Cours complet 06-07 UE7 Bouneau
Sommaire
- 1 Histoire de la consommation
- 2 Economie du tourisme en Europe occidentale depuis l’époque moderne
- 2.1 I. La genèse du tourisme élitiste
- 2.2 II. La diffusion d'un tourisme de classe : le croisement de l'innovation de produits et de l'innovation de procédés
- 2.3 III. Une révolution organisationnelle : un système d'acteurs en réseaux
- 2.4 IV. La construction commerciale du désir touristique : du luxe aristocratique à la mise en scène du Front Populaire
- 2.5 Conclusion
- 3 De la démocratisation à la massification du tourisme depuis le second conflit mondial
Histoire de la consommation
Introduction / Historiographie
- L’histoire de la consommation est souvent présentée comme un nouveau chantier de l’histoire, traité seulement depuis une dizaine d’années et appartenant à l’histoire économique.
- En réalité, grâce aux travaux étatsuniens et britanniques, on peut voir qu’il s’agit autant d’histoire sociale et culturelle que d’histoire économique.
- De plus des études de la consommation ont eu lieu depuis le XIX° siècle par des économistes, cela notamment à travers les travaux des Statistiques Générales de la France (SGF), qui publièrent à partir de 1879 « l’annuaire statistique de la France ». Cette administration, dépendant du ministère des finances, donnait des informations sur les consommations alimentaires, énergétiques et médicales. Pour avoir des données plus anciennes on peut étudier les mercuriales. Ces dernières permettent en plus d’analyser les crises préindustrielles, c'est-à-dire les crises frumentaires, et à travers elles l’efficacité des approvisionnement des villes, donc de l’efficience de l’Etat, dont c’est une des fonctions principales.
- Au XIX° des économistes commencent à faire le lien entre croissance et développement, c’est notamment le cas d’Henri Hausser. (Le concept de développement est lui, établit dans les années 1960 avec le tiers-mondisme, l'IDH...). Cela rompt avec les études du paupérisme (Villermé) et du catholicisme social (Frédéric le Play). Ainsi on obtient des études des révolutions industrielles, des analyses des mécanismes des groupes sociaux et des vues des budgets familiaux. Sur ce dernier point, un statisticien énonce une loi portant son nom : la loi d’Engel. L’augmentation du niveau de vie s’accompagne d’une baisse de la part des dépenses alimentaires et d’une évolution des structures de la consommation. On passe de dépenses de survie et de subsistance à des dépenses de confort puis de surplus. Keynes reprendra cette théorie dans ses travaux.
- L’histoire moderne a beaucoup participé au développement de l’histoire de la consommation, à voir entre autre :
- ROCHE Daniel, Histoire des Choses Banales, Naissance De La Consommation 17-19eme Siècles. Fayard, Paris, 1998.
- Possibilités de recherches :
- Cultural studies : croisement de l’histoire de la consommation avec l’histoire des communautés et des identités.
- Gender history : histoire de la consommation à travers un regard sexué.
- L’histoire de la consommation à un lien avec la révolution des communications. Des technologies de la consommation sont adoptées. En effet l’histoire de la consommation nécessite l’invention de nouveaux services, notamment le passage de la réclame au marketing en passant par la publicité.
- De même l’histoire de la consommation a un lien avec la révolution de la distribution, par le passage du grand magasin (1850-1860) à la distribution par Internet (aujourd'hui) en passant par les hypermarchés (1960-1970).
Economie du tourisme en Europe occidentale depuis l’époque moderne
L’économie prise dans son acception initiale est la science de l’organisation : le rapport entre les parties et le tout. Cela consiste à parler de l’histoire de l’organisation du tourisme : une supra organisation, un système économique, social et culturel. C’est parler de la place du tourisme dans le processus de développement des sociétés occidentales. Le tourisme relève de la logique de l’offre et de la demande. Il correspond à un réseau d’entreprises. La part du tourisme dans le PIB ou le PNB relève du secteur tertiaire.
XVIe-XVIIIe siècle | XXIe siècle | |
---|---|---|
Deux patries du tourisme | Grande Bretagne
Italie |
Etats-Unis
France, Espagne, Italie (Triade) |
L’attraction de la France est due à sa capitale : Paris (Premier centre national et international touristique) et à Dysneyland resort Paris. L’économie du tourisme passe de la marge au cœur du système économique, social et culturel : société post-industrielle. Le tourisme associe l’économie classique (matériel) et la valorisation de l’immatériel : c’est le système de représentation. Elle est fondée sur un processus de distinction :
- Lieu : sélection d’espaces qui deviennent des microcosmes valorisés.
