Coste UE2 6eme cours 06/11/08

De Univ-Bordeaux

L'invention et le développement de l'imprimerie à l'époque moderne

  • Henri-Jean Martin : Histoire de l’édition française, 1989
  • Revue française d’histoire du livre
  • Jean de La Caille : Histoire de l’imprimerie et de la librairie, 1689

Introduction

Le XVIe siècle est marqué par le développement et le perfectionnement d’une invention récente : l’imprimerie. Il y a une demande croissante de livres que les ateliers de copistes ne peuvent plus satisfaire, malgré leur expansion.

L’imprimerie est une technique artificielle, une production industrielle. Les premiers livres ressemblent beaucoup aux manuscrits, puis s’en détachent pour prendre une forme qui leur est propre.

On voit l’apparition de nouveaux métiers : imprimeurs, éditeurs, libraires, relieurs. Le livre se diffuse, c’est un vecteur de transmission du savoir. Les premiers livres restent toutefois chers et l’analphabétisme demeure majoritaire. Les élites (clergé, noblesse, élite du tiers-état) sont touchées, ce qui s’accompagne d’une certaine réserve de la part des autorités laïques et religieuses.

I. Des innovations technologiques : l’ars artificuliter scribendi

A. La révolution technique de l’imprimerie

L’invention de l’imprimerie est classiquement attribuée à Gutenberg, de son vrai non Johann Genfleish. Il rassemble des techniques existantes pour produire son invention. En 1454 il publie la B 42, une Bible dont le texte est présenté sur 42 lignes. Celle-ci est vraisemblablement tirée à au moins 200 exemplaires.

D’autres, à la même époque, faisaient des recherches dans ce sens pour arriver à la même technique : Procope Walvogel et Janszoon Coster l’auraient inventée avant Gutenberg.

Les innovations utilisent du papier. C’est un matériau mis au point par les Chinois dès le IIe siècle, parvenu en Europe par les caravanes au XIIe siècle. Le papier est de fabrication peu coûteuse, et sert donc de brouillon préalable à l’écriture sur parchemin. On utilise des chiffons en tissu usagers – d’où l’importance des chiffonniers qui les récupèrent et les amènent à l’atelier. C’est du chanvre et du lin que l’on déchiquète, fait pourrir et mélange à de l’eau savonneuse. La pâte obtenue est alors chauffée, puis versée dans une forme rectangulaire constituée d’un cadre de bois où il y a un ensemble de fils de laitons entrelacés. Les fils laissent passer l’eau mais retiennent une couche de cellulose que l’on retire et enduit d’une colle destinée à empêcher la feuille de boire l’encre. On constate alors des traces de laiton sur la feuille : les traces grosses sont les pontuseaux et les traces fixes les vergeures (papier vergé). Les fabricants ont l’habitude d’utiliser ce système avec du laiton pour s’identifier, ils laissaient sur leur cadre un cœur, une fleur de lys ou un lion. Un édit du roi Henri III en 1483 fixe une traçabilité en imposant l’utilisation de filigranes pour savoir qui a produit tel papier.

Il faut de l’encre. Or celle utilisée pour les parchemins, faite d’huile de lin et de noir de fumée, n’adhère pas bien. La nouvelle encre est un mélange de suif, de vitriole, de gomme arabique et d’essence de térébenthine.

Il faut une presse à imprimer. On connaît la presse depuis l’Antiquité pour certains produits agricoles (olives, etc.) mais il faut l’adapter à l’impression, c-à-d à l’utilisation de caractères mobiles. Gutenberg est à l’origine un fondeur : il fonde les caractères pour les assembler et les utiliser sous une presse pour les imprimer. Il faut une pression mécanique forte et uniforme.

B. L’impression de livres

L’impression des livres se fait à l’aide des casiers (casses) dans lesquels sont classées les lettres. Les lettres les plus utilisées sont en bas (bas-de-casse), les moins employées en haut (a rond bas-de-casse). Les lettres sont assemblées par un ouvrier typographe dans un composteur où les caractères sont alignés à l’envers. Les différentes casses sont également alignées pour former une page, et huilées pour être réutilisés. Les caractères s’usent vite et sont l’un des principaux postes de dépenses de l’imprimeur.

