SADHE C. Lastécouères 14/03/07
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Retrouvez le compte-rendu de la conférence de Christophe Lastécouères (Université de Pau) intitulée Capitalisme et réseaux de proximité ici : SADHE 14/03/07
Compte rendu
Le développement économique de l’Aquitaine a été problématique pratiquement à chaque phase de l’industrialisation. Certains apports théoriques sont essentiels pour éclairer cette question.
La microéconomie bancaire, d’une part, a mis en avant le rôle de la proximité dans la réduction de l’asymétrie de l’information en ce qui concerne les petites structures (qui sont sur ce point avantagées par rapport aux grosses structures). Les concepts de « districts » ou de « territoires » industriels, d’autre part, permettent de s’interroger sur les « économies d’agglomération » (Marshall) liées à la proximité. Les performances d’une entreprise sont liées à sa capacité à « faire corps » avec la société qui l’entoure (Becattini) et à son « encastrement » dans la société (Mark Granovetter).
La région Aquitaine est-elle affligée d’un retard global, relatif ou « optimal » (Bertrand Blancheton) ? Le responsable de ce retard est-il le marché ou la hiérarchie liée aux normes institutionnelles ? Pour répondre à ces questions, il faut aborder les problèmes du financement, de l’innovation et des « normes communautaires ».
Le mode de financement qui a caractérisé la région est un « système de financement local » original qui correspond à l’ « industrialisation douce » (Jean-Marc Ollivier) qu’a connu l’Aquitaine, dont les ressources ne sont pas très importantes, mis à part certaines exceptions, comme l’électricité (cf. Christophe Bouneau). Le financement est assuré par des acteurs privés, des banques locales qui collaborent de manière exemplaire avec la Banque de France dans le cadre d’un mode de régulation horizontal qui assure un financement optimal. Ce système, qui existe des années 1840-1950 jusqu’en 1914, est mis à mal par l’intégration verticale au réseau national qui a lieu dans les années 1920, mais ne disparaît pas pour autant. Les réseaux patronaux et notabiliaires locaux mettent en place des stratégies qui leur permettent de résister, en s’appuyant notamment sur des personnes leur permettant d’avoir accès aux sphères institutionnelles qui leur sont utiles (en particulier la sphère parisienne). Comme l’explique Granovetter, un réseau est d’autant plus fort qu’il pénètre différentes sphères, et les éléments les plus faibles d’un réseau sont souvent les plus importants lorsqu'ils permettent de mettre en relation différents groupes et sous-groupes ; les personnes qu’on voit le moins sont souvent les plus importantes1. Ce mode de « gouvernance » permet ainsi une gestion optimale des ressources, et est représentatif du compromis entre le marché et la législation qui caractérise la région, voire la France dans son ensemble.
Concernant l’innovation, l’Aquitaine a longtemps eu la réputation d’avoir privilégié les apprentissages « tacites » (liés au savoir-faire, à l’expérience) au détriment des apprentissages « codifiés » (théoriques). Pourtant, le secteur de la glisse, dont la structure duale associe des petits ateliers (« shapers ») et des grosses « majors », prouve le contraire : l’action des pouvoirs publics (programmes de systèmes productifs localisés, « pôles de compétitivité ») et la multiplication des partenariats peuvent permettre le développement d’un capitalisme local dynamique dans la région.
Enfin, la soi-disant incapacité de la région à suivre les normes impulsées par le centre ne doit pas occulter le fait que de nombreux changeurs et banquiers, grâce à l’utilisation de la monnaie espagnole qui n’avait pas cours légal en France, ont très bien réussi s’insérer dans le système monétaire international. Les transferts d’or et d’argent par le port de Bayonne ont notamment servi à financer les grands commerces coloniaux. Là encore, la structure duale, née du compromis entre la loi et le marché, a permis à de petites banques de prospérer à côté de grands établissements.
Pour conclure, on peut affirmer que la France n’a jamais choisi entre le marché et la hiérarchie des normes institutionnelles. Ce système de compromis a permis à de petites entreprises de côtoyer de grosses structures, un peu comme en Italie, où l’on retrouve le même type de dualisme. En définitive, il ne faut pas oublier que ce sont les hommes qui ont un poids déterminant dans les structures économiques.
1 Sur l’analyse de réseaux en histoire, voir Claire LEMERCIER, « Analyse de réseaux et histoire », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 52-2, avril-juin 2005.