- Dans les années 1880 : Arcachon avec le phénomène des rivieras (saisons d’hiver et d’été)
- Dans les années 1980 : Les stations thermales (Bath).
- 2006 : Les Caraïbes : Cuba, les Antilles…
- Société : le touriste consomme de la distinction. Il est un être en représentation.
I. La genèse du tourisme élitiste
A/ Une préhistoire humaniste et littéraire
Cela nous renvoie à la genèse de la Renaissance, à la dynamique scientifique des grandes découvertes de la fin du XVe siècle - début XVIe siècle, aux voyages formateurs de l’ingénieur par la découverte de nouveaux espaces, à l’invention très lente de la vitesse (Studeny)…
Le tourisme est un sous-ensemble de l’économie des loisirs, lui-même un sous-ensemble de l’économie des services. Pour avoir du tourisme, il faut qu’il y ait du voyage. Le tourisme naît par l’évolution et l’amélioration des réseaux de transports : relais de poste…
Selon Jean Bodin (1530-1596) mercantiliste : « Il n’y a de richesses que d’hommes ». La découverte du monde est le fait de l’homme. Voyager est un devoir humaniste.
En 1551, Charles Estienne publie le Guide des chemins de France. Le voyage en Italie devient un modèle : Montaigne, en 1581, y séjourne. Il en rapporte un journal de voyage. Il y a une multiplication de descriptions itinéraires. Il y a une logique de l’innovation avec le modèle de la villa italienne (palladienne). C’est le début de la villégiature (ancêtre le la résidence secondaire). L’accès au pouvoir se fait par fixation du pouvoir. A l’époque moderne, c’est la construction de l’Etat central. C’est l’économie de Cour. La Cour devient sédentaire : en France à Versailles avec Louis XIV.
B/ L’omniprésence du modèle britannique
Cela renvoie au concept de tour ou grand tour. Le tour est une invention qui date du tournant du XVIIe siècle au XVIIIe siècle. Le jeune anglais aristocrate doit faire un voyage sur le continent : c’est la logique du voyage. C’est un voyage cadré : il va des rives atlantiques de la France jusqu’à Rome. Puis, au cours du XVIIIe siècle, il pousse jusqu’en Méditerranée et en Orient. Le plus souvent, ce voyage dure de 6 mois à 2 ans, souvent avec un précepteur et de la lecture obligatoire. Le but d’un tel voyage est de transformer le jeune anglais en gentleman. A cette époque, c’est une Europe où l’on voit de plus en plus les mythes : découverte des lieux… Ce sont les Britanniques qui invente le tourisme intérieur : ils redécouvrent le thermalisme (Ex : Bath dans les Cornouailles avec le docteur ingénieur Richard Nash). Les médecins attestent de la valeur thérapeutique des eaux. On multiplie les analyses des eaux. On crée un système économique thérapeutique : c’est l’économie de la cure. Il y avait des rituels journaliers : la déambulation (boisson, bain, douche). La cure durait 21 jours. C’est une économie thérapeutique et ludique qui exploite le divertissement codifié. Par le thermalisme, les jeux de hasard prennent une place dans le tourisme : casino. Par le thermalisme, il y a reconstitution du microcosme urbain. Les établissements thermaux adoptent une architecture romaine et théâtrale. Ce modèle reste en vigueur jusqu’à la fin du XXe siècle. A partir de 1740, la hiérarchie des stations change. A la fin du XVIIIe siècle, Bath est supplantée par Spa en Belgique. Au début du XIXe siècle, les grands pôles sont : l’Autriche, la Suisse, l’Allemagne. Dans le second tiers du XIXe siècle, il y a un véritable réseau thermal européen avec en France (Luchon, Bagnères-de-Bigorre, Cauterets, Aix les bains), Montecatini en Italie… L’exploitation des eaux minérales n’est qu’accessoire jusque dans les années 1960. Aujourd’hui, c’est l’inverse. La vogue de ces stations thermales est attestée par leur fréquentation aristocratique, mondaine, consacrée par la venue d’un souverain. La valeur du littoral était négative jusqu’à la fin du XVIIIe siècle excepté les espaces portuaires. Aujourd’hui, il y a un renversement. Alain Corbin, Le territoire du vide, l’Occident et le désir du rivage 1750-1840, Aubier, 1888. Il montre ce renversement.
