Cours complet 09-10 UE3 Coste

De Univ-Bordeaux


COURS 1 : Territoire et espace

Il s’agit de s’interroger sur le territoire dans ses relations avec l’espace. Souvent, on utilise un mot pour l’autre et les termes sont impensés en eux-mêmes. L’histoire s’inscrit dans un espace sur lequel aucune réflexion épistémologique n’a été menée de la part des historiens qui se cantonnent au temps, laissant l’espace aux géographes. Or les deux sont liés.

I) les géographes, l’espace et les territoires.

Les géographes ne sont pas les seuls à s’intéresser à l’espace et au territoire, les historiens, les sociologues, les philosophes ou les ethnologues s’en emparent.

A) Les dictionnaires de géographies.

  • Pierre GEORGE (dir), Fernand VERGER, Dictionnaire de la géographie, 1970.
  • Roger BRUNET, Les mots de la géographie, 1992
  • Pascal BAUD, S. BOURGEAS, C. BRAS, Dictionnaire de géographie, 1995
  • J. LEVY, M. LUSSAULT, Dictionnaire de la géographie, 2003.

Internet :

  • www.espacestemps.net (dictionnaire de géographie mis en ligne par l’Académie de Strasbourg).

Les dictionnaires de géographie permettent à l’historien d’avoir un accès direct aux conceptions des géographes.

B) L’espace vu par les dictionnaires.

L’ « espace » est le terme le plus vague. Au XVIIe siècle, le Dictionnaire de Furetière le définit ainsi : « Une étendue infinie de lieu, lieu déterminé, étendu depuis un point jusqu’à un autre. » Le dictionnaire de la géographie de P. George et F. Verger dit qu’il s’agit de « l’environnement de la planète », c’est une définition limitée pour l’histoire moderne en particulier. Dans l’ensemble, les définitions sont contradictoires, les débats vifs, surtout à partir des années 1960-1970 quand certains géographes ont voulu démolir les Grands de la géographie du début du XXe siècle, dans une démarche d’émancipation de la dimension vidalienne (Vidal de la Blache) de l’espace. L’étude se basait sur la description de l’espace. C’est ce qui est mis en cause par ceux qui pensent qu’il existe dans l’espace des dynamiques que l’œil humain ne voit pas.

L’ « espace » vient du latin spatium, « ce qui mesure avec le pas ». Il peut être clos ou une étendue, mais c’est un espace cartographiable. C’est l’espace-terrestre de l’humanité (œcoumène) ; l’espace géographique (portion définie de l’espace terrestre : espace rural, montagnard, etc.) ; l’espace économique, social, public, vécu, représenté (ces deux derniers ayant une connotation socio-culturelle, subjective selon le vécu, les connaissances et l’imaginaire). Les sociologues en viennent à l’idée que chaque individu a une carte mentale de son espace vécu qui contient à la fois l’espace de sa vie quotidienne et celui de la culture qu’il peut avoir.

C) Le territoire.

La notion de territoire semble simple au premier abord, plus précise que le terme espace. Furetière le définit comme « une juridiction, un ressort, étendue d’une seigneurie ou d’une paroisse ». On a là une définition très juridique du territoire, en fait un espace sur lequel s’exerce une autorité. Selon Pierre George, le territoire est « un espace géographique qualifié par une appartenance juridique ou culturelle ». Donc le territoire est définit par ses frontières, bref un espace contrôlé, borné. On retrouve ces aspects mis en avant dans les définitions de l’administration (exemple : Territoire d’Outre-mer).

Si ce territoire est limité il peut se définir à l’aide de ce qui lui est extérieur, parfois même en opposition. L’idée sous-jacente est que le territoire est un espace approprié, exclusif (renvoie à la zoologie, les animaux marquent leur territoire). Cette notion a une dimension affective et intellectuelle.

