Coste UE4 1er cours 01/02/08
Sommaire
Ecrire l’Histoire : les mutations de la Renaissance
Comme dans d’autres domaines, la Renaissance des XVe- XVIe siècles entraîne un bouleversement de la vision de l’histoire. Le Moyen Age considérait pratiquement les auteurs antiques comme des contemporains, en tout cas leur message, leur savoir comme d’actualité. Plan divin et plan humain se confondaient pour ôter tout sens à la chronologie. Le moyen age n’avait pas de véritable sens du passé. « Il n’y a pas d’histoire raisonnée au Moyen Age » selon Jacques Le Goff. Le déroulement des actions humaines montrait l’impuissance de l’homme et la toute puissance du très Haut. Le développement de l’humanisme allait introduire une nouvelle distance : l’on prend conscience de l’écart chronologique qui existe entre les textes classiques et l’époque à laquelle on vit, on exalte l’Antiquité par rapports aux temps jugés barbares du Moyen Age, l’expression medii aevi apparaissant à l’époque. Cette distance entre l’observateur et l’objet de son étude, Athènes, Rome, est comparable à la distance mise alors en évidence par la perception toute nouvelle de la perspective dans la peinture. Et pour l’historien Gabriel Monod dans la première revue historique « L’histoire date pour nous de la Renaissance ». Et d’ailleurs, ce n’est qu’à la Renaissance que le mot latin historia s’impose, sans toutefois être réservé au seul domaine historique puisque, dans la continuité de Pline, on parle d’histoire naturelle.
I Les techniques de l’histoire à la renaissance :
A Objets et objectifs de l’histoire :
Le Moyen Age avait connu les Annales, brèves notices chronologiques des principaux événements de l’année, les chroniques, c'est-à-dire la compilation des hauts faits d’armes des commanditaires, le plus souvent de grands princes. Pensons aux Chroniques de Froissart au XIVe siècle. Mais aussi l’hagiographie, les vies de saints, les miracles édifiants montrant Dieu à l’œuvre dans l’histoire humaine. A la jonction des deux, l’histoire universelle avait un propos double, théologique et politique. Dans cette conception, l’on ne pouvait remettre en cause l’œuvre divine ni rechercher l’objectivité dans la description de la geste princière ou seigneuriale. Mais c’est l’aspect moralisateur de l’histoire qui fait alors évoluer la vision de l’histoire à partir du XVe siècle. La lecture des œuvres de Plutarque (Bioi Parallèloi : Vies parallèles des hommes illustres), de Tite-Liv (Ab Urbe condita Libri : Histoire de Rome), de Suétone (De vita duodecim Caesarum Libri : La vie es Douze Césars) fit rechercher des exempla. La présentation chronologique des faits politiques, diplomatiques et militaires, qui subsiste, s’accompagne de la recherche d’une leçon morale. Peut-on déceler des erreurs, des succès, penser le présent en tirant profit des leçons du passé. Tirer des leçons du passé devient l’une les fonctions majeures et sociales de l’histoire. Extrait de Le Roy. Parallèlement, les humanistes, par admiration du passé antique pour les uns, à la demande des princes pour les autre, s’attèlent à la fabrique du sentiment national. Cette conception, déjà présente dans certaines chroniques, s’accentua au cours du XVe siècle, que ce soit en Italie, en France, en Angleterre. Nous y reviendrons lorsque nous évoquerons les mythes fondateurs.