Les Britanniques créent des villes balnéaires copiées sur les villes thermales. Mais il y a un décalage : le centre n’est plus la buvette, c’est la jetée promenade (peers à Bath). C’est l’économie du pas. Le pouvoir de l’immersion a une grande importance de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle. La première station balnéaire est Brighton crée dans les années 1740.
II. La diffusion d'un tourisme de classe : le croisement de l'innovation de produits et de l'innovation de procédés
- Objectif : croisé histoire du tourisme et histoire de l'innovation. Une histoire de l'industrie touristique placée sous une logique de l'innovation.
- La France s'inspire du modèle britannique pour son système touristique. France est en position intermédiaire entre la Grande-Bretagne / système alpin / système méditerranéen.
- La chronologie des innovations touristiques est différente de la chronologie de l'innovation globale. La chronologie est spécifique au domaine touristique.
- Le second-Empire correspond au véritable décollage (take-off) du tourisme en France. Les produits se diversifient, de même que la consommation. Différents types de tourisme : thermale, climatique, balnéaire, pèlerinage, etc. Apparition d'organismes qui soutiennent ce développement :
- Syndicats d'initiatives : premier fondé à Grenoble en 1889.
- Associations notabiliaires : Touring Club de France fondé en 1890.
A/ La dynamique des nouveaux produits : bain de mer, cure d'air et sports d'hivers
- Le modèle français se développe dans le premier 1/3 du XIXè : balnéation atlantique (Alain Corbin). On passe de la barbarie du rivage au désir du littoral. Forte évolution sociologique sur la côte. Révolution dans la perception de l'espace. On se questionne sur la place et le rôle de la nature, etc. La Normandie n'est pas la seule région à accueillir les touristes, la côte atlantique se développe aussi avec Royan, Arcachon, etc (premiers bains de mer dès 1820). C'est une activité multi-saisonnière.
- Création du climatisme se fait par un processus de distinction des lieux selon la qualité de l'air. Le climatisme devient une nouvelle branche de l'économie médicale. La cure d'air est souvent associée à la villégiature hivernale. Des villes comme Cannes en 1834, sur le littoral, apparaissent, et Pau, étant une ville d'altitude, se développe dans les années 1820. Arcachon prend le statut de commune en 1856 grâce à l'aide des frères Pereire. C'est le prototype de la ville touristique champignon. Arcachon est à la base une opération foncière et immobilière à laquelle on ajoute la médecine.
- Les nouveaux produits s'appuient sur les éléments naturels que sont l'eau et l'air. A la fin du XIXè, on commence à valoriser la neige et la glace en reprenant le concept global de sport d'hiver différent de la simple pratique du ski. Cela marque la variété des modèles de loisirs, on reprend le modèle scandinave qui s'appuie sur le ski. Mise au point de nouveaux produits. Même si elle est championne dans les domaines balnéaires et climatiques, la France n'est pas en tête dans le modèle alpin, elle reste suiveuse de la Suisse. Le premier club de ski alpin est créé en 1896 / la première compétition a lieu en 1906 dans les Pyrénées. Les infrastructures sont aménagées tardivement ; dans les années 1920 pour Megève par exemple, qui constitue la première station intégrée.
- On assiste aussi à un développement dans le pèlerinage de masse. C'est une innovation touristique majeure. La France est en tête dans ce domaine. Le pèlerinage a toujours existé, mais la France invente, avec la révolution industrielle, le pèlerinage commercial. La vierge apparait en 1856 à Bernadette Soubirous, la même année que le train arrive à Lourdes. Le pèlerinage devient très rapidement massif et l'évêché de Lourdes en association avec la Compagnie des chemins de fer du Midi organisent rapidement une offre totale un Package) comprenant tout le transport et le séjour sur place. Cela devient un produit culturel. Les records de fréquentation sont établis en 1872-1875. La gare de Lourdes devint la 3ème gare du réseau de la compagnie du Midi après Bordeaux et Toulouse. Les concurrents de Lourdes sont Rome, Lisieux ou Fatima.
On assiste à la formation d'une classe cosmopolite touristique chère à Veblen dont l'effet ostentatoire entraîne les économies locales. Veblen, The Story of the Leisure Class dont la première traduction française publiée en 1970 comporte une introduction de R Aron 'Avez-vous lu Veblen?'
