Bouneau UE2 12eme cours 18/12/08

De Univ-Bordeaux

Innovations et communications : une interaction permanente en Europe occidentale de la fin XIXe à la 2nde Guerre mondiale

Introduction

L’innovation doit être distinguée des termes de système et de réseau. Selon Bertrand Gille, un système technique est un ensemble d’éléments techniques cohérents replacés dans l’environnement économique, social, politique et culturel. Le système technique rend roi la technologie. Le réseau est la transcription spatiale, matérielle ou immatérielle, d’un système technique. Par exemple, le chemin de fer est un système technique, un réseau matériel. L’électricité est matérielle et immatérielle, de même qu’internet.

L’économie de l’innovation ne s’est établie que dans la fin des années 1970 avec le triptyque « invention, innovation, diffusion ». L’invention est mesurée par les brevets (patents), l’innovation par la R&D, la diffusion par la commercialisation.

I. Innovation et puissance de la technologie

L’innovation est un enjeu de puissance nationale qui fait partie de la géostratégie. Elle s’inscrit dans une compétition. La technologie est un enjeu majeur de communication. La diffusion se fait par le biais d’un enchaînement : « réclame individuelle, publicité, marketing ». Ce qui affecte directement la technologie puisqu’elle met en relation l’offre et la demande. On construit des stades de communication qui vont jusqu’à la propagande.

A. Le cercle vertueux de la seconde industrialisation

Une vision classique fait de la seconde Révolution industrielle une success story, et c’est apparemment la plus cohérente. Elle repose sur l’enchaînement sans conflit dramatique entre les grappes d’innovations de la 1ère RI et celle de la 2ème dans les années 1870-80. Chaque nouvelle grappe d’innovations majeure naît d’une crise, en l’occurrence la Grande Dépression. La révolution informatique est liée à la crise des années 1970 et à des enjeux géostratégiques (origine militaire d’internet).

La sidérurgie moderne naît avec le convertisseur Bessemer en 1856 qui produit de l’acier. C’est ensuite une innovation de procédé avec le procédé Thomas Gilchrist en 1878 qui permet de traiter les minerais de fer phosphoreux. Fin XIXe siècle, l’acier électrique.

Il y a eu conflit entre l’électricité et le gaz : les usines à gaz se développent dans les années 1820 à partir du charbon ; l’électricité supplante ensuite le gaz dans les années 1890 pour l’éclairage, mais le gaz conserve son utilité pour la cuisine et le chauffage.

Dans la 2ème RI, on distingue 3 générations :

  • 1ère génération préparatoire de grappes d’innovations qui concernent largement la sidérurgie. Seul le procédé Thomas Gilchrist permet une multiplication des bassins sidérurgiques.
  • 2ème génération fondée sur la chimie et l’électricité. La chimie est une grappe d’innovations et un enjeu de réseau. L’élément déclencheur est dû au belge Solvay en 1861 qui met au point un nouveau procédé de fabrication de la soude, qui a bouleversé les bases économiques de la chimie minérale. C’est une innovation de procédé radicale. Dans les années 1880, l’invention des colorants artificiels a permis l’émergence de la chimie organique (= de synthèse). La soude et les colorants artificiels modifient profondément la puissance des industries chimiques nationales. Jusque là, la France et la Grande-Bretagne dominent ; à partir de là c’est au tour de l’Allemagne et des USA. Très vite en Allemagne, les entrepreneurs, le Reich et les universités comprennent que c’est un facteur de puissance. Entre 1902 et 1918, l’Allemagne décroche 6 prix Nobel de chimie, dont font partie Adolph von Baeyer en 1905 et Fritz Haber en 1918.
  • 3ème génération fondée sur l’automobile et l’aéronautique

La diffusion de l’innovation est donc protégée (patents) et reconnue (Nobel). Le prix Nobel est un enjeu de puissance technoscientifique et géopolitique et géostratégique. La chimie est le secteur d’investissement en recherche le plus important. On y articule la recherche pure et la recherche appliquée (R&D). En Allemagne, le système universitaire est très connecté avec l’industrie. C’est un véritable complexe industrialo-universitaire. La Weltpolitik menée par Guillaume II à partir de 1890 vient sans doute de son interpénétration avec le complexe militaro-industriel. Dans l’industrie chimique, les laboratoires demandent des investissements énormes. Ce sont des industries très capitalistiques, y compris dans la phase de recherche (fondamentale ou appliquée). C’est également le cas dans l’industrie nucléaire depuis la fin de la guerre : on y porte de gros investissements, leur amortissement s’opérant sur le long terme.