B La transformation des méthodes historiques :
La redécouverte de l’Antiquité entraîne également un bouleversement des méthodes. Cette redécouverte concerne autant l’histoire que les lettres. L’historien grec Polybe, auteur des Histoires (Istoriai) est redécouvert par Leonardo Bruni (1370-1444) au début du XVe siècle ; on découvre d’importants manuscrits de Tacite Historia (Histoire), on remet Hérodote au goût du jour. Les humanistes s’interrogent sur la méthode historique, conçoivent de nouvelles techniques de recherches, d’investigation et de validation des événements du passé. Lorenzo Vala (1407-1457), cherche à vérifier les affirmations de Tite-Live et passe au crible de la philologie les documents du passé. Leonardo Bruni dit l’Arétin, secrétaire apostolique d’innocent VI puis chancelier de Florence, recommande de recourir le plus possible aux traces originales du passé. On compulse les cartulaires médiévaux, les inscriptions antiques. Ce goût des vestiges, des documents anciens donne d’ailleurs naissance au mot antiquarius, antiquaire, l’amateur passionné d’histoire. C’est ainsi que Valla constate par l’étude du vocabulaire et du style, par la confrontation avec les textes historiques du secrétaire de Constantin, Eutrope, que la fameuse Donation de Constantin qui avait servi les ambitions pontificales contre les empereurs était un faux , datant sans doute de l’époque carolingienne (1440). Il ne fait pas publier ce texte de son vivant et il faut attendre 1517 pour lire De Falso credita et emendita Constantini donatione declamatio : « J’entreprends maintenant d’écrire contre les vivants et non plus contre les morts, contre une autorité publique et non contre une autorité privée. Et contre quelle autorité, Contre le pape qui est ceint, non seulement de l’épée laïque des rois, mais aussi de l’épée spirituelle de l’épiscopat suprême, de telle sorte que tu ne peux te protéger de lui, de son excommunication, de son exécration, de son anathème, derrière aucun bouclier de prince. Et je puis dire avec la Bible »Où m’enfuir de devant ta face et du souffle de ta bouche »
Le moine Augustin Onofrio Panvinio en 1562 puis l’érudit bordelais Florimond de Raimond (1540-1601) mettent à bas l’histoire de la papesse Jeanne 1587 Erreur populaire de la papesse Jeanne. Cette papesse anglaise, ayant régné au milieu du IXe siècle, n’était apparue dans des chroniques dominicaines qu’au XIIIe siècle et était utilisée par les Réformés pour dénoncer les errements de la papauté. Ces historiens cherchent en outre à instiller dans le genre historique le beau style et la clarté d’expression de l’humanisme littéraire : l’histoire doit mettre en ordre le chaos des faits. Il faut classer les faits et tenter d’analyser les causes des événements. En 1560, Daniel d’Augé ( ?-1595), publie Deux dialogues de la vraye cognoissance de l’histoire : « Mais narrant le tout d'ordre, il est besoing que l'historien die la verité, à scavoir que l'histoire est un tesmoignage des choses passées, faictes, dictes, ou advenues, composée de plus vrayes narrations et de plusieurs descriptions, ainsi comme l'orateur mesme se sert de plusieurs lieux et argumens. » En 1583 le grand humaniste Joseph Juste Scaliger (1540-1609) précise les règles de la chronologie historique dans son Opus novum de emendatione temporum. il y définit sa notion de période julienne Enfin, dans "Thesaurus temporum" (1606) où il impose la chronologie comme science historique. Il écrit au moment de la réforme du calendrier grégorien pour pouvoir utiliser différents calendriers et unifier les différentes chronologies historiques. Il invente le jour julien : C'est un multiple de 3 cycles de calendrier :
* le cycle solaire, d'une période de 28 ans, représente, dans le calendrier julien, l'intervalle de temps pour qu'une même date corresponde au même jour de la semaine,
* le nombre d'or, d'une période de 19 ans, correspond au cycle métonique, c'est-à-dire l'intervalle de temps qu'il faut aux phases de la lune pour retomber aux mêmes dates de l'année solaire,
* l'indiction romaine, d'une période de 15 ans, n'a aucune signification astronomique mais correspondait à un cycle de levée d'impôts à Rome depuis Dioclétien et était utilisé par l'Église pour dater différents documents officiels.
La période julienne vaut donc :
28 * 19 * 15 = 7980 ans
Cette période commence lorsque les trois cycles sont chacun à leur commencement et Scaliger choisit cela parce que ce commencement était antérieur à toutes les dates historiques connues. En partant de l'année de naissance du Christ (nombre solaire : 3, nombre d'or : 1 et indiction : 3) Scalinger détermina que ce commencement était le 1er janvier 4713 av. J.-C. Bien que de nombreuses références indiquent que l'adjectif julien se rapporte au père de Scaliger, Jules (Julius) Scaliger, dans l'introduction au livre V de son Opus de Emendatione Tempore (Travail sur la correction du temps) il énonce : vocauimus d'Iulianum: est d'accomodata de dumtaxat d'Iulianum d'annum d'annonce de quia, ce qui se traduit plus ou moins par « nous appelons ceci julien simplement parce qu'il est adapté à l'année julienne ». (de Jules César, qui a introduit le calendrier julien en 46 av. J.-C.). Le temps est en effet un élément important pour l’historien et il ne faut pas oublier que c’est au XVIe siècle que nous devons le calendrier grégorien, le début de l’année au 1er janvier et la répartition par siècles.