- Le modèle français est donc très diversifié grâce à une offre très large de produits touristiques.
B/ De nouveaux procédés industriels: la manne du chemin de fer et la modernisation des systèmes pré existants
- Le développement du chemin de fer et la modernisation des systèmes pré-existant. L'économie du tourisme reste essentiellement locale, il n'y a pas encore de systèmes régionaux et encore moins nationaux. La révolution ferroviaire transforme l'offre du voyage touristique. On se déplace plus vite. Le pasteur Cook organise des voyages en Angleterre, des excursions collectives et dès 1872, organise le premier tour du monde touristique. Il peut être considéré comme le premier tour operator.
- Rappels sur le développement du chemin de fer. En 1842, arrivée du chemin de fer à Brighton ; création du concept de trains de plaisir dans les années 1830 ; première ligne Paris - Saint-Germain-en-Laye en 1837-1839, etc. Les frères Pereire s'associent aux Rotschild pour créer ces lignes. Bordeaux est relié à la Teste en 1846. Les Pereire deviennent promoteurs de Biarritz. Ils créent la Compagnie Générale Transatlantique pour élargir encore l'offre de voyages. Les littoraux sont aménagés progressivement. En 1906, Maurice Martin invente l'expression de Côte d'argent avec des stations telles que Lacanau ou Mimizan. Les compagnies régionales sont liées aux entrepreneurs locaux. Le chemin de fer fut pour l'économie touristique une main visible du manager (Pereire, ingénieurs) et fut une manne créatrice de stations grâce aux dessertes. Développement des entrepreneurs spéculateurs, ne se contentant pas d'être prestataires de transports, deviennent entreprises urbanistes. Les équipements collectifs : gares, installations balnéaires, casinos, parcs, lotissements, etc. => phase d'industrialisation du tourisme.
C/ Le stade suprême du culte de l'innovation technologique
- Le secteur touristique est un très fort consommateur d'innovations technologiques. Le secteur est à haute intensité innovatrice. Mise en place de tramways par exemple. Doit offrir tout le confort domestique. Dès 1881, les plaques en lettre d'or signalent que l'établissement dispose du confort moderne. Ces lieux deviennent des vitrines technologiques.
- Ces innovations restent liées à une identité régionale. La gare de Cauterets est construite sur le modèle du chalet suisse pour rappeler l'identité montagnarde. Le modèle suisse est d'ailleurs à la pointe alliant la trilogie vertueuse: chemin de fer / électricité / tourisme.
III. Une révolution organisationnelle : un système d'acteurs en réseaux
- Deux phases : second-Empire, période faste / puis 1890-1914, apparition de systèmes d'acteurs en réseaux. Hôteliers, investisseurs spéculateurs, ingénieurs, etc. On retrouve des acteurs institutionnels et sociaux. Le tourisme est une industrie à part entière et on commence à utiliser l'expression d'industrie touristique dans les années 1890. Le terme d'économie du tourisme arrive bien plus tardivement.
A/ La première vague de la belle époque : le réseau des clubs et des syndicats d'initiatives
- Club : origine britannique du terme, association notabiliaire qui a pour objectif la promotion d'une activité ou d'un produit. Club alpin français est créé en 1874. Ils reposent sur des initiatives privées, reprenant le modèle britannique. Volonté des élites de diffuser les activités sportives et l'otium touristique.
- Création en 1890 de l'Automobile Club de France. Valorise le moteur à explosion. Très forte dimension sportive, de compétition.
- Touring Club de France en 1890. Acte fondateur pour l'économie touristique française, première association globale de promotion du tourisme. Mission est d'encourager et développer le tourisme. Utilise la revue du TCF pour faire sa propagande. Apparition de nouvelles sociabilités avec l'apparition des classes moyennes supérieures et leur accès au tourisme. Durant l'entre-deux-guerres, arrive à environ 1 million d'adhérents.
- Efficace dans trois domaines :
- Rénovation de l'hôtellerie française avec modernisation des standards d'équipement avec le label TCF.
- Protection du capital touristique national avec la création du Comité des Sites et Monuments en 1904.
- Aménagement de circuits spécifiques, pour éduquer une clientèle nouvelle, comme la route de la corniche de l'Estérel en 1903 ou la route des Alpes en 1911.