Levy et Lussault donnent plusieurs définitions au territoire : «un espace à métrique topographique », c'est-à-dire un espace qui se mesure en utilisant un étalon, dans le système euclidien (unités de mesure identiques). « Cet espace est caractérisé par la continuité, par l’uniformité ». Cette question peut être contournée grâce aux progrès informatiques qui ont permis des procédés cartographiques nouveaux en intégrant des données quantitatives : l’anamorphose (www-viz.tamu.edu/faculty/house/cartograns). Ils définissent également le territoire comme « toute portion humanisée de la surface terrestre » ou un « agencement de ressources matérielles et symboliques capable de structurer les conditions pratiques de l’existence d’un individu ou d’un collectif social et d’informer en retour cet individu et ce collectif sur sa propre identité. » Le problème reste de trouver des moyens de représentation schématique et synthétique ce que l’on a pu observer sur cet espace. Pour ce faire, on utilise des symboles, pour mettre en évidence des phénomènes et en minorer d’autres, selon ce que l’on souhaite étudier. On fait le choix de symboles compréhensibles, selon des critères qui ont une logique.

Se pose la question in fine du lien entre le territoire et le réseau. Il n’y a pas d’opposition fondamentale entre les deux : le territoire est une surface de points reliés entre eux, le réseau est fait de lignes parcourant une surface. Souvent, le réseau couvre un territoire. [Mais en étant immatériel, le réseau transcende partiellement ou totalement le territoire.]

II) la vision des historiens.

A) Fernand Braudel.

Longtemps, les historiens ont été peu sensibles à la dimension géographique de leur travail. Avec l’école des Annales, cet intérêt se développe. Émerge alors Fernand Braudel (1902-1985) qui a fait sa thèse dans des conditions difficiles (détenu 5 ans sous l’occupation). D’abord, il a préparé une thèse classique sur La politique méditerranéenne de Philippe II d’Espagne, mais il a finalement changé d’idée est recentré le sujet sur la Méditerranée, accordant par là la primauté à cet espace géographique sur l’individu Sujet qu’était le roi : La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. C’est l’époque où la Méditerranée, centre du monde au Moyen âge, décline au profit de l’Océan Atlantique. Braudel innove également en mettant l’accent sur le temps long, surtout que l’époque moderne est le temps de la lenteur, l’homme étant tributaire des conditions naturelles. Etudiant l’espace et la longue durée, il peut distinguer les permanences et les transformations. Fernand Braudel a ainsi intégré la prise en compte des contraintes de l’espace dans le travail d’historien. En s’intéressant à la fois à l’espace et à la longue durée, il en est venu à forger le concept d’espace-monde et d’économie-monde, en s’inspirant des travaux de Wallenstein, il publie en 1967 Civilisations matérielles et capitalisme. Il définit par son concept d’économie-monde, des territoires autonomes qui vivent par eux-mêmes. L’idée est qu’il y a plusieurs économies-monde en contact ou non entre elles sur la planète : ainsi de l’empire romain et la mare nostrum, et de ses quelques liaisons avec les mondes germain, africain et asiatique. Une économie-monde a un centre, une ville dominante, le cœur des décisions. Il y a ensuite des régions secondes, les plus proches géographiquement, les plus intégrées au système, qui tirent profit de l’ensemble. Enfin, les régions périphériques dominées, floues, ayant des contacts moins affirmés.

B) la postérité de Fernand Braudel

Sa postérité est grande, même si, évidemment, son travail a été contesté et critiqué. L’étude de l’espace est devenue, depuis sa réflexion, une des composantes du métier d’historien. Pour preuve, Pierre Chaunu publie en 1974, Histoire, science sociale. La durée, l’espace et l’homme à l’époque moderne. A partir d’ouvrages fondateurs, comme celui-ci, les analyses, les articles, les thèses se multiplient. Certains travaux d’historiens ont carrément porté sur le monde. La thèse de Pierre Chaunu, Séville et l’Atlantique de 1604 à 1650, parait entre 1955 et 1959 (11 volumes !), tandis que Frédéric Mauro publie L’expansion européenne 1600-1870, en 1964. D’autres ont écrit à des échelles géographiques légèrement moindres, tel François Chevalier, dont l’ouvrage La formation des grands domaines au Mexique. Terre et société, est publié en 1952. Pierre Vilar a lui écrit sur La Catalogne dans l’Espagne moderne, alors que Pierre Goubert à fait de « l’histoire bailliagère », selon sa propre formule, dans Beauvais et le Beauvaisis, 1600-1730, paru en 1960. A partir de là, le niveau se rétrécit. De nombreux historiens se sont lancés dans des études portant sur de petits territoires du fait, notamment, d’avoir à traiter les données à la main, avant l’ère de l’informatique. Dans ce courant s’inscrit Abel Poitrineau avec son ouvrage La vie rurale en Basse-Auvergne au XVIIe siècle, ou Pierre de Saint Jacob lorsqu’il rédige Les paysans de la Bourgogne du Nord ou encore Jean-Michel Boehler avec La paysannerie de la plaine d’Alsace, 1648-1789. La révolution informatique a, paradoxalement, limité ce genre d’études.