Lorsqu’on met la feuille sous la presse, on imprime plusieurs pages en même temps. Cela pose un problème de fabrication : ces pages, pliées ensuite, ne se suivent pas ; on forme avec des cahiers de pages collées ou cousues ensemble. On imprime de grandes feuilles. Le cahier le plus simple est une feuille pliée en deux, ce qui donne le format du livre : l’in-folio. On peut plier en quatre pour faire un in-quarto, en huit pour un in-octavo et ainsi de suite. Plus on plie, plus cela complique l’ordonnance des pages.

Les caractères d’imprimerie sont à l’origine très divers. On utilise au départ les lettres en usage dans la langue latine, ne distinguant pas ainsi u et v ou i et j. Gutenberg utilise la lettre de somme, la textualis cursiva (lettre gothique). A côté apparaissent des lettres capitales (antiques de Trajan), le caractère Garamond et le caractère italique d’Aldo Manuce. Les caractères antiques l’emportent sur les caractères gothiques, sauf en Allemagne.

On crée aussi de nouveaux outils pour faciliter la lecture. On a conservé les abréviations médiévales, dont le but était de gagner de la place sur des parchemins coûteux. Mais on rajoute des innovations ; les points, virgules, points-virgules, accents, traits d’union, apostrophes, trémats, cédilles.

On met aussi au point de nouveaux caractères pour répondre aux besoins spécifiques de l’humanisme qui redécouvre le grec et l’hébreu. Au début, on laissait un espace, un copiste remplaçant les trous. Puis au XVIe siècle, on crée des caractères spéciaux.

Au début, on ne note ni le titre ni l’auteur, comme sur les manuscrits. Les imprimeurs d’incunables innovent en indiquant en fin de livre l’auteur, le titre, le nom de l’imprimeur, le lieu de l’impression, voire la date d’impression dans le colophon (du grec « achevé »). Puis tout ceci s’est retrouvé en tête pour former la page de titre. Peu à peu apparaissent des visages, avec le titre et le nom en haut et les détails techniques en bas, à la fin du XVe- début du XVIe siècle. La date d’impression est marquée en chiffres romains, considérés comme plus prestigieux. On décore la page de titre d’une gravure. Jusqu’à la fin de la première moitié du XVIe siècle, dominent les colonnades et les portes antiques, signifiant l’entrée de l’œuvre. D’autres pages sont ajoutées : le privilège (de l’auteur), la dédicace (au protecteur), l’adresse (formule d’accroche pour attirer le lecteur : captatio benevolentiae).

Peu à peu on développe un index. Cette notion vient des textes sacrés. Il est lié à l’apparition de la pagination dans les années 1520, après celle de la foliotation. On rajoute des petites mentions à la page : les gloses marginales, en héritage des manuscrits. Des manchettes, des titres courants (titres de l’ouvrage ou du chapitre en haut des pages), des intertitres viennent en plus. Puis, des tables des matières au XVIIIe siècle. Pour les grands ouvrages, on utilise une présentation sur deux colonnes. Avec les gravures, il s’agit d’illustrer la lecture, pour l’agrémenter ou l’expliquer, surtout dans des ouvrages spécifiques tels que ceux de médecine ou de botanique.

Les livres ne sont pas reliés, mais achetés en feuillés, à charge ensuite à l’acheteur de payer un relieur s’il le désir. Les reliures les plus courantes sont en parchemin neuf ou recyclé. Puis, plus élaboré, les reliures en basane (peau de mouton, brebis, bélier), celle très belles en maroquin (peau de chèvre épaisse préparée selon des techniques empruntées par les Espagnols aux Marocains). On peut imposer sa marque, dorer le livre (la tranche supérieure ou les trois). Les livres comportent des mentions manuscrites de la part de leurs possesseurs, notamment sur la page de titre : ex-libris (nom du possesseur), ex-dono (personne ayant offert le livre).

II. Le développement de l’imprimerie

A. La diffusion du livre

Gutenberg étant l’inventeur, l’imprimerie part des pays rhénans (Mayence, Strasbourg, Cologne), les premiers imprimeurs sont allemands. On trouve des imprimeries dès 1464 en Italie, en 1470 à Paris avec l’humaniste Guillaume Fichet, lié à la faculté de théologie de Paris-Sorbonne, en 1473 aux Pays-Bas, en 1474 en Espagne, en 1503 en Catalogne, en 1553 en Moscovie, dernier pays touché. Apparaissent des foires réunissant les imprimeurs et éditeurs d’Europe, à Francfort ou surtout Leipzig, en France à Lyon, en Italie à Pérouse et en Espagne à Medina del Campo.