II Les philosophies de l’histoire et les grands historiens de la Renaissance :
A. Les philosophies
Les travaux des historiens humanistes sont sous tendus par plusieurs philosophies de l’histoire. Il y a les théories du déclin
Chez les historiens chrétiens du Moyen Age, la conception du temps est linéaire avec un début, la Création et une fin, le Jugement dernier, avec une césure majeure, l’Incarnation. La redécouverte des splendeurs et du savoir de l’Antiquité mit au premier plan l’idée d’un cycle temporel. S’il y a Renaissance, Rinascita, c’est qu’il y a eu une période obscure, ténébreuse. Il y aurait donc successivement dans l’histoire des hommes des phases de dégénérescence et de régénération. Le présent est donc toujours susceptible de rechute et c’est là qu’intervient le rôle moralisateur et instructif de l’histoire. Il faut puiser dans les leçons que donne le passé. C’est grâce à l’histoire que le présent s’explique et que le futur se pénètre. On retrouve cette vision de l’histoire dans la volonté de la réforme protestante de retrouver l’innocence des premiers chrétiens après la déchéance que représente la papauté de son temps. Mais on voit aussi la naissance de l’idée de progrès
Jean Bodin (1530-1596), moins pessimiste, et soucieux de trouver dans l’histoire des lois générales, insiste sur la liberté de l’homme et sur sa possibilité de dépasser l’œuvre des générations passées. Il l’affirme dans un traité théorique paru en 1566, Methodus ad facilem historiarum cognitionem. Comme lui, Rabelais affirme le caractère cumulatif de la connaissance. L’historien Louis Le Roy (1510-1577), professeur au Collège royal dans ses Considérations sur l’histoire françoise et universelle de ce temps de 1567 dénonce ceux qui croient au déclin inéluctable de l’homme, puisqu’il croit au perfectionnement continu des arts et des savoirs.
B Quelques grandes figures de la Renaissance
* Les représentants de la transition :
Quelques auteurs français, influencés par les Grandes Chroniques de France marquent cette transition. Le général des Trinitaires, Robert Gaguin (1425-1501) écrit en latin en 1495 une monumentale histoire de France qui fut très vite traduite La Mer des Croniques et mirouer historial de France. Thomas Basin (1412-1483), évêque de Lisieux rédige plusieurs biographies de souverains, riche en portraits bien ciselés comme Histoire de Charles VII : Historiarum de rebus a Carolo septimo francorum rege et Histoire de Louis XI Historiarum de rebus a Ludovico undecimo Francorum rego. Les Annales et chroniques de France de Nicolas Gilles (1474-1503) restent encore fidèles aux six âges bibliques de l’humanité, basés sur la création en six jours, l’âge d’Adam, de Noé, d’Abraham, de David, de Babylone, Christ, le dernier âge étant à venir. Tout en restant un auteur de transition, Philippe de Commynes (1447-1511) fonde un nouveau genre, les mémoires historiques, qu’il rédige entre 1489 et 1493. Il s’y montre fin psychologue, bon portraitiste.
* De nouvelles conceptions :
Quelques historiens témoignent du renouvellement de l’histoire. Jean Bodin cherche dans les mathématiques les méthodes dont l’histoire doit s’inspirer pour atteindre à l’objectivité, à la vérité. Loys Le Roy est l’un des premiers à poser le concept global de civilisation. Quant à Lancelot du Voisin de la Popelinière (1541-1605), il privilégie les aspects politiques de l’histoire et accuse les ecclésiastiques d’avoir abusivement donné un sens providentiel à l’histoire. A Jean Bodin, qui présente trois types d’histoires, l’histoire sacrée, l’histoire naturelle et l’histoire humaine, il oppose une autre vision. Dans Histoire des histoires (1599) son ouverture au monde lui fait distinguer trois sortes d’histoire : • la grande histoire, générale et universelle • l’histoire moyenne, celle des Etats • la petite histoire, réservée aux villes et aux petits peuples
Ainsi, entre le début du XVe et la fin du XVIe siècle, un nouveau sens du passé et une nouvelle vision du présent se sont mises en place au sein des élites cultivées. L’esprit critique, la consultation des sources originales deviennent des outils.
Ecrire l’Histoire
L’époque moderne dans le temps
Dans ce premier cours, je voudrais présenter l’époque moderne et la resituer chronologiquement.
