Coste UE2 4eme cours 16/10/08

De Univ-Bordeaux

Les grandes découvertes

Bibliographie :

  • P. Brioist : La Renaissance, 1470-1570, 2003
  • F. Fernandez-Armesto : Le grand Atlas des explorations, universalis, 1995
  • Cartes et figures de la Terre, 1980

Introduction

Le XVIe siècle est marqué par un élargissement de l’horizon géographique des Européens. Jusque là, chaque civilisation avait son horizon propre, contrôlé politiquement et économiquement. On connaissait un peu les aires périphériques par les récits de voyageurs. Il y a donc à ce moment plusieurs civilisations :

  1. civilisation aztèque ; civilisation andine
  2. civilisation indienne
  3. civilisation chinoise et japonaise
  4. civilisation arabo-musulmane
  5. civilisation européenne

Les Européens partent à la découverte du monde et mettent en contact ces économies-monde :

  • 1492 : Christophe Colomb traverse l’Atlantique et accoste en Amérique
  • 1498 : Vasco de Gama double le Cap de Bonne Espérance et arrive en Inde

A l’origine de ces voyages, plusieurs raisons :

  • politiques : volonté de puissance, rivalités entre l’Espagne et le Portugal
  • économiques : recherche d’une nouvelle route pour les épices, évitant les intermédiaires
  • religieuses : tentative d’encerclement de l’Islam, recherche du royaume du Prince Jean

+ Très vite, recherche de richesses (or…)

Ces grandes découvertes sont rendues possibles par la converge d’innovations et des éléments de réflexion intellectuelle. Elles bouleversent la manière de penser le monde.

I. Les facteurs techniques favorables à l’expansion européenne

On se lance dans des expéditions aboutissant à des découvertes majeures grâce aux progrès en astronomie et en géographie, et à des innovations techniques. Ces domaines trouvent des applications concrètes dans les conditions de navigation, ce qui permet aux marins de tenter l’aventure.

A. La connaissance géographique et la cartographie

Les gens connaissent la rotondité de la Terre depuis l’Antiquité, les savants grecs ayant eu une pensée très élaborée sur la question. L’ensemble de ces connaissances a été compilé par Ptolémée, ce qui a permis leur diffusion en Europe par le biais de grands voyageurs et des grands savants à partir des Xe-XIe siècle. Cependant, les cartes donnent l’impression d’un océan circulaire constitué autour d’un « T » de terres, partagées entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie.

Ces thèses de la rotondité sont reprises en 1410 par le cardinal Pierre d’Ailly dans Imago Mundi. Cet ouvrage a été lu par Christophe Colomb. Parallèlement s’est produite la chute de Constantinople en 1453, précédée par la fuite des intellectuels grecs et de leurs manuscrits vers l’Europe de l’Ouest. Quand Colomb a proposé à Isabelle de Castille et à Fernand d’Aragon de partir à l’Ouest, il a rencontré du scepticisme. On ne doute pas de la possibilité en elle-même, mais de ses calculs, notamment ceux concernant la longueur du parcours. Il comptait sur des îles intermédiaires et un océan Atlantique de faible dimension. Selon lui, la sphère terrestre aurait été plus petite que le pensait Ptolémée, un degré de longitude équivaudrait à 83 km et non à 92 km. Mais il avait tort, et Ptolémée aussi qui a écarté les théories proposées par le grec Eratosthène très proches de la réalité : 110 km. C’est la question des provisions qui se posait alors. Ces débats sont restés longtemps confinés aux milieux savants et n’ont pas touchés les marins. Les théories qui en ressortent expliquent toutefois l’univers mental des aventuriers.

B. Les nouveaux instruments de navigation

Jusqu’au début du XVIe siècle, la majorité des marins navigue près des côtes, les gardant autant que possible en vue. C’est aisé en Méditerranée ou le long de la côte atlantique, mais se pose le problème du repérage et de l’orientation en haute mer. Il y a certes la boussole depuis le XIIIe siècle, mais elle n’indique qu’une direction et non une position.

Les Européens utilisent alors les connaissances astronomiques forgées par l’astronomie arabe et transmise par les Juifs, les Portugais et les Italiens. Cela sert pour l’astrologie et la navigation (navires arabes traversant l’Océan Indien). A la moitié du XVe siècle, de plus en plus les marins espagnols et portugais utilisent l’étoile polaire pour s’orienter. Mais on la voit moins à l’approche de l’Equateur : on met donc au point l’astrolabe pour mesurer la latitude à partir de la position du soleil à midi. Vers 1480 est utilisé un manuel avec des données chiffrées qui permettent de calculer sa latitude. Mais la longitude pose problème, car la Terre tourne et l’heure change : il faut prendre un point fixe. En 1529, le Portugais Ribeiro a proposé un premier document gradué en longitude, comportant toutefois beaucoup d’inexactitude.

