Coste UE2 7eme cours 13/11/08

De Univ-Bordeaux

L'évolution de la médecine à l'époque moderne

Introduction

L’image de la médecine ancienne reste dévalorisée. La littérature notamment l’indique très clairement : les médecins sont des charlatans. Dans Le Médecin malgré lui, Molière écrit : « Je trouve que c'est le métier le meilleur de tous; car, soit qu'on fasse bien ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même sorte: la méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos; et nous taillons, comme il nous plaît, sur l'étoffe où nous travaillons. Un cordonnier, en faisant des souliers, ne saurait gâter un morceau de cuir qu'il n'en paye les pots cassés; mais ici l'on peut gâter un homme sans qu'il en coûte rien. Les bévues ne sont point pour nous; et c'est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de cette profession est qu'il y a parmi les morts une honnêteté, une discrétion la plus grande du monde: jamais on n'en voit se plaindre du médecin qui l'a tué. » (III, 1)

Pour le commun, la médecine se réduit aux remèdes de bonne femme : pommades, tisanes, dont les recettes se transmettent au fil des générations. Il y a des ouvrages anonymes véhiculés par les femmes de seigneurs, les médecins de campagne, les curés. Mais on reste mal soigné, notamment lors des épidémies : parfumer les maisons pour éloigner la peste, saigner une personne qui est anémiée, etc. Des progrès ont toutefois lieu.

I. La tradition est peu à peu remise en question

A. La tradition antique

La tradition antique est enseignée dans les universités, le savoir des Anciens est toujours vénéré. Il remonte à l’antiquité grecque : Pythagore, Empédocle, Hippocrate au Ive siècle av. J.-C. avant que ses idées soient refondues et réunies en corpus au IIe siècle après J.-C. par Gallien.

La grande idée, c’est la théorie des humeurs : le corps est parcouru de fluides qui sont les humeurs cardinales. Lorsqu’il y a déséquilibre entre elles, il y a maladie. Cela peut résulter de perturbations extérieures (climatiques ou de semences pesteuses qui sont des substances propagées dans l’air) ou d’une mauvaise alimentation.

Le médecin doit rétablir l’équilibre humoral, différent selon l’âge, le sexe et la profession de chacun. Ainsi les jeunes hommes sont plutôt sanguins, les femmes flegmatiques, le vieillard mélancolique, le guerrier colérique. Le médecin commence par calculer l’équilibre humoral du patient, en ayant notamment recours à l’astrologie. Il essaye ensuite d’expulser le trop-plein de mauvaise humeur, par des saignées ou par des voies naturelles (purgatifs). On peut aussi prescrire des minéraux et des végétaux. Les minéraux sont donnés selon des tableaux de correspondance : on administre ainsi du fer à un mélancolique.

B. Les premières remises en cause

D’abord partielles, les remises en causes sont le fait de médecins ou de savants de la Renaissance. La théorie des humeurs de Gallien est contestée par Paracelse (de son vrai nom Theophraste von Hohenheim), médecin allemand qui s’est également intéressé à la métallurgie et à la botanique. Chirurgien militaire, il voyage beaucoup et a l’occasion de pratiquer des expériences. Il a des intuitions qui se révélèrent juste : la silicose et la tuberculose sont des maladies professionnelles de mineurs. Il fait faire ses premiers pas à la médicamentation chimique, en usant de mercure, de sel et de souffre, et en montrant l’intérêt de l’usage de l’opium. Il approche aussi l’idée de l’homéopathie.

Vesale, fils de pharmacien italien, se passionne pour l’anatomie, circule dans toute l’Europe et arrive à pratiques des dissections, des études de cadavres. C’était un art difficile, non interdit par l’Eglise mais strictement encadré, la pratique étant souvent mal vue. Au XVe siècle Sixte VI et au XVIe siècle Clément VII en donnent l’autorisation, mais l’Inquisition était hostile. Etudiant les cadavres, Vesale démontre que les hypothèses anatomiques de Gallien ont été faites à partir de corps de singe. Les savants orthodoxes répondent en expliquant que les erreurs sont le fait des copistes.

Se détacher de la tradition reste difficile. Léonard de Vinci fait ainsi un travail de dessins remarquable, mais il se laisse influencer par les savoirs anciens et, comme Gallien l’indique, il imagine et dessine des pores ventriculaires sur le cœur, alors même qu’il a pu l’examiner physiquement.

II. Les progrès dus à l’esprit scientifique

A. Les débuts de l’expérimentation

Les innovations viennent du contexte de l’époque, notamment du contexte de guerre très important au XVIe siècle qui favorise l’action des chirurgiens militaires, des artilleurs et des ingénieurs. On peut faire alors des observations et des expériences.