De 1880 à la 1ère Guerre mondiale : période de concentration exceptionnelle d’innovations dont l’influence a modifié radicalement l’économie et les modes de vie. La 2nde Révolution industrielle est marquée par la rapidité de propagation des grappes et innovations, les mutations de système très rapides. Le système électrique par exemple modifie tout : l’urbanisation, les modes de vie, et même la peine de mort ! Avec l’éclairage électrique, qui peut être permanent, les comportements humains changent, jusqu’aux modes de reproduction naturelle. L’art incorpore aussi l’électricité ; ainsi avec le cinéma. Sans électricité, pas de révolution des communications ! Les expositions internationales jouent un rôle majeur en favorisant les grappes de l’innovation et en mettant en scène la puissance technologique des Nations. Ainsi en 1893 à Chicago ou à Paris en 1900 où un pavillon de l’électricité est dressé qui accueille l’ « art 1900 » (modern style). En 1937, l’exposition universelle de Paris consacré un pavillon à la publicité, qui vante les systèmes techniques. Ces expositions s’accompagnent de constructions, telles que le Petit et le Grand Palais en 1900 ou le Trocadéro en 1937. Une exposition internationale d’électricité a lieu en 1881. C’est le triomphe du système électrique, l’avènement de la 2nde Révolution industrielle. Le héros du moment est Thomas Edison, qui fait le lien en comprenant que la grappe d’innovations est un système. Il met à partir de là au point une stratégie de communication (propagande), et comprend que l’innovation est un enjeu géopolitique pour les puissances nationales. En Europe, Edison a des équivalents : les dynasties allemandes des Siemens, des Krupp (systèmes d’armement) et les frères Rathenau. En France, Michelin (pneus), Schneider (sidérurgie) et Citroën (automobile) sont leurs pendants.

B. Un secteur décisif pour la diffusion de la 2nde industrialisation : la constitution d’une économie de l’énergie

La 2nde Révolution industrielle est marquée par un lien étroit entre énergie, transport et environnement. L’environnement est pensé de façon minimale en termes de construction de territoire, avec des conflits d’usage, comme ceux entre l’industrie chimique et les zones d’habitation. Toutefois, certains signes précurseurs annoncent l’intérêt écologique ; ainsi avec la création au début du XXe siècle par Théodore Roosevelt des parcs naturels.

La nouveauté réside dans l’interaction permanente entre transport et énergie. Mais la révolution électrique s’inscrit dans une évolution plus large. La machine à vapeur fait des progrès jusqu’au cœur du XXe siècle. L’équipement des navires est une combinaison entre la machine à haute pression et les turbines à vapeur utilisées surtout dans le domaine hydraulique. Jusqu’à 1914 il y a compétition entre Français (en 1901 : turbine multicellulaire d’Auguste Rateau), Anglais et Américains, entre les cuirassés et les paquebots sur la vitesse, le tonnage, le rayon d’action, etc.

Il est à noter le rôle très important du perfectionnement des machines-outils, celles-ci étant un élément de puissance. A la fin du XIXe siècle, les Etats-Unis dominent, augmentant la productivité considérablement. Frederick Taylor innove en 1906 avec la mise au point du procédé d’acier rapide pour les machines-outils. Il transpose ensuite une pensée machiniste sur une pensée d’organisation humaine. Les machines-outils influent donc sur l’organisation scientifique du travail par le vecteur d’une réflexion globale sur les cadences. Appliqué dans l’automobile, le taylorisme s’est mêlé au fordisme. Il s’agit d’une volonté de maîtrise totale de la vie humaine et, plus particulièrement, du facteur travail, propre à la culture américaine. Ainsi avec la cybernétique (automatisation), on cherche à éliminer les cas exceptionnels, à rendre tout le processus de production prévisible. Cette automatisation peut devenir autonomisation, selon les analyses de Jacques Ellul.