- Efficace dans trois domaines :
- Syndicats d'initiatives se développent dans les années 1910 avec la création de l'Office National du Tourisme chargé de développer une promotion des activités touristiques.
B/ La vague des années folles : les opportunités d'un système d'encadrement
- France n'est pas à la pointe dans système d'encadrement. Autriche est plus en avance avec la création des congés-payés en 1910.
- Financement du tourisme ? prend sur les ressources du villégiateur. Taxe de séjour apparait en 1910 en France. La première étant la Kur Tax en Allemagne en 1912. La loi du 13 avril 1910 autorisait l'application d'une taxe facultative de sejour dans les stations hydrominérales et climatiques. Cette taxe avait pour objectif de financer l'ONT, le TCF et les communes.
- La Grande Guerre est un accélérateur. C'est une guerre patriotique / totale. On imite les modèles germaniques afin de vaincre les stations allemandes et d'attirer plus de clientèle internationale.
- Lois de 1919 établissent un classement complet des stations thermales, climatiques et touristiques et rendent la taxe de sejour obligatoire. Tourisme des champs de bataille se développe, coordination des structures, efforts de regroupement.
- 1920, Union Nationale des Associations de Tourisme.
- 1992, Union des Fédérations des Syndicats d'Initiatives.
- Formation sur le modèle suisse du crédit hôtelier en 1923.
- Protection des sites devient une préoccupation de plus en plus importante. Loi du 10/07/1924 organise l'aménagement, l'extension et l'embellissement des stations touristiques. Création d'un système d'encadrement urbanistique pour la protection de l'environnement. Loi du 02/05/1930 renforce la préservation des sites et des monuments naturels et historiques.
=>Dans les années 1930, le tourisme est reconnu comme un secteur économique et social à part entière par le Conseil National Economique qui lui consacre un rapport en 1935. Ce rapport définissant le tourisme comme un complexe d'activités. Le tourisme passe de la marge au coeur du système économique. Création en 1935 du Commissariat Général au Tourisme sous le gouvernement Laval.
IV. La construction commerciale du désir touristique : du luxe aristocratique à la mise en scène du Front Populaire
Phase intermédiaire durant l'entre-deux-guerres : diversification et démocratisation.
Application d'un enchaînement de la réclame isolée à la propagande et de la publicité au marketing (stade suprême de l'innovation touristique).
Cette construction commerciale du désir touristique doit jouer sur l'éveil du désir des différentes catégories : le voyageur, le curiste, le villégiateur.
Donc stratégie de construction de la demande dans le cadre plus large de la consommation. Les leviers de cette construction commerciale du désir touristique sont : la création artistique, et la moyennisation du tourisme (ce qui amorce la massification).
A/ Innovation touristique et innovation artistique : le pouvoir des affiches
- L'affiche ferroviaire est un levier important du dialogue entre industrie, art et culture. C'est l'archétype de l'affiche.
- Innovation globale, dans les années 1880, mise en oeuvre de nouveaux procédés industriels avec à la fois de nouvelles méthodes typographiques et la reconnaissance des arts graphiques pour la première fois.
- C'est l'illustration technique et poétique des politiques de promotion commerciale des compagnies ferroviaires.
- C'est aussi pendant longtemps, pour le monde rural, la seule expérience de l'art (avec le calendrier des Postes).
- Le premier âge d'or des affiches ferroviaires s'étend de 1895 à 1905. Quelques grands noms : Alphonse Mucha (typique de l'Art Nouveau) et Henry Gray.
- L'affiche ferroviaire est une invitation au voyage qui met en avant les facilités de la desserte et des "structures fonctionnelles des villégiatures" (Chadefaud), c'est à dire les hôtels, les casinos, les bains, etc.
- On vante l'attrait naturel et climatique des sites.
- Pour les stations thermales, on met en avant les indications thérapeutiques des sources.
- C'est une construction sociale avec des maitres mots : nature, luxe et mondanité. On reconstruit un microcosme urbain paradisiaque.
- Innovation spatiale fantasmée, l'affiche transfigure le site. Par l'affiche rejaillit la distinction sociale sur le touriste qui se rend sur ce site.
- Cette affiche touristique doit être réintégrée dans l'innovation artistique globale et dans les révolutions artistiques du début du XXème siècle.