Avant 1500, c’étaient des incunables (incunabilas : langes = enfance du livre) : 30 000 titres différents pour 15 millions d’exemplaires vendus. Pour le XVIe siècle, 200 000 titres pour 150 millions d’exemplaires, dont ¼ vendus en Allemagne et un autre ¼ en France. La plupart des livres sont en latin, mais les langues vernaculaires progressent, surtout dans la deuxième moitié du XVIe siècle.

B. Le contrôle des autorités

Les autorités interviennent pour protéger les imprimeurs des contrefaçons. En fait, surtout pour contrôler le contenu des ouvrages. La première autorité à intervenir, c’est l’Eglise. Dès 1487, le pape Innocent VII fulmine la bulle Inter multiplices : un livre, pour être publié, doit recevoir l’autorisation d’une autorité ecclésiastique. En 1515 le pape Léon X fulmine la bulle Inter sollicitudines, base du contrôle de l’autorité religieuse qui fixe la règle de l’imprimatur (nihil obstat et imprimatur).

En 1542, le pape Paul III établit une liste de livres interdits : index librorum prohibitorum (d’où l’expression « mettre un livre à l’index »). Les autres pays font de même, qu’ils soient catholiques ou protestants. En France, François Ier commence en 1521 en exigeant l’aval de la faculté de théologie. En Italie, les princes multiplient les législations. En Espagne, la censure royale date de 1502 et, à partir de 1551, l’Inquisition espagnole dresse son propre index. Dans les pays protestants, la censure apparaît dès 1522. A Genève en 1539. En Russie dès l’ouverture de la première imprimerie en 1553, sous le règne d’Ivan le Terrible.

III. Les mutations du XVIIIe siècle

A. les innovations typographiques

Après la moitié du XVIe siècle, il n’y a pas de progrès majeurs avant le XVIIIe siècle. Un certain nombre d’imprimeurs en France, Angleterre et Italie, changent la forme des caractères pour rendre la lecture plus agréable. En Angleterre, l’écrivain et typographe John Baskerville innove, mais cela déplaît, il exporte donc son offre en France. En France, les frères Didot – et surtout Firmin parmi eux – mettent au point une mesure : le point Didot. Ils font disparaître le f ressemblant au s. En Italie, Gianluca Bodoni, travaillant pour les princes et le Saint-Siège, publie à la fin du XVIIIe siècle le Manuale tipografico qui recense plusieurs centaines de types de caractères, d’ornements. Il expose dans son ouvrage les grands principes qui doivent régir un imprimeur lorsqu’il invente un caractère d’imprimerie ou en utilise un déjà existant :

  • l’uniformité du dessin
  • l’élégance (caractères très fins, même mesure)
  • le bon goût (beau, avec simplicité)
  • le charme (œuvre d’art)

B. Les progrès de l’outillage

Les progrès sont longs. Ils touchent d’abord la fabrication du papier qui compte pour 50% du prix du livre. Ca reste artisanal, on utilise toujours du lin et du chanvre, ainsi qu’un peu de coton. On fabrique toujours les feuilles une à une, à l’aide de près de 900 moulins à papier. Un nouveau papier est créé : le papier vélin, une technique qui permet de fabriquer le papier sans faire apparaître les vergeures ou les pontuseaux. C’est une technique plus coûteuse, réservée aux éditions luxueuses ressemblant à du veau. Elle est mise au point par John Bskerville en Angleterre.

On note également l’invention du cylindre, une machine qui permet de déchirer le tissu (futur papier) de façon plus rapide pour réduire les coûts.

Dans la dernière décennie du XVIIIe siècle, on invente les techniques de blanchiment de papier en le décolorant au chlore, mais elles ne sont développement qu’au XIXe siècle en raison de leur coût.

En 1798, Louis-Nicolas Robert invente une toile métallique rotative qui permet de fabriquer des feuilles de papier de la longueur désirée.

Conclusion

Après les grandes innovations du début de l’époque moderne, il faut attendre les débuts de la Révolution industrielle pour voir l’imprimerie opérer une nouvelle mutation, notamment à partir des années 1725-1730 où les techniques progressent pour augmenter les quantités produites et abaisser les coûts, favorisant ainsi par exemple l’essor de la presse. Ces techniques sont restées valables jusqu’à la moitié du XXe siècle et l’invention du numérique où les caractères demeurent basés sur ceux de l’époque moderne tandis que le principe de l’artificialité perdure également.