J’évoquerai trois aspects
Nos rapports avec le passé : la notion de mémoire Nos rapports avec le passé : la subjectivité de la périodisation Nos rapports avec le passé : la période moderne
I Histoire et mémoire :
« Enseigner l’histoire c’est injecter de la raison dans la mémoire. Mémoire et histoire sont deux formes du rapport au passé. La mémoire est le rapport irrationnel qu’un individu ou qu’un groupe, familial, tribal, national, ou autre entretient avec son passé. En outre, depuis les travaux de Bergson au début du 20e siècle, on distingue deux mémoires : celle qui fait se remémorer un souvenir, celle qui permet de mémoriser un fait, un geste afin de le reproduire. Le sociologue Maurice Hallbacks oppose donc la mémoire qui correspond au concret, au vécu, à l’histoire conceptuelle qui commence où s’arrête la mémoire ; L’histoire est donc un savoir abstrait , une entreprise rationnelle d’étudier le passé. L’histoire implique esprit critique, problématique, analyse. Notre rapport au passé est complexe. Tous les événements du passé ont-ils la même valeur, n’attachons nous pas plus d’importance à certains d’entre eux, ne survalorisons-nous pas certains, n’en déprécions nous pas d’autres ? nos souvenirs n’opèrent-ils pas une sélection ? tous les événements ne risquent-ils pas de s’emmêler ? la mémoire de fait, évolue, oublie, déforme, revitalise le passé, ne conserve que ce qui la conforte, censure, embellit. il faut donc ordonner, classer, hiérarchiser les faits, réfléchir aux causes, aux conséquences. Hiérarchiser revient à arpenter le temps or le temps de l’historien dépend en grande partie de la notion du temps qui varie selon les civilisations et les époques. Pendant longtemps, le niveau mémoriel a été absorbé par le niveau historique. Histoire et mémoire ont été souvent associés et identifiés. Tel n’est pas le cas. Mais c’est pour garder la mémoire des événements que s’est constitué en partie l’histoire. En France, la monarchie capétienne se cherche une mémoire, les libéraux font de même dans la première moitié du 19e siècle. Ernest Lavisse a d’une certaine façon républicanisé la mémoire de la France. L’historien a une mission, il doit apprendre le passé aux générations montantes et légitimer le présent par le passé. De ce passé, on retient quelques événements majeurs qui vont faire naître une mémoire collective : Vercingétorix, Clovis, Charlemagne, Hugues Capet, Saint-Louis, Marignan, Barra. Cette mémoire s’appuie sur des anecdotes, des phrases plus ou moins apocryphes, des dates. La France est entière, une de Grégoire de Tours à Valmy. Cette mémoire est d’ailleurs diffusée ans les écoles de l’Empire français.
L’histoire récente, avec ses nombreuses blessures, les guerres, a été propice à l’émergence de ce que l’on a appelé le devoir de mémoire. Ceci a pu aboutir à la notion de repentance au sein de l’Eglise catholique. En France, on assiste depuis quelques années au vote de lois dites mémorielles. Elles concernent en priorité les enseignants du secondaire que vous serez.
Loi du 13 juillet 1990 dite Loi Gayssot Loi du 29 janvier 2001 Loi du 21 mai 2001 dite loi Taubira Loi 2005-158 du 23 février 2005 dite loi Mekachera (article 4) Proposition de loi votée le 12 octobre 2006, complétant la loi du 29 janvier 2001
Les textes sont disponibles au JO ou sur le site de la revue Histoire : www.histoire.presse.fr
Je vous renvois ici à d’excellents articles parus dans la revue L’Histoire
Françoise Chandernagor, « Historiens, changez de métier », L’Histoire, n° 317, février 2007, p. 54-61 Le texte de sa conférence aux Rendez-vous de l’Histoire de Lois du 14 octobre 2006 est sur le site : www.ac-orleans-tours.fr/rdv-histoire/archives/2006/chandernagor.htm et en vidéo sur :canal2u-strasbg.fr Réné Rémond, Quand l’Etat se mêle de l’histoire, Paris, Stock, 2006
Pensez également à la phrase d’Antoine Prost dans son article paru dans XX 5e siècle, Comment l’histoire fait-elle l’historien ? ». « L’histoire ne consiste pas à cultiver le souvenir d’un passé lourd de ressentiments ou d’identités qui séparent irrémédiablement ». Il y a un numéro de la Revue d’histoire moderne et contemporaine consacré à histoire et mémoire : le numéro spécial n° 4 de 2005.