La 2nde Révolution industrielle passe par la question de la motricité de la mobilité, avec le triomphe de la vitesse. Le moteur thermique ou électrique est au cœur des enjeux de communication. Le triomphe du moteur à explosion n’était pourtant pas évident. Le moteur électrique et le moteur à vapeur classique pouvaient l’emporter dans le domaine de l’automobile. Aux USA, en 1902, il existe plus de voitures électriques que de voitures à moteur à explosion. Les fondements techniques de la voiture électrique sont donc en place dès le début du XXe siècle, de même que les problèmes d’accumulation énergétique qui lui sont liés. Dans le domaine aéronautique aussi, les choses n’étaient pas évidentes : en 1897, le premier avion de Clément Ader est équipé d’une machine à vapeur. Le moteur à combustion interne s’impose finalement grâce aux grappes d’innovation allemandes. En 1878, l’ingénieur allemand Otto présente à l’exposition universelle de Paris un moteur fiable, puissant et relativement discret. L’allumage électrique est mis au point en 1886 par Karl Benz. Le 1er carburateur à gicleur est inventé par Maybach en 1893. Diesel, ingénieur universitaire, publie en 1893 un traité intitulé Théorie et projet d’un moteur thermique rationnel. Son 1er prototype est prêt en 1893 : c’est le moteur diesel. Le diesel se développe en Allemagne puis en Europe à partir de 1908, notamment pour équiper les camions. Le moteur à explosion triomphe difficilement dans le transport aérien avec la concurrence des aéronefs « plus légers que l’air », les héritiers des montgolfières. Avec les engins du comte Zeppelin faisant la liaison entre les USA et l’Europe. Mais le plus lourd que l’air s’impose. Le 1er avion fiable date de 1909 : c’est le monoplan de Louis Blairiau, équipé d’un moteur à l’avant et d’un gouvernail rudimentaire. Il réalise alors la traversée de la Manche. Rolland Garros notamment a laissé son nom pour ses exploits. En 1915, l’aviation devient militaire.

C. La grappe d’innovation dans le domaine de la communication et des médias

A priori, les secteurs de la communication transcendent les frontières nationales : ils sont considérés comme un progrès universel, dans la lignée de l’utopie saint-simonienne qui considère que communiquer est un bien en soi. C’est la vision technophile de l’hypercommunication. Dès 1865 est créée l’Union télégraphique internationale. Avant même le chemin de fer, c’est le 1er organisme technique international, il symbolise la genèse de la technocratie internationale.

Le téléphone avec Bell et Edison se déploie dans les années 1880. L’innovation majeure, c’est le développement aux Etats-Unis et en Europe des centraux automatiques dès les années 1890.

La TSF (télégraphie sans fil) est l’invention de Guglielmo Marconi qui émigre en 1896 en Grande-Bretagne pour la commercialiser. La TSF est un enjeu de communication, mais aussi géostratégique : le Post office, l’Amirauté et le War office en achètent le brevet pour avoir la suprématie. La Grande-Bretagne dominait déjà sur les câbles télégraphiques en quantité comme en qualité, ce qui l’a faite hésiter à investir. Mais l’essor de la radio a été favorisé par la coupure des câbles de la Grande-Bretagne par les Allemands durant la 1ère Guerre mondiale.

La France est pionnière sur le cinéma avec les frères Lumière entre 1895 et 1900. Eux aussi ont une pensée systémique, s’occupant de l’équipement, des pellicules et de la distribution. A partir des années 1908-1910, les USA et la Grande-Bretagne l’emportent.

Les grappes d’innovation sont toujours un enjeu de puissance derrière les discours pacifistes et technophiles.