Par la suite, certains se sont concentrés sur les espaces maritimes, s’inspirant de La Méditerranée de Braudel. Kenett Mc Pherson travaille sur l’océan Indien : The Indian Ocean, a History of People and the Sea, 1995. Les travaux sur la mer Noire sont le fait de Charles King: The Black Sea. The Political and Social History, 2004. Renaud Morieux étudie La Manche au XVIIIe siècle. La construction d’une frontière franco-anglaise, ouvrage paru en 2005, dans lequel il montre la vie autonome de l’espace maritime alors que les territoires qui le bordent sont en guerre.

Dans ces travaux, beaucoup présentent des défauts, en ce sens que la plupart sont des praticiens de l’espace et ne le théorisent pas. On peut également souligner la faiblesse de l’interdisciplinarité. Les historiens qui s’intéressent à l’espace ne se préoccupent pas ou peu de ce qui a été écrit par les géographes. Pourtant, en 1989, Marcel Roncayolo lançait un appel dans la Revue des Annales en faveur de la complémentarité entre historiens et géographes. Deux ouvrages au contenu très proche sont le symbole de cette complémentarité : celui de Fernand Braudel, L’identité de la France, paru en 1986 ; et l’ouvrage de Paul Claval, Géographie historique de la France, publié en 1988. L’histoire et la géographie restent malheureusement deux mondes côte à côte. Tout savoir, toute étude sur l’économie, la politique, la culture, le social, se fait dans un espace. Les phénomènes historiques sont des phénomènes spatiaux, l’historien ne peut, de ce fait, se passer de la géographie.

COURS 2 : Banlieues et plats-pays

Les banlieues sous l’Ancien Régime ne prennent pas les mêmes formes que les banlieues contemporaines. Elles restent des territoires liés à une ville, mais la différence est interne. On sait que sous l’Ancien Régime, la plupart des villes exercent une influence sur les terres qui les environnent. Cette influence peut se schématiser en trois aspects :

  • les villes moyennes/grandes contrôlent économiquement et foncièrement l’espace environnant : les citoyens aisés ont des propriétés et contrôlent les flux à proximité (plat pays).
  • zone d’échanges centrée autour d’une ville dans une région plus ou moins vaste, avec des foires et des marchés.
  • encadrement juridique qui se fait par une seigneurie (ecclésiastique, laïque ou municipale). C’est la banlieue à l’époque moderne.


Le terme de banlieue sous l’Ancien Régime garde une grande similitude dans sa définition par rapport à l’acception actuelle. En 1606, le dictionnaire de Nicod, Trésor de la langue françoise (numérisé) par de la banlieue comme une « contrée et distance d’une lieue séant aux environs d’une ville qui est censée de mêmes droits et privilèges que la ville. » (on trouve à peu près la même définition dans les autres dictionnaires de l’époque moderne, celui de Furetière, celui de l’Académie française, l’Encyclopédie ou le Trévoux, notamment). A la fin de l’AR, en 1784, Le Répertoire universel et raisonné de jurisprudence de Guoyot, définit la banlieue ainsi : « c’est une certaine étendue de pays qui est autour d’une ville et qui en dépend. » ; aujourd’hui on ne trouve pas le même sens, une évolution a eu lieu. Le Robert décrit « un territoire qui entoure une ville et qui en est souvent une dépendance ». Pierre George, pour les géographes, parle de la banlieue comme de la « partie extérieure d’une agglomération urbaine ». La notion d’habitat et de dépendance se mêlent à la différence de ce que l’on trouve pour l’époque moderne. Le XIXe siècle voit l’apparition du mot « banlieusard » (-ard donne une connotation fortement péjorative). En espagnol, « periferia », « suburb » en anglais, « vorstadt » en allemand et « voorstad » en hollandais : dans tous les cas, c’est un espace autour d’une ville, il lui est dépendant, donc inférieur. C’est un souvenir plutôt mauvais de domination de la ville qui perdure actuellement.

I) Les banlieues à l’époque moderne.

A) Étymologie et dénomination.