II La périodisation
La périodisation : vaste sujet par delà le désordre des événements, structurer le temps c’est faire œuvre d’historien c’est chercher un sens aux événement, les regrouper pour saisir les inflexions. Je reprends Antoine Prost « L’historien se meut comme naturellement dans une temporalité qu’il découpe en périodes, qu’il remonte et qu’il descend à sa guise ». Dans le monde occidental, marqué par le christianisme, il y a une conception linéaire du temps dans la perspective du Salut, de la création du monde à la fin. D’où la formule « Les choses ont un début, un milieu et une fin ». C’est une vision religieuse marquée par l’histoire car Dieu intervient dans l’histoire des hommes : il s’adresse à Abraham, à Moïse, aux prophètes, il s’incarne en Jésus qui reviendra pour marquer la fin des temps. On se place dans ce cadre, avant ou après l’incarnation du Christ d’où le système occidental de datation. Nous sommes en l’an 2007 de l’incarnation mais cela ne vaut pas pour les juifs, pour les musulmans, pour les autres religions même si le comput occidental est utilisé partout. Les autres civilisations ont une autre conception du temps. Ainsi la civilisation chinoise à une conception cyclique du temps. Dans cette conception, l’univers est placé sous la domination d’un complexe associant un point cardinal (nord, sud, est, ouest, centre), une saison (printemps,…), une vertu cardinale, une couleur emblématique (vert, rouhe, jaune…), un organe, une humeur, un élément (bois, feu, terre, métal, eau). Le pivot de l’ordre cosmique est le souverain : il marque le calendrier, il veille au bon déroulement des saisons. Tout manquement entraîne le désordre dans l’ordre cosmique et par conséquent dans l’ordre humain. Cette idée à favorisé la théorie des cycles dynastiques : une dynastie veille sur la Chine mais peu à peu sa force et sa vertu s’épuisent, elle est renversée par une autre dynastie qui connaît l’épanouissement. Mais c’est peu à peu le déclin et la chute, les empereurs sont faibles et immoraux. Il y a un arrière-plan moral très fort. Ainsi :
Dynastie des Qin : Rigueur, Nord, Noir, Métal
Dynastie des Han : Bienveillance, Centre, Jaune, Terre
C’est l’historiographe chinois Ban Gu au 1er siècle qui considéra que les dynasties étaient la période naturelle la plus longue, la plus complète que puisse étudier un auteur. Il y a donc une pratique bio-politique de l’histoire basée sur des règnes et des dynasties. L’empereur est la base de la périodisation chinoise. Tous les jours, les Grands Secrétaires de Droite et de Gauche recueillent ses gestes et paroles dans un Livre de l’activité et du repos. L’histoire du règne sera écrit sous le successeur comme celle de la dynastie, ce depuis l’histoire des Han jusqu’aux Mandchous dont l’histoire officielle a été commandée sous la République en 1928. Il s’agit donc d’une histoire orthodoxe, officielle, codifiée, rigidifiée à partir des Tang (618-907). Elle sert aussi pour l’art car on parlera d’un poète Tang, d’une porcelaine Ming. Pour ce qui correspond à l’époque moderne, il y a deux dynasties : après les Yuan, les Ming 1368-1644 et les Qing 1644-1911. Les occidentaux se sont essayés à une révision du découpage chinois. Le grand sinologue, Jacques Gernet a ainsi structuré : l’antiquité, les empires guerriers –220-960 L’empire mandarinal 960-1644 (avec les Ming 1370-1520 et leur crise 1520-1644 La chine moderne 1644-1900 avec l’essor des Qing 1644-1800, la crise 1800-1900 La chine contemporaine 1900 à nos jours mais il calque néanmoins en grande partie sur les dynasties. Si l’on veut appliquer nos critères chronologiques, on peut donc cerner une époque moderne 1520-1800.