II. L’accélération de la Grande guerre

Dans la typologie des crises, on retrouve certes les crises économiques globales : Grande dépression, crise des années 1930, crise des années 1970-80, crise actuelle. Mais le stade suprême de la crise est représenté par le conflit de grande envergure : les deux guerres mondiales, qui sont des conflits globaux et totaux, où le rôle des technologies est essentiel. C’est avec la Grande guerre que l’on passe d’un siècle à l’autre, c’est une période de rupture. Lénine disait : « la guerre est un accélérateur de l’histoire ». La 1ère GM a fait jouer la synergie entre l’innovation technologique et toutes les formes de communication, même si globalement on retient surtout l’industrie lourde de la production massive d’armes et de munitions, et même si on fait l’erreur de penser que la victoire est venue d’un système fortifié, d’une guerre de tranchée, conduisant plus tard à la ligne Maginot alors qu’elle est venue de nouveaux systèmes techniques comme les chars d’assaut et l’aviation.

A. La croissance de l’intervention de l’Etat

Progressivement s’organise une économie de guerre. Celle-ci demande une intervention croissante de l’Etat. Elle reconnait, généralise et fournit les bases de l’interventionnisme de l’Etat au nom de l’organisation de l’économie de guerre : il s’agit alors de coordonner Etat-major et grande industrie, front et arrière.

La première innovation organisationnelle concerne la main-d’œuvre : mobilisation totale de la main-d’œuvre et de nouvelles catégories, telles que le « capital humain » colonial (tirailleurs sénégalais) pour servir de chair à canon mais aussi pour l’industrie (200 000 travailleurs : ½ d’Afrique du Nord, ¼ d’Indochine).

La deuxième innovation organisationnelle concerne aussi la main-d’œuvre : mobilisation des femmes pour lesquelles les tâches ne sont plus sexuées compte tenu des besoins non compensés de l’économie. En Allemagne, entre 1913 et 1918, la part des femmes dans la main-d’œuvre industrielle est passée de 22% à 35%.

La troisième innovation organisationnelle touche à l’encadrement, à la direction, avec notamment la création de nouveaux ministères. En France, c’est l’Union Sacrée : le Député socialiste Albert Thomas (créateur plus tard du BIT) est nommé à la direction de l’Armement, administration transformée en ministère de l’Armement en décembre 1916. L’entrepreneur Louis Loucheur lui a ensuite succédé, après avoir été son sous-secrétaire d’Etat à l’Artillerie et aux Munitions. L’Etat intervient partout pour contrôler le marché et les commandes, il organise l’économie de guerre, notamment en France et en Allemagne. Il s’efforce d’unifier les méthodes et standards, sur l’exemple américain : création d’une commission permanente de standardisation en juin 1918. L’Etat favorise cette standardisation pour l’armement bien sûr, mais aussi de façon globale (automobile, etc.). L’Allemagne va très loin dans l’organisation, touchant même à l’alimentation : c’est le rationnement.

B. Le maintien des caractères stratégiques des industries lourdes

Pour la sidérurgie, le caractère stratégique repose surtout sur l’acier électrique. L’industrie chimique est plus importante. Elle est polymorphe, a des usages multiples, pacifiques ou guerriers. Pour un usage guerrier, il y a par exemple la dynamite d’Alfred Nobel ; la production d’explosif est décuplée pendant la 1ère GM. Mais on compte également des avancées dans le civil, via l’industrie pharmaceutique et médicale avec des progrès dans la mise au point de l’aspirine. L’industrie des colorants est aussi concernée : en raison de la saturation des colorants naturels (provenant du Chili), on se tourne vers les colorants synthétiques, notamment en Allemagne.

Le secteur le plus innovateur, anticipant la 2nde GM, est celui des gaz de combat, avec une compétition acharnée dans la fabrication de produits toxiques et de protections (antidotes, masques), cependant rapidement dépassées par le potentiel destructeur. Fritz Haber a un rôle très ambigu : il est prix Nobel en 1918, malgré sa production de gaz suffocants, irritants et toxiques. En novembre 1918, ¼ des obus contiennent un agent chimique. Les Allemands en sont à l’initiative, employant massivement les gaz en 1915 à Ypres. L’Allemagne est d’ailleurs à ce sujet déclarée coupable par le Tribunal de La Haye. Sa chimie est affaiblie par le traité de Versailles qui met à la disposition des industriels Alliés les brevets les plus importants. Toulouse a obtenu l’implantation de l’Office national industriel de l’azote.

