Bouneau UE5 9ème cours 12/04/07

De Univ-Bordeaux
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Crises menaces et peurs

L’utilité stratégique des réseaux électriques en Europe Occidentale

Dès la Belle Epoque, l’électricité apparaît comme une arme stratégique, logistique, un moyen de pression. Une preuve : en 1907, la première grève générale des électriciens de Paris a lieu. C ces derniers étaient fortement syndiqués et avaient pour chef charismatique E.Pataud, c’est un théoricien de la grève révolutionnaire. Pour obtenir « le grand soir » il fallait utiliser le noir, le « black out », c’est-à-dire utiliser les propres armes des capitalistes contre eux, s’en prendre aux symboles de l’Etat car en 1907 tous les bâtiments officiels sont éclairés à l’électricité. Paris est plongée alors pendant une semaine dans une nuit profonde, il ne reste que les éclairages au gaz et les bougies aux particuliers pour s’éclairer. Paris la ville lumière où l’on avait célébré les progrès de l’électricité retombe dans l’Ancien Régime. Cet épisode a montré à quelle point l’électricité était capitale dans la civilisation urbaine contemporaine. Pendant la 2GM, les guerres du Golf mais aussi tous les petits conflits contemporains, l’électricité a une importance stratégique capitale. Sans électricité les hôpitaux souffrent, une partie des transports communs ne peuvent plus fonctionner. Il y a une dimension primale psychopathologique de régression que font peser sur les individus les menaces de coupures d’électricité. Cela se voit très nettement pendant la 2GM, car à cette époque l’électricité était déjà centrale dans la vie des individus, l’électricité c’est la radio, le confort domestique. Plus encore que les bombardements ce sont les coupures d’électricité qui gênent le plus les gens car cela les privent des émissions diffusées par la BBC.

Le spectre du black out

Cela est très sensible dans les métropoles et notamment à Paris la ville lumière par excellence. La consommation d’éclairage publique de Paris est de 31millions de kWh en 1938, mais seulement de 1 million en 1944. Ce spectre du black out est resté très présent même après la guerre, cela dure tout le temps de la reconstruction qui est une période de pénurie d’électricité du moins jusqu’à la fin des années 40. Pendant la guerre le black out par pénurie d’électricité est un dispositif stratégique pour limiter l’efficacité des bombardements aériens. Pendant la 2GM, les installations électriques sont des cibles privilégiées des sabotages de la résistance. Le plus efficace c’est de bombarder ou de dynamiter les postes de distribution, cela met en panne le réseau de transport d’électricité, c’est l’avis des ingénieurs de Londres pour qui le mieux c’est de s’en prendre à ces postes de dispatching car après la guerre lors de la reconstruction cela sera beaucoup plus aisé que de reconstruire une centrale thermique par exemple. A partir de 1943 les actions de sabotage et de bombardement se multiplient en direction de ces postes d’électricité.

Les lignes fragiles de la civilisation

Durant tous les conflits, l’électricité est signe et source de vie, elle prend une dimension nourricière et logistique très importante. Alors que sa production est de plus en plus difficile pendant la guerre ses besoins augmentent elle a un rôle de type contra cyclique. Pendant la guerre il y a une pénurie de charbon en France car le pays était déjà importateur de cette ressource avant le conflit et en plus s’y ajoute les ponctions opéraient par les allemands. Par conséquent et cela se constate à Paris, les gens demandent de plus en plus des installations de chauffage à l’électricité jusqu’en 1944, car la production électrique malgré sa chute est encore disponible en quantité grâce aux installations hydrauliques qui assuraient avant le conflit la moitié de la production française en électricité. Durant la 2GM, pour des raisons évidentes de moins en moins de carburant est disponible, en conséquences dans les villes les transports publics se développent tel le tramway.

Pour le célèbre écrivain français de science fiction René Barjavel, la fin de l’électricité correspondrait à la fin de la civilisation. Il traite de cela dans son roman de 1943 Ravage, les habitants, anéantis par la soudaineté de la catastrophe, sombrent dans le chaos, privés d'eau courante, de lumière et de moyen de se déplacer, c’est un roman extrêmement pessimiste sur les dangers de la trop grande indépendance au progrès technique.

Du réseau transnational aux défis de l’ouverture européenne depuis 1990

EDF et les nouvelles dynamiques de l’interconnexion transnationale

Deux faits marquant de l’histoire des réseaux électriques

  1. L’augmentation continue de la tension des lignes de transport d’électricité. 30000 volts en 1890 cela correspond au transport de l’électricité sur une distance de 30 à 40 km, en effet plus la tension est faible plus les pertes sont importantes. Aujourd’hui en France la tension maximum atteinte sur ces lignes est de 400000 volts, au-delà il n’y a des problèmes d’ordre financés, mais en Sibérie la tension sur les lignes de transport peuvent atteindre jusqu’à 800000 v à cause du problème des grandes distances.
  2. Jusqu’à la 2GM, les pays étaient très nationalistes énergétiquement. Ils limitent les exportations et les importations d’électricité. Les échanges entre pays restent intra régionaux, c’est le cas de la Suisse, car celle-ci est en position centrale dans l’Europe et sa production dépasse sa consommation, elle exporte vers la France dès l’entre-deux-guerres mais cela suscite de grandes réticences.