Dans la tradition françaises, voire occidentale les quatre vieilles périodes ont servi de base aux chaires universitaires, à la périodisation scolaire. Elles sont basées sur l’idée que l’histoire commence avec l’écriture, renvoyant les périodes antérieures dans la pré et le proto-histoire. Ces périodes ont des origines complexes : pour la fin de l’empire romain, les dates se partagent entre 378 après J.-C. (désastre romain à Andrinople, face aux Goths), 395 (mort de Théodose et division de l'Empire romain en deux parties), 410, plus généralement admise (prise et sac de Rome par Alaric), 415 (fondation du royaume wisigoth de Toulouse), ou 476 (déposition du dernier empereur d'Occident, Romulus, dit Augustule, par Odoacre. L'expression «moyen âge» date du XVIIe siècle : ce serait Christophe Kellner (Cellarius), mort en 1707, professeur d'histoire à l'université de Halle, qui l'aurait employée pour la première fois, en 1688 (Historia medii aevi). Mais entre chaque période se trouvent des périodes de transition, délaissées, friches convoitées Bas-Empire devenu Antiquité tardive sous l’influence des historiens allemandes du Spätantike, Renaissance, Révolution. Cela entraîne des coupures artificielles : selon André Segal, professeur à l’université Laval au Québec « La coutume de l’enseignement est de rejeter l’étude du 15e siècle et celle du 16e de part et d’autre d’une ligne de démarcation. Sans doute, le professeur établit des liens et les manuels comportent une introduction qui récapitule les temps antérieurs. Mais c’est souvent artificiel. Parfois l’élève change de professeurs en même temps qu’il change se période, ce qui renforce la coupure. Et quand le même professeur aborde avec les mêmes élèves les deux siècles consécutifs, souvent il ne les traite pas dans une problématique continue, comparable, parce que les livres d’où il tire sa science proviennent de deux mondes universitaires clos, celui des médiévistes et celui des modernistes.» et il rajoute « Plus que toutes les autres, les quatre périodes traditionnelles font obstacle au développement de l’intelligence historienne ». Tel est l’avis d’autres historiens contemporains comme Michel Trebitsch, chargé de recherche au CNRS (+2004) ou Jean-Claude Caron, président de la Société d’histoire de la Révolution de 1848.
La notion d’époque moderne varie en outre d’un pays à l’autre de l’Europe
Si l’on prend un certain nombre d’ouvrages, les découpages chronologiques sont instructifs. L’Angleterre moderne est parfois l’Angleterre de 1714 à 1815, avant l’ère victorienne. Chez les historiens britanniques, Modern History désigne d’ailleurs l’histoire contemporaine et ce que nous désignons comme époque moderne est early modern history. Pour certains historiens de la Russie, la Russie moderne s’étend de 1801 à 1917. En Espagne, l’histoire moderne s’étend souvent de 1479 avec les Rois catholiques à 1808 avec l’invasion napoléonienne. Les Allemands parlent de Neuzeit pour la période qui suit le Moyen Age. La première occurrence de Neuzeit se trouve dans le dictionnaire des frères Grimm (1889). Ceux-ci opposent la Neuzeit à la Vorzeit (littéralement « la période d'avant ») Une série d'événements marque traditionnellement le début de la Neuzeit : la découverte de l'Amérique en 1492, c'est-à-dire l'ouverture du monde clos vers un infini potentiel, la proclamation des thèses de Luther et le début de la Réforme en 1517, ainsi que l'invention de l'imprimerie. L'histoire économique et politique introduit une différenciation de la Neuzeit en trois ou quatre phases. La première, celle de la Frühe Neuzeit, va à peu près du temps des premières cités-États italiennes jusqu'à la fin de la guerre de Trente Ans qui conduisit à un nouvel ordre en Europe (1350-1650). La seconde est qualifiée de neuere Zeit ou jüngere Neuzeit, marquée par la formation d'un sujet moderne et les idéaux des Lumières. On la fait aller généralement jusqu'à la Révolution française, en insistant sur l'avènement de la bourgeoisie comme acteur historique. L'industrialisation et ses effets forment le trait essentiel de la troisième période désignée sous le nom de neueste Zeit. Cette redondance tautologique (neu, Neuzeit, neueste Zeit, etc.) révèle que la notion de Neuzeit implique toujours une conscience de la relativité historique de toute époque Parmi ces expressions il n'y a que la Frühe Neuzeit, désignant à peu près la période entre 1450 et 1650, parfois allant jusqu'à 1800, qui ait été adoptée unanimement. Ces problèmes sont différents dans les pays neufs comme les Etats-Unis, le Canada, l’Australie. Il en est de même pour l’Afrique dont le découpage entre histoire précoloniale, histoire coloniale et postcoloniale fait l’objet de débats, ne serait-ce que parce qu’elle reste dépendante de la relation de l’Afrique à l’Europe.