- Art Nouveau au tout début du XXième siècle,
- dans les années 20, avec l'affichiste Cappiello, les Arts déco. Les Art Décoratifs développent de nouvelles normes : la recherche de la synthèse, de l'épure approfondie (cf le thème des sports d'hiver : on vante le skieur, le mouvement).
- L'affiche touristique devient un art fonctionnel au service de la promotion commerciale du tourisme.
- L'affiche a un rôle polyvalent : elle contribue à la reconnaissance définitive du site et de son patrimoine. C'est une fonction de muséefication.
- A la fin du XIXème et au début du XXème siècle, on assiste à une diffusion des guides touristiques. L'âge industriel du guide touristique commence à partir des années 1890. En France, on trouve le système Michelin : publication du premier Guide Rouge en 1900. En 1889, Michelin impose le pneu pour bicyclette et adopte le personnage Bibendum. C'est une des premières entreprises en Europe à comprendre toutes les opportunités économiques du tourisme. Michelin a mis en place une politique multiforme avec ses pneus, son logo, ses cartes, ses bornes, les partenariats sportifs et les renseignements aux voyageurs.
B/ La diffusion de l'offre touristique : la marche à la « moyennisation »
- La question de fond qui se pose : la moyennisation, c'est seulement la première phase de la massification ? C'est une logique à la fois intermédiaire et spécifique dont les vecteurs combinent les mécanismes du mimétisme (imitation du comportement des classes supérieures) et la segmentation de la classe moyenne.
- Le mode de consommation touristique entre dans la grille d'identification de chaque segment socio-culturel et socio-économique. Cette logique est soutenue sur la longue durée par la hausse du pouvoir d'achat et par les congés payés (qui existaient avant 1936, la France n'est pas pionnière, c'est plutôt l'Autriche).
- Le Front Populaire participe d'une légende dorée et représente une période chargée de symboles : les deux semaines de congès payés, les tickets ferroviaires, le tandem, etc. Sous le Front Populaire, on assiste à une série de mesures en faveur du tourisme, de la jeunesse et des sports et de la politique sociale (de 1836 à 1838).
- C'est un ensemble cohérent de nouvelles dispositions qui utilisent l'innovation touristique.
- La loi du 20 juin 36 sur les congés payés donne une assise sociale au déploiement des politiques touristiques. Nouveau droit fondamental aux vacances pour tous. Cela fait maintenant partie de la démocratie.
- Création de billets de train spéciaux : les billets populaires ou billets de congés payés. Cela offre jusqu'à 40% de réduction sur la troisième classe. Le trafic durant les périodes de congés payés augmente de 60%.
- Il faut souligner l'action charismatique du sous-secrétaire d'Etat aux loisirs et aux sports, Léo Lagrange. Ce mythe est renforcé par sa mort au combat en juin 1940. Il s'est appuyé sur le mouvement déjà important des auberges de jeunesse créees en 1929 par Marc Sangnier. On en compte 40 en 1934 et 300 en 1939. En janvier 1937, Léo Lagrange met en place une commission du tourisme populaire assez efficace pour la première démocratisation des sports d'hiver en particulier grâce à l'organisation de trains de neige populaires et au soutien des petites stations familiales. Les saisons 37-39 ont vu une expansion des hivernants et des licenciés à la F.F.S. (Fédération Française du Ski).
- Ce n'est qu'une première avance de politique de tourisme social. Le budget de Léo Lagrange est égal à moins d'un million de francs. On peut cependant souligner l'action poursuivie par le ministre de l'éducation nationale Jean Zay après le Front Populaire dans une circulaire du 8 mars 1939 sur le développement du tourisme social. L'action est reprise dans les années 50.
- Il s'agit là d'une étape avec un budget limité. Il faut de plus bien garder à l'esprit qu'il n'y pas de départs massifs en vacances de l'ensemble des salariés français avant les années 60.
Conclusion
- Le tourisme est par excellence un champ de croisement des théories de l'innovation.
- Il faut d'abord souligner la construction de territoires touristiques différents, le rôle de la concentration des entreprises qui comprennent que le tourisme est un enjeu majeur (action de Cook en GB), l'imbrication du tourisme avec les réseaux techniques et d'acteurs et le poids considérable des facteurs culturels.
- En un siècle, du milieu du XIXème jusqu'au Front Populaire, le tourisme devient bien un secteur socio-économique à part entière, identifié par son poids économique, son intérêt social, signe du passage de la société industrielle à la société post-industrielle.