Ambroise Paré (1509-1590), fils d’un barbier de Laval, apprend à lire et à écrire, entre au service de la comtesse de Laval comme marmiton, puis se fait remarquer et devient l’apprenti du maître barbier du comte. Vers vingt ans, il travaille à l’hôtel-Dieu de Paris, ce qui lui permet de pratiquer des dissections obéissant à des règles précises ; notamment, celles-ci doivent être brèves en raison de la putréfaction rapide des cadavres.

Vers trente ans, il commence une carrière de chirurgien militaire. Pendant les guerres d’Italie, il voit que la poudre des arquebuses n’empoisonne pas. Les médecins ébouillantaient la blessure à l’huile chaude et cautérisaient au fer rouge, mais Paré badigeonne les blessures avec un mélange d’huile, de jaune d’œuf et de térébenthine et constate que les blessés ont alors moins de fièvre et de douleurs. Il met au point une autre recette : l’huile des petits chiens. Des chiens nouveau-nés sont bouillés dans de l’huile avec de la térébenthine et des petits vers. En 1542, lors d’une bataille, le maréchal de Brissac est blessé à l’épaule. Personne ne parvient à trouver le projectile, alors Paré le replace dans la position dans laquelle il était au moment de l’impact et repère d’où provient la balle, jusqu’à la localiser et la retirer du corps de son patient. Alors que les autres médecins utilisent le latin, lui préfèrent le français et n’est pas à proprement parler chirurgien diplômé mais barbier (un métier mécanique), ce qui ne le rend pas populaire parmi ses pairs.

L’anatomie fait d’énormes progrès, nombre de parties du corps humain sont ainsi baptisées du nom des anatomistes de l’époque moderne qui les ont découvertes.

B. La découverte de la circulation du sang par Harvey et des lymphatiques par Bartholin

On découvre qu’à l’intérieur de corps humain circulent des fluides : circulation artérielle (du cœur aux organes), circulation veineuse (l’inverse) et circulation lymphatique. William Harvey est un médecin anglais ayant vécu de 1578 à 1657. Il a beaucoup voyagé en Europe et assisté à des cours (en latin) : France, Italie, Allemagne. Il se fixe à Londres en 1604 et devient un peu plus tard professeur d’anatomie et de chirurgie au collège de Londres, étant aussi le médecin personnel de Jacques Ier puis de Charles Ier Stuart. Harvey s’intéresse à la circulation sanguine, un sujet difficile alors qu’on est dépendant de la position de Gallien. Michel Servet avait déjà contesté Gallien et affirmé que la cloison ventriculaire est imperméable mais, en même temps théologie hétérodoxe, il est brûlé. Harvey prouve que le sang circule par l’exemple du garrot qui provoque un gonflement en raison de l’accumulation de sang. Il fonde son étude sur le cœur et mesure sa contenance : 2 onces de sang en moyenne. Un cœur qui bat en expulsant le sang à un rythme de 72 battements par minute. Le cœur brasse ainsi plus de 8 000 onces de sang à l’heure, soit 260 kg. Si une telle quantité circule, c’est qu’il s’agit du même sang qui revient à intervalles réguliers dans le cœur. Harvey présente ses idées à ses étudiants dès avril 1616 et publie en 1628 Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus. Il est accusé d’être un charlatan, un « circulator » (jeu de mot : cela signifie aussi bien « circulateur » que charlatan). Il est notamment contesté par l’éminent médecin parisien Gui Patin et par l’anglo-saxon Primerose, mais reçoit le soutien d’autres savants, comme Descartes. En France, Louis XIV impose l’enseignement de sa découverte dans la Faculté de médecine, il est dispensé par Pierre Dionis. On tente les premières transfusions sanguines en 1667 avec du sang d’agneau.

D’autres médecins s’intéressent à la même époque à la circulation lymphatique. Il y a des Italiens mais surtout le Danois Thomas Bartholin (1616-180), professeur d’anatomie à l’université de Copenhague qui pratique de nombreuses dissections. Il met en évidence le fait que la circulation lymphatique a des liens ponctuels avec la circulation veineuse. Il s’intéresse aussi à l’hématopoïèse, c-à-d au processus de fabrication de globules rouges, et à d’autres liquides participant du processus de digestion. Son fils, Caspar Bartholin, découvre le canal de Bartholin qui permet l’évacuation de la salive sécrétée par la glande sublinguale.