III L’époque moderne vue par les historiens français
Pour la France, il y a des petites nuances même s’il y a une forte majorité d’historiens qui situent ses débuts à la fin du 15e siècle. Lucien Bély oppose les débuts et la fin de l’époque moderne. Les débuts sont la continuation du Moyen Âge que ce soit pour les institutions, les formes de pouvoir, les conditions de travail, les valeurs morales, les convictions religieuses. Pour lui, la fin est brutale, en 1789 l’ordre ancien est balayé en une nuit « Dans la nuit du 4 août, l’Ancien Régime était balayé. En ce qui me concerne, j’ajouterai le 23 juin, fin de la monarchie absolue. Mais l’Ancien Régime n’est pas synonyme parfait de Temps modernes. Cf introduction de Benoît Garnot, Société, cultures et genres de vie dans la France moderne 16e –18e siècle, Paris, Hachette, 1991, p.3. Prenons quelques exemples Pour Jean Delorme, Les grandes dates des temps modernes, 1494 début des guerres d’Italie 1789 réunion des Etats généraux
Jérôme Hélie dans son Petit atlas historique des temps moderne (2000) s’interroge peu sur la chronologie, commence vers 1500 et intègre la Révolution et l’Empire. Mais les dates initiales varient beaucoup d’un pays à l’autre : 1498 Louis XII en France, Henri VII Tudor en 1485 pour l’Angleterre, 1492 et la Reconquista pour l’Espagne, parfois plus précocement pour la partie orientale de l’Europe : 1453 chute de Constantinople, 1458 Mtthias Corvin en Hongire, 1462 Ivan III en Moscovie. Pour Lucien Bély La France moderne 1498-1789, paru en 1994, début du règne de Louis XII en 1498 et fin le 4 août 1789 mais il est très succinct sur les années 1783-1787 Pour Guy Saupin, La France à l’époque moderne, il y a une transition entre le MA et l’époque moderne sur le plan politique qu’il date de 1477-1532 mais sur le plan économique, les dates sont plus larges : Un beau 16e siècle 1450-1570 Un long et sombre 17e siècle 1570-1730 Un 18e contrasté 1730-1820
Mais sur le plan politique, il s’arrête à la convocation des Etats généraux en décembre 1788 Olivier Chaline dans La France au XVIIIe siècle ( 2005) s’arrête à l’assemblée des notables de février 1787 et évite l’engrenage pré-révolutionnaire. La Nouvelle histoire a voulu reconstruire de nouveaux siècles, avec un 18e siècle politique 1770 à 1880, un 18e siècle économique 1730-50 à 1830-50 mais l’on reste toujours dans les mêmes schémas. Prenons le cas de la grande collection du Seuil Histoire de Histoire de la France urbaine : T 3 E Le Roy Ladurie La ville classique De la Renaissance aux Révolutions couvre les 16e 17e 18e et début 19e 1981 Histoire de la vie privée le tome 3 Ph Ariès De la Renaissance aux Lumières 1986 Mais il y a quelques évolutions : Histoire de la France rurale : Tome 2 l’âge classique des paysans de 1340 à 1789, Le Roy 1975 Idem Histoire de la France religieuse : le tome 2 F Lebrun Du christianisme flamboyant à l’aube des lumières 14e-18e Et renvoit le 18e dans le T 4 Ph Joutard Du Roi Très Chrétien à la laïcité républicaine 18e –19e siècles 1991 Dans une autre collection Puf Histoire militaire de la France le T 1 va jusqu’en 1715, le second de 1715 à 1871
Dans l’enseignement supérieur, on peut noter que les limites sont également variables. Au niveau des concours, la Renaissance permet d’avancer dans le 15e siècle. Le programme récent portait sur les années 1470-1560. Pour la fin, la limite traditionnelle de 1789 est dépassée le sujet portant sur La Terre et les paysans en France et en Grande-Bretagne s’arrête vers 1800 et intégrait la Révolution et ses réformes agraires, le précédent sujet sur Révoltes et révolutions en Europe et aux Amériques allait de 1773 (Boston Tea Party, révolte de Pougatchev, suppression des Jésuites) à 1802, la paix d’Amiens. D’ailleurs, un certain nombre d’historiens débordent ce cadre académique. Il faut le faire prudemment car cela n’est pas toujours bien considéré. L’école historique bordelaise a été en quelque sorte boutée du début du 16e siècle par les médiévistes. Pensons à la thèse de Jacques Bernard sur Navires et gens de mer qui s’arrêtait en 1550, aux travaux de Michel Bochaca sur la banlieue de Bordeaux qui s’arrête vers 1550, à ceux de Sandrine Lavaud sur le vignoble qui s’arrêtent au milieu du 16e siècle. De nombreuses thèses bordelaises ont ainsi débordé : Anne-Marie Cocula, connue pour ses travaux sur Montaigne, La Boétie