Bouneau UE5 4ème cours 15/02/07
L’électricité en plus d’être un système technique et aussi un fluide économique, social et culturel direct. Il n’existe pas de sociétés développées sans électrification poussée, c’est un véritable indicateur de développement.
Le passage de l’électricité de la marge du système vers son cœur s’effectue au cours des années 1870/80, on passe au même moment de la 1ere à la 2eme révolution industrielle, c’est un changement de système technique qui jusque là reposait sur le charbon et l’énergie vapeur, désormais c’est le système électrique qui est au centre du système technique.
Il y a deux avantages majeurs de l'électricité sur l’énergie vapeur :
- Le premier avantage comparatif, c’est d’abord sa polyvalence, l’énergie électrique est polymorphe, elle se produit et se consomme sous des formes extérieurs différentes, par exemple au XIXe siècle l’électricité peut être produite par des centrales thermiques ou par des centrales hydroélectriques, et de plus sa consommation est très variée puisque celle-ci peut autant être industriel que domestique. Progressivement dans les usines cette nouvelle forme d’énergie remplace la vapeur. Il faut aussi évoquer le fait qu’il y a une distinction à opérer au niveau de l’électricité entre les courants forts (pour les machines…) et les courants faibles (téléphonie…).
- Le deuxième avantage comparatif est que l’électricité est infiniment divisible et transmissible. L’électricité est le fluide des sociétés développées, le réseau électrique correspond à des lignes de vie et peut être infiniment distribué par des mailles étroites. En quelques années de nets progrès sont effectués dans le transport de cette forme d’énergie, on passe rapidement de distances comprises entre quelques dizaines de kilomètres à des distances allant jusqu’à plusieurs centaines puis milliers de kilomètres. Pour limiter les pertes d’énergie liées au transport, on a créé les lignes à hautes tensions qui transportent l’électricité sur de longue distance en 220 volts. Dans le réseau électrique sont reliées des basses tensions domestiques et des hautes tensions internationales.
Le réseau fait jouer toutes les formes de solidarité. La SDN (Société des Nations Unies) avait pour objectif de maintenir la paix en Europe, pour ce faire on pensait favoriser l’interconnexion des réseaux électriques européens.
Mais les interconnections entre réseaux entraînent des mécanismes de compensation, les interconnections sont à double tranchant, d’une part le réseau c’est la solidarité et la paix mais d’autre part plus il s’étend, plus les risques sont importants, plus la solidarité doit être respecté, s’il y a un problème il se répercute à l’ensemble du réseau, c’est le black out dont on en a de nombreux exemples aux Etats-Unis, en Italie et en Grande-Bretagne ces dernières années.
A partir du début du XXe siècle, on a présenté la France comme le pays par excellence de l’interconnection, il y avait à cet époque un équilibre fort entre la France du Nord urbaine et peuplée et la France du Sud rurale et peu peuplée. Pendant une bonne partie du XXe siècle la moitié de la production électrique produite par les centrales hydroélectriques de la moitié sud du pays est exportée vers le nord.
L’électricité c’est le champ d’application des théories de Schumpeter et de ses 5 catégories d’innovations. Thomas Edison, inventeur, innovateur et entrepreneur a créé dans le dernier quart du XIXe siècle aux Etats-Unis, à partir du courant continu un système électrique innovant global, c’est un homme qui pense le système (« the system first ») il pense le système et en même temps le lobbying, la communication cela se constate notamment lors de l’exposition internationales de l’électricité à Paris en 1881 où Edison y impose sa vision d’un système électrique complet qui part de la central et de la station électrique vers le consommateur final. La période 1870/80 est une phase d’innovation profonde, de nouvelles grappes d’innovations qui y sont apparues se poursuivent encore de nos jours, la révolution électrique n’est pas encore terminée. Durant cette fin de XIXe siècle, les entrepreneurs-innovateurs ont su résoudre les goulots d’étranglement du système. Vers 1880/90 Edison rencontre un concurrent direct en la personne de Westinghouse, ce dernier développe le courant électrique alternatif, on assiste à « un macro-combat » et c’est finalement Westinghouse qui l’emporte sur son rival en imposant l’utilisation du courant alternatif. Edison est battu car le courant alternatif est techniquement encore plus polyvalent que le courant continu (c’est d’abord une question de sécurité).