A l’origine le mot banlieue vient du latin banlieuca, terme qui désigne un territoire large d’une lieue soumis au bannum, le pouvoir de commandement d’un seigneur. Certains ont rattaché le terme aux anciens districts qui entouraient les villes romaines, mais c’est une continuité difficile à établir. C’est au XIe siècle que le terme fait surface, précisément en 1036 à Arras pour désigner un territoire soumis à la ville. La plupart du temps on le retrouve dans des villes où l’autorité est exercée par un ecclésiastique (notamment les évêques, comme à Strasbourg, Mets, Albi…). Aux XIIe et XIIIe siècles les villes se sont émancipées. Elles ont remplacé le pouvoir ecclésiastique par des gouvernements municipaux et la banlieue devient un territoire sous le contrôle de la municipalité (le cas le plus étudié est celui des bourgeois de Metz qui renversent leur évêque et établissent leur contrôle sur une centaine de villes, territoire que l’on a nommé Pays Metzin).

Les termes varient d’une région à l’autre. On peut trouver : banlieuca, districtus, juridictio, territorium. Puisque l’on a des termes qui diffèrent, les zones contrôlées sont variables au niveau de leur superficie, sans compter que d’une province à l’autre, la lieue est fluctuante : la lieue romaine ou petite lieue est de 2200m, la grande lieue est de 4000m, on trouve ailleurs des lieues de 5500m, dans le Saint Empire la lieue est de 7400m. Ce n’est qu’au XIXe siècle que l’on fixe la lieue à 4 km.

B) Un phénomène européen.

La notion de banlieue se retrouve dans un très grand nombre de pays d’Europe. Elle peut être très variable.

  • En Espagne, on parle de « terminos ». Ce sont des terres qui dépendent d’une communauté d’habitants. On trouve parfois aussi les termes « tierra » ou « juridiccion ». Il existe dans ce pays une très grande variété de situations. On trouve des petites banlieues en Navarre ou en Castille, de très grandes au centre et au Sud, à Valladolid ou Tolède par exemple.

Les terminos se constituent au Moyen Âge. L’époque moderne est pour les banlieues une période de déclin. Par exemple, à Tolède (étudiée par J. Montemayor), au début de l’époque moderne, la banlieue couvre 6200 km². Petit à petit, elle est grignotée et dans la deuxième moitié du XVIIe siècle elle est amputée de plus d’un quart de sa surface sous l’action du pouvoir royal espagnol. Certaines terres ont été vendues à des grands seigneurs pendant que certains villages obtenaient une promotion octroyée par le pouvoir royal. Celui-ci exerce un chantage sur les grandes villes : le roi menace de faire d’un village de son territoire une ville, ce qui lui permettrait d’échapper à la ville-centre qui perdrait par là des ressources financières. Le roi ne s’exécute pas à la condition que lui soient versées des sommes d’argent. Il peut aussi exiger que les députés votent dans le sens qui lui sied le mieux.

  • Dans le Saint Empire, beaucoup de villes ont des « banmeile » (signifie banlieue). Mais ne concerne que es villes soumises à une autorité princière, pas les villes impériales, les Reichstädte (une cinquantaine). Celles-ci ont certes une banlieue, mais beaucoup plus vaste que les banmeile et qui est peu à peu devenue un territoire politique (Hambourg, Brême, Francfort... dans le sud, surtout Nuremberg et Ulm). Certains de ces territoires devinrent des cités-Etat.
  • En Angleterre: On assiste au même phénomène. Les « liberties » (privilèges) et par extension le territoire sur lequel s’exerce la juridiction de la ville est délimité par des bornes et déborde dans ce qu’ils nomment « suburbs » (correspond à des faubourgs en moins vastes).
  • En Italie, les villes disposaient d’une banlieue, le contado (du latin « comitatus »). Certaines l’ont étendu au point de devenir des cités-Etat (Florence…).

Par ailleurs, dans certains pays scandinaves la banlieue peut être à la fois terrestre et maritime (rivages).

II) la structure et les formes des banlieues.

A) quelques exemples de banlieues.

Généralement, les banlieues ont des limites précises qui sont décrites soit lors de la création soit lorsqu’elles sont confirmées (à la différence du plat-pays). A partir du XVIe siècle, on commence à borner les banlieues mais la cartographie est imprécise, du coup on se base sur des éléments naturels que sont les rivières, les fleuves, des ruisseaux, d’autres fois sur les routes, les carrefours, les ponts, les croix, les hameaux, parfois sur des éléments du relief (fréquent en Provence, cf doc 1 : Aix en Provence).