C. Les progrès de la construction navale

Les navires connaissent à la fin du Moyen-âge une amélioration dans leurs techniques de construction. On emprunte aux techniques arabes de navigation : apparaissent des bâtiments associant deux types de voilure – carrée et triangulaire –, il y a la karak et la caravelle. Ces deux navires disposent d’un gouvernement axial, le gouvernail d’étambot. La caravelle a un faible tirant d’eau, ce qui lui permet de se faufiler un peu partout. Elle est également d’une taille modeste : 20m de long, 7-8m de large. Cependant, de faible tonnage, ces bateaux ne peuvent pas transporter beaucoup de marchandises et de provisions, donc de marins. Aussi, peu à peu, on construit des navires plus vastes pour rapporter les richesses du Nouveau Monde, transporter les provisions (2T/pers.) et les canons. Le tonnage et le tirant d’eau augmentent. Des caravelles atteignent ainsi 150 tonneaux, les galions allant jusqu’à mille tonneaux (ex : le galion d’Espagne, regorgeant de richesses, faisait une liaison annuelle entre les Philippines et l’Amérique).

D. L’importance de l’expérience

Les marins avec ces bateaux deviennent peu à peu plus hardis. Les Espagnols et les Portugais s’aventurent dans les parties méridionales de l’Atlantique. Les Français et Basques vont vers l’Atlantique Nord (Terre-Neuve pour la pêche à la morue). Les marins utilisent de plus en plus les courants. Cela leur vient d’une connaissance pratique, comme pour les vents dominants selon les saisons, les alizés (Atlantique), les vents de Mousson (Océan Indien)… Le bateau se laisse pousser, ce qui peut occasionner des détours, mais permet une certaine régularité. Les maîtres de navire, souvent analphabètes, ont recours à ce savoir empirique, tandis qu’on met progressivement au point des cartes marines (portulan).

Ces progrès permettent également de répondre à d’anciennes interrogations, notamment celles sur les différences de climats. On avait réparti les climats entre ceux qui sont froids au Nord et ceux qui sont torrides au Sud. Etaient alors imaginés un Equateur désertique et une eau bouillante alentour. Mais l’expérience a montré qu’il n’en est rien et qu’au contraire s’y trouve une végétation luxuriante.


II. Explorations et découvertes : le Nouveau Monde

A. La prise de conscience d’un monde élargi

Christophe Colomb fait 4 voyages entre 1492 et 1503, explorant de manière systématique la mer des Caraïbes. Il fait des découvertes :

  • 1er voyage : Saint-Domingue et Haïti
  • 2ème voyage : Cuba et Porto Rico
  • 3ème voyage : région de Trinidad
  • 4ème voyage : côtes de l’Amérique centrale

Il a écrit être convaincu d’avoir découvert des îles avancées de l’Asie. Mais, le pensait-il vraiment, ou défendait-il jusqu’au bout son projet originel ?

Les Portugais ne le suivent pas dans son raisonnement. Dès 1493, le Pape, par la bulle Inter Caetera, partage le Nouveau Monde entre l’Espagne et le Portugal. A la demande des Portugais soupçonnant plus de terres, il fut rectifié en 1494 lors du Traité de Tordesillas avec un déplacement de la ligne de 100 lieues vers l’Ouest. En 1529, une ligne de partage d’un même type est tracée pour Extrême-Orient. François Ier, qui a aussi soutenu des explorations, a commenté : « Je voudrais bien connaître la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde. »

En 1500, l’aventurier florentin Amerigo Vespucci explore la partie méridionale de l’Amérique du Sud, qu’il appelle Venezuela (= « petite Venise ») en raison des habitats sur pilotis. En 1507, l’imprimeur allemand Waldseemüller nomme ces nouvelles terres « America » pour sa cartographie, honorant par là Amerigo qui, au contraire de Colomb, ne croyait pas à la découverte de simples îles indiennes. On lance ensuite des explorations sur la terre ferme. En 1513, l’explorateur espagnol Balboa traverse l’isthme de Panama et se dit convaincu de se trouver face à un nouvel Océan. L’expédition du noble portugais Magellan qui dure de 1519 à 1522 fait le tour du monde, faisant ainsi la preuve de la rotondité de la Terre et la découverte d’un nouvel Océan au-delà de l’Atlantique.

On progresse aussi sur l’Ancien Monde. Les Portugais longent les côtes d’Afrique. Bartolome Diaz double le Cap de Bonne Espérance en 1487-1488. En 1497-1498, Vasco de Gama poursuit jusqu’à atteindre l’Inde. Son compère Cabral fait de même, en faisant un détour par le Brésil.

