Bouneau UE3 2eme cours 02/10/08

De Univ-Bordeaux
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La révolution industrielle est-elle un concept valide?

Introduction

Un territoire est la construction sociale d’un espace (humain). Espace qui a du sens, de la cohésion : construction d’un marché, identification d’une population à un territoire. Par exemple : Le Bénélux, marché construit après-guerre, suscite-t-il un sentiment d’appartenance ? Non, il suffit pour s’en convaincre de songer aux tensions entre la Wallonie et la Flandre.

Les territoires ont constamment grandi d’échelle, notamment avec la Révolution industrielle. Le territoire d’Ancien Régime est structuré par la foire et le marché, ce fait a d’ailleurs présidé à la conception des départements français en 1790-1791 : chef-lieu à une journée maximum à cheval de tout autre point.

Le terme de région(alisation) est très ambigüe, il signifie deux niveaux territoriaux :

  • Subdivision de l’Etat-nation (ou fédéral) : quelle est sa cohésion économique ? Elle est sans cesse remise en question, la volonté de recoupage est fréquente.
  • Acception supranationale : marché commun, tel que le MercoSur, l’ALENA ou l’UE. Le Bénélux en est un modèle. Tout comme le zollverein, imaginé par Friedrich List et réalisé en 1834 dans la Confédération allemande. List est un économiste, passé aux Etats-Unis, père de la théorie du protectionnisme éducateur, qui est conçu comme une première phase de développement, favorable à l’essor de l’industrie locale.

La Révolution industrielle est « le » processus de construction des pays développés à économie de marché. Qu’en est-il pour les pays émergents ? Comment classer l’URSS ? Le processus de Révolution industrielle a-t-il été appliqué aux Pays en développement (PED) ? Leur est-il applicable ?

« La Révolution industrielle » est un chantier historiographique permanent, c’est un concept galvaudé, à dimension paradoxale : comment une révolution peut-elle durer plus d’un siècle ? Cela illustre la difficulté terminologique propre aux sciences humaines et sociales. La rupture l’emporte-t-elle sur les éléments de continuité ? La Révolution industrielle est-elle spécifiquement britannique ?

Si le terme déplaît, par quoi le substituer ?: [paradigme : modèle, représentation du monde ; concept : signifiant d’un terme qui est lui le signifié] Deux propositions :

  • L’industrialisation : elle peut être plurielle, et permet d’insister davantage sur les éléments de continuité.
  • Les modèles de développement : à distinguer de la croissance (processus quantifiable par des indicateurs économiques classiques), le développement est un processus et quantitatif et qualitatif, mesuré par l’Indice de développement humain (IDH)  créé en 1990 par le PNUD, composé de la longévité (espérance de vie), de l’éducation (taux d’alphabétisation et de scolarisation) et du niveau de vie (PIB/hab. en parité de pouvoir d’achat).

L’économiste François Perroux (vichyste épargné) a théorisé sur la différence entre croissance et développement. Le développement est devenu la question majeure des anciens pays colonisés, qualifiés de Tiers-monde par Alfred Sauvy en 1952 (qui a par ailleurs créé l’INED – institut national d’études démographiques – en 1945 ; il défendait des positions populationnistes qui ont influencé Michel Debré contre le malthusianisme). Le géographe Yves Lacoste a quant à lui créé en 1955 la première revue de géopolitique Hérodote, considéré comme un repère de « gauchistes », qui étudie les modèles de développement.

Cinq qualificatifs se succèdent pour désigner les pays pauvres:

  • pays colonisés
  • pays décolonisés
  • pays du Tiers monde
  • pays en voie de développement
  • pays les moins avancés

Des catégories intermédiaires existent :

  • pays à revenus intermédiaires
  • nouveaux pays industrialisés (4 dragons d’Asie : Singapour, Corée du Sud, Hong-Kong, Taïwan ; Tigres d’Asie : Thaïlande, etc.)
  • Pays émergents

L’idée de stades de développement, d’une évolution sur la route du développement, domine. Pourtant, à l’intérieur même des pays développés existe aussi un Tiers-monde, qualifié de Quart-monde dans les années 1960 par le père Joseph Wresinski.

Derrière la sémantique se cache de véritables enjeux idéologiques. 

Le concept de Révolution industrielle est constamment employé, validé toujours au sujet de la révolution des communications :

  • Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC : « autoroutes de l’information)
  • TIC à la fin des années 1990
  • TIC et de l’éducation (TICE), utilisé depuis 4-5 ans au sujet de la knowledge economy (l’économie du savoir)

La tendance permanente, c’est la montée de l’immatériel : flux immatériels, capital de connaissance de la R&D, brain drain. La question-clé : s’accompagne-t-elle de la disparition des territoires (déterritorialisation) ? (y-a-t’il des inclus/exclus du numérique ? être situé dans les marges territoriales est-il toujours un désavantage ? Le télé-travail garantit-il l’efficience du travail ? A l’évidence, non, la fracture numérique demeure, tandis que les effets de concentration, d’agglomération, se renforcent. Les décisions économiques sont toujours prises dans les grandes métropoles.