Même si des limites sont posées, les contestations restent fréquentes, en raison des changements physiques ou de la position de puissances limitrophes ou enclavées. Les disputes viennent parfois de l’extérieur, des voisins, d’autres fois elles sont internes. A Bordeaux, des procès verbaux ont eu lieu avec le chapitre de Saint-André et surtout le chapitre de Saint-Seurin (enclavé et possesseur d’une seigneurie limitrophe : Cadaujac). A Besançon, il y a eu des problèmes avec les comtes de Bourgogne. Bayonne a connu des conflits avec les communautés voisines, en particulier Anglet et la maison d’Albret (procès de 1743 à 1786, gagné par la ville). Bayonne toujours, en 1618, voulait avoir le cours de l’Adour jusqu’à Cap Breton en raison des évolutions physiques, mais la demande a été rejetée. A Dijon, la banlieue a une forme idéale, presque circulaire, avec des limites entre 5500 et 6000m. Le terroir d’Aix est lui très découpé, tarabiscoté. De même que la banlieue parisienne qui comprend une quarantaine de villages et paroisses alentour : il y a Saint-Denis, La Villette, Issy (où allait se reposer le cardinal de Fleury), Boulogne, Neuilly, Auteuil, etc.

Les surfaces des banlieues sont très variables : Lille n’a une banlieue que de 500 ha, alors que Blaye a 1000 ha, Bourg-sur-Gironde 1500 ha, Saint-Emilion 7000 ha, Toulouse 12000 ha, Marseille 23000 ha, Bordeaux 42000 ha, Arles 110000 ha. Cette dernière a la plus grande banlieue de France. La Révolution Française en fait la plus vaste commune puisque le territoire adjacent est incorporé à la commune (c’est un territoire quasiment vide, du coup les contestations sont proportionnelles).

B) formation et évolution des banlieues.

Ce n’est pas un phénomène linéaire. Il connait des avancées et des reculs. Elle s’est constituée par étapes selon des formes variées, plus ou moins conflictuelles. Le territoire de la banlieue bordelaise a fait l’objet d’une thèse de Bochaca : banlieue de 42000 ha, plus développée au nord-est, elle comprenait 5 entités administratives : (voir carte 2)

  • Prévôté de Saint-Eloi entourant la ville et ses faubourgs immédiats (Talence, Bègles, Caudéran, jusqu’à Bacalan) au XIIIe siècle.
  • Fin XIIIe siècle, Bordeaux récupère la banlieue du Médoc, prévôté d’Eysines (Eysines, Bruges, Le Haillan, une partie de Saint-Médard-en-Jalles).
  • La banlieue d’entre-deux-mers, petite prévôté acquise au début du XIVe siècle (Cenon, Lormont, Floirac).
  • La contrée d’Ornon (Gradignan, Villenave, Léognan) a été achetée en 1409 à la famille d’Ornon
  • La baronnie de Veyrines (Pessac, Mérignac) a été achetée en 1527 au seigneur de Veyrines.


Ces évolutions sont fluctuantes, les banlieues peuvent acquérir des terres et en perdre. Ainsi de Bordeaux : alors que la ville avait acheté en 1591 la baronnie des Montferands dont la lignée s’était éteinte (Yvrac, Bassens, Ambarès, Saint-Eulalie). La municipalité l’a achetée alors que le maire le maréchal Matignon avait des vues dessus. Après l’arrivée d’héritiers éloignés, la ville a décidé de restituer le territoire en 1607.

III) les pouvoirs de la ville sur la banlieue.

A) Les types de pouvoirs.

  • Soumission judiciaire : la justice municipale s’exerce, en effet, sur le territoire des banlieues, qu’elle soit haute, moyenne ou basse, comme à Bordeaux, Périgueux ou Bayonne. A Tours la situation est légèrement différente puisque la ville n’avait pas le droit de justice sur sa banlieue qui dépend en fait de la justice royale.
  • Pouvoir de police : un pouvoir administratif, règlementaire. C’est en fait la ville qui fait le règlement et le fait appliquer et sanctionne le cas échéant.
  • Pouvoir économique : la ville légifère sur la circulation des marchandises, la vente ; elle décrète le ban des vendanges, réglemente le droit de pacage des animaux dans les prés.
  • Pouvoir fiscal : fixe le montant des impôts : taxes à la consommation, taxes aux habitants de la région pour l’entretien des remparts) appliquée par le personnel de la municipalité.