De la démocratisation à la massification du tourisme depuis le second conflit mondial
Les logiques de démocratisation ont été portées par les régimes démocratiques et totalitaires mais ont été limitées par la conjoncture, par l'absence de politique globale et par le caractère nationaliste des premières politiques mises en place.
Nouveau levier : l'internationalisation progressive du tourisme. Celle-ci est fondée sur l'augmentation du pouvoir d'achat durant la période de la haute croissance, sur la convergence des sociétés occidentales sur de nouvelles logiques d'innovations y compris d'innovations techniques.
I. Les nouvelles dynamiques du tourisme populaire
- Le tourisme populaire s'affirme rapidement comme une aspiration des populations dès la Libération. Par exemple, dès 1944 est crée en France un organisme, "Tourisme et travail", et le Centre Laïc de Tourisme Culturel (CLTC). Ce tourisme populaire et social est une revendication de fond depuis la fin du XIXème siècle. Par exemple, les centres de vacances crées par des syndicats de travailleurs en Grande-Bretagne et en Belgique. Pendant l'entre-deux-guerres, formation des "Countryside Mansions House Centers". Ces organismes rachètent des châteaux et des parcs (revanche contre la société aristocratique).
- L'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas sont en avance dans le domaine du mouvement coopératif, cela se traduit par la création de centres de vacances. Par exemple, en Belgique, depuis les années 20, on trouve de nombreux centres de vacances sur le littoral ou dans les Ardennes. En 1956 s'installe à Bruxelles le Bureau International du Tourisme Social (BITS).
- L'inspiration idéologique de ce tourisme social est très diverse : militantisme laïc ou de gauche (syndicats), coopératives de consommateurs de tous bords, influence chrétienne-sociale qui se retrouve en France dans deux grands mouvements :
- 1954 : création des Maisons Familiales de Vacances
- 1958 : création des Villages Vacances Famille (VVF) qui sont impulsés par la Caisse des dépôts et consignation qui aménage dans les années 1960 jusqu'à dix villages par an.
- En 1956 se tient le premier congrès international du tourisme social à Bern.
- Ce tourisme social bénéficie largement de l'augmentation des congès payés :
- 1956 : troisième semaine de vacances par Guy Mollet,
- 1969 : quatrième semaine,
- 1982 : cinquième semaine.
- La dynamique du tourisme social a été réenclenchée par le gouvernement de Pierre Mauroy. En 1982 sont crées les chèques vacances par exemple.
- Développement du tourisme :
- Massification : économique et technique
- Moyennisation : social
- Démocratisation : socio-politique
- Différence dans l'intensité :
- Massification : proche des 100 %
- Moyennisation et démocratisation : plus de 50 %
II. Les "30 Glorieuses" de l'économie touristique française. Massification, moyennisation ou démocratisation ?
- Les "30 Glorieuses" n'ont jamais existé :
- Forte croissance entre 1950 et 1953
- Grande crise dans les années 1970 (crise monétaire en 1971, crise énergétique en 1973)
- Décélération de la croissance à la fin des années 1980
L'économie touristique connaît un âge d'or durant les décennies 1950, 1960 et 1970. Le tourisme est alors reconnu comme un secteur économique à part entière.
Évolution organisationnelle : système d'acteurs en réseau
- Investisseurs publics et spéculateurs
- Caisse des dépôts
- Promoteurs immobiliers
- L'État
- Lien aménagement touristique et aménagement du territoire
- Mission touristique de la DATAR
- Les collectivités locales
- Essentiellement municipalités
- Peu de pouvoir avant la loi de décentralisatioln de 1981
- Situation différente en Italie ou en Espagne (deux autres grandes puissances touristiques)
Le tourisme est un système d'innovations
- Appartient aux mutations des comportements de la société post-industrielle
- Entrée dans le registre de la consommation du superflu
La croissance du tourisme et la politique d'aménagement du territoire sont en contradiction avec le cycle économique des années 1970. Croissance résultat de l'élévation du niveau de vie et du temps libre :
- Élévation générale du niveau de vie
- Croissance des revenus dans les années 1950 et 1960
- Allongement des congés payés
- Naissance d'une société du plaisir, société hédoniste dans les années 1970
Le tourisme social représente 770 000 places en 1981 (environ 500 000 dans les colonies de vacances). Départs en vacances :
- 1936/9, 2 Millions de Français
- 1951, 7 Millions de Français
- 1964, 20,3 Millions de Français
- 1975, 26,1 Millions de Français
- 1988, 32 Millions de Français
Situation de quasi saturation.