C. Industries nouvelles et grands réseaux

La Grande Guerre a été une succession de phases de guerres de position et de mouvement. L’innovation dans les formes de mobilité peut alors faire pencher la balance, dans le domaine physique comme dans celui des informations. La GG a assuré le triomphe de l’automobile et du moteur à explosion, notamment par la mobilisation des taxis parisiens au moment de la bataille de la Marne. Cela devient un avantage comparatif. Au-delà, les commandes se multiplient parce que les industriels construisent véhicules, camions, chars et obus, ce qui donne de grands profits de guerre à Renault et à Citroën. Renault est alors le constructeur le plus adaptable avec la production des blindés les plus performants. En 1918, seuls les Français ont développé un char léger, de fabrication massive, capable d’appuyer l’infanterie et de passer à des guerres de mouvement. Les chars anglais sont eux très lourds, tandis que les Allemands sont passés à côté de cette innovation.

Pour l’aviation, la compétition technologique est acharnée entre l’Allemagne, la France et l’Angleterre puisque, constamment, dans le domaine de la chasse, chaque camp reprend à tour de rôle l’avantage sur les autres. Les avions allemands étaient plus rapides et avaient un plafond plus élevé que les avions français, ils ont pris l’avantage en 1915-16 suite à l’innovation du Hollandais Fokker pour le dispositif de tir à travers les hélices. Alors qu’il n’y avait que 5 000 avions (plutôt des aéronefs) dans le monde en 1914, 200 000 ont été construits durant la guerre.

Cette accélération est plus visible pour les télécommunications. La 1ère GM amène l’utilisation de la TSF pour les opérations militaires quotidiennes à toutes les échelles, simple unité ou coordination globale, surtout pour les liaisons radio entre l’Europe et les USA. En Aquitaine, la Croix-d’Hins est une station télégraphique entre l’Angleterre et la France. L’italien Marconi en Grande-Bretagne, Telefunken en Allemagne et la société française radioélectrique (SFR) et Ducretet en France fournissent les armées pour les communications à moyenne et longue distance (USA, Russie), alors que les câbles télégraphiques ont été coupés par les sous-marins allemands. C’est une évolution classique : on passe du prototype à la production en série.

III. Les logiques d’innovation face à la « grande crise » et au 2nd conflit mondial

Il y a une dichotomie entre les secteurs les plus sensibles aux cycles économiques et les entreprises contra cycliques ou simplement moins exposées.

Pour les secteurs les plus exposés, on peut noter l’industrie automobile, y compris dans ses mécanismes d’innovation. La production recule nettement en Europe, mais moins qu’aux USA où c’est un véritable effondrement.

Les télécommunications sont quant à elles contra cycliques : la radio poursuit sa progression dans les années 1930 car c’est une innovation jeune et mobilisable à des fins politiques (programme de Goebbels en Allemagne ou « discours au coin du feu » de Roosevelt pour les démocraties). Les médias sont donc abrités, le téléphone européen continuant lui aussi sa progression, le financement du réseau téléphonique étant le fait des administrations, tandis que les commerces urbains s’équipent dans les années 1930.

A. Le modèle de la Grande-Bretagne : de la léthargie au sursaut

Globalement, la Grande-Bretagne est presque contra cyclique. Elle est plus en crise dans les années 1920, du fait du déclin des « pays noirs » et de la stagflation, que dans les années 1930. En revanche, la crise étant très grave au début des années 1930, les politiques mises en place en Grande-Bretagne ont été les plus efficaces en régime démocratique. Elles sont pragmatiques et sans vision d’ensemble :

  • dévaluation rapide permettant de limiter l’anéantissement du commerce extérieur. En même temps, la G-B en situation de crise et de guerre dispose d’un avantage comparatif majeur : elle peut s’appuyer sur sa puissance coloniale, partagée entre colonies et dominions (Australie, Canada, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande). La France a un Empire nettement moins important, d’où le Cartiérisme des années 1930 qui préconise une décolonisation au profit d’un néocolonialisme économiquement plus profitable
  • politique de lutte contre le déclin industriel avec une politique d’aménagement du territoire
  • politique systématique d’innovation, en partie grâce à la dynamique du tissu universitaire du milieu scientifique et technique (ambigüité public/privé). La BBC dispose d’un marché dynamique pour la radio. Les exportations de matériels radiophoniques britanniques explosent. Les Anglais, dès les années 1930, développent l’aéronautique et le radar, les antibiotiques et la recherche nucléaire