De manière générale on peut dire que l’électricité est le principal moteur sectoriel (et intersectoriel) des pays développés jusqu’à la Seconde Guerre Mondial y compris les économies de type soviétiques, Lénine disait lui même du communisme que c’était « les soviets et l’électrification ». L’électricité est un vecteur de mondialisation, un levier de l’économie car elle pousse à l’internationalisation. Au début du XXe siècle, le marché mondial de l’électricité est partagé entre quatre grandes entreprises, 2 allemandes, 2 américaines, c’est un oligopole, de plus ces entreprises sont des entreprises multidivisionnelles à la Chandler, elles structurent véritablement le monde contemporain.
La spécificité du transport de la fée électricité
La dynamique spatiale de l’électrification : du local au national
L’électrification est un processus, un mouvement, un aménagement du territoire, c’est la conquête domestique et industrielle du territoire. De 1880 à 1930 on passe progressivement d’un stade local à un stade national c’est à dire : « le réseau électrique grandit progressivement mailles par mailles pour former un tout homogène » Darcourt.
Cette dynamique est l’inverse du modèle de croissance des réseaux de chemins de fer (avec un demi siècle de décalage). Le réseau électrique passe du local au national, de la périphérie de l’hexagone vers son cœur. Les premières régions électrifiées sont les régions alpines et pyrénéennes (on y réalise la production de houille blanche) s’y ajoute des effets touristiques. Les réseaux jusqu’à la Première Guerre Mondiale ont un rayon de 50 à 60 km, les réseaux à caractères régionaux sont à peine esquissés en 1914, il n’y a aucune polarisation parisienne (le réseau est centrifuge et non centripète). La charte des chemins de fer de 1842 organisé par l’ingénieur des Ponts et Chaussées Legrand créée un réseau ferré centralisé à partir de Paris, l’objectif de ce réseau centralisé est la dessert de Paris, il n’y a guère que la Compagnie du Midi qui n’ a pas d’accès, de gares à Paris, en effet cette compagnie a organisée son réseau autour d’Arcachon, de Bordeaux et de Toulouse. Dans la construction d’un réseau ferroviaire on commence par les grandes villes puis on créé les lignes secondaires, ces dernières ont été construites dans les campagnes suite au plan Freycinet de 1879-1881, tout chef lieu de canton ayant droit à sa dessert ferroviaire (on a appelé ça les « lignes électorales »), ce plan a été partiellement appliqué. Le maximum du réseau ferroviaire français est atteint en 1929 puis après cette date il se rétracte jusqu'à nos jours. Pour l’électricité c’est l’inverse, on est passé du local au national. Les électriciens construisent des lignes aux tensions de plus en plus importantes, 60000 volts en 1914, 150000v en 1922, 220000v en 1932 et en 1948 400000v.
Les entreprises selon un modèle schumpétérien connaissent des phénomènes classiques de concentration. Il faut prendre soin de distinguer ce qui est en amont c’est à dire les entreprises électriques ( ce sont elles qui construisent le matériel technique, c’est le domaine de l’électrotechnique, les quatre entreprises de l’oligopole mondial de l’électricité y sont spécialisées) de ce qui en aval il s’agit là du transport, de la distribution de l’énergie électrique. Les entreprises en amont investissent dans les sociétés en aval.
En 1946, lors de la création d’EDF il existait 1621 sociétés de production de transport et de distribution d’électricité, des entreprises intégrées d’amont en aval d’autres spécialisées sur la production. Elles avaient au total la capitalisation boursière la plus importante sur les marchés financiers de l’époque. Les deux entreprises les plus importantes parmi ces 1621 sociétés sont : Le Groupe de l’Union de l’Electricité dirigée par E.Mercier (à la fois ingénieur et patron). L’historien américains Kuisel lui a consacré une biographie importante dans les années 70, E.Mercier, Frensh technocrat, E.Mercier avait des positions idéologiques claires, il était fasciné par les Etats-Unis, et il était à la tête en France d’un mouvement de modernisation de l’économie française,cela s'apparente à du néosaintsimonisme. On retrouve par conséquent Mercier dans de nombreuses aventures capitalistes. Il a voulu donner à la France un rayonnement pétrolier et il est à l’origine de la création de la CFP et du choix des investissements vers l’Iraq.