B. Un Nouveau Monde : de nouveaux habitants

On découvre des terres nouvelles, une flore inconnue, de nouvelles espèces d’animaux. Et de nouvelles civilisations. Ce qui excite l’imagination. On y voit la concrétisation de certains mythes, assimilant l’Amérique à l’Eden ou à la terre d’Ophir. C’est en tout cas le paradis terrestre décrit par les voyageurs. Ainsi d’Amerigo Vespucci en 1502 : « Ils n’ont de vêtements, ni de laine, ni de lin, ni de coton, car ils n’en ont aucun besoin ; et il n’y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs à tous. Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre maître. Ils ont autant d’épouses qu’il leur plaît […]. Ils n’ont ni temples, ni religion, et ne sont pas des idolâtres. Que puis-je dire de plus ? Ils vivent selon la nature. »

Mais les Indiens posent un problème de taille : ils ne sont pas mentionnés dans l’Ancien Testament. D’où des interrogations sur leur nature humaine ou non au cours de célèbres Disputes :

  • 1519 : Devant l’empereur Charles Quint, Bartolomé de Las Casas défend l’hypothèse humaine et gagne face à l’évêque de Colombie Juan de Queredo
  • 1537 : La papauté prend position et reconnaît la nature humaine des Indiens dans la bulle Sublimus Deus
  • 1550 : à Valladolid, Las Casas l’emporte cette fois face au chanoine de Cordoue Juan de Sepulveda, mais son succès intellectuel n’empêche pas le massacre du choc microbien.

Certains qui recherchent une troisième voie rattachent les Indiens à l’Ancien Testament. Ainsi de Joseph Smith, fondateur des Mormons, qui aurait trouvé des tablettes « révélées » où les Indiens apparaissent comme une tribu disparue d’Israël.

C. La cartographie

En 1507, l’Amérique a un nom, on sait qu’il s’agit d’un nouveau continent ? Mais les connaissances nouvelles mettent du temps à être intégrées à la cartographie. Ce n’est qu’en 1508 que la configuration de l’Afrique proposée par Ptolémée est modifiée par les découvertes de Vasco de Gama et Bartolome Diaz. Ce n’est qu’en 1522, sur le globe de Schöner, que l’on trouve pour la première fois le nouveau continent. Bien souvent les contours sont partiels et l’intérieur des terres inconnu.

Ces découvertes changent la vision de la répartition entre les terres (la Terre !) et les mers : on passe de 1/7e de mers chez Ptolémée à 60% avec Magellan. Se pose aussi le problème de la découverte du continent austral, la Terra Australis, l’antichtone (terre opposée). Pour des questions d’équilibre, on imaginait jusque là la présence d’autant de terres dans l’hémisphère sud que dans le nord. On s’est aussi étonné de ce que les personnes et les eaux ne tombent pas dans l’espace. Magellan n’ayant pas vu la terre australe durant sa traversée, Schöner la fait disparaître de 1522 de son globe. Toutefois elle fait sa réapparition en 1531 dans le globe de Weimar. En 1531, le mathématicien français Oronce Fine fait une représentation cordiforme (deux cœurs) de la planète, y intégrant la terre australe. En 1546, sur une mappemonde de Pierre Desceliers, on la trouve encore. De même dans la seconde partie du XVIe siècle, sur la mappemonde d’Abraham Ortelius qui réunit des cartes et publie le premier Atlas, ou sur celle de Gerhard Kremer dit Mercator. On la nomme généralement Terra australis nondum cognita. Mercator est aussi connu pour son système de représentation de la Terre. Seul un globe étant parfait, il met au point une projection cylindrique, la projection de Mercator, qui a tendance à déformer la carte plus on s’éloigne de l’équateur. Sa projection respecte les angles et ne pose pas de problème aux navigateurs, elle représente donc un grand progrès dans la représentation cartographique.

Conclusion

Il reste encore beaucoup à faire à la fin de la Renaissance. On ignore les contours des terres septentrionales, l’existence de l’Australie, l’Océan glacial arctique. On ignore l’intérieur des terres (Terrae incognitae), qui sont soit laissées en blanc, soit remplies avec beaucoup d’imagination.

Le problème du calcul de la longitude n’est pas résolu. Ce n’est qu’en 1699 que Newton met au point un appareil à double réflexion qui donne naissance au sextant. Au XVIIIe siècle, la compétition fait rage entre Français, Anglais et Suisses pour la détermination de la longitude. Ce n’est que dans les années 1750-1760 que l’Anglais Harrison et le Suisse Berthoud mettent au point l’horloge utilisée par Cook en 1775 qui règle le problème.