SADHE L. Segreto 24/01/07

De Univ-Bordeaux

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Retrouvez le compte-rendu de la conférence de Luciano SEGRETO (Université de Florence) sur « Les enjeux énergétiques dans la Guerre froide » ici : SADHE 24/01/07

Compte-rendu

La question de la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de la Russie est au cœur de l’actualité. Pourtant, cette dépendance était nettement plus faible dans les années 1950-1960, période durant laquelle l’Italie était le pays le plus dépendant de l’URSS sur le plan énergétique.

Luciano Segreto s’est basé, entre autres, sur les archives de l’OTAN (qui présentent un grand intérêt pour les questions économiques) et de la Communauté européenne pour traiter cette question.

Le problème de la gestion énergétique, tant sur le plan de la sécurité du monde occidental que sur celui des rapports entre producteurs et consommateurs, remonte à la Première guerre mondiale. Un Bureau interallié, créé en 1915 et basé à Paris, permettait déjà les échanges d’informations concernant l’utilisation des matières premières et des ressources énergétiques. Par la suite, le Bureau interallié de ravitaillement (1916) et le Conseil interallié des transports maritimes (1917) font partie des institutions chargées de gérer l’effort de guerre des alliés.

Dans les années 1920-1930, l’idée d’un bureau de gouvernance des matières premières (associant les alliés, les pays neutres et même les anciens ennemis), lancée par les Etats-Unis, est rejetée. Mais, dans l’Entre-deux-guerres, les grandes problématiques concernant la nécessité de lutter contre l’ « inégalité des accès aux matières premières » sont déjà présentes, que ce soit au sein du Royal Institute of International Affairs (qui établit une liste des matières premières nécessaires en 1934), de la Société des Nations (qui crée un comité devant étudier la question en 1937) ou de la conférence interparlementaire du commerce de 1937.

La question énergétique est également fondamentale durant la Seconde guerre mondiale. Les Etats-Unis, qui prévoient la création d’un comité pour la gestion interalliée des matières premières (associant l’URSS), sont favorables à un nouvel ordre économique international plus conformes à leurs intérêts ; consommant de plus en plus de matières premières, les Etats-Unis cherchent avant tout à garantir leur accès à celles-ci. C’est cette stratégie qui est mise en pratique dans la décennie suivante.

En 1946, une loi prévoit la constitution d’un stock de réserve de matières premières, en liaison avec le plan Marshall : la sécurité du monde occidental dépend de la gestion de ces ressources. Cette nécessité apparaît encore plus évidente dans les années 1950, avec la guerre de Corée. Pour les Etats-Unis, alors consommateurs d’un quart des matières premières les plus importantes en moyenne, la défense des intérêts du monde occidental passe par la défense de leurs propres intérêts. Il s’agit d’éviter à la fois que les matières premières tombent aux mains de l’URSS et que leur prix flambe. D’où la question du contrôle des exportations vers l’URSS et la Chine, qui est confié à un organisme secret, le Coordinating Committe for Multilateral Export Controls (COCOM), basé à Paris.

Après la guerre de Corée, le dilemme entre sécurité et croissance économique devient encore plus important, et la question du choix entre « le beurre et le canon » fait l’objet de nombreuses discussions au sein de l’OTAN et de l’OCDE. Au sein de ces institutions, les positions des différents Etats sont très diverses : la Grande-Bretagne devait prendre en compte le fait que de nombreux pays producteurs faisaient partie du Commonwealth, tandis que les Etats-Unis posaient le problème des matières premières par rapport à la question stratégique. D’autres pays (comme la France ou l’Italie), enfin, étaient partisans d’une gestion civile des ressources, et ne voulaient pas traiter le problème dans une optique politique ou militaire. Les discussions se poursuivent entre 1950 et 1952, mais, pour éviter des conflits trop importants, l’OTAN préfère laisser de côté cette question à partir de la fin de 1952.

La question resurgit en 1956, alors que le pétrole monte en puissance. L’URSS, qui est déjà une puissance pétrolière, lance une « offensive » en offrant des prix beaucoup plus bas que les occidentaux. L’ENI, compagnie pétrolière italienne contrôlée par l’Etat, signe alors trois contrats très importants avec l’URSS. Les compagnies américaines et européennes considèrent alors qu’il faut « sauver » l’Italie et une offensive diplomatique est lancée pour réduire la dépendance de l’Italie vis-à-vis de l’URSS : la Communauté européenne préconise alors la création d’une « diplomatie énergétique commune », qui ne voit cependant pas le jour.