L’actualité du concept de Révolution industrielle est incluse dans le paradigme absolu de développement durable (dont la pratique est antérieure à la création du terme). En 1972, le rapport Meadows du Club de Rome, The limits of growth (halte à la croissance ?) arrive à la fin de la période de la haute croissance. C’est une critique alternative, marcusienne des aspects qualitatifs de la société de consommation (mode malthusien). Le « développement durable » n’est pas le terme le meilleur, il faut lui préférer celui de développement soutenable/viable (meilleure traduction du sustainable development). Deux références :

  • Al Gore : Une vérité qui dérange
  • Alain Gras : Le choix du feu [ajout personnel : « civilisation prométhéenne]

I. La révolution industrielle : un concept daté ?

A. La chaîne des références classiques

Références :

  • Paul Mantoux : La Révolution industrielle au XVIIIe siècle. Essai sur les commencements de la grande industrie moderne en Angleterre, 1906 => Réflexion organisationnelle : le levier est constitué par la concentration économique/industrielle, l’action entrepreneuriale est valorisée (cf. Alfred Chandler : « main visible du manager »)
  • George Henry Clapham : An economic history of modern britain. The early railway age : 1820-1850, 1926 => La genèse de la Révolution industrielle se produit avec la révolution ferroviaire (1ère locomotive en 1826).
  • David Landes : L’Europe technicienne ou le Prométhée libéré. Révolution technique et libre-essor en Europe occidentale de 1750 à nos jours, 1975 => Deux fois l’adjectif « libre » et « libéré » : la révolution technique a permis le développement de l’économie de marché, par rapport au carcan juridique de pages et de statuts de l’Ancien Régime.
  • Patrick Verley : L’échelle du monde. Essai sur l’industrialisation de l’Occident, 1997 => La Révolution industrielle est possible par des mécanismes d’internationalisation
  • François Caron [maître de Mr Bouneau] : Les deux Révolutions industrielles du XXe siècle, 1997 --> Il emploie le pluriel, c’est une perspective cyclique. Il montre l’enchaînement entre production de masse, consommation de masse et société de masse (la propagande/publicité a joué un rôle majeur).

Il existe trois postures avec le libéralisme :

  • économique : destruction de l’Ancien Régime ; création de libre-entreprise, libre-marché, libre-circulation. C’est une théorie du développement qui s’oppose à l’Ancien Régime : la vision est simpliste, car il existait déjà auparavant des entrepreneurs.
  • libre-échange (sous-ensemble du libéralisme économique) : jusqu’aux conflits du XXe siècle, les questions économiques s’expriment par la politique douanière. Le symbole du libre-échange réside dans le traité franco-britannique Cobden-Chevalier (saint-simonien) de 1860.
  • libéralisme politique : se définit d’abord contre le conservatisme, puis prend place entre la réaction et la révolution

B. Puzzle cohérent ou tonneau des danaïdes : l’imbrication des facteurs

La Révolution industrielle fait-elle système ?

Trois approches de la Révolution industrielle :

  • approche globale : le facteur clé est l’accumulation préalable des facteurs de production. Est-ce une contingence historique, ou un enrichissement est-il le préalable de la Révolution industrielle (perspective de Rostow) ? => C’est la question du déclic. Dans cette approche, la stimulation de la demande doit être et intérieure (construction d’un marché intérieur, avec un pouvoir d’achat suffisant => mobilité des facteurs, constitution d’une classe moyenne) et extérieure (rôle du libre-échange : registre de compétition absolue qui favorise le fort). Doivent apparaître de nouvelles formes d’organisation de la production : les corporations, ateliers urbains/ruraux – système de marchands-fabricants (« domestic system ») – disparaissent au profit de la manufacture, élément-clé de la Révolution industrielle (il en existait déjà auparavant quelques unes : sidérurgie Wendel, arsenaux et artilleries (Rochefort), Manufacture Royale des Gobelins. Toutes les conditions nécessaires à la Révolution industrielle ne sont pas toujours réunies.
  • approche sectorielle : il y a trois révolutions sectorielles. La révolution agricole d’abord, qui est une macro-question scientifique et idéologique. Est-elle antérieure ou concomitante de la Révolution industrielle du XIXe siècle ? La révolution agricole est-elle un préalable au développement ? Selon l’historien économiste Paul Bairoch, oui, et dans le schéma classique, toute commence fin XVIIe-début XVIIIe siècle avec la révolution des enclosures en Grande-Bretagne (processus d’appropriation des communaux) => Cela implique des changements de paysage (Daniel Halévy lie paysage, société et modèle politique), la formation d’une région bocagère qui provoque un exode rural fournissant la main d’œuvre nécessaire à la concentration manufacturière. Plutôt que de révolution agricole, il serait plus juste de parler de mutations agraires profondes, mutations à la fois statutaires et techniques. Ce processus est à penser sur le long terme selon Alfred Sauvy, qui a émis la théorie du déversement sectoriel [aujourd’hui, près de 2% d’agriculteurs en France].