont pas tout à a fait séparées, certains aspects sont ainsi considérés comme légitimes : ainsi de l’astrologie naturelle (les astres influencent la Terre, le climat…), au contraire de l’astrologie judiciaire (destin et caractère d’une personne déterminés en fonction des astres) qui est interdite, notamment par un traité espagnol de 1483, puis de façon égal par protestants et catholiques au XVIe siècle car seul Dieu doit disposer du destin du monde. Seules les autorités utilisaient ce savoir interdit.

La magie (noire particulièrement) est interdite car elle est supposée être le résultat d’une initiation faite par le démon : pratiquer la magie, c’est donc avoir apostasié (renié Dieu). En 1484, le pape Innocent VIII fulmine la bulle Summis desirantes affectibus recommandant de réprimer les légions du diable à l’œuvre. L’Inquisition recherchait les sorcières, les dominicains ont même publié un manuel à ce sujet en 1487 : Le marteau des sorcières de Sprenger et Institoris.

[Une polémique entre historiens a lieu sur les raisons profondes – voire inconscientes – de cette chasse aux sorcières : il se pourrait que cela s’inscrive dans une volonté de contrôle des provinces limitrophes et du savoir féminin.]

E. Opposition entre arts libéraux et arts mécaniques

A l’époque hellénistique, les arts libéraux étaient les activités réservées à l’homme libre, indépendant, alors que les arts mécaniques allaient aux esclaves. Dans les collèges et les universités, on ne peut s’occuper que d’arts libéraux. Adaptés au monde chrétien, par saint Augustin notamment, ils ont été divisés en deux :

  • le trivium : l’art de l’éloquence qui convient aux avocats, aux théologiens et aux médecins : grammaire – rhétorique – logique
  • le quadrivium qui s’occupe des nombres : arithmétique, géométrie, astronomie, musique

En théorie cette partition perdure jusqu’à l’époque moderne, mais dans les faits elle est remise en cause dès le XIIe siècle, notamment par l’importation des connaissances arabes en Occident : Al Farahi et Ibn Sina y ont ainsi apporté la physique et les sciences morales et politiques.

II. Un nouvel ordre de la connaissance

A. L’évolution des études universitaires

Certains professeurs ont la volonté de rehausser le prestige du quadrivium et de sortir du schéma binaire et réducteur existant. Dès la fin du XVe siècle, on le constate avec Politien et Pic de la Mirandolle qui veulent qu’on enseigne de nouvelles matières : économie, histoire, politique. Politien a dans ce sens écrit le Ponepistemen.

Certaines universités s’adaptent à ces innovations. Ainsi, à Rome en 1513 est ouverte une chaire de philosophie. En 1533 à Padoue une chaire de botanique. A Heideberg la géographie (dont est chargé Sébastien Münster). Beaucoup restent cependant figées, contournées par de nouvelles structures ne dispensant pas un savoir universitaire. Parfois, celles-ci sont créées à l’initiative des souverains : en Angleterre, Henri VIII crée « Trinity house » pour former à l’art de la navigation. François Ier en France encourage Guillaume Budet à enseigner de nouvelles matières (hébreux).

B. L’essor de certaines disciplines

Apparaissent ainsi à la Renaissance de nouvelles disciplines, descriptives (botanique, anatomie) ou relevant d’applications pratiques des mathématiques (mécanique, dynamique). Cet essor se fait au détriment des anciennes disciplines. La botanique reposait jusqu’à là sur le De natura rerum de Pline. On critique désormais Pline, ses traductions, certaines de ses remarques, tout en restant tributaire de sa méthode. Pour l’histoire naturelle, on utilise deux méthodes : l’observation directe et les témoignages (voyageurs, autorités). Il peut ainsi y avoir des ouvrages révolutionnaires vis-à-vis de Pline mais comportant des témoignages farfelus.

On s’intéresse à la nature, aux animaux. Guillaume Rondelet s’est lancé dans l’observation des poissons dans la mer méditerranée : c’est lui qui différencie les mammifères des poissons. Dans la botanique, on constate que Pline n’est pas complet : il manque les plantes du Nouveau Monde. Utilisant les méthodes de Pline, les botanistes ont des difficultés à classer celles-ci. D’où la rupture de certains avec les méthodes de classification traditionnelle. Ainsi avec l’espagnol Monardes en 1565 dans un ouvrage en langue vulgaire où il parle de toutes les plantes nouvelles : cacao, rubarbe (des Indes), tabac.

Les polygraphes diffusent les savoirs. Un parisien Jacques Gohory le traduit et publie en 1572 Instructions sur l’herbe Petum ditte en France l’herbe de Rome.

C. La généralisation de l’abstraction mathématique

A la Renaissance, on remarque de plus en plus que le raisonnement mathématique peut trouver des applications concrètes dans la nature. On rompt avec l’idée d’Aristote qui considère que cette science ne s’applique qu’à un monde céleste et parfait. Le raisonnement mathématique peut servir pour la navigation, la cartographie, la balistique, la dynamique.

Les mathématiques ne sont alors plus considérées comme une science inférieure. Il y a un grand débat au début de la Renaissance pour déterminer comment classer les sciences ayant un rapport aux mathématiques. Ange Politien et Georgio Valla utilisent comme base un mathématicien de l’Antiquité redécouvert, Germinus de Rome, qui les avait classé en deux groupes : les mathématiques pures (géométrie et arithmétique) et les mathématiques sensibles (optique, astrologie).

D’où des dissensions parmi les savants. Les mathématiques pratiques sont soutenues par les ingénieurs (militaires) et les architectes qui y voient la possibilité de rehausser leur place dans la société. Un grand mathématicien italien

Federico Commandino (1509-1575) développe l’idée que la mesure est un caractère de scientificité [= le PIB est une mesure scientifique, donc objective, donc juste… du bonheur ?]. Il présente un tableau en arborescence pour classer les mathématiques selon deux grandes branches : l’arithmétique et la géométrie. Cette-dernière est subdivisée en 3 catégories : géométrie abstraite (points, lignes), intellective (théorèmes), sensible (géodésie).

Conclusion

Peut-on parler d’une science de la Renaissance ? Certes, il y a une vision nouvelle, mais les contemporains ne la perçoivent pas. Ce sont les historiens qui, a posteriori, ont reconstruit le processus de révolution scientifique de la Renaissance. Mais on reste très dépendants des savoirs antiques et médiévaux. Il faut distinguer ce qui relève de la simple imitation et ce qui relève de la véritable innovation.

Bibliographie

  • P. Brioist : La Renaissance. 1470-1570, 2003
  • P. Béhar : Les langues occultes de la Renaissance, 1996
  • L. Pinon : Livres de zoologie de la Renaissance, 1995
  • S. Higoshi : Penser les mathématiques au XVIe siècle, 2006

Pour l’histoire des mathématiques :

www.lycee-international.com /travauxHIST/MATH