B. La France : des adaptations insuffisantes

La France est touchée plus tardivement, mais plus gravement et plus durablement et entre en récession profonde. Elle y oppose des adaptations très limitées, c’est un calvaire pour son industrie chimique, et plus encore pour son industrie automobile. Citroën, surnommé « l’Américain » dans les années 1920 pour ses investissements dans l’innovation (traction avant), connaît un grave échec dans sa politique de communication et de sponsoring et est racheté au bord de la faillite en 1935 par Michelin.

Certains secteurs s’en tirent cependant mieux par l’innovation. C’est le cas de l’industrie radioélectrique et téléphonique : 800 000 récepteurs radio sont produits en 1939. En 1940, les secteurs d’innovation dynamiques sont quand même réduits.

C. La progression en Allemagne d’une logique industrielle de guerre

Lorsque les nazis arrivent au pouvoir en janvier 1933, le Parti National-socialiste est censé avec un programme anticapitaliste. Mais, depuis le « pacte de Francfort » entre Hitler et les grandes industries, le PNS le met entre parenthèse contre un soutien financier et industriel pour l’industrie de guerre. Les SA, hostiles à cet arrangement, sont éliminés en 1936 lors de la « nuit des longs couteaux ».

En 1936, Hermann Göring prend la tête de l’économie, c’est l’occasion d’une mutation de l’industrie avec le « plan de quatre ans » qui prévoit la militarisation totale de l’Allemagne pour parvenir à l’autarcie. D’où une innovation organisationnelle et technologique avec la recherche de produits de substitution, les ersatz. On retrouve cette militarisation avec le ministère de la propagande de Goebbels. Celui-ci, dès 1934, demande aux industriels de fournir des récepteurs à bas prix et ne pouvant recevoir que les ondes nationales à l’ensemble de la population.

De nouvelles structures sont créées à partir de 1938 par Albert Speer, ancien architecte, fidèle d’Hitler et organisateur des fêtes nazies à Nuremberg. Devenant en 1942 ministre des armements et de la production de guerre, il mobilise toutes les structures de l’industrie en créant des anneaux de charge de fournitures. L’innovation allemande durant la 2nde GM égale celle des USA.

La 2nde GM est une nouvelle étape dans le dirigisme économique, particulièrement en France sous Vichy, sans que cela soit lié uniquement au chantage allemand et à la collaboration. Dans le cadre de la révolution nationale, sont définis de nouveaux rapports entre l’Etat et l’économie :

  • il y a échec du corporatisme (pris sur les modèles franquiste et fasciste)
  • les 1ères formes de planification à partir de 1942 avec l’ancien Cégétiste René Belin ministre du Travail
  • organisation de la recherche scientifique, beaucoup d’institutions datant de cette période : en 1941 institut national d’hygiène, en 1943 institut français des pétroles, en 1944 centre national d’étude des télécommunications. Sous Vichy est organisé l’INSEE avec Alfred Sauvy comme figure de proue. Même le CNRS, créé juste antérieurement, y est développé.

Conclusion

Plusieurs problématiques majeures :

  • les crises : facteur d’accélération ou de blocage ? destruction créatrice ou création destructrice ?
  • renforcement du domaine de l’Etat, extension du champ régalien
  • liens réciproques sensibles entre les USA et l’Europe occidentale : renforcement de l’américanisation avec certes l’innovation mais aussi la 2nde GM
  • ces trajectoires de l’innovation et de la communication répondent à une logique de mondialisation où on retrouve les questions coloniales [Alfred Sauvy doit être connu pour 3 éléments : père de l’INSEE et de la progression de la reconnaissance statistique pour une approche systémique de l’économie, père de la théorie du déversement sectoriel avec la part des services dans l’économie augmentant continuellement, père de la formule du « Tiers-monde » qui témoigne de sa prise de conscience de l’internationalisation des problèmes]