C. La mise au point du microscope et ses répercussions

Le XVIIe siècle voit la mise au point progressive du microscope ; celui-ci permet d’approcher l’infiniment petit, d’observer des phénomènes méconnus. Cette découverte contribue à saper la théorie de la génération spontanée (= par exemple, mouches qui naissent de la saleté). On observe des agents échappant à l’âge humain. Le médecin italien Marcello Malpighi, (1628- 1694) a découvert à partir d’observations sur le cerveau les papilles gustatives. Il travaille également sur la peau, et c’est en étudiant le rein qu’il découvre les pyramides (ou glomérules) de Malpighi. Celles-ci sont à l’intérieur du rein, petits amas de glandes pyramidales qui assurent l’infiltration du sang.

Le hollandais Antoine van Leeuwenhoek n’est pas un médecin mais un marchand drapier qui invente le microscope. Il observe la qualité des tissus, mais juge que la traditionnelle loupe n’y suffit pas. De là son invention. Il en vient dès lors à l’étude du corps avec son microscope X300. Il fait part de ses recherches à la Royal Society de Londres, qui l’admet parmi ses membres en 1680. Il constate que les mouches naissent à partir d’œufs microscopiques. Il observe la levure de bière, parvient à voir les globules rouges et des bactéries.

Mais ses recherches le poussent surtout vers la question de la reproduction humaine, autour de laquelle les débats ne sont pas tranchés. A l’époque, les connaissances sont surtout empiriques : les enfants naissent de l’union d’un homme et d’une femme, mais on ignore les détails de ce qui se passe. Par exemple, le cycle féminin est méconnu, de même que la grosse dont on ne voit que les manifestations extérieures (gonflement des reins, aplatissement du ventre, nausées). Leuuwenhek découvre en 1677 les spermatozoïdes, qu’il décrit comme de petits animaux (animalcules). Entourant sa découverte de précautions théologiques, il relance le débat les grandes théories de l’époque, notamment celle de la préformation.

La théorie préformiste considérait que l’embryon préexiste avant sa conception, l’être humain ne résultait pas d’un mélange entre la semence de l’homme et celle de la femme. Cela dérivait de la théorie de l’emboîtement des genres : Dieu a tout créé dès le Commencement, les êtres préexistent, abrités à l’état microscopique dans leur géniteur. Mais, puisque l’enfant est préformé, l’est-il dans l’homme ou dans la femme ? Une sous-théorie, l’ovisme, le voyait dans la femme, la semence masculine étant inutile ou n’apportant qu’une aura seminalis. C’était notamment la position défendue par Harvey. Un anatomiste hollandais, Johan van Horne, considérait ainsi que la vie venait du « testicule femelle ». Son collègue hollandais Théodore Kerkrine affirme qu’il a vu une tête déjà formée dans un œuf de 3 ou 4 jours. De même que le médecin hollandais Reinier de Graff qui a publié en 1672 une Histoire anatomique des parties génitales de l’homme et de la femme, où le rôle du sperme est d’animer à distance l’embryon.

Leuuwenhoek porte donc un coup sévère à l’ovisme au profit de l’animalculisme, c-à-d la théorie inverse : l’embryon est dans le spermatozoïde. En 1694, le physicien hollandais Hartsoeker décrit un fœtus qu’il prétend avoir vu dans la tête d’un spermatozoïde. L’œuf ne servirait qu’à le nourrir. D’autres découvertes ont lieu. Caspar Bartholin découvre ainsi les glandes de Bartholin qui sécrètent la cyprine pour faciliter les relations entre partenaires.

Ces deux théories sont contestées à la moitié du XVIIIe siècle. En 1745, Maupertuis se demande comment on peut avoir un enfant métisse à partir d’un couple blanc-noir. Il est suivi par le médecin allemand Friedrich Wolf qui parle en 1759 d’un procédé de fusion. Buffon défend aussi cette thèse. Mais les partisans de la préformation résistent : le biologiste suisse Charles Bonnet défend que l’ovaire d’Eve contenait en germe tous les êtres humains à venir. Le procédé de fécondation n’est finalement établi qu’en 1875, mais le débat est resté cantonné au XVIIIe siècle.

III. Les évolutions du XVIIIe siècle

A. Quelques progrès limités

Pour le grand public, les innovations restent limitées : on en reste aux pommades, onguents, tisanes, régimes alimentaires et saignées. On utilise aussi les ventouses : placée généralement sur le dos, la ventouse est censée attirer le mauvais sang, ce qui se matérialise par un rougissement.

Les premières politiques de santé publique sont lancées. A l’occasion de la grande peste de Marseille en 1720, on évite sa propagation par le biais de la quarantaine. Le cordon sanitaire s’avère efficace.