B) quelques exemples.

A Bordeaux, la municipalité fixe les règles de pacage, de cueillette du raisin, l’exercice de la boucherie. Elle établit une différence de prix entre les boucheries de la ville et celles de la banlieue qui sont moins taxées car le pouvoir d’achat y est plus faible. Par ailleurs, les Bordelais ont interdiction d’aller y acheter leur viande (sinon le système ne fonctionne pas). La municipalité se charge de la police sur la rivière, de surveiller la chasse.

A Marseille, en 1789, le territoire de 23 000 ha que constituait la banlieue revient à la ville. Il y avait des privilèges, surtout celui protégeant les vins des propriétés avoisinantes. Les riches marseillais sont attachés au protectionnisme car leurs vins sont jugés de mauvaise qualité. En 1669, la ville a obtenu le droit d’être un port franc, les navires quittant Marseille ne payaient pas de droits. Les Marseillais voulaient cependant être un port normal à l’importation, pour taxer, ce qu’ils ont obtenu à quelques reprises.

A Bayonne, la priorité est accordée au cidre produit dans les limites de la juridiction : autre exemple de privilèges.

IV) une banlieue économique ? le plat-pays.

A) la théorie.

En 1826, l’économiste allemand Thünen publie Der Isolierte Stadt (la ville isolée). Il élabore un schéma théorique sur la relation économique que peut entretenir une ville avec les terres environnantes. Il imagine une ville idéale, au sol homogène, sans accident. Cette ville est entourée par une série de rayons concentriques. Le premier niveau est celui des cultures maraichères, le deuxième niveau est celui des près donc de l’élevage, de la production de produits laitiers. Le troisième niveau est celui des céréales et le quatrième de l’élevage extensif. Ce modèle a servi de base aux historiens pendant très longtemps pour l’étude des villes.

B) La réalité.

Ce genre de villes n’existe évidemment pas. L’environnement physique n’est jamais homogène, et la situation est très variable en fonction du climat. Les banlieues ne sont pas les mêmes en raison de fiscalité, de règlementation différentes. A Bordeaux la ville est entourée de marais plus ou moins salubres, par des terres humides, inondables. Sur les parties surélevées on cultive de la vigne et ce n’est que bien plus loin (Médoc, Graves) que des céréales sont cultivées.

A Aix en Provence, on trouve une zone de vergers et de jardins et tout de suite après la culture de céréales avec la particularité que les parcelles sont complantées. Plus loin on trouve des céréales toutes seules et ce n’est qu’ensuite que l’on trouve les près, au bord de ruisseau, complantés eux aussi (importance de l’ombre). Enfin on trouve des vignes sur les côteaux.

CONCLUSION :

En 1789, la Révolution Française crée les communes. Dans la plupart des cas, les anciennes paroisses en deviennent. Le deuxième élément nouveau est la disparition totale du système seigneurial et donc de la justice seigneuriale et des privilèges en général et entraine la disparition des banlieues selon la définition d’Ancien Régime. Mais la situation est variable d’une région à l’autre. A Arles la nouvelle commune récupère, comme on l’a vu, l’intégralité des territoires de sa banlieue. Marseille est dans le même cas, de même que Besançon. Reims en récupère les trois quarts. A Bordeaux, c’est le phénomène inverse qui se produit. La ville perd un tiers de son territoire de par la création d’une multitude de petites communes qui prennent en quelque sorte leur indépendance, avec le développement d’un fort sentiment communal. Tout au long du XIXe siècle, ces petites entités communales ont eu la hantise de se voir phagocyter à nouveau par l’ogre bordelais. Plusieurs projets d’annexion ont été repoussés (exemple : 1853) mais Bordeaux grapille des petits morceaux de ses banlieues : à la Bastide, à Talence, à Bègles, notamment pour cette dernière avec la création des boulevards. Ce sentiment se retrouve dans les années 1960 quand Caudéran est rattaché en 1965 à Bordeaux ou en 1967 avec la création de la CUB. Les protestations sont nombreuses, notamment à Bègles (couleurs politiques antithétiques) devant le spectre du retour de la banlieue d’AR, totalement dominée.