Taux de départ :
- 70 % pour les ouvriers
- 86 % pour les cadres sup et professions libérales
- Très peu de départs pour les agriculteurs et les personnes âgées
Forte influence du tropisme littoral. 1980, lieux de vacances :
- 45 % en bord de mer
- 20 % à la montagne (dont les 2/3 en été)
- 25 % à la campagne (catégorie large)
- 5 % en ville.
- 5 % font du tourisme itinérant
La France est la première puissance touristique en Europe. Concurrence des USA pour la première place mondiale (tourisme intérieur américain).
En 1980, tourisme international :
- 7 Millions de Français en dehors de France
- 30 Millions d'étrangers en France (rôle du tourisme de passage, vers le Sud de l'Europe)
- 8 Millions de francs d'excédents de la balance touristique
L'économie touristique de la France est un modèle international.
- Revenus supérieurs à ceux de l'agriculture.
- 520 000 emplois directs.
- 800 000 emplois indirects (matériel de camping, équipements de sport d'hiver, BTP, etc.)
Depuis les années 1980, stagnation, saturation. Il est difficile de dépasser le taux de 60 % (pas encore de massification). Le nombre de jours de vacances hors domicile est inférieur au nombre de jours de congés.
On peut parler de moyennisation. Il faut rattacher la croissance du tourisme à celle de l'économie des loisirs : de 1970 à 1984, les dépenses de loisirs ont été multipliées par 6. Cette moyennisation du corps social s'appuie sur l'élévation du niveau de vie.
III. Diversification des entreprises touristiques : un système d'acteurs en réseau
Le tourisme appartient à la politique d'aménagement du territoire, à un "volontarisme modernisateur". 1959-1963 : début de la structuration du secteur
- 1959 Instauration du statut du camping
- Création d'un Comité interministériel du tourisme
- 1960 Création des parcs nationaux
- 1962 Mise en place d'un Commissariat au tourisme sous l'autorité directe du 1er Ministre
- 1963 Création de la DATAR
- Décrets sur les parcs naturels régionaux
- 1967 Proclamation de "l'Année du tourisme, passeport pour la Paix"
- 1968 Rattachement du Commissariat au tourisme au Ministre de l'aménagement
- 1978 Rattachement du Commissariat au tourisme au Ministre de la Jeunesse et du Sport
- 1987 Mise en place des réseaux départementaux et régionaux de tourisme
Tourisme montagnard :
- 1964 Création d'une Commission interministérielle pour l'aménagement de la montagne qui adopte le Plan Neige
- 1968 Jeux Olympiques de Grenoble
- 1980 Tunnel du Fréjus (symbole d'une politique de grands travaux des infrastructures)
Le ski est considéré comme un marqueur de discrimination sociale :
- 5 Millions de skieurs en 1980
- 36 % de cadres moyens et sup prenant des congés vont aux sports d'hiver
- 2 % pour les ouvriers
- 4 % pour les employés
2 générations de stations :
- Autour d'un noyau villageois (petite station)
- Création de station coûteuse et intégrée
- Association de différents investisseurs
- Prototype de Megève dans l'Entre-deux-guerres
- Grandes capacités d'accueil (parkings, logements)
- Dans les années 1970
- 1977 Interdiction de construire des stations au dessus de 1600 m dans les Alpes et 1400 m danas les Pyrénées
- Respect de l'environnement, recherche de la qualité de vie (fin des grands habitats)
- Première réalisation : Val Morel
- Objectif tourisme multisaisonnier
Le camping
- Un million de campeurs officiels (enregistés, encartés) en 1951, 12 millions en 1981
- Évolution de la pratique, des modes de vie, proposition de nouveaux équipements
Dans les années 1960 et 1970 : Missions interministérielles concernant l'aménagement du territoire
- Languedoc Roussillon en 1963
- Urbanisme intégré sur 200 km de côtes
- Grande Motte et Port Leucate
- Critiques non respect des équilibres naturels
- Logique différente en Aquitaine, d'abord perçu comme un retard, aujourd'hui un avantage
Conclusion
Âge d'or dans les décennies 1950, 1960, 1970. Prise en compte tardive et progressive des équilibres naturels.
- 1975 Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres
- 1976 Limitation de l'utilisation du front de mer
- 1986 Loi littoral