La médecine progresse. Un débat sur le vitalisme a lieu entre savants à la Faculté de médecine de Montpellier. Cette théorie considère que le corps vit grâce à un principe vital. Elle se situe entre la théorie mécaniste (« l’homme-machine » de La Mettrie) et la théorie animiste (l’âme). Ce sont des discussions qui sont en fait d’ordre métaphysique. Le chef de fil du vitalisme est le médecin Barthez (1734-1806), professeur à Montpellier, collaborateur de Diderot dans l’entreprise de l’Encyclopédie, travaillant pour Louis VI et le premier consul. Pour lui, il y a un principe vital distinct du corps matériel. On peut être en mauvaise santé, sans mourir, et inversement. Cette théorie est contestée à la fin du siècle par des médecins de Paris : Broussais, Magendie, Laennec, qui ont une approche organiciste : la maladie est due au dysfonctionnement d’un organe.

B. La mise au point de la vaccination

La variole, appelée aussi petite vérole, est une maladie redoutée. Repérée en Chine au début de notre ère, elle atteint le Proche-Orient par la route de la soie et passe en Europe au VIe siècle avec les invasions arabes. Elle était donc inconnue de Gallien. C’est une maladie infectieuse, d’origine virale, qui se transmet par les voies respiratoires, et entraîne des fièvres, des taches rouges sur le visage et des maux de tête.

En Asie, depuis le Moyen-âge, on pratique la variolisation en inoculant une variole bénigne pour éviter d’attraper la plus dangereuse. Cela se pratique notamment à Istanbul avec des médecins comme Emmanuel Timoni, par ailleurs rattaché à l’ambassade anglaise. Il fait connaître ses idées dans un traité publié par la Royal Society et véhiculé par la femme de l’ambassadeur, Mary Wortley Montaigu, qui l’importe en Angleterre. De là, ses idées passent en France par l’intermédiaire du médecin suisse Théodore Tronchin qui variolise les enfants du duc d’Orléans, mais des risques existent.

C’est ici qu’intervient Edward Jenner (1749-1823), fils d’un pasteur, qui s’intéresse à la médecine et à la chirurgie. Après avoir travaillé dans des hôpitaux, il s’installe comme médecin de campagne. On lui dit que les paysans travaillant dans les laiteries ne sont jamais contaminés par la variole car ils ont attrapé la vaccine (variole des vaches) au contact des vaches. Jenner observe alors le phénomène, des garçons de ferme, livreurs de ferme, etc. attrapent la cow-pox. La Variolisation ne marche pas. Jenner a aussi été informé d’une situation similaire en France, les garçons de ferme attrapent la picote, qui les protège de la variole. En 1796, Jenner inocule donc du pus prélevé sur une pustule de vache à un garçon de 8 ans : l’enfant présente une petite pustule au niveau de l’inoculation, mais guérit très vite de la vaccine. Là encore la variolisation ne marche pas, l’enfant est protégé de la maladie. Après une trentaine d’expériences, Jenner publie ses résultats en 1798 dans une Enquête sur les causes et effets de la vaccine. Il adresse un rapport à la Royal Society qui refuse de l’imprimer. Il le fait donc imprimer à ses frais : le rapport se diffuse, de même que la vaccination. En 1802, le Parlement britannique le remercie en lui offrant une pension de 10 000 £.

Conclusion

La médecine a fait des progrès sensibles à l’époque moderne, dus à des recherches du corps médical et a des découvertes, parfois fortuites, qui bouleversent les théories scientifiques en vigueur. Mais la plupart de ces découvertes ne débouche pas sur des applications concrètes.

+ des ajouts

Paul-Joseph Barthez

Paul-Joseph Barthez (1734-1806), professeur de médecine à la faculté de Montpellier, avait été le principal collaborateur de Diderot pour l’Encyclopédie. Médecin de Louis XVI, du duc d’Orléans puis du premier consul, il a publié de nombreux ouvrages dont Nouvelle Méchanique des mouvements de l’homme et des animaux (1798, av 1782) –en ligne : http://web2.bium.univ-paris5/livanc/?cote=06762&do=chapitre

Le Thermalisme

Les médecins, les malades s’intéressent de plus en plus aux vertus des eaux minérales et l’on multiplie les analyses. Henri IV, avait édicté en 1604 un premier règlement sur ce sujet et les élites fréquentaient les eaux des Pyrénées et du Massif central. En 1785, la Société royale de Médecine confie à Joseph Carrère (1740-1802), inspecteur général des eaux minérales du Roussillon, le sin de poursuivre l’analyse des sources commencées par Gabriel Venel et Pierre Bayen, mais interrompue par la Guerre de Sept Ans. Il publie en 1785 un célèbre Catalogue raisonné des eaux minérales du royaume de France. Je vous renvois à la thèse de Carole Carribon. + article sur le net 2003 www.lapressethermale.org/fichiers/b021Carrere.pdf