La France a un complexe vis à vis de son modèle dit à la française, où les ingénieurs avaient décrété que c’était le pays par excellence de l’interconnexion, cela voulait dire qu’il y avait une complémentarité entre la France du Nord urbaine et industrielle et la France du Sud agraire et rurale mais productrice d’électricité, entre le thermique septentrionales et l‘hydraulique méridionale. A partir de 1950, avec la création de la CECA on entre dans une dynamique de construction européenne et économique. Dans cette dynamique, les réseaux électriques ont joué un rôle non négligeable. L’idée est que l’Europe électrique a largement précédé l’Europe politique.

Deux logiques :

  1. L’une internationale, antérieur à la 2GM, les ingénieurs et les électriciens de tous les pays ont créé des organisations internationales qui sont de véritables internationales électriques. La Conférence Internationale des Grands Réseaux Electriques créée en 1922 et l’Union Internationale des Producteurs et Distributeurs d’Electricité en 1925. Ce sont des communautés de professionnels qui ont une idéologie internationaliste, une idéologie technocratique, le mode doit progresser par la technique et par les experts. Ils procèdent à toute une série de discours pacifistes.
  2. Une logique européenne, avec la mise en place en 1951, suivant les recommandations de l’OCE de l’Union pour la Coordination de la Production et du Transport d’Electricité, l’UCPTE. L’objectif est de faire progresser le développement des réseaux électriques européens, de développer la solidarité des exploitants de réseau en s’inspirant du modèle organisationnel américain des années 50. Elle réunit les pays de la CECA auxquels il faut adjoindre la Suisse et l’Autriche. L’UCPTE est rejointe dans les années 60 par l’Espagne, le Portugal, la Yougoslavie et la Grèce. La première réalisation de cette organisation est la marche en parallèle des réseaux des 8 membres. C’est un véritable exploit technologique et cela enclenche une nouvelle dynamique de l’interconnexion transnationale.

Les nouveaux enjeux de l’interconnexion européenne

En 1991, les échanges internationaux d’électricité sont à l’origine de plus de 9% de la consommation totale dans les pays membres de l’UCPTE. C’était le plus important système synchronisé au monde. A l’intérieur de l’UCPTE la France est de loin le plus gros exportateur européen d’électricité, c’est un atout majeur et cela a été rendu possible grâce au programme nucléaire des années 70. Il y a une croissance spectaculaire des exportations françaises d’électricité, 13 milliards de KWh en 1983, 54M en 1991, et plus de 100 milliards aujourd’hui, qui n’est bloqué que par la faiblesse des artères internationales à travers les Pyrénées et les Alpes. Le réseau d’échange d’électricité permet d’économiser 8 à 10% d’électricité/an.

Les grands enjeux aujourd’hui sont de constituer une Europe électrique allant du Cap Nord au Sahara et de Brest jusqu’à l’Oural. Récemment le réseau électrique européen a été connecté à celui du Maghreb par un câble au niveau du détroit de Gibraltar de même avec la Turquie et la Russie. Si techniquement cela fonctionne il y a des risques majeurs. Il faut une discipline des exploitants très stricte. Quand un problème survient dans une zone il faut l’isoler très vite avant que le réseau ne s’effondre en cascade. L’électricité va de paire avec la démocratie mais les menaces sont grandes comme la Commission ultra-libérale européenne ou même simplement la législation européenne. La Commission a trois objectifs :

  1. L’accès des tiers au réseau, mettre les consommateurs européens sur un pied d’égalité quant à l’accès au réseau, faire du consommateur l’élément clé du système.
  2. Séparer les entreprises de chaque segments transport/distribution/production, cela est très différent du modèle français intégré
  3. Unifier le marché de l’électricité au bénéfice du consommateur (pour baisser les prix)

Conclusion

  1. Les réseaux électriques ont une place essentielle dans les sociétés industrielles et post-industrielles en particulier parce que dans tous les registres on substitue des structures de réseaux à des structures pyramidales autoritaires. Les réseaux, de manière utopique, ce serait le triomphe des logiques horizontales (de la démocratie participative)
  2. Les réseaux électriques ont toujours été synonymes de modernisation. Ils portent en eux une mystique technologique, l’électrification rurale comme l’électrification ferroviaire. Il ne faut pas tomber dans le discours technophile, le grand défi c’est la place du consommateur attention en en faisant un acteur clé, le roi du système, cela pourrait être une source de déception.
  3. Les réseaux électriques sont synonymes d’industrialisation, de révolution industrielle. Le développement durable doit amener à inventer une 4eme révolution industrielle, une révolution durable. L’électricité reste encore au cœur des métamorphoses et des défis industriels à venir. En Californie, où l’on a sacrifié les réseaux électriques cela va poser un problème quant à la réalisation de la future révolution industrielle. L’électricité c’est bien le fluide du développement. C’est un enjeu majeur dans les pays d’Asie du sud-est, en Chine comme en Inde où l’électrification est en retard.