et les troubles politiques de la fin du XVIe siècle a fait sa thèse sur La Dordogne, un fleuve et des hommes Les gens de la Dordogne au 18e siècle mais elle poursuit ses investigations jusqu’à l’Empire et déborde parfois jusqu’au milieu du 19e, la thèse de Josette Pontet consacrée à Bayonne Bayonne, un destin de ville moyenne à l’époque moderne. Etude de l’agglomération bayonnaise de la fin du 17e siècle au milieu du 19e siècle, celle de Michel Figeac Destins de la noblesse bordelaise 1770-1830, celle de François Cadilhon, De Voltaire à Jules Ferry, l’enseignement secondaire en Aquitaine au 18e et 19e siècles. La mienne également. Pour moi, cela se justifie en partie. Sur le plan économique, les moyens ne changent guère jusqu’aux transformations de la monarchie de juillet et au second Empire. Sur le plan politique, les tentatives de retour à l’Ancien Régime durent jusqu’en 1830 et la royauté disparaît en 1848 n’oublions pas en outre que bien des hommes de pouvoir de la première moitié du 19e siècle des hommes de l’époque moderne ; ils ont été formés, éduqués avant la Révolution. Napoléon a 20 ans en 1789 (1769), Chateaubriand 21 (1768), Talleyrand 35 ans (1754), Fouché 30 ans (1759), Villèle (1773) 16 ans, le futur Charles X 32 ans (1757), le futur Louis-Philippe 16 ans (1773). Thiers, Guizot appartiennent à une génération née à l’extrême fin du XVIIIe siècle. Napoléon III est né en 1808..
Y a t-il d’autres découpages
Oui, celui que fait la Revue historique dans ces recensions de thèses, intègre systématiquement la période 1800-1870 dans l’époque moderne et repousse la contemporaine après 1870. Les services d’Archives, soucieux de respecter l’unité des fonds, ne recourent aux quatre périodes habituelles mais opposent archives anciennes, antérieures à 1789, archives modernes 1789 à 1940 avec une série particulière, réservée à) la Révolution série L et les archives contemporaines 1940. A la Bibliothèque Nationale, les bibliothécaires n’ont pas fait cette séparation : il ne connaissent que la longue durée série La Les Croisades, les guerres de Religion, la Révolution et les chefs d’Etat de Mérovée aux présidents de la République avec des série surprenantes Lb 39 Louis XVII Lb 47 Napoléon II Lb 50 Lieutenance générale On gomme tout ce qui est exceptionnel. Ce découpage, élaboré en 1684 par le bibliothécaire Nicolas Clément, est resté en vigueur jusqu’à la fin du 20e siècle où il a cédé la place à la CDU, Classification Décimale Universelle de Dewey 900 : géographie, histoire. Les découpages en histoire de l’art ne coïncident pas avec la période historique même s’il y a une section moderne dans l’histoire de l’art enseignée à l’université. Certaines dénominations ne recouvrent pas la même réalité chronologique : ainsi pour les styles de meubles, le style Louis XIII, le style Louis XV, le style Louis XVI ? Dans les Musées, les œuvres sont présentées par école, par technique, chronologiquement. Peinture : école (impressionnisme, fauvisme), chronologie ; sculpture : chronologie, école ; objets d’art : chronologie, technique. Il existe en France peu de musées chronologiques : il y a le musée de l’hôtel de Cluny à Parsi consacré au Moyen Age jusque vers 1450-1500, le musée national de la Renaissance ou Musée d’Ecouen, ouvert en 1977 mais en concurrence avec le Louvre et un haut-lieu de la Renaissance, Fontainebleau. Il y a le Musée d’Orsay consacré à l’art du 19e siècle. Mais l’art contemporain ne recouvre pas tout l’art des 19e et 20e
IV Les découpages dans le système scolaire français
Dans le domaine scolaire, les quatre vieilles se partageaient le programme de manière à peu près équitable : sixième l’Antiquité, cinquième le Moyen Age, quatrième : les temps modernes troisième l’époque contemporaine puis au lycée : époque contemporaine après un bref rappel de la fin de l’époque moderne en seconde. Les instructions officielles sont restées stables tout au long de la IIIe et IVe Ré jusqu’en 1969. Histoire, géographie, instruction civiques sont des enseignements indissociables au service de la patrie et de la République. Depuis les années 1970, les classes ne correspondent plus vraiment aux périodes. De plus l’objectif est devenu éveiller la curiosité des élèves, leur apprendre à réfléchir, activités d’éveil.
90.16.239.91 6 avril 2008 à 18:28 (CEST)amandine 6/04/0890.16.239.91 6 avril 2008 à